Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

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2000-2046(IT)G

ENTRE :

CAROL STACEY-DIABO,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

 

 

Appels entendus sur preuve commune avec les appels de Barry Ace (2000‑4318(IT)G), de Peter Ronald French (2000-4319(IT)G), de Deborah Price (2001‑993(IT)G) et de Margaret Lanigan (2001-4278(IT)G), les 3 et 4 juin 2002 à Ottawa (Ontario), par

l'honorable juge Lucie Lamarre

 

Comparutions

 

Avocat de l'appelante :              Me Emilio S. Binavince

 

Avocats de l'intimée :                Me Paul Plourde, c.r.

                                                Me Jade Boucher

 

 

JUGEMENT

 

          Les appels des cotisations établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour les années d'imposition 1997, 1998 et 1999 sont rejetés avec dépens.

 


Signé à Ottawa, Canada, ce 12e jour de décembre 2002.

 

 

 

« Lucie Lamarre »

J.C.C.I.

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 30e jour de décembre 2003.

 

 

 

 

Mario Lagacé, réviseur


 

 

 

 

2000-4318(IT)G

ENTRE :

BARRY ACE,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

 

 

Appels entendus sur preuve commune avec les appels de Carol Stacey-Diabo (2000‑2046(IT)G), de Peter Ronald French (2000-4319(IT)G), de Deborah Price (2001‑993(IT)G) et de Margaret Lanigan (2001-4278(IT)G), les 3 et 4 juin 2002 à Ottawa (Ontario), par

l'honorable juge Lucie Lamarre

 

Comparutions

 

Avocat de l'appelant :                Me Emilio S. Binavince

 

Avocats de l'intimée :                Me Paul Plourde, c.r.

                                                Me Jade Boucher

 

 

JUGEMENT

 

          Les appels des cotisations établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour les années d'imposition 1996 et 1997 sont rejetés avec dépens.

 


Signé à Ottawa, Canada, ce 12e jour de décembre 2002.

 

 

 

« Lucie Lamarre »

J.C.C.I.

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 30e jour de décembre 2003.

 

 

 

 

Mario Lagacé, réviseur


 

 

 

 

2000-4319(IT)G

ENTRE :

PETER RONALD FRENCH,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

 

 

Appels entendus sur preuve commune avec les appels de Carol Stacey-Diabo (2000‑2046(IT)G), de Barry Ace (2000-4318(IT)G), de Deborah Price (2001-993(IT)G) et de Margaret Lanigan (2001-4278(IT)G), les 3 et 4 juin 2002 à

Ottawa (Ontario), par

l'honorable juge Lucie Lamarre

 

Comparutions

 

Avocat de l'appelant :                Me Emilio S. Binavince

 

Avocats de l'intimée :                Me Paul Plourde, c.r.

                                                Me Jade Boucher

 

 

JUGEMENT

 

          Les appels des cotisations établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour les années d'imposition 1997, 1998 et 1999 sont rejetés avec dépens.

 


Signé à Ottawa, Canada, ce 12e jour de décembre 2002.

 

 

 

« Lucie Lamarre »

J.C.C.I.

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 30e jour de décembre 2003.

 

 

 

 

Mario Lagacé, réviseur


 

 

 

 

2001-993(IT)G

ENTRE :

DEBORAH PRICE,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

 

 

Appels entendus sur preuve commune avec les appels de Carol Stacey-Diabo (2000‑2046(IT)G), de Barry Ace (2000-4318(IT)G), de Peter Ronald French (2000‑4319(IT)G) et de Margaret Lanigan (2001-4278(IT)G), les 3 et 4 juin 2002 à Ottawa (Ontario), par

l'honorable juge Lucie Lamarre

 

Comparutions

 

Avocat de l'appelante :               Me Emilio S. Binavince

 

Avocats de l'intimée :                Me Paul Plourde, c.r.

                                                Me Jade Boucher

 

 

JUGEMENT

 

          Les appels des cotisations établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour les années d'imposition 1997 et 1998 sont rejetés avec dépens.

 


Signé à Ottawa, Canada, ce 12e jour de décembre 2002.

 

 

 

« Lucie Lamarre »

J.C.C.I.

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 30e jour de décembre 2003.

 

 

 

 

Mario Lagacé, réviseur


 

 

 

 

2001-4278(IT)G

ENTRE :

MARGARET LANIGAN,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

 

Appel entendu sur preuve commune avec les appels de Carol Stacey-Diabo (2000‑2046(IT)G), de Barry Ace (2000-4318(IT)G), de Peter Ronald French (2000‑4319(IT)G) et de Deborah Price (2001-993(IT)G), les 3 et 4 juin 2002

à Ottawa (Ontario), par

l'honorable juge Lucie Lamarre

 

Comparutions

 

Avocat de l'appelante :              Me Emilio S. Binavince

 

Avocats de l'intimée :                Me Paul Plourde, c.r.

