Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

 

 

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

2000-1849(IT)G

 

ENTRE :

DENNIS WRIGHT,

appelant,

et

 

Sa Majesté La Reine,

intimée.

 

 

Appels entendus sur preuve commune avec les appels de Betty Wright

(2000-1850(IT)G), William Wright (2000-1851(IT)G) et Lawrence Wright

(2000-1852(IT)G) le 2 octobre 2002, à Winnipeg (Manitoba), par

l’honorable juge Campbell J. Miller

 

Comparutions

 

Avocate de l’appelant :              Me Barbara Shields

Avocat de l’intimée :                 Me Lyle Bouvier

 

 

JUGEMENT

 

          Les appels des nouvelles cotisations d’impôt établies en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu pour les années d’imposition 1995 et 1996 sont admis, et les nouvelles cotisations sont déférées au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation en tenant compte du fait que le produit de la disposition tiré de la coupe du bois est un gain en capital. Ces affaires ayant été entendues sur preuve commune, un seul mémoire de frais est accordé à l’appelant.

 

 

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 5e jour de décembre 2002.

 

 

 

« Campbell J. Miller »

J.C.C.I.

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 5e jour d'octobre 2004.

 

 

 

Sophie Debbané, réviseure

 

 

 


 

 

 

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

2000-1850(IT)G

ENTRE :

 

BETTY WRIGHT,

appelante,

et

 

Sa Majesté La Reine,

intimée.

 

 

Appels entendus sur preuve commune avec les appels de Dennis Wright

(2000-1849(IT)G), William Wright (2000-1851(IT)G) et Lawrence Wright

(2000-1852(IT)G) le 2 octobre 2002, à Winnipeg (Manitoba), par

l’honorable juge Campbell J. Miller

 

Comparutions

 

Avocate de l’appelante :            Me Barbara Shields

Avocat de l’intimée :                 Me Lyle Bouvier

 

 

JUGEMENT

 

          Les appels des nouvelles cotisations d’impôt établies en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu pour les années d’imposition 1995 et 1996 sont admis, et les nouvelles cotisations sont déférées au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation en tenant compte du fait que le produit de la disposition tiré de la coupe du bois est un gain en capital. Ces affaires ayant été entendues sur preuve commune, un seul mémoire de frais est accordé à l’appelante.

 


Signé à Ottawa, Canada, ce 5e jour de décembre 2002.

 

 

 

« Campbell J. Miller »

J.C.C.I.

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 5e jour d'octobre 2004.

 

 

 

 

Sophie Debbané, réviseure

 


 

 

 

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

2000-1851(IT)G

 

ENTRE :

 

WILLIAM W. WRIGHT,

appelant,

et

 

Sa Majesté La Reine,

intimée.

 

 

Appels entendus sur preuve commune avec les appels de Dennis Wright

(2000-1849(IT)G), Betty Wright (2000-1850(IT)G) et Lawrence Wright

(2000-1852(IT)G) le 2 octobre 2002, à Winnipeg (Manitoba), par

l’honorable juge Campbell J. Miller

 

Comparutions

 

Avocate de l’appelant :              Me Barbara Shields

Avocat de l’intimée :                 Me Lyle Bouvier

 

 

JUGEMENT

 

          Les appels des nouvelles cotisations établies en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu pour les années d’imposition 1995 et 1996 sont admis, et les nouvelles cotisations sont déférées au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation en tenant compte du fait que le produit de la disposition tiré de la coupe du bois est un gain en capital. Ces affaires ayant été entendues sur preuve commune, un seul mémoire de frais est accordé à l’appelant.

 


Signé à Ottawa, Canada, ce 5e jour de décembre 2002.

 

 

 

 

« Campbell J. Miller »

J.C.C.I.

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 5e jour d'octobre 2004.

 

 

 

 

Sophie Debbané, réviseure

 

 

 

 

 


 

 

 

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

2000-1852(IT)G

 

ENTRE :

 

LAWRENCE WRIGHT,

appelant,

et

 

Sa Majesté La Reine,

intimée.

 

 

Appel entendu sur preuve commune avec les appels de Dennis Wright

(2000-1849(IT)G), Betty Wright (2000-1850(IT)G) et William Wright

(2000-1851(IT)G) le 2 octobre 2002, à Winnipeg (Manitoba), par

l’honorable juge Campbell J. Miller

 

Comparutions

 

Avocate de l’appelant :              Me Barbara Shields

Avocat de l’intimée :                  Me Lyle Bouvier

 

 

JUGEMENT

 

          Les appels des nouvelles cotisations établies en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu pour les années d’imposition 1995 et 1996 sont admis, et les nouvelles cotisations sont déférées au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation en tenant compte du fait que le produit de la disposition tiré de la coupe du bois est un gain en capital. Ces affaires ayant été entendues sur preuve commune, un seul mémoire de frais est accordé à l’appelant.

