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[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

2001-3456(IT)I

ENTRE :

 

PETER KINSEY,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

 

Appel entendu le 4 septembre 2002, à Kelowna (Colombie-Britannique), par

l'honorable juge Campbell J. Miller

 

Comparutions

 

Représentant de l'appelant :                          Dewey Lotoski

Avocate de l’intimée :                                   Me Jasmine Sidhu

 

 

JUGEMENT

 

          L'appel interjeté à l'encontre de la cotisation établie en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour l'année d'imposition 1998 est rejeté.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 12e jour de septembre 2002.

 

 

« Campbell J. Miller »

J.C.C.I.

 

Traduction certifiée conforme

ce 18e jour d'août 2004.

 

 

 

Mario Lagacé, réviseur

 

 


 

 

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Date: 20020912

Dossier: 2001-3456(IT)I

 

ENTRE :

PETER KINSEY,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Miller

 

[1]     Combien de gens rêvent de prendre leur retraite dans le Pacifique Sud avec un bateau de 50 pieds, assez grand pour loger 12 personnes? M. Kinsey avait un tel désir et a, en fait, réalisé ce rêve, ayant émigré aux îles Fidji en l’an 2000. Il a construit son bateau au Canada de 1985 jusqu’au début des années 1990 et l’a piloté jusque dans le Pacifique Sud en 1997. En 1989, il a commencé à déclarer une activité commerciale de location de bateau. Pour les années 1993 à 1998, il a déclaré un revenu de 49 909 $ et des frais de 435 368 $ (principalement au titre de la déduction pour amortissement (« DPA »)). L’intimée n’a pas admis la perte de 10 010 $ déclarée pour l’année d’imposition 1998. M. Kinsey interjette appel à l’encontre de cette cotisation, sous le régime de la procédure informelle. Il soutient que la perte provenait d’une entreprise légitime. L’intimée soutient pour sa part que l’activité consistant à louer le bateau n’était pas une entreprise en 1998, vu la présence d’un élément personnel important et vu l’absence d’une attente raisonnable de profit.

 

Faits

 

[2]     M. Kinsey n’a pas comparu pour témoigner dans cette affaire. M. Lotoski, qui est le comptable de M. Kinsey depuis plusieurs années, a entrepris de replacer l’affaire dans son contexte selon ce qu’il en savait personnellement. Il n’a pu fournir de renseignements détaillés au sujet des activités relatives au bateau ou au sujet de l’attente de M. Kinsey à l’égard de ces activités. En fait, quand on lui a demandé le coût du bateau, soit un renseignement fondamental qu’on pourrait présumer qu’un comptable de longue date devrait avoir à sa disposition, M. Lotoski a dit qu’il l’ignorait, mais ensuite, réflexion faite, il a avancé le chiffre de 200 000 $. Comme les registres indiquaient que la DPA pour quatre ou cinq années avait été de plus de 400 000 $ et que la fraction non amortie du coût en capital était encore de plus de 100 000 $, j’ai trouvé que cette réponse minait la crédibilité de M. Lotoski. Ce dernier était le seul témoin de l’appelant.

 

[3]     Avant 1985, M. Kinsey avait passé plusieurs années à faire de la voile : en fait, il avait entrepris seul un voyage en bateau d’une durée de quatre ans. Il est revenu à Vancouver au milieu des années 1980, après avoir passé un certain nombre d’années à l’étranger, à bord d’un voilier. De retour au Canada, il a commencé à construire son bateau de 50 pieds. M. Lotoski a confirmé que, à ce qu’il avait compris, le plan initial de M. Kinsey était de quitter le Canada et de déménager aux îles Fidji. Il a fallu plusieurs années pour construire le bateau, qui a dû coûter beaucoup plus que 500 000 $, ce que je ne peux qu’estimer. En 1989, M. Kinsey a commencé à déclarer l’activité commerciale de location de bateau, mais il n’y a aucune preuve qu’une activité productive de revenu ait été exercée à cette époque. La première preuve de l’exercice d’une activité de location productive de revenu remonte à 1993. Voici quels ont été les revenus et les dépenses pour les années suivantes :

 

Peter Kinsey

Année d’imposition 1998

 

1993

1994

1995

1996

1997

1998

 

 

 

 

 

 

 

PERTES D’ENTREPRISE NETTES INDIQUÉES POUR LES ANNÉES ALLANT DE 1993 À 1998

 