                                                Me Jade Boucher

 

 

JUGEMENT

 

          L'appel interjeté à l'encontre de la cotisation établie en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour l'année d'imposition 1996 est rejeté avec dépens.

 

 


Signé à Ottawa, Canada, ce 12e jour de décembre 2002.

 

 

 

« Lucie Lamarre »

J.C.C.I.

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 30e jour de décembre 2003.

 

 

 

 

Mario Lagacé, réviseur


 

 

 

 

Date : 20021212

Dossier : 2000-2046(IT)G

 

 

ENTRE :

CAROL STACEY-DIABO et autres,

appelants,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

La juge Lamarre, C.C.I.

 

[1]     Les présents appels sont interjetés à l'encontre de cotisations établies par le ministre du Revenu national (le « ministre ») en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi »). Le ministre considère imposable en vertu des articles 2, 3 et 5 de la Loi un revenu d'emploi reçu par chacun des appelants pour certaines années d'imposition allant de 1996 à 1999. Le ministre ne considérait pas le revenu comme étant exonéré de l'impôt sur le revenu en vertu de toute autre loi fédérale au sens de l'alinéa 81(1) a) de la Loi. C'est qu'en produisant leurs déclarations de revenus, chacun des appelants a demandé une exemption d'impôt compte tenu du fait que le revenu d'emploi était un bien meuble d'un Indien situé sur une réserve au sens du paragraphe 87(1) de la Loi sur les Indiens, L.R.C. 1985, ch.-5.

 

[2]     L'alinéa 81(1)a) se lit comme suit :

 

         


81. (1) Ne sont pas inclus dans le calcul du revenu d'un contribuable pour une année d'imposition:

 

a) une somme exonérée de l'impôt sur le revenu par toute autre loi fédérale, autre qu'un montant reçu ou à recevoir par un particulier qui est exonéré en vertu d'une disposition d'une convention ou d'un accord fiscal conclu avec un autre pays et qui a force de loi au Canada;

 

[3]     Le paragraphe 87(1) de la Loi sur les Indiens se lit comme suit :

 

   87.(1) Nonobstant toute autre loi fédérale ou provinciale, mais sous réserve de l'article 83, les biens suivants sont exemptés de taxation,

a) le droit d'un Indien ou d'une bande sur une réserve ou des terres cédées;

b) les biens meubles d'un Indien ou d'une bande situés sur une réserve.

 

[4]     Bien que les causes de chacun des appelants aient été appelées séparément, certaines preuves communes ont été présentées et l’argumentation des causes a été jointe. Je ne donnerai donc qu’une seule série de motifs pour l’ensemble des cinq appelants, mais je soulignerai les faits pertinents à chacun d’eux.

 

[5]     Mme Carol Stacey-Diabo est membre de la bande des Mohawks de Kahnawake de la province de Québec. Une cotisation a été établie à son égard pour les années d’imposition 1997, 1998 et 1999. Pendant cette période, elle travaillait comme analyste politique pour le ministère fédéral des Affaires indiennes et du Nord canadien (« MAINC ») à la Direction de la politique sur l’autonomie gouvernementale. Ses fonctions l’amenaient à donner son avis sur une grande variété de sujets liés aux négociations sur l’autonomie gouvernementale entre le gouvernement du Canada et les réserves des Premières Nations. Elle avait le devoir de représenter le MAINC dans les négociations sur l’autonomie gouvernementale et les revendications territoriales. Elle a témoigné que son travail visait à donner des avantages sociaux, politiques, économiques et culturels aux réserves des Premières Nations de l’ensemble du Canada, y compris à sa propre communauté de Kahnawake, mais pas à une réserve déterminée. Elle a également occasionnellement donné des avis au profit de membres résidant hors d’une réserve.

 

[6]     Mme Stacey-Diabo vivait à Ottawa pour les besoins de son travail, mais considérait son lieu de résidence principal comme étant sa réserve à Kahnawake pour les années en question. Elle y retournait en effet une fois par mois. La réserve est située à deux heures et demie de son lieu de travail à Ottawa, et il lui aurait été difficile de faire la navette à partir de la réserve. Elle n’a jamais travaillé dans la réserve. Le MAINC lui a refusé la permission de faire son travail à partir de la réserve. Elle a demandé une exemption de 50 pour 100 dans ses déclarations de revenus pour les années d’imposition en question parce qu’elle croyait avoir une plus grande chance de se voir accorder l’exemption si elle demandait moins que 100 pour 100.

