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[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Date: 20021112

Dossier: 2002-2069(IT)I

ENTRE :

 

SHELLEY G. COURSER,

appelante,

et

 

Sa Majesté La Reine,

intimée.

 

 

__________________________________________________________________

 

                   Pour l'appelante :                                L'appelante elle-même

                   Avocate de l’intimée :                         Me Cecil Woon

____________________________________________________________________

 

Motifs Du Jugement

 

(Rendus oralement à l'audience à Saint-Jean (Nouveau-Brunswick),

le mardi 10 septembre 2002 et révisés

à Ottawa (Canada), le 12 novembre 2002)

 

 

Le juge Margeson, C.C.I.

 

[1]     L'affaire dont il s'agit a été entendue sur la base de l’exposé conjoint des faits suivant :

 

 


[traduction]

 

Exposé conjoint des faits

 

1.            Dans le calcul de son revenu pour l’année d’imposition 2000, l’appelante a déduit la somme de 3 368,07 $ à titre de montant pour personne handicapée transféré d’une personne à charge autre qu'un conjoint relativement à Doris Barton.

 

2.            Doris Barton est admissible au crédit d’impôt pour personne handicapée pour l’année d’imposition 2000. Elle souffre de la maladie d’Alzheimer et demeure dans une maison de soins infirmiers depuis le 1er février 1999.

 

3.            Doris Barton est née en 1915 et est la grand-mère de l’appelante. Elle était résidente canadienne au cours de l’année d’imposition 2000.

 

4.            Personne n’a demandé de crédit équivalent pour personne entièrement à charge à l’égard de Doris Barton pour l’année d’imposition 2000 et personne n’était admissible à un tel crédit puisque les fonds de Doris Barton servaient à payer les frais relatifs à la maison de soins infirmiers où elle habitait au cours de l’année d’imposition 2000.

 

5.            Aucune autre personne ne pouvait demander un crédit à l’égard de Doris Barton, à la ligne 315 de la formule T1 Générale, puisque son seul foyer au cours de l’année d’imposition 2000 était une maison de soins infirmiers.

 

6.            L’appelante avait une procuration pour Doris Barton pendant plusieurs années avant que Mme Barton soit admise à la maison de soins infirmiers.

 

7.            L’appelante est responsable de payer diverses factures, y compris les frais mensuels relatifs à la maison de soins infirmiers où habite Doris Barton, puisque la province du Nouveau-Brunswick ne verse aucune contribution à cet égard. Les fonds utilisés pour le paiement de ces factures appartiennent à Doris Barton et à son époux, Ronald Barton.

 

8.            En 2000, l’appelante a rempli la déclaration de revenus de Doris Barton et a fait une demande au nom de Doris Barton pour obtenir la prestation pour personnes âgées à faible revenu et le Supplément de revenu garanti de la Sécurité de la vieillesse.

 

9.            En 2000, l’appelante a fait une demande au nom de Doris Barton afin d’obtenir de l’aide financière auprès du ministère des Ressources humaines du Nouveau-Brunswick.

 

10.        Au cours des deux premiers mois de 2000, Doris Barton recevait des soins personnels de deux personnes engagées pour l’aider à se lever le matin et à prendre le déjeuner et le dîner. L’appelante était responsable de toutes questions relatives à ces personnes, y compris leur embauche et l’établissement de leur horaire, et de les payer pour leurs services. Elles étaient payées toutes les deux semaines. Ces services étaient payés à même les fonds de Doris Barton.

 

11.        L’appelante avait la responsabilité de s’assurer que la coiffeuse de la maison de soins infirmiers était payée pour les services rendus à Doris Barton. Le paiement de ces services a été effectué à même les fonds de Doris Barton. En 2000, trois tels paiements ont été effectués.

 

12.        L’appelante devait également s’assurer de payer la pharmacie pour les médicaments sans ordonnance et autres articles, ainsi que la chaise roulante, achetés pour Doris Barton. En 2000, quatre paiements ont été fait à ce titre. Ces paiements ont été effectués à même les fonds de Doris Barton.