 

 

 

 

 

 

Revenu

       642  $

    4 950  $

  32 035  $

           1  $

    1 809  $

  10 472  $

Dépenses

137 806  $

104 960  $

  55 335  $

  67 786  $

  48 999  $

  20 482  $

Perte d’entreprise nette déclarée

 

(137 164 $)

 

(100 010 $)

 

(23 300  $)

 

(67 785  $)

 

(46 990  $)

 

(10 010  $)

 

[4]     M. Kinsey était un auxiliaire médical qui, à la fin des années 1980 et dans les années 1990, ne travaillait que partiellement au Canada. Il a utilisé son revenu d’emploi pour financer la construction de son bateau, mais, en 1995 et en 1996, suivant les conseils de Revenu Canada, d’après M. Lotoski, il a emprunté de l’argent pour achever le bateau. Il n’y avait aucune preuve documentaire d’un tel emprunt. Vu les taux de DPA applicables au navire de la catégorie 7, M. Kinsey a pu déduire des sommes importantes de son revenu d’emploi. Revenu Canada était bien au courant des activités de M. Kinsey et a mis en doute les déductions importantes au milieu des années 1990. M. Lotoski a expliqué que M. Kinsey a demandé le remboursement d’environ 150 000 $ d’impôt pour 1992, 1993 et 1994 et qu’il a attendu cet argent, c'est‑à‑dire qu’il a reçu 55 000 $ en mai 1996, 77 000 $ en août 1996 et le solde de 12 000 $ en janvier 1997. M. Lotoski soutenait que le fait que Revenu Canada avait tardé à verser ces remboursements avait été un gros obstacle dans la poursuite de l’entreprise de M. Kinsey. M. Kinsey avait besoin de cet argent pour rembourser son emprunt. S’il avait reçu le remboursement total en mai 1996, d’après M. Lotoski, il serait parti. M. Lotoski a dit que la plus grosse dépense de M. Kinsey à cette époque avait été des frais comptables de 20 000 $ qu’il avait engagés au soutien de ses déclarations de revenu.

 

[5]     M. Kinsey a commencé son activité de location de bateau à Sooke (Colombie‑Britannique). En décembre 1995, il a fait paraître une annonce pour trouver un capitaine en vue de telles locations. M. Lotoski a présenté une brochure de deux pages, pour la saison 1995‑1996, dans laquelle il est dit que Mme et M. Kinsey s’adonnent à la voile depuis longtemps, avec leurs deux enfants.

 

[6]     M. Lotoski avait conseillé à M. Kinsey d’envoyer des lettres à des associations de voile pour essayer d’attirer la clientèle. Il avait également aidé à la création d’un site Web. Le site Web de M. Kinsey a remporté un prix, mais après l’année considérée en l’espèce. M. Lotoski a en outre fourni une copie d’une brochure envoyée en 1999 en vue des locations pour l’an 2000.

 

[7]     En 1997, M. Kinsey a piloté le bateau jusque dans le Pacifique Sud. C’est là que l’activité de location devait avoir lieu. En fait, M. Lotoski a dit que l’année 1999 n’était que la deuxième année d’exploitation.

 

[8]     En ce qui a trait à l’activité de location du bateau, certains des documents fournis par M. Lotoski indiquaient que le prix pour une personne pour une location de 15 jours était de 3 750 $CAN. M. Lotoski n’a pu fournir de renseignements exacts sur le nombre de locations pour 1998 ou d’autres années. Le matériel publicitaire renfermait un témoignage d’appréciation concernant la gastronomie. Il n’était pas fait état de telles dépenses dans le rapport d’activité commerciale de M. Kinsey pour 1998 qui a été déposé auprès de Revenu Canada. Pour 1998, il n’y avait pas non plus de frais d’assurance ou d’autres frais de nature générale. Il n’y a aucune preuve quant aux dépenses pour 1997. Pour 1999, sur les 21 298 $ de frais indiqués dans l’état des activités d’entreprise, un montant de 9 661 $ correspondait à la DPA, un montant de 7 892 $ représentait des frais de déplacement, un montant de 1 378 $ représentait le paiement d’honoraires et un montant de 1 996 $ représentait des frais de réparation.