 

[7]     Elle a comparé son travail à celui exécuté par les personnes travaillant pour l’Assemblée des Premières Nations. Elle a noté que les travailleurs de cet organisme se voyaient octroyer une exemption totale même si ses bureaux étaient situés hors réserve, à Ottawa. Elle se plaignit donc de ce que les Lignes directrices sur l’exonération du revenu selon la Loi sur les Indiens établies en juin 1994 (pièce A-2 du dossier 2000-2046(IT)G) par Revenu Canada, comme on l’appelait alors, étaient appliquées de façon discriminatoire entre les Indiens qui effectuaient le même travail pour des entités différentes.

 

[8]     M. Barry Ace est membre de la bande de la Première Nation de West Bay sur l’île Manitoulin dans la province de l’Ontario. Une cotisation a été établie à son égard pour les années d’imposition 1996 et 1997. Pendant cette période, il travaillait pour le MAINC en tant que curateur du Centre d’art indien et inuit de Hull (Québec). Le travail de M. Ace consistait à promouvoir l’art et la culture autochtone à travers le Canada et internationalement au nom du MAINC et pour les membres des Premières Nations vivant dans les réserves ou non. La nature de son emploi l’empêchait de travailler à partir de sa réserve. Il considérait tout de même la réserve comme son chez-soi à cause de ses racines familiales et des forts liens qu’il a avec la réserve.

 

[9]     Pour les années en litige, M. Ace a demandé une exemption d’impôt de 50 pour 100 de son revenu d’emploi. En remplissant ses déclarations de revenus, il a inclus des lettres de son supérieur qui indiquent qu’il passe une grande partie de son temps à aider des Indiens à travers le Canada et à travailler avec eux. Il a dû, par exemple, travailler dans des réserves indiennes en tant que consultant en art et comme professeur (pièces A-2 et A-3 du dossier 2000-4318(IT)G). En fait, M. Ace a travaillé cinq jours en 1996 et 14 jours en 1997 dans une réserve. L’Agence des douanes et du revenu du Canada («ADRC») lui a accordé une exemption d’impôt pour le revenu d’emploi qu’il a gagné pendant ces deux périodes.

 

[10]    M. Ace a aussi participé aux travaux du Comité pour l'avancement des employés autochtones (CAEA) (onglet 6 de la pièce A-1 du dossier 2000-4318(IT)G). Une question étudiée par ce comité était la revendication d’un traitement fiscal des employés du MAINC équivalent à celui de leurs homologues dans les réserves.

 

[11]    M. Peter Ronald French est membre de la bande des Mohawks de Kahnawake, au Québec. Une cotisation a été établie à son égard pour les années d’imposition 1997, 1998 et 1999. En 1997, il travaillait au MAINC comme délégué spécial auprès du ministre des Affaires indiennes et du Nord et s’occupait entre autres des dossiers des revendications territoriales, de la politique sur les traités et de l’autonomie gouvernementale. En 1998 et 1999, M. French travaillait comme chef d’équipe à la Direction de la politique sur les traités du MAINC. Il a travaillé pour le gouvernement dans de nombreuses initiatives relatives aux traités entre les Premières Nations et le gouvernement fédéral.

 

[12]    M. French a témoigné qu’il lui était impossible de travailler dans une réserve déterminée puisqu’il était fréquemment amené à voyager dans diverses réserves à travers le Canada. M. French considérait la réserve de Kahnawake comme sa résidence à cause des liens qu’il y conservait et des visites qu’il y faisait chaque fin de semaine avec son fils. En 1998, il a demandé à son employeur la permission de travailler à partir de sa réserve deux jours par semaine, ce qui lui a été refusé. Il a dû travailler à partir de Hull (Québec), et résidait à Ottawa pendant toutes les années en question. M. French a demandé une exemption d’impôt équivalente à 80 pour 100 de son revenu d’emploi. Il a joint à ses déclarations de revenus une lettre de Jim Doughty, l’ancien chef de cabinet du ministre des Affaires indiennes et du Nord, au soutien de sa prétention qu’il travaillait au profit des Indiens.

 

[13]    Mme Deborah Price est membre d’une bande indienne de Sioux Valley au Manitoba. Elle n’y est pas née, mais son père et son grand-père étaient membres de cette bande. Une cotisation a été établie à son endroit pour les années d’imposition 1997 et 1998.

 

[14]    Pendant ces années, Mme Price travaillait pour Développement des ressources humaines Canada (DRHC) à Hull (Québec), au Conseil aux affaires autochtones. Elle vivait à Nepean (Ontario) pour les besoins de son travail, mais considérait sa réserve comme sa résidence à cause des liens familiaux qu’elle y avait.