 

13.        Au cours de l’année 2000, Doris Barton était copropriétaire d’un immeuble locatif. Cet immeuble (a été) vendu par vente privée et l’appelante, qui est avocate, était responsable de toute question juridique relative à la vente de cet immeuble. Les fonds de Doris Barton ont été utilisés pour payer la somme de 25 $ à un avocat de Minto pour recevoir la signature de l’appelante puisqu’elle devait signer l’acte de vente au nom de Doris Barton.

 

14.        L’appelante avait la responsabilité d’envoyer des cartes de Noël et des cadeaux en argent au nom de Doris Barton et de son époux à leurs enfants, leurs petits-enfants et leurs arrière-petits-enfants. Ces cadeaux ont été payés à même les fonds de Doris Barton.

 

15.        Lorsque Doris Barton a perdu ses dentiers et ses lunettes, en 2000, alors qu’elle était à la maison de soins infirmiers, l’appelante a dû prendre des arrangements afin de remplacer ces articles pour elle. Ces articles ont été payés à même les fonds de Mme Barton.

 

16.        L’appelante a pris des arrangements pour que des travaux de rénovation soient effectués sur la maison de Doris Barton et de Ronald Barton et elle s’est occupée du paiement de ceux-ci. Ces travaux de rénovation ont été payés à même les fonds de Doris Barton et de Ronald Barton.

 

17.        L’appelante n’a reçu aucune rémunération ni aucun remboursement de ses dépenses personnelles, comme les timbres, l’essence, les heures non facturables au cours d’une journée de travail, ni des appels interurbains chargés à sa résidence pour aucun de ses services, à l’exception de la vente de l’immeuble locatif pour laquelle elle a reçu une somme de 100 $ pour couvrir l’essence lors de ses deux voyages à Minto dans le cadre de la vente. Les appels interurbains chargés à la place d’affaires de l’appelante ont été remboursés à son entreprise.

 

18.        L’appelante n’a payé aucune des dépenses ci-haut mentionnées avec ses propres fonds. Tous les paiements ont été effectués à même les fonds de Doris Barton et/ou de Ronald Barton.

 

19.        L’appelante n’a d’aucune façon fourni les éléments essentiels à la vie de Doris Barton comme la nourriture, les vêtements ou le logement.

 

[2]     L’appelante n’a pas fourni les éléments essentiels à la vie, soit la nourriture, les vêtements et le logement de la résidente Doris Barton qui était sa grand-mère. L’appelante a fourni des services accessoires, comme aller à la banque pour Mme Barton, prendre des rendez-vous pour elle, payer ses factures et faire d’autres courses, tel qu’il est énoncé dans l’exposé conjoint des faits. Sa grand-mère était dans une maison de soins infirmiers depuis le 1er février 1999. Il ne fait aucun doute que personne n’a fait de demande de crédit pour personne entièrement à charge au cours de l’année d’imposition en question. Personne n’avait droit à un tel crédit.

 

[3]     Si l’appelante avait le droit de demander des déductions en l’espèce, l’on peut facilement imaginer la situation où une autre personne pourrait également être admissible à de telles déductions. Imaginons le cas où deux nièces, deux tantes, deux frères ou deux sœurs auraient fourni des services à la personne handicapée. Qui aurait droit de demander une déduction? Pourraient-ils seulement déduire la somme d’argent qu’ils ont dépensée? Comment le ministre du Revenu national (le « ministre ») établirait-il le montant auquel chacun aurait droit?

 

[4]     L’appelante a soutenu que le comptable avait affirmé qu’elle était admissible et que la seule condition était que sa grand-mère n’en fasse pas la demande. Il ne s’agissait pas d’une déduction. La personne faisant la demande devait tout de même satisfaire aux exigences de l’article.