 


Signé à Ottawa, Canada, ce 5e jour de décembre 2002.

 

 

 

 

« Campbell J. Miller »

J.C.C.I.

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 5e jour d'octobre 2004.

 

 

 

 

Sophie Debbané, réviseure

 

 


 

 

 

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Date: 20021205

Dossiers: 2000-1849(IT)G, 2000-1850(IT)G,

2000-1851(IT)G, 2000-1852(IT)G

 

 

ENTRE :

 

DENNIS WRIGHT, BETTY WRIGHT, WILLIAM WRIGHT et

LAWRENCE WRIGHT,

 

appelants,

et

 

Sa Majesté La Reine,

 

intimée.

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Miller, C.C.I.

 

[1]      Il s’agit des appels de William Wright, Lorne Wright, Dennis Wright et Betty Wright (les appelants), associés individuels de la société de personnes Wright Brothers Enterprises. Les quatre appels ont été entendus sur preuve commune. La famille Wright détenait un terrain au Manitoba depuis les années 50 et l’a exploité à des fins agricoles jusqu’au début des années 70. En 1995 et 1996, elle a vendu du bois provenant du terrain. La question consiste à savoir si les paiements pour le bois constituent un gain en capital ou un revenu. Pour répondre à cette question, il est d’abord essentiel de déterminer si les appelants étaient engagés dans un projet comportant un risque ou une affaire de caractère commercial. Si je conclus qu’ils n’étaient pas engagés dans un projet comportant un risque ou une affaire de caractère commercial et, par conséquent, que les paiements constituaient un gain en capital, il faut alors déterminer si les paiements sont malgré cela inclus comme revenu, selon le libellé exact de l’alinéa 12(1)g) de la Loi de l’impôt sur le revenu (la Loi), comme des sommes reçues en fonction de l’usage d’un bien ou de la production en découlant. Je conclus que les paiements reçus par les appelants en échange de la vente du bois provenant de leur terrain n’ont été reçus ni dans le cadre d’un projet comportant un risque ou une affaire de caractère commercial ni conformément à l’alinéa 12(1)g) de la Loi. Les paiements étaient des gains en capital.

 

Faits

 

[2]      Dès le milieu des années 20, Wayne Wright, le père de William et de Lawrence Wright, cultivait de la luzerne de semence aux États-Unis. Après la Seconde Guerre mondiale, il a cherché de nouvelles terres où cultiver la luzerne. Une personne rencontrée lors d’un congrès lui a parlé d’un terrain situé dans la région de Wanless, au Manitoba. Il est parti des États‑Unis pour se rendre au Manitoba afin de voir la région et il y a découvert beaucoup d’abeilles sauvages, qui sont une partie intégrante de la pollinisation nécessaire à la culture de la luzerne de semence. Par conséquent, au début des années 50, il a acquis environ 3 100 acres au Manitoba. Pour les même raisons, il a également acquis un terrain à Fort Vermillion (Alberta). Par la suite, il a aussi acquis d’autres terrains au Manitoba, portant la superficie totale qu’il possédait à 5 700 acres.

 

[3]      L’appelant William Wright s’est occupé du terrain situé au Manitoba pour la première fois à l’été 1954. Il a passé de nombreuses années à y travailler pendant l’été, a épousé une Manitobaine de la région et a vécu en permanence au Manitoba jusqu’en 1968.

 

[4]      William Wright a mentionné que le terrain était surtout couvert d'arbres; en fait, sur les 5 700 acres environ dont la société de personnes a fini par être propriétaire, seulement 430 acres étaient des terrains cultivables. Les premières années, la famille Wright a dû labourer le sol en profondeur. Elle n’a pas brûlé les broussailles mais a empilé les billes, surtout des peupliers en andrain, qui servaient de lieu de nidification pour les abeilles. Elle a aussi laissé des rangées d’arbres entre les champs pour éviter la pollinisation croisée.

 

[5]      Une partie du bois a été vendue les premières années pour aider à défricher le terrain, mais cette quantité était peu importante. Les épinettes et les pins qui se trouvaient sur le terrain n’intéressaient aucunement la famille Wright; seuls les peupliers l’intéressaient. William Wright a mentionné qu’il y avait toujours quelqu’un qui voulait acheter le bois mais, jusqu’en 1995, il n’était pas intéressé. Comme il l’a précisé, il ne voulait pas que des exploitants d’entreprises forestières abattent des arbres pour faire des routes et ainsi de suite. L’isolement du terrain était ce qui faisait son charme et garantissait que les abeilles y demeureraient en grand nombre.

