Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

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Date: 20010516

Dossier: 2000-1901-IT-I

ENTRE :

LILY TASSO,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge suppléant Watson, C.C.I.

[1]            Cet appel a été entendu à Montréal (Québec), le 1er mai 2001 sous le régime de la procédure informelle pour les années d'imposition 1995 et 1996.

[2]            En établissant des nouvelles cotisations datées du 19 avril 1999, le ministre du Revenu national (le "Ministre") a refusé à l'appelante des pertes d'entreprise s'élevant à 14 178 $ et 12 342 $ respectivement pour les années d'imposition 1995 et 1996.

[3]            Pour établir ces nouvelles cotisations, le Ministre a tenu pour acquis les faits suivants :

"a)            l'appelante était jusqu'en 1992, année de sa retraite, journaliste au journal La Presse et s'occupait plus particulièrement du secteur des communautés culturelles;

b)             depuis sa retraite, les activités de l'appelante ont consisté surtout dans la rédaction de textes se rapportant essentiellement aux communautés culturelles, avec pour objectif, leur établissement et leur intégration harmonieuse à notre société;

c)              l'appelante a fait de nombreuses demandes de subventions pour soutenir ses activités de rédaction mais ces demandes n'ont donné aucun résultat;

d)             l'appelante a cependant obtenu quelques contrats de recherche et de secrétariat et a publié un article dans Sélection du Reader's Digest;

e)              au cours des dernières années, l'appelante a déclaré des revenus bruts très minimes et réclamé depuis 1993 la déduction à titre de pertes d'entreprise totalisant 47 795 $, calculées comme suit :

                ANNÉE                   REVENU BRUT    DÉPENSES            PERTES

                1993                         1 600 $                     12 197 $ (10 597 $)

                1994                         0 $                          10 677 $ (10 677 $)

                1995                         500 $                       14 679 $ (14 179 $)

                1996                         750 $                       13 092 $ (12 342 $)

                TOTAL 2 850 $                     50 645 $ (47 795 $)

f)              les dépenses réclamées par l'appelante à titre de dépenses d'entreprise sont les suivantes :

                                                                                                1995                        1996

                Loyer (12 mois à 500 $)                         6 000 $                     6 000 $

                Téléphone (12 mois à 20 $)                  240 $       240 $

                Frais de déplacement et voyage         2 598 $                     2 357 $

                Fournitures, frais de bureau                                787 $       813 $

                Frais d'abonnement, achat de

                quotidiens, revues spécialisées          2 815 $                     2 902 $

                Frais de représentation, cadeaux        1 986 $                     780 $

                Total des dépenses                                              14 679 $ 12 092 $

g)             les dépenses engagées par l'appelante n'ont pas été engagées en vue de tirer un revenu d'un bien ou d'une entreprise ou de faire produire un revenu à un bien ou à une entreprise, mais constituaient plutôt des frais personnels ou des frais de subsistance de l'appelante;

h)             subsidiairement, l'appelante a réclamé plusieurs dépenses de nature personnelle, notamment un loyer de 500 $ par mois. Elle n'a cependant pas démontré qu'une partie de l'établissement domestique autonome où elle réside lui sert :

               

                i)               soit de principal lieu d'affaires de l'entreprise;

ii)              soit exclusivement à tirer un revenu d'une entreprise et à rencontrer des clients sur une base régulière et continue dans le cadre de l'entreprise;

i)               de plus, si les dépenses reliées au principal lieu d'affaires de l'appelante répondaient aux critères exprimés au paragraphe précédent, l'appelante aurait pu déduire ses frais de local de travail seulement s'ils étaient déductibles par ailleurs et dans la mesure où ils ne dépassaient pas le revenu qu'elle tirait de l'entreprise exploitée à domicile ou non, pour l'année d'imposition, le revenu étant établi avant la déduction des frais de local de travail."

[4]            Le fardeau de la preuve incombe à l'appelante. Cette dernière doit établir, selon la prépondérance de la preuve, que les nouvelles cotisations datées du 19 avril 1999 sont mal fondées en fait et en droit. Chaque cas est un cas d'espèce.

[5]            Une jurisprudence volumineuse traite de la signification de l'expression "expectative raisonnable de profit", dont, entre autres :

[6]            Dans l'affaire Moldowan c. Sa Majesté la Reine, [1978] 1 R.C.S. 480, le juge Dickson de la Cour suprême du Canada a déclaré aux pages 485 et 486 :

"Il y a d'abord eu controverse, mais il est maintenant admis que pour avoir une "source" de revenu, le contribuable doit avoir en vue un profit ou une expectative raisonnable de profit. L'expression source de revenu équivaut donc au terme entreprise... Si le contribuable, en exploitant sa ferme, se livre simplement à un passe-temps, sans expectative raisonnable de profit, il ne peut réclamer aucune déduction pour les dépenses engagées."