 

[5]     Elle a également soutenu que le montant qui pouvait être déduit serait établi par la Cour, mais qu’il s’agissait d’un crédit d’impôt qui pouvait être divisé. L’appelante ne faisait pas que recevoir sa grand-mère à dîner de temps à autre. Elle faisait des choses tous les jours pour elle et elle continuerait de faire ces courses pour elle.

 

[6]     La totalité des montants dépensés l’ont tous été à même les fonds de Doris Barton. Toutes les factures ont été payées avec les fonds de Mme Barton. L’appelante a rempli sa déclaration de revenus ou l’a fait faire par quelqu’un d’autre. Elle a demandé un crédit d’impôt sur le revenu et le Supplément de revenu garanti de la Sécurité de la vieillesse. Elle a fait une demande d’aide financière au nom de Doris Barton auprès du ministère des Ressources humaines du Nouveau Brunswick.

 

[7]     L’appelante a assumé la responsabilité d’engager les personnes qui se rendaient à la maison de soins infirmiers pour aider Doris Barton et d’établir leurs horaires. Ces services ont tous été payés à même les fonds de Doris Barton et non de ceux de l’appelante.

 

[8]     L’appelante s’est également assurée que la coiffeuse de la maison de soins infirmiers soit rémunérée pour ses services à même les fonds de Doris Barton. Trois tels paiements ont été effectués en 2000.

 

[9]     Elle s’est également assurée de payer la pharmacie pour les médicaments sans ordonnance. De plus, elle a dû signer un acte de vente pour le compte de Doris Barton à l’égard de laquelle elle avait une procuration. Elle a envoyé des cartes de Noël et des cadeaux en argent aux enfants de Doris Barton et de son époux en leurs noms. Elle s’est occupée de faire réparer les dentiers de Doris Barton; a pris des mesures afin que les rénovations soient payées et elle n’a reçu aucune rémunération pour aucun de ces services.

 

[10]    Ce qu’elle a fait pour la dite « personne à charge » n’est aucunement contesté. La seule question est de savoir si l’appelante satisfait ou non aux critères énoncés au paragraphe 118(6) de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi »).

 

[11]    La version anglaise de la loi comporte deux termes, support (pension alimentaire) et dependent (personne à charge). Le terme support est mentionné au paragraphe 118(5) de la Loi mais le libellé de la loi n’indique pas en quoi il consiste. Lorsque, dans le contexte de la Loi, ce terme est assimilé à un montant, la présente cour est d’avis que la Loi tente en quelque sorte de le quantifier, qu’il doit s’agir d’une dépense de nature pécuniaire engagée par une personne pour le compte d’une autre qui est déclarée comme personne à charge.

 

[12]    Puisqu’il n’existe aucune définition précise des termes anglais support et dependent, la Cour doit se reporter aux dictionnaires et, comme dans la majorité des cas, vous y trouverez une définition qui appuiera les deux positions. En l’espèce, si nous consultons le Merriam-Webster’s Collegiate Dictionary, et que nous examinons la partie à laquelle fait référence l’avocate de l’intimée, on y lit ce qui suit :

 

[traduction]

 

« prendre à charge les frais de; fournir les éléments essentiels à l’existence ou à la subsistance de »

 

[13]    Si la Cour se reporte à la documentation de référence de l’appelante, le mot support peut avoir une toute autre signification. On y lit [traduction] « assister ou aider ». On peut lire également [traduction] « l’action de soutenir », [traduction] « le fait d’être soutenu », [traduction] « la personne qui apporte un soutien ». Si l’on examine la définition du Canadian Oxford Dictionary, on y trouve une fois de plus des définitions à l’appui de la position de l’intimée et de celle de l’appelante. À partir de la section 3a, [traduction] « fournir un logement et subvenir aux besoins fondamentaux »; [traduction] « fournir une quantité suffisante de nourriture et d’eau afin de maintenir quelqu’un ou quelque chose en vie »; [traduction] « aider quelqu’un en lui donnant son approbation, en lui exprimant sa compassion, et en l’encourageant »; [traduction] « manifester un intérêt marqué pour »; [traduction] « endurer, tolérer »; [traduction] « soutenir ou représenter de manière adéquate » et plusieurs autres choses qui pourraient correspondre à ce que l’appelante a fait en l’espèce.