 

[6]      En 1968, le père, Wayne Wright, est décédé dans un accident d’avion. William Wright a dû retourner en Arizona pour exploiter le terrain qui s'y trouvait. Le terrain situé au Manitoba n’allait pas très bien à cette époque en raison d’un virus qui décimait les abeilles. Par ailleurs, le prix de la luzerne était à la baisse. En 1975, les quatre associés ont décidé qu’il était insensé de continuer d’exploiter la ferme au Manitoba compte tenu de ce qu'ils en retiraient; ils en ont donc cessé l’exploitation agricole. Ils ont vendu les machines et ont simplement gardé le terrain, payant les taxes annuelles au cours des vingt années suivantes. Outre les 300 $ par année provenant d’une personne qui faisait les foins sur la propriété et 100 $ par année pour faire paître un cheval, le terrain n'a pas été cultivé et n'a produit aucun revenu.

 

[7]      En 1994, Bob Anderson, qui espérait faire l’exploitation forestière du terrain, a fait une offre à William Wright. Ce dernier savait que M. Anderson avait une bonne réputation et a décidé de le « mettre à l’essai » sur une parcelle (la section 35), qui était un peu à l’écart du reste du terrain. Comme William Wright le mentionne dans sa lettre[1] adressée à M. Anderson le 16 février 1995 :

 

[TRADUCTION]

[...] Cette parcelle ferait partie d’un essai et d’autres parcelles pourraient s’ajouter plus tard, si la présente entente fonctionne.

 

[8]      Dans la même lettre, William Wright fixe le prix de chaque corde destinée à servir de pulpe, de billes de sciage et de gros bois d’œuvre. Dans sa réponse datée du 20 février 1995[2], M. Anderson établit les règles suivantes :

 

           -       la coupe doit débuter en mars;

           -       Repap doit faire un paiement aux deux semaines et M. Anderson doit payer M. Wright après chaque paiement de Repap;

           -       le ministère des Ressources naturelles doit inspecter le terrain toutes les deux semaines;

           -       M. Anderson doit faire en sorte que le terrain respecte les normes gouvernementales s’il souhaite continuer de collaborer avec M. Wright;

           -       il faut compter deux ou trois mois pour faire la coupe;

           -       les prix sont convenus.

 

[9]      William Wright a fait savoir à l’instruction qu’il croyait que la section 35 était idéale pour faire une coupe rase à des fins agricoles. Lors de son interrogatoire préalable, Dennis Wright n’a pas mentionné la possibilité d’exploiter la section 35 à des fins agricoles. William Wright a également précisé que des fonctionnaires responsables de l’exploitation forestière lui avaient dit que des arbres sur son terrain étaient en train de mourir et qu’ils présentaient un risque d’incendie. Pendant ses discussions avec M. Anderson, il a dit à ce dernier qu’il voulait garder les peupliers parce qu’ils étaient bons pour les abeilles. Il n’a pas été question de reboisement.

 

[10]     Comme William Wright était satisfait des résultats de la coupe de la section 35, en décembre 1995, il a consenti à laisser M. Anderson couper les arbres de la section 20, section que son père avait toujours jugée bonne pour la culture de la luzerne. Dans une lettre datée du 1er décembre 1995[3], William Wright ajoute la coupe des peupliers à la pulpe de bois, aux billes de sciage et au gros bois d’œuvre et précise ceci :

 

[TRADUCTION]

[...] Si, par chance, le prix du bois d’œuvre vendu à REPAP devait augmenter, nous croyons qu’il serait juste de répartir les augmentations.

 

Dennis n’a jamais mentionné ce détail lors de son interrogatoire préalable. William Wright a admis qu'à cet égard il concevait l’exploitation forestière de la même manière que l’exploitation agricole. En mai 1996, William Wright et M. Anderson avaient établi un calendrier quinquennal afin d’enlever tous les arbres utilisables du terrain de la famille Wright. En 1995, la famille Wright a reçu 61 019 $ en échange du bois et, en 1996, 254 090 $ (dont seulement 7 000 $ provenaient de peupliers). À la question de savoir pourquoi il n’avait pas vendu de bois à d’autres exploitants, William Wright a répondu qu’à titre de propriétaire non gérant, il serait trop difficile de surveiller plus d’un exploitant.