 

[15]    Dans le cadre de son travail, elle a participé à un programme national d’une durée de trois ans mis en place afin de transférer aux Autochtones le contrôle de leurs programmes de formation. Elle a aussi travaillé pour le Bureau des relations avec les Autochtones à DRHC, à la stratégie d’emploi pour les Autochtones ainsi que sur d’autres dossiers tel que les revendications par les Autochtones de leur droit au Régime de pensions du Canada et à la Sécurité de la vieillesse. En conséquence, une partie de ses fonctions l’amenaient à travailler avec le MAINC et avec la Commission royale sur les peuples autochtones.

 

[16]    Mme Price a témoigné que les bénéficiaires directs de son travail étaient les Premières Nations et les autres peuples autochtones, qu’ils vivent ou non dans des réserves. Selon elle, de 75 à 80 pour 100 de l’argent qu’elle a aidé à distribuer est allé directement aux Premières Nations dans les réserves.

 

[17]    Pour les années d’imposition pertinentes, Mme Price a demandé une exemption d’impôt équivalant à 65 pour 100 de son revenu d’emploi. Cette proportion — approuvée par son supérieur immédiat et par le directeur général du Bureau des relations avec les Autochtones — a été établie en tenant compte du fait que cet argent avait été dépensé dans le cadre d’un programme pan-autochtone, mais qu’une partie était allée aux Métis, aux Inuit et aux groupes urbains.

 

[18]    Finalement, Mme Margaret Lanigan est membre de la bande de la Première Nation de Gordon en Saskatchewan. Même si elle est née à Winnipeg, elle est membre de la bande par l'entremise de sa mère, elle-même membre.

 

[19]    Une cotisation a été établie à l’endroit de Mme Lanigan pour l’année d’imposition 1996. Mme Lanigan a travaillé de janvier à septembre 1996 inclusivement comme déléguée spéciale auprès du ministre des Affaires indiennes et du Nord. Dans ses fonctions, elle exerçait des tâches de collaboration, de liaison et de promotion des droits des Premières Nations de l’ensemble du Canada. D’octobre à décembre 1996 inclusivement, elle a travaillé comme infirmière pour Native Leasing Services (NLS), prodiguant des soins de santé aux Indiens d’Ottawa. À l’audition, son avocat a informé la Cour que, étant donné la décision rendue par Cour d’appel fédérale dans l'arrêt Shilling c. M.R.N., [2001] 4 C.F. 364, et le rejet de l’autorisation de pourvoi devant la Cour suprême du Canada, [2001] S.C.C.A. No. 434 (Q.L.), Mme Lanigan se désistait de sa demande d’exemption pour la portion de ses revenus d’emploi provenant de NLS.

 

[20]    Mme Lanigan demande toujours une exemption d’impôt pour le revenu provenant de son travail au MAINC. Pendant la période pertinente, elle vivait à Ottawa mais considérait que sa résidence était située dans sa réserve à cause des liens familiaux qu’elle y avait. Elle dit qu’elle a dû venir travailler à Ottawa parce que [traduction] « chez les Premières Nations, les possibilités économiques et sociales ne sont pas aussi nombreuses que celles qui existent hors réserve » (voir la page 13 de la transcription dans le dossier 2001-4278(IT)G).

 

[21]    Mme Lanigan demandait une exemption d’impôt équivalant à 80 pour 100 de son revenu d’emploi. Afin d’appuyer sa demande, elle a joint une lettre de Jim Doughty, alors adjoint exécutif au ministre des Affaires indiennes et du Nord.

 

[22]    Lors de l’audition des cinq appels, l’avocat des appelants a également fait témoigner Mme Elsie Cassaway, qui travaillait à l’époque pour l’Assemblée des Premières Nations à Ottawa. Son témoignage visait à démontrer qu’il n’y avait aucune distinction entre le travail accompli, que l’employeur soit le gouvernement du Canada ou des organismes des Premières Nations.

 

[23]    L’avocat des appelants a aussi fait témoigner M. Robert K. Groves, un consultant, à propos de l’analyse qu’il fait de l’article 87 de la Loi sur les Indiens et des facteurs de rattachement essentiels dans l’application de l’article 87, ainsi que sur l’application des Lignes directrices concernant l’application de l’article 87 établies en 1994 par Revenu Canada.

 

[24]    À la lumière d’une objection soulevée par l’avocat de l'intimée, je ne puis accepter le témoignage de M. Groves. Premièrement, l’avocat des appelants n’a pas rempli les conditions imposées par les Règles de la Cour canadienne de l’impôt (Procédure générale) (les « Règles ») relatives au témoignage d’un expert. En second lieu, la Cour d’appel fédérale a établi, dans l’affaire Canada c. Monias, [2002] 1 C.F. 51, permission de pourvoi devant la Cour suprême du Canada rejetée [2001] S.C.C.A. No. 482 (Q.L.), que :

 

[32] [. . .] les présents appels doivent être décidés en appliquant la Loi sur les Indiens, ainsi que la jurisprudence pertinente, aux faits de l'affaire. Comme cet exercice suppose la pondération des divers facteurs de rattachement dans une matrice factuelle donnée, il est difficile d'accorder beaucoup de poids à un exemple des Lignes directrices, alors que les faits qu'on y mentionne ne sont ni complets ni identiques à ceux en cause ici.