 

[14]    Il ne fait aucun doute que l’appelante a fait toutes ces choses dans l’intérêt et pour le compte de la personne qui demeurait dans la maison de soins infirmiers. La question est de savoir si les gestes de l’appelante sont visés par la définition de support et si la grand-mère qui payait est visée par la définition de dependent (personne à charge) de l’appelante.

 

[15]    La Cour connaît bien la décision de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Mattabi Mines Ltd. c. Ontario (Ministre du Revenu)[1]. Cette cour adopte généralement la position selon laquelle les bulletins d’interprétation ne servent qu’à des fins d’interprétation, qu’ils ne font qu’énoncer la position du ministre sur la façon dont il interprétera certaines dispositions de la Loi. Nous devons décider quelle est l’interprétation appropriée.

 

[16]    Dans l’arrêt Mattabi, précité, au paragraphe 28 de la page 14, la Cour citait l’arrêt Nowegijick c. La Reine[2], où le juge Dickson affirmait ce qui suit :

 

Les politiques et l'interprétation administratives ne sont pas déterminantes, mais elles ont une certaine valeur et, en cas de doute sur le sens de la législation, elles peuvent être un « facteur important »: le juge de Grandpré dans l'arrêt Harel c. Sous-ministre du Revenu du Québec [...]

 

[17]    On a soutenu qu’un contribuable pouvait invoquer un bulletin d’interprétation à l’appui de ses prétentions mais non le ministre. Cet argument est logique.

 

[18]    En ce qui a trait aux dispositions dont il est question en l’espèce, cette cour est d’avis qu’elle devrait adopter une interprétation plus restrictive des termes dependent et support. Nous sommes convaincus qu’il serait pratiquement impossible d’appliquer les dispositions de la Loi ou de leur accorder une signification quelconque si nous devions adopter une interprétation si large des termes support et dependent que tout type de service accessoire fourni par une personne lui donnerait le droit de déclarer l’autre personne comme « personne à charge ». Il y aurait une véritable confusion à l’égard du montant qu’une personne pourrait déduire. Si plusieurs personnes étaient admissibles, quel montant chacune d’elles pourrait-elle déduire? Comment évaluerait-on de tels services?

 

[19]    L’appelante soutient que, une fois qu'elle a fourni un service, elle peut déduire la totalité du montant à condition que personne d’autre n’en fasse la demande, peu importe la somme d’argent qu’elle a dépensée et peu importe si elle n'a rien déboursé. Il n’y a aucune preuve en l’espèce que l’appelante ait dépensé un montant quelconque à l’égard des services.

 

[20]    La seule interprétation raisonnable de cet article est que la Loi vise la fourniture des éléments essentiels à la vie comme la nourriture, les vêtements et le logement. La Cour est également d’avis que, pour avoir droit à un tel crédit, une personne doit avoir dépensé une somme d’argent à même ses propres fonds et elle doit être en mesure d’établir le montant réel de ces dépenses. Cette interprétation n’est pas contraire aux définitions de support ou de dependent que l’on retrouve dans les dictionnaires. Cette interprétation n’est pas contraire au sens commun et ordinaire des termes support et dependent.

 

[21]    L’appelante n’a pas réussi à prouver selon la prépondérance des probabilités que sa grand-mère était une personne à sa charge au cours de l’année d’imposition en question ni qu’elle a dépensé une somme déterminée en raison de cette « dépendance ».

 


[22]    L'appel est rejeté.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 12e jour de novembre 2002.

 

 

« T. E. Margeson »

J.C.C.I.

 

Traduction certifiée conforme

ce 20e jour d'octobre 2004.

 

 

 

Mario Lagacé, réviseur

 



[1]  [1988] 2 R.C.S. 175.

[2]  [1983] 1 R.C.S. 29.

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