 

[11]     Selon William Wright, le plan quinquennal de coupe sur tout le terrain s’étalait d’une section à la suivante, sans passer à la prochaine tant qu’une section n’était pas complètement déboisée. Il ne voulait pas que M. Anderson ne choisisse que les meilleurs arbres. Il croyait que l’établissement des étapes reposait davantage sur la commodité d’accès. Selon ce que Dennis Wright avait compris au sujet de l’établissement des étapes, M. Anderson évaluait le terrain afin de couper les meilleurs arbres en premier. La coupe s’est faite comme prévu, à l’exception de quelques interruptions dues à des grèves d’usines ou aux fluctuations de la demande.

 

[12]     En 1995 et 1996, la famille Wright ne prévoyait pas exploiter le terrain à des fins agricoles et, encore aujourd’hui, elle n’a pas de projets bien déterminés, même si William Wright a précisé que les abeilles commençaient à revenir. De l’avis de ce dernier, elles se déplacent selon des cycles de 30 ou 40 ans. La famille Wright ne cherche pas non plus à vendre le terrain, puisque le marché pour ce type de terrain est faible en ce moment.

 

Projet comportant un risque ou une affaire de caractère commercial

 

[13]     À propos de la première question, à savoir si les activités de la famille Wright constituent un projet comportant un risque ou une affaire de caractère commercial, j’ai demandé aux parties de soumettre des observations écrites, parce qu’il était évident que les appelants n’avaient pas envisagé que l’intimée soulèverait cet argument. Seule l’avocate des appelants a répondu à ma demande. Elle a soutenu qu’un projet comportant un risque ou une affaire de caractère commercial est une opération qui est du même genre et qui est effectuée de la même manière qu’une opération d’un courtier ordinaire de biens de même nature. Selon les appelants, le critère pertinent est l’intention au moment de l’acquisition du bien, la nature des marchandises et le mode d’exécution des opérations.

 

[14]     Pour ce qui est de l’intention, les appelants soutiennent que l’intention de la famille Wright, au moment de l’acquisition du terrain, était l’exploitation agricole, ce qu’elle a fait pendant plus de vingt ans. Même si elle a arrêté pendant une longue période, cet élément, à lui seul, ne suffit pas pour justifier la conclusion qu'il y avait un projet comportant un risque ou une affaire de caractère commercial. Cela doit faire partie d’une activité qui constitue un commerce. Les appelants ont invoqué la décision rendue par la Cour de l’Échiquier dans l’affaire McGuire v. M.N.R.[4], dans laquelle la subdivision du terrain d’un agriculteur en lots et la vente ultérieure de vingt lots n’ont pas suffi à constituer une activité commerciale. L’homme vendait simplement son propre terrain.

 

[15]     En ce qui concerne la nature des actifs, les appelants soutiennent que le bois sur un terrain agricole ne peut pas être considéré comme un actif de nature exclusivement commerciale. Enfin, au sujet du mode d’exécution de l'opération, les appelants affirment que les dispositions qu’ils ont prises sont différentes de celles d’une opération commerciale pour les raisons suivantes :

 

           (a)     les appelants n’ont pas passé d’annonce ou autrement sollicité d’offres en échange de leur bois;

           (b)    il y a eu peu de négociation du prix, sinon aucune;

           (c)    les appelants n’ont pas participé à l’activité de coupe ou de transport du bois;

           (d)    les appelants n’ont pas sollicité d’offres concurrentielles auprès d’autres entrepreneurs;

           (e)     les appelants n’ont pas cherché à optimiser le rendement en autorisant d’autres entrepreneurs à couper du bois sur le terrain;

           (f)     les appelants n’ont pas exploité d’entreprise forestière à Wanless ou ailleurs.

 

[16]     L’intimée soutient que les éléments d’un projet comportant un risque ou une affaire de caractère commercial étaient bel et bien présents parce que :

 

           (i)     le seul but de la famille Wright était de réaliser un profit sur le bois et il suffit de regarder le pourcentage du terrain qui n’était pas cultivable pour étayer cet argument; le caractère du bien a changé : d’un bien agricole, il est devenu un bien forestier;

           (ii)     l’entente prévoit l’exploitation forestière et non la simple coupe à blanc;

           (iii)    le terrain n’a pas été laissé en état cultivable, c’est-à-dire que l’exploitation forestière n’avait rien à voir avec l’exploitation agricole;

           (iv)    la répartition des « augmentations » est un indice d’activité commerciale.