(page 65, paragraphe 32)

 

[25]    Pour ces raisons, je considère que le témoignage de M. Groves n’est pas pertinent aux présents appels.

 

Question en litige

 

[26]    Dans les procédures écrites, la question en litige de chacun des appels a été ainsi formulée : [traduction] « Les montants établis dans les nouvelles cotisations pour les années pertinentes sont-elles couvertes par l’exemption de l’alinéa 81(1)a) de la LIR, tel que prévu à l’alinéa 87b) de la LI? » (Voir la question en litige contenue dans les avis d’appel et dans les réponses aux avis d’appel). Les dispositions de la loi applicables aux appelants sont l’alinéa 81(1)a) de la Loi et l’alinéa 87(1)b) de la Loi sur les Indiens. L’intimée s’est fondée sur les mêmes dispositions, en plus des articles 2, 3 et 5 de la Loi (pour l’inclusion du revenu d’emploi pour les fins de l’impôt), ainsi que sur l’article 2 de la Loi sur les Indiens (pour les définitions des termes utilisés dans la Loi sur les Indiens).

 

[27]    La conclusion recherchée par les appelants dans leurs avis d’appel était que les nouvelles cotisations pour les années d’imposition pertinentes devaient être annulées puisque [traduction] « les montants établis dans ces nouvelles cotisations sont couvertes par l’exemption de l’alinéa 81(1)a) de la LIR, tel qu’il est prévu à l’alinéa 87b) de la LI » (voir le redressement recherché dans les avis d’appels). À cela, l’intimée a répondu que les salaires des appelants pour les années d’imposition pertinentes n’étaient pas des biens meubles d’un Indien sur une réserve au sens de l’article 87 de la Loi sur les Indiens, et qu’en conséquence le revenu d’emploi n’est pas une somme exonérée de l’impôt sur le revenu par toute autre loi fédérale au sens de l’alinéa 81(1)a) de la Loi (voir les motifs dans les réponses aux avis d’appel).

 

L'argument des appelants

 

[28]    Lors de son argumentation orale, l’avocat des appelants a plaidé que, afin d’interpréter correctement l’article 87 de la Loi sur les Indiens, il nous fallait analyser son objet. Selon lui, il faut donner un sens large à la définition, ce qui est favorable à la reconnaissance de l’exonération. En fait, l’avocat a plaidé que l’exonération d’impôt pour les biens meubles d’un Indien sur une réserve prévue à l’article 87 est fondée sur le caractère historique des peuples indiens en tant que nations souveraines. Il a soumis l’argument selon lequel l’impôt est un concept introduit par la civilisation occidentale et ne fait pas partie de la culture autochtone. L’avocat des appelants s’est servi de l’affaire Williams c. Canada, [1992] 1 R.C.S. 877, dans laquelle la Cour suprême du Canada a articulé plusieurs facteurs de rattachement dont on doit tenir compte dans la détermination du situs de biens incorporels, lesquels comprennent le revenu d’emploi (voir Nowegijick c. La Reine, [1983] 1 R.C.S. 29). L’avocat a soumis que les facteurs de rattachement énumérés dans l'arrêt Williams, précité, n’étaient pas exhaustifs, et que l’analyse de ces facteurs de rattachement devait relever du cas par cas. Selon l’avocat, le facteur de rattachement important dans les présentes affaires est la nature et le caractère de l’emploi.        Les Indiens appelants, dans le cadre de leur emploi pour le gouvernement canadien, étaient au service des réserves et des Indiens. En imposant les appelants, le gouvernement impose une pénalité qui aura un impact défavorable sur les services rendus au profit de personnes qui devraient être protégées par l’article 87. L’avocat suggère que les salaires versés aux appelants par le gouvernement n’étaient pas ce qui les motivait à travailler. Les appelants travaillaient au profit des personnes vivant dans les réserves. Voilà ce qui les motivait à travailler. Leur revenu d’emploi n’était pas gagné dans une optique purement commerciale, notion étrangère à la philosophie indienne. En dernier lieu, l’avocat a soumis que les appelants vivaient à Ottawa dans le seul but de remplir leurs responsabilités de fonctionnaires, et que leur résidence a toujours été leurs réserves. Pour ces raisons, l’avocat des appelants croit que le revenu d’emploi de ses clients était couvert par l’exonération prévue à l’article 87 de la Loi sur les Indiens et ne doit pas être imposé pour les années d’imposition pertinentes.