 

[9]     D’après M. Lotoski, lorsque M. Kinsey était dans le Pacifique Sud, il vivait dans une hutte, ce qui ne lui coûtait presque rien. Il n’y a aucune preuve documentaire quant à l’existence d’un titre de propriété ou d’un bail. M. Lotoski a dit que M. Kinsey amarrait son bateau dans une lagune, en face de la hutte.

 

[10]    Pour revenir à l’activité de location du bateau, M. Lotoski a déclaré que des événements survenus dans le monde, ainsi que le fait que Revenu Canada a tardé à rembourser M. Kinsey, ont eu des répercussions sur l’activité commerciale de M. Kinsey. Ce dernier a émigré aux îles Fidji à la fin de l’an 2000. M. Lotoski a dit que M. Kinsey avait eu un revenu net de plus de 30 000 $US en 2001.

 

Position de l’appelant

 

[11]    M. Lotoski a reconnu l’importance du récent arrêt de la Cour suprême du Canada, Stewart c. La Reine[1], ainsi que l’incidence de cet arrêt sur la question de la légitimité d’une activité en tant qu’entreprise. Il a argué que, comme il n’y avait pas d’élément personnel dans l’activité de location de bateau de M. Kinsey, il n’est pas nécessaire d’examiner le critère d’attente raisonnable de profit. Il soutenait que le simple fait que M. Kinsey aimait faire de la voile n’était pas suffisant pour déterminer qu’il y avait un élément personnel. Il a dit que M. Kinsey n’a qu’à établir que son intention prédominante était de réaliser un profit, ce qui est le cas en l’espèce, a‑t‑il argué. Pour quelle autre raison M. Kinsey ferait‑il de la publicité pour son bateau? Les gens ne font pas de la publicité pour des bateaux qu’ils veulent garder comme bateaux de plaisance.

 

[12]    Citant les efforts faits en matière de publicité, M. Lotoski soutient que M. Kinsey exerçait son activité conformément à des normes objectives de comportement d’homme d’affaires sérieux.

 

[13]    M. Lotoski soutient que, si je conclus à l’existence d’un élément personnel, il reste que l’activité était exercée d’une manière suffisamment commerciale pour constituer une source de revenu.

 

Position de l’intimée

 

[14]    L’avocate de l’intimée soutient qu’il y a un fort élément personnel dans les activités de M. Kinsey. Elle attribue cela à la vie que M. Kinsey mène en tant que personne s’adonnant à la voile : faire de la voile, c’est non seulement un plaisir pour lui, mais c’est son mode de vie. Elle soutient en outre que la vie de M. Kinsey se passait à bord du bateau. L’épouse et les enfants de M. Kinsey se joignaient à lui. La seule preuve contraire tient à l’affirmation, non étayée, de M. Lotoski selon laquelle M. Kinsey vivait dans une hutte. Enfin, l’avocate de l’intimée se fonde sur l’hypothèse qui est énoncée dans la réponse à l’avis d’appel et selon laquelle l’activité n’était pas une entreprise purement commerciale. Cette hypothèse n’a pas été réfutée par la preuve.

 

[15]    Comme il existe un élément personnel, on examine ensuite le critère de la recherche de profit énoncé par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Stewart. L’avocate de l’intimée argue que la preuve ne démontre pas que l’intention prédominante de M. Kinsey était de réaliser un profit ou qu’il exerçait son activité comme le ferait un homme d’affaires sérieux. Il n’y avait aucune preuve quant à savoir combien de temps M. Kinsey avait navigué en 1998, combien de locations il avait faites ou combien de clients potentiels avaient été contactés. Il n’y avait pas de croissance soutenue ni de revenu constant. Le rapport d’activité commerciale pour 1998 était douteux. Enfin, si le plein montant de la DPA continuait d’être utilisé, il n’y avait aucune possibilité de profit. En l’absence du témoignage de M. Kinsey, l’avocate de l’intimée argue que je ne peux conclure que M. Kinsey exerçait son activité d’une manière commerciale.

 

Analyse

 

[16]    Pour déterminer si M. Kinsey avait une entreprise, la première question est de savoir si son activité était exercée en vue de réaliser un profit ou s’il s’agissait d’une démarche personnelle. Comme la Cour suprême du Canada l’a fait remarquer dans l’arrêt Stewart, l’examen de cette question sert à distinguer entre des activités commerciales et des activités personnelles et n’est nécessaire que si les activités en cause comportent un élément personnel. Bien que je convienne avec M. Lotoski que le simple fait d’aimer faire de la voile n’est pas suffisant pour constituer un élément personnel, je conclus que le cas de M. Kinsey va bien au‑delà du simple fait d’aimer faire de la voile. La voile, c’était sa vie. Tous les efforts qu’il faisait, il les faisait en vue de partir avec sa famille en voilier pour aller vivre dans le Pacifique Sud. Telle n’est pas la situation d’un homme animé par la recherche de profit.