 

[17]     En outre, l’intimée invoque l’affaire Orlando v. M.N.R.[5], dans laquelle la disposition de sol arable est jugée constituer un projet comportant un risque ou une affaire de caractère commercial. Le critère pris en compte dans cette affaire est résumé comme suit[6] :

 

[TRADUCTION]

Lorsque toute la ligne de conduite d’un contribuable ayant investi dans une entreprise agricole indique que ce dernier considère le sol arable de sa propriété comme un bien dont la disposition peut lui procurer des bénéfices et, avec cet objectif en vue, que les transactions qu’il opère sont de la même nature et effectuées de la même manière que celles du commerce ordinaire de cette marchandise, je suis d’avis qu’il est engagé dans un projet comportant un risque ou une affaire de caractère commercial ou dans un stratagème visant à réaliser un profit.[...]

 

Analyse

 

[18]     La question de savoir si la coupe du bois sur un terrain agricole constitue un projet comportant un risque ou une affaire de caractère commercial n’a pas été examinée minutieusement dans les affaires étudiées, même si elle a été abordée par la juge Kempo de la Cour canadienne de l’impôt dans la décision qu’elle a rendue dans l’affaire Mel-Bar Ranches Ltd. c. M.R.N.[7] où elle dit ceci[8] :

 

En l’espèce, les preuves ne permettent pas de conclure que l’appelante vendait du bois de façon commerciale, qu’elle agissait comme un commerçant ou un négociant en bois qui aurait exploité ses biens [...]  Ce bois a été exploité en 1979 et 1980 au cours d’une campagne unique qui se justifiait par le désir d’améliorer les terrains utilisés pour l’élevage et pour, dans le même temps, améliorer la rentabilité du projet d’élevage.

 

La juge poursuit en s’attardant à l’application de l’alinéa 12(1)g) de la Loi. En appel[9], le juge Strayer a mentionné ce qui suit[10] :

 

Je ne pense pas que l’on puisse soutenir sérieusement que le montant en question était un revenu tiré de l’entreprise de la défenderesse.  Je suis convaincu que la principale activité de la défenderesse consiste dans l’élevage de bestiaux ou la location de terres de ranch.  La vente a constitué une transaction isolée ayant pour but premier de déboiser le terrain afin d’augmenter l’étendue des pâturages servant à l’élevage.  La vente du bois n’était donc pas une vente de stock faite dans le cours normal d’une entreprise.

 

La question la plus difficile à trancher est de savoir si le paiement est visé par l’alinéa 12(1)g) de la Loi de l’impôt sur le revenu [...].

 

[19]     De même, dans l’affaire Ray c. La Reine[11], le juge Bowman (tel était alors son titre) a tranché la question en litige sans se référer à l’alinéa 12(1)g).  Il n'a abordé que la question du gain en capital et du revenu. Dans cette affaire, le bois a été vendu à l’entreprise d’exploitation forestière du fils de l’appelant. Le juge Bowman affirme[12] :

 

Au départ, je dois avouer que j’ai été quelque peu étonné d’apprendre qu’il existe au Canada une abondante jurisprudence à l’effet qu’une vente de bois debout peut être une opération au titre du capital. J’aurais pensé que, dans tous les cas de vente, par un propriétaire foncier, d’éléments produits sur le terrain — que ce soit des cultures végétales, des arbres ou encore du gravier ou d’autres minéraux — il s’agissait d’un revenu tiré de la terre. Comme l’indique clairement l’examen suivant, la jurisprudence n’étaye pas ce point de vue.

 

[...]

 

Certes, comme je l’ai dit précédemment, j’aurais initialement été enclin à considérer comme un revenu tous les bénéfices tirés de la vente du produit de la terre, soit les arbres en l’espèce, mais la jurisprudence n’étaye pas une telle position. J’ai donc conclu, et ce, malgré la grande qualité de l’argumentation de Me Riley, qu’il convient plutôt de considérer que la vente du bois d’oeuvre correspondait à une opération au titre du capital.