 

[29]    Dans les observations écrites produites après l’audition, l’avocat des appelants a également soumis comme argument subsidiaire que l’administration que fait l’intimée de l’article 87 de la Loi sur les Indiens est contraire à l’article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés ainsi qu’à l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. Selon son point de vue, l’intimée [traduction] « a interprété et appliqué l’exonération de façon discriminatoire, avec pour résultat que, dans des circonstances similaires, deux individus sont traités différemment » (paragraphe 16 des observations écrites des appelants). L’avocat des appelants considère que les nouvelles cotisations faisant l’objet du présent appel sont invalides pour ce motif.

 

Argument de l'intimée

 

[30]    Dans les observations écrites produites lors du procès, l'avocat de l'intimée a résumé la question comme suit :

 

[traduction]

 

4.       Afin que les revenus d’emploi d’un Indien puissent être exonérés d’impôt, les conditions suivantes de l’article 87 de la Loi sur les Indiens doivent être remplies:

 

(a)      le revenu provenant d'un salaire doit être un « bien meuble »;

(b)     le bien doit appartenir à un Indien au sens de la Loi;

(c)      l'Indien doit être assujetti à l'impôt quant à ce bien;

(d)     le bien doit être situé dans la réserve.

 

                    Canada c. Folster, [1997] 3 C.F. 269, aux pages 275-76

 

5.       Nowegijick c. La Reine établit que la réception d'un revenu provenant d'un salaire constitue un bien personnel (condition (a)) et que l'inclusion d'un bien personnel dans le calcul du revenu d'un contribuable donne lieu à un impôt à l'égard de ce bien personnel (condition (c)). Il ne fait aucun doute que l’appelant est un Indien (condition (b)).

 

                       Williams c. Canada, [1992] 1 R.C.S. 877, à la page 888

          Mitchell c. Bande indienne Peguis, [1990] 2 R.C.S. 85, à la page 110

 

6.       En conséquence, la seule question en litige devant cette cour est de savoir si les revenus d’emploi de l’appelante sont des biens meubles situés dans une réserve. En interprétant l’article 87, il est utile de garder à l’esprit l’exposé des faits du juge Dickson dans Nowegijick, à la p. 36:

 

Les Indiens possèdent la citoyenneté canadienne et, dans les affaires qui ne sont régis ni par des traités ni par la Loi sur les Indiens, ils ont les mêmes responsabilités, dont le paiement d'impôts, que les autres citoyens canadiens.

 

                               Nowegijick c. La Reine, [1983] 1 R.C.S. 29

 

[31]     L’avocat a ensuite fait allusion à la perspective historique et à l’objet de l’article 87. Il a cité le juge La Forest dans Mitchell c. Bande indienne Peguis, [1990] 2 R.C.S. 85, à la page 131:

 

          En résumé, le dossier historique indique clairement que les art. 87 et 89 de la Loi sur les Indiens, auxquels s'applique la présomption de l'art. 90, font partie d'un ensemble législatif qui fait état d'une obligation envers les peuples autochtones, dont la Couronne a reconnu l'existence tout au moins depuis la signature de la Proclamation royale de 1763. Depuis ce temps, la Couronne a toujours reconnu qu'elle est tenue par l'honneur de protéger les Indiens de tous les efforts entrepris par des non-Indiens pour les déposséder des biens qu'ils possèdent en tant qu'Indiens, c'est-à-dire leur territoire et les chatels qui y sont situés.

 

          Il est également important de souligner la conséquence de la conclusion que je viens de tirer. Le fait que la loi contemporaine, comme sa contrepartie historique, prenne tant de soin pour souligner que les exemptions de taxe et de saisie ne s'appliquent que dans le cas des biens personnels situés sur des réserves démontre que l'objet de la Loi n'est pas de remédier à la situation économiquement défavorable des Indiens en leur assurant le pouvoir d'acquérir, de posséder et d'aliéner des biens sur le marché à des conditions différentes de celles applicables à leurs concitoyens. Un examen des décisions portant sur ces articles confirme que les Indiens qui acquièrent et aliènent des biens situés à l'extérieur des terres réservées à leur usage le font aux mêmes conditions que tous les autres Canadiens.