 

[17]    La Cour suprême du Canada a spécifié que, si l’activité comporte un élément personnel, le contribuable doit établir :

 

(i)      que son intention prédominante était de tirer un profit de l’activité;

(ii)      que cette activité a été exercée conformément à des normes objectives de comportement d’homme d’affaires sérieux.

 

La question de savoir si M. Kinsey avait une attente raisonnable de profit est un facteur à prendre en compte, mais, d’après la Cour suprême du Canada, ce n’est pas le seul facteur à prendre en compte et ce n’est pas non plus un facteur décisif. Cela soulève une intéressante possibilité qui a évidemment été prise en considération par la Cour suprême du Canada, à savoir qu’une activité comportant un élément personnel qui est exercée d’une manière commerciale peut, malgré l’absence d’attente raisonnable de profit, constituer quand même une entreprise. Vu le nombre d’affaires en matière de source de revenu qui sont soumises à la Cour canadienne de l’impôt, j’aurai sans aucun doute l’occasion de me pencher sur une telle situation. Le cas de M. Kinsey ne représente toutefois pas une telle situation.

 

[18]    Comme je l’ai mentionné, les activités de M. Kinsey comportent un élément personnel. Sa vie se passait à bord du bateau. Sa famille était à bord du bateau. La preuve ne permettait pas de parvenir à une autre conclusion. L’objectif de M. Kinsey, d’après M. Lotoski, était de naviguer jusque dans le Pacifique Sud et d’emmener sa famille avec lui. L’activité consistant à louer le bateau était destinée à faciliter ce mode de vie. Ce n’est pas une critique; en fait, M. Kinsey peut être un des rares chanceux à avoir réalisé un tel rêve. Toutefois, ce dont il rêvait, c’était d’une vie nouvelle et merveilleuse, soit un élément très personnel, et non d’une entreprise à but lucratif.

 

[19]    Ayant conclu que l’activité comportait un élément personnel, je dois examiner la question de savoir si l’intention prédominante de M. Kinsey était de tirer un profit de l’activité. Il ressort clairement de mes conclusions sur la question de l’élément personnel que l’objet prédominant était non pas la recherche d’un profit, mais la recherche d’un mode de vie. Cela ne veut pas dire qu’il n’y avait aucune recherche de profit. Manifestement, il y a eu dans l’année considérée en l’espèce une activité de location du bateau, aussi minime soit-elle. Le fait qu’il y a eu cette faible activité productive de revenu et qu’une activité limitée a été exercée conformément à des normes objectives de comportement d’homme d’affaires sérieux ne permet pas de conclure à l’existence d’une entreprise.

 

[20]    M. Lotoski soutient que le degré de commercialité était considérable. La preuve faisait état d’une liste d’associations de voile que l’on envisageait de contacter. La preuve faisait également état d’une brochure publiée en 1999, ainsi que d’un site Web qui a remporté un prix. Cela correspond à une entreprise commerciale. Toutefois, je prends également en compte le mode de financement utilisé par M. Kinsey (recours à des remboursements d’impôt plutôt qu’à des méthodes de financement traditionnelles), l’incapacité de M. Kinsey de réaliser un profit pendant qu’il était au Canada, l’absence de preuve d’attente de profit, l’absence de plan en bonne et due forme, le manque de précision concernant les dépenses déclarées au titre de l’activité d’entreprise et l’absence de preuve quant au temps consacré à l’aspect commercial des activités relatives au bateau. Tout compte fait, il n’y a pas suffisamment d’indices de commercialité pour conclure que les activités de M. Kinsey éclipsent l’élément personnel au point de pouvoir être considérées comme constituant une entreprise. Tel n’est pas le cas.

 

[21]    L'appel est rejeté.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 12e jour de septembre 2002.

 

 

« Campbell J. Miller »

J.C.C.I.

 

Traduction certifiée conforme

ce 18e jour d'août 2004.

 

 

 

Mario Lagacé, réviseur



[1]           2002 CSC 46.

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