 

[20]     En gardant à l’esprit les facteurs de l’intention, de la nature des marchandises et du mode d’exécution des opérations, je vais passer en revue les indices qui appuient la conclusion qu'il s'agit d’un projet comportant un risque ou d'une affaire de caractère commercial et ceux qui vont à l’encontre de cette conclusion. Premièrement, les indices d’un commerce présentés par la famille Wright et qui appuient la conclusion qu'il s'agit d'un projet comportant un risque ou une affaire de caractère commercial et, par conséquent, d'un revenu, sont les suivants :

 

           -       au moment de la conclusion du contrat avec M. Anderson, le terrain n’était pas utilisé à des fins agricoles et il n’y avait pas de projet en ce sens dans l’immédiat;

           -       seuls 430 des 5 700 acres étaient cultivables;

           -       plus d’un contrat a été négocié;

           -       une condition du contrat le plus important prévoyait la répartition des « augmentations », puisque William Wright a laissé entendre qu’il concevait l’exploitation forestière de la même manière que l’exploitation agricole;

           -       la famille Wright n’a pas sollicité le contrat de coupe à des fins agricoles;

           -       elle n’a pas retenu les services d’autres sociétés forestières parce qu’il était trop difficile d’effectuer la surveillance à titre de propriétaire non gérant;

           -       le contrat était à long terme.

 

[21]     Les facteurs suivants pèsent contre la conclusion qu'il s'agit d’un projet comportant un risque ou d'une affaire de caractère commercial et, par le fait même, appuient la conclusion qu'il s'agit d'un gain en capital :

 

-       le terrain a été acquis dans le seul but d’être exploité à des fins agricoles;

-       la famille Wright était propriétaire depuis plus de 40 ans et, jusqu’à ce que M. Anderson fasse des démarches, n’avait jamais considéré favorablement les offres de coupe;

-       la famille Wright n’a pas sollicité d’offres concurrentielles;

-       aucun contrat d’importance n’a été négocié; les modalités étaient simples et concises et elles ont été fixées une seule fois, sauf pour ce qui est de la période d’essai;

-       la famille Wright a vendu la totalité de son bois;

-       une fois le bois enlevé, l’entente a pris fin;

-       l’état des arbres, et dans une moindre mesure le défrichage, était un facteur de motivation;

-       même s’il n’y avait pas de projets concrets, William Wright considérait toujours le terrain comme un bien agricole;

-       la famille Wright estimait que les épinettes et les pins entravaient la culture de la luzerne;

-       les arbres--la caractéristique principale du terrain--ont été acquis comme une partie du terrain et non comme un stock;

-       aucune mesure n’a été prise pour commercialiser le bois ou le rendre commercialisable;

-       les facteurs évoqués dans le bulletin d’interprétation du gouvernement IT‑373R2 pour définir un boisé commercial ne sont pas présents ici. Par exemple :

 

(i)      il n’y a aucun plan de gestion forestière;

(ii)      le contribuable n’a fait aucun effort important pour mettre en œuvre le plan;

(iii)     le contribuable n'a pas consacré plus de temps au boisé qu’à d’autres activités;

(iv)     le contribuable n’était pas admissible à recevoir de l'aide gouvernementale;

(v)     les dépenses déclarées ne dénotent pas l’existence d’une entreprise d’exploitation de boisés;

(vi)     la famille Wright n’avait pas d’expérience dans l’exploitation de boisés;

(vii)    la famille Wright n’était pas membre d’une association de propriétaires de boisés.

 

Si l’on compare les actes de la famille Wright à ceux d’un exploitant de boisés commerciaux, je suis convaincu que, tout compte fait, la famille Wright ne présentait pas suffisamment de caractéristiques d’un commerçant en bois d’œuvre pour que l’on puisse conclure qu’elle participait à un projet comportant un risque ou une affaire de caractère commercial. La famille vendait tout simplement une partie de son terrain.

 

Alinéa 12(1)g)

 

[22]     Il faut maintenant déterminer si, bien que la disposition du bois n’ait pas été un projet comportant un risque ou une affaire de caractère commercial, l’alinéa 12(1)g) s’applique pour inclure le produit de la disposition du bois comme un revenu.

 

[23]     Les appelants se fondent sur deux groupes d’affaires : dans le premier, les décisions ont été rendues en 1965 et avant cette année-là (Mouat v. M.N.R.[13], John Hornick v. M.N.R.[14], Israel Hoffman v. M.N.R.[15] et Morrison v. M.N.R.[16]); dans le second, elles ont été rendues depuis 1989 (Mel-Bar Ranches Ltd. c. M.R.N.[17], Jens Larsen c. La Reine[18] et Ray c. La Reine[19]). Les appelants affirment que les affaires antérieures ont été tranchées selon la définition de ce qui constituait ou ne constituait pas un profit à prendre et que le principal élément requis est une activité continue. Comme il est mentionné dans l’affaire Mouat[20] : [TRADUCTION] « ... le bois, qui représente des fruits naturels, peut devenir des fruits industriels s’il est exploité de manière à donner un rendement, année après année, provenant de la coupe et de l’exploitation forestière ». D’autres facteurs ont été examinés dans l’affaire Mouat, notamment le fait que l’appelant ne dépendait pas de la vente du bois et que les arbres n’avaient pas été plantés en vue d’être récoltés. De même, dans l’affaire Hoffman, la Cour a conclu que la version antérieure de l’alinéa 12(1)g) ne visait pas une opération globale de commerce du bois.