 

[32]     Dans l'arrêt Williams, précité, la Cour suprême du Canada a conclu que la détermination du situs des biens personnels incorporels impliquait une évaluation par le tribunal de différents facteurs de rattachement reliant les biens personnels à un emplacement ou à un autre. L’approche pour déterminer l’emplacement de biens personnels incorporels (tels que les revenus d’emploi) a été décrite ainsi dans l'arrêt Williams, aux pages 899 et 900 :

 

       Pour déterminer le situs d'un bien personnel incorporel, un tribunal doit évaluer divers facteurs de rattachement qui relient le bien à un endroit ou à l'autre. Dans le contexte de l'exemption fiscale prévue dans la Loi sur les Indiens, il y a trois facteurs importants : l'objet de l'exemption, la nature du bien en question et l'incidence fiscale sur ce bien. Compte tenu de l'objet de l'exemption, il s'agit, en fin de compte, de déterminer dans quelle mesure chaque facteur est pertinent pour décider si le fait d'imposer d'une certaine manière ce type de bien particulier porterait atteinte au droit d'un Indien à titre d'Indien de détenir des biens personnels sur la réserve.

 

[33]     Dans l'arrêt Mitchell, précité, le juge La Forest a établi qu’il doit y avoir un lien entre les biens personnels concernés et l’occupation des réserves indiennes par les Indiens demandant cette exonération (pages 133 et 137).

                         

[34]     Selon l’avocat, les présentes causes ne présentent pas de tel lien. En fait, les appelants ne résident ni ne travaillent dans une réserve. Même si la nature de leur emploi touche principalement les affaires indiennes, en aucun temps ce travail a profité à des Indiens résidant dans des réserves auxquelles on peut relier le revenu d’emploi des appelants.

 

[35]     Les facteurs de rattachement dont il doit être tenu compte sont le lieu de résidence des appelants, le lieu de résidence de l’employeur, l’emplacement du travail et la nature du profit pour la réserve. Selon l’avocat, les facteurs pertinents portent à croire que le situs des revenus d’emplois est situé hors réserve.

 

[36]     Le fait qu’un employé ne réside pas dans une réserve peut indiquer que ses revenus d’emploi n’ont pas été acquis ou utilisés dans une réserve (voir Monias, précité, paragraphe 60). Qui plus est, le fait que le MAINC ne conduise pas ses affaires à partir d’une réserve et, de ce fait, ne fournit aucune occasion d’emploi dans une réserve, porte à croire que le situs des revenus d’emploi est situé hors réserve (voir Monias, pages 70-71). De plus, le travail hors réserve relie l’emploi à un endroit autre qu’une réserve. C’est là une indication que l’employé a acquis des revenus d’emploi dans un but commercial (voir l'arrêt Monias aux pages 67 et 68; l'arrêt Shilling, précité, à la page 380).

 

[37]     En outre, des circonstances particulières peuvent aider à déterminer le situs du revenu d’emploi. Cependant, lorsque tous les autres facteurs de rattachement possibles ne permettent pas de situer le revenu d'emploi dans une réserve, il est très peu probable que les circonstances particulières liées à l'emploi suffisent à elles seules pour faire pencher la balance de l'autre côté (voir Desnomie c. Sa Majesté la Reine, C.A.F., n° A-533-98, 19 avril 2000, paragraphe 30 ((2000), 186 D.L.R. (4th) 718, page 727, paragraphe 30); autorisation de pourvoi à la Cour suprême du Canada rejetée, [2000] S.C.C.A. No. 297 (Q.L.)).

 

[38]     L'avocat soutient que le fait que l'emploi en question se rapporte à la prestation de services à des Indiens ne confère pas pour autant un traitement fiscal privilégié en vertu de l'article 87 de la Loi sur les Indiens (voir l'arrêt Shilling, précité, à la page 382). Même si on peut dire que le travail qui a mené à un revenu d’emploi a profité aux Indiens dans une réserve, ce facteur n’est pas en lui-même suffisant pour situer cet emploi dans la réserve. Comme il a été décidé dans l'arrêt Bell c. La Reine, C.A.F., n°A-527-98, 18 mai 2000, paragraphe 13 (2000 DTC 6365, page 6371), autorisation de pourvoi à la Cour suprême du Canada rejetée [2000] S.C.C.A. No. 372 (Q.L.), le profit particulier que tire la communauté autochtone n’est pas un facteur de rattachement indépendant et autonome. Il s’agit plutôt d’un indice servant à apprécier le facteur de la nature de l’emploi.

 

[39]     Comme c’était le cas dans l'arrêt Monias, précité, il serait difficile de conclure que les appelants ont acquis leur revenu d’emploi dans des réserves lorsqu’ils ne vivaient ni ne travaillaient dans une réserve. Il n'y avait pas nécessairement de rattachement entre l'acquisition ou l'utilisation du revenu provenant du travail des appelants et les lieux où sont situées les réserves.