[7]            Dans l'affaire Landry c. Sa Majesté la Reine, 94 DTC 6499 (C.A.F.), le juge Décary de la Cour d'appel fédérale s'est exprimé comme suit à la page 6500 :

"Il vient donc un temps, dans la vie de toute entreprise déficitaire, où le ministre doit pouvoir déterminer objectivement, après, le cas échéant, avoir donné la chance au coureur pendant un certain nombre d'années, qu'un espoir raisonnable de profit s'est transformé en rêve impraticable.

[...]

Outre les critères énumérés par le juge Dickson, ceux dont la jurisprudence a tenu compte, à ce jour, pour déterminer s'il y avait espoir raisonnable de profit, comprennent les suivants : le temps requis pour rentabiliser une activité de ce genre, la présence des ingrédients nécessaires à la réalisation éventuelle de profits, l'état des profits et pertes pour les années postérieures aux années en litige, le nombre d'années consécutives pendant lesquelles des pertes ont été enregistrées, l'accroissement des dépenses et la diminution des revenus au cours des périodes pertinentes, la persistance des facteurs qui causent les pertes, l'absence de planification, et le défaut d'ajustement. Par ailleurs, il ressort de ces mêmes arrêts que la bonne foi et la réputation du contribuable, la qualité du résultat obtenu, le temps et l'énergie consacrés, ne suffisent pas, en eux-mêmes, à transformer en entreprise l'exercice d'une activité."

[8]            Dans Tonn c. Canada, [1996] 2 C.F. 73 (C.A.F.), le juge Linden de la Cour d'appel fédérale a déclaré, aux pages 103 et 104 :

"...Cependant, lorsque les circonstances donnent à penser qu'une motivation personnelle ou non commerciale existait ou que l'attente de profit était déraisonnable au point de soulever un doute, le contribuable devra prouver objectivement que l'activité constituait effectivement une entreprise. Par conséquent, des circonstances douteuses appelleront plus souvent un examen plus approfondi comparativement à celles qui ne soulèvent aucun doute.

[...]

Une autre liste de facteurs a été proposée dans l'arrêt Sipley (P.D.) c. Canada, [1995] 2 C.T.C. 2073 :

Le critère objectif comporte un examen de l'état des profits et pertes pour les années antérieures, un examen du plan opérationnel et des circonstances qui ont donné lieu à sa mise en oeuvre, y compris de la voie sur laquelle le contribuable entend s'engager. Le critère comporte également un examen du temps consacré à l'activité, ainsi que des antécédents, de la formation et de l'expérience du contribuable."

[9]            Dans McKinney c. Canada, [2000] A.C.F. no 453 (C.A.F.) le juge Robertson de la Cour d'appel fédérale a déclaré dans son jugement rendu oralement le 3 avril 2000 :

"Le demandeur, un professeur d'université à la retraite, a réclamé des dépenses accumulées de 47 000 $ par rapport à un revenu de 50 $ pour les quatre années d'imposition en question. Le demandeur a engagé ces dépenses à l'égard d'un certain nombre de travaux de recherche qui, espérait-il, mèneraient à des publications. De fait, ces travaux de recherche n'ont conduit à aucune publication. À notre avis, le juge Mogan n'a pas commis d'erreur en concluant que le demandeur n'avait pas une expectative raisonnable de profit. En conséquence la demande doit être rejetée."

[10]          Seule l'appelante a témoigné à l'audience. Elle a témoigné d'une façon très honnête et a démontré qu'elle avait toujours agi de bonne foi.

[11]          Compte tenu de la jurisprudence et de toutes les circonstances de cet appel, y compris le témoignage de l'appelante, les admissions et la preuve documentaire, la Cour est convaincue que l'appelante n'a pas réussi d'établir, selon la prépondérance de la preuve, qu'elle avait une expectative raisonnable de profit au cours des années en litige et que les nouvelles cotisations du 19 avril 1999 étaient mal fondées en fait et en droit.

[12]          En conséquence, l'appel est rejeté.

Signé à Ottawa, Canada, ce 16e jour de mai 2001.

" D.R. Watson "

J.S.C.C.I.

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