 

[24]     Le dernier groupe de décisions corrobore les décisions antérieures, confirmant la nécessité d’une activité annuelle continue. Dans l’affaire Larsen, le motif de la coupe était non pas l’exploitation à des fins agricoles mais bien l’apport de fonds permettant de racheter la part de l’un des membres de la famille. Par conséquent, cette affaire semble éliminer l’exigence voulant que la coupe du bois soit liée à l’agriculture. Les appelants ont souligné les propos du juge Strayer dans l’affaire Larsen[21] de la Cour d’appel fédérale :

 

[...] La jurisprudence a de façon constante exclu de la portée de l’alinéa 12(1)g) les sommes reçues dans le cadre d’un contrat unique pour l’enlèvement du bois; je ne vois pas de raison de modifier ce courant de pensée.

 

 

[25]     Les appelants concluent que la situation de la famille Wright cadre parfaitement avec ces principes. Leur terrain a été acquis à des fins agricoles. Aucun arbre n’a été abattu pendant les 40 années qui ont suivi son acquisition. La famille Wright a toujours pensé que le terrain était destiné à l’agriculture. Elle a finalement vendu pour trois raisons : payer les taxes, se débarrasser des arbres malades et défricher le terrain agricole. Elle considérait les pins et les épinettes comme une entrave à l’agriculture. La vente était une opération unique, même si elle a duré quelques années, étant donné la taille du terrain de la famille Wright. Il n’y a pas eu de reboisement ni de projet d’exploitation forestière continue – après le mois de septembre, tout était terminé.

 

[26]     L’intimée perçoit la situation de la famille Wright assez différemment des affaires invoquées par les appelants. L’intimée affirme qu’il y a eu une activité continue – la coupe s’est échelonnée sur plusieurs années. Il y a eu plus d’un contrat. Par ailleurs, contrairement à l’affaire Larsen, par exemple, dans laquelle l'élevage et l’exploitation ont été maintenus après la coupe, la famille Wright n’avait pas exploité le terrain à des fins agricoles pendant plus de vingt ans et n’avait pas de projets concrets en ce sens. Le seul but doit être la réalisation d’un profit à partir de 75 pourcent de son important lopin de terrain qui était impropre à l’agriculture. Il ne s’agit pas d’un agriculteur qui demande à une société forestière de l’aider à défricher une partie de son terrain. C’est une société forestière qui cherchait à obtenir le bois d’œuvre de la famille Wright. L’intimée soutient que la coupe n’avait rien à voir avec l’agriculture.

 

[27]     L’intimée laisse entendre que cette situation est traitée de façon plus adéquate dans l’affaire Lackie c. La Reine[22] qui porte sur l’extraction de gravier.

 

 

 

Analyse

 

[28]     Bien que certains facteurs pèsent contre la famille Wright pour déterminer la nature des paiements reçus de M. Anderson, je suis convaincu que, tout compte fait, l'opération avec M. Anderson ne lui conférait pas un droit constant et continu à l'utilisation du terrain mais plutôt était la vente unique de la totalité du bois. Il ne s’agit pas d’un profit à prendre. Il y a quelques distinctions à faire entre la situation de la famille Wright et les affaires liées à l’exploitation forestière citées par les appelants mais il y a suffisamment de similitudes importantes pour conclure que les paiements étaient des gains en capital. Je me reporte à l’affaire Lackie liée à l’extraction de gravier et citée par l’intimée, ainsi qu’aux propos du juge Dubé[23] :

 

[...]  Cependant, si le bien vendu se rattache à l’usage d’un terrain, y compris l’extraction de gravier, il s’agit d’un profit à prendre, donc d’un revenu imposable, que la vente soit ou non considérée comme une « entreprise » [...].  Le terme profit à prendre suppose une concession perpétuelle ou un droit perpétuel à l’usage du terrain; une transaction unique et définitive portant transfert du bien (c.-à-d. le gravier) ne comporterait pas un profit à prendre.

 

En l’espèce, même si elle était de grande envergure étant donné la taille du terrain, je conclue qu’il y a eu une opération unique et définitive portant transfert du bois. Voilà qui me suffit pour conclure que les paiements n'entrent pas dans le cadre de l’alinéa 12(1)g).