 

[40]     Dans les cas à l'étude, il est impossible de relier l’employeur ou les bénéficiaires des services à une réserve. Même s’il est possible de dire que le travail des appelants était au profit des Indiens, cela ne suffit pas à rattacher leur revenu d’emploi à une réserve en particulier et, en conséquence, ne permet pas de situer leur revenu d’emploi (voir l'arrêt Desnomie, précité, paragraphe 21 (DLR: à la page 725)). Octroyer aux appelants une exonération d’impôt de leur revenu d’emploi correspondrait à une tentative de remédier à la situation économiquement désavantageuse des Autochtones ne pouvant trouver de travail dans leur réserve. Ce n’est pas là l’objet de l’article 87 (voir l'arrêt Folster, précité, page 293).

 

[41]     L’avocat de l'intimée est d’avis que le revenu d’emploi des appelants n’est pas exonéré d’impôt en vertu de l’alinéa 81(1)a) de la Loi et de l’alinéa 87(1)b) de la Loi sur les Indiens.

 

Analyse

 

[42]     Je traiterai en premier lieu de l’argument subsidiaire soulevé par l’avocat des appelants dans ses observations écrites produites après l’audition. Cet argument n’a pas été soulevé dans les procédures écrites mais a été mis de l’avant pour la première fois le jour de l’audition. Ce nouvel argument concerne l’application de la Charte et de la Loi constitutionnelle de 1982 relativement à l’administration par l’intimée de l’article 87 de la Loi sur les Indiens. Cela a pris au dépourvu tant l’avocat de l'intimée que la Cour. Selon moi, et j’en ai informé l’avocat des appelants lors du procès, cet argument de dernière minute constitue un abus des procédures de la Cour, car il aurait pu être soulevé beaucoup plus tôt. Dans Special Risks Holdings Inc. c. Sa Majesté la Reine, C.F. 1ère inst., n° T4602‑81, 16 décembre 1983 (84 DTC 6054), le juge Walsh a dit, à la page 9 (DTC : à la page 6057) :

 

[. . .] Même si l'on estime qu'elle pourrait avoir une certaine pertinence, aucune procédure ne peut être admise quand elle a pour but d'introduire des documents que les parties auraient pu produire plusieurs mois auparavant et dont l'admission aurait pour effet de retarder l'instruction de l'action. Par conséquent, et pour ce seul motif, la requête constitue un usage abusif des procédures de la cour et ne peut être accueillie.

 

[43]     Ce passage a été repris par le juge Brulé de cette cour dans la décision Canderel Ltée c. Sa Majesté la Reine, C.C.I., n° 91-615(IT)G, 23 juin 1993 (93 DTC 938, à la page 939), et par la Cour d’appel fédérale dans l'arrêt La Reine c. Canderel Ltée, [1994] 1 C.F. 3 (93 DTC 5357), le juge Brulé concluant que la demande de modification présentée par une partie le sixième jour du procès constituait un abus des procédures de la Cour. Le juge Décary concluait comme suit à la page 14 (DTC : à la page 5362) :

 

           Selon les faits de l'espèce, il était donc loisible au juge de première instance de conclure que la modification envisagée, dans les circonstances et au moment où elle était sollicitée, et de la façon dont elle était présentée, de sa nature même et par ses répercussions sur le procès qui arrivait à sa fin, constituait un abus des procédures de la Cour.

 

[44]     J’ai donc informé l’avocat des appelants lors du procès que je n’accepterais aucune preuve relativement à son argument subsidiaire. C’est la raison pour laquelle je ne traiterai pas ce nouvel argument dans les motifs du présent jugement. Je concentrerai plutôt mon analyse sur les arguments soulevés dans les procédures écrites et développés devant moi lors de l’audition.

 

[45]     Comme il a été énoncé dans les procédures écrites, la question en litige consiste à décider si le revenu d’emploi que les appelants ont reçu du gouvernement du Canada bénéficie de l’exonération prévue à l’alinéa 81(1)a) de la Loi par le biais de l’application de l’alinéa 87(1)b) de la Loi sur les Indiens. Dans son argumentation écrite, l’avocat de l'intimée énumère les quatre conditions à remplir pour que s’applique l’article 87 de la Loi sur les Indiens (voir le paragraphe 4 de son argumentation écrite, reproduit au paragraphe 30 des motifs du présent jugement). Dans le cas présent, l’intimée ne conteste pas le fait que les trois premières conditions ont été remplies. Cependant, les parties ne s’entendent pas sur la question de savoir si la dernière condition a été remplie, c’est-à-dire si le revenu d’emploi des appelants constitue un bien meuble situé dans une réserve.

 

[46]     Cette question n’est pas nouvelle. Les tribunaux canadiens ont eu à traiter de nombreux cas dont les faits ressemblaient à ceux des présents appels. Cela ressort clairement de la jurisprudence soumise par les parties. La jurisprudence à cet égard est d’ailleurs constante.

 

[47]     Les considérations politiques et l’intention législative derrière l’article 87 ont été résumées par le juge La Forest dans l'arrêt