 

[29]     Les facteurs que j’ai pris en compte pour tirer cette conclusion sont les suivants :

 

           (i)     Le terrain a été acquis comme bien agricole et, même s’il n’a pas été cultivé pendant une longue période, il n’a pas été utilisé à une autre fin pendant ladite période. Dans l’esprit de William Wright, la nature du terrain n’a pas été modifiée et la propriété n'était rien d’autre qu’un bien agricole.

 

           (ii)     Le motif de la vente du bois comportait plusieurs volets dont le principal n’était pas le défrichage du terrain à des fins agricoles. Dans l’affaire Larsen,  la Cour d’appel fédérale insiste davantage sur la nature unique du contrat que sur le motif de la conclusion du contrat. Comme le juge Noël l’a indiqué : « La jurisprudence a de façon constante exclu de la portée de l’alinéa 12(1)g) les sommes reçues dans le cadre d’un contrat unique pour l’enlèvement du bois » [24].

 

           (iii)    Les appelants avaient conclu deux contrats avec M. Anderson mais le premier était uniquement une mise à l’essai. Il n’y aurait pas eu d’autres contrats si le terrain n’avait pas été laissé dans un état acceptable aux yeux de la famille Wright. Par conséquent, je considère que l’entente conclue avec M. Anderson était une entente unique pour l’enlèvement de la totalité du bois utilisable de la famille Wright.

 

           (iv)    Le fait que la coupe se soit échelonnée sur quelques années est uniquement dû à la taille du terrain de la famille Wright et à la capacité de M. Anderson d’y avoir accès. Cela ne représente pas le genre d’activité continue exigée dans les affaires citées. Un seul contrat suffisait pour vendre la totalité du bois.

 

[30]     En ce qui concerne la coupe du bois sur un terrain agricole, la jurisprudence semble avoir évolué à un point tel que, pour être exclu de la portée de l’alinéa 12(1)g), il suffit que le terrain ait été initialement acquis à des fins agricoles et que la vente de bois constitue la vente unique de la totalité du bois situé sur le terrain. En présence de ces deux éléments, indépendamment du motif de la vente, de l’étendue du terrain, voire de l’état actuel de l’entreprise agricole, il n’y a pas de profit à prendre et l’alinéa 12(1)g) ne s’applique pas.

 

[31]     J’admets donc les appels et je défère le tout au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation en tenant compte du fait que le produit de la disposition tiré de la coupe du bois est un gain en capital. Ces affaires ayant été entendues sur preuve commune, un seul mémoire de frais est accordé aux appelants.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 5e jour de décembre 2002.

 

 

 

« Campbell J. Miller »

J.C.C.I.

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 5e jour d'octobre 2004.

 

 

 

 

Sophie Debbané, réviseure

 



[1]           Pièce A-2.

[2]           Pièce A-3.

[3]           Exhibit A-4.

[4]           56 DTC 1042.

[5]           60 DTC 1051 et [1962] R.C.S. 261.

[6]           Précité, note 5, DTC : à la page 1055.

[7]           C.C.I., no 84-2504(IT), 17 juillet 1987 (87 DTC 467).

[8]           Précité, note 7, à la page 15 (DTC : à la page 473).

[9]           La Reine c. Mel-Bar Ranches, C.F.1re inst., no T-2402-87, 14 mars 1989 (89 DTC 5189).

[10]          Précité, note 9, à la page 2 (DTC : à la page 5190).

[11]          C.C.I., no 96-1611(IT)I, 16 décembre 1996 ([1997] 2 C.T.C. 2022).

[12]          Précité, note 11, aux pp. 5 et 8 (C.T.C. : aux pp. 2026 et 2028).

[13]          58 DTC 694.

[14]          59 DTC 66.

[15]          65 DTC 617.

[16]          65 DTC 25.

[17]          Précité, note 7, conf. par La Reine c. Mel-Bar Ranches, C.F.1re inst., no T-2402-87, 14 mars 1989 (89 DTC 5189).

[18]          C.C.I., no 97-2648(IT)G, 9 juillet 1998 (98 DTC 2193), conf. par La Reine c. Larsen, C.A.F., no A-570-98, 29 octobre 1999 (99 DTC 5757).

[19]          Précité, note 11.

[20]          Précité, note 13, à la page 698.

[21]          Précité, note 18, à la page 6 (DTC : à la page 5760).

[22]          C.F.1re inst., no T-1335-76, 24 janvier 1978 (78 DTC 6128).

[23]          Précité, note 22, à la page 10 (DTC : à la page 6133).

[24]          Précité, note 18, à la page 6 (DTC : à la page 5761).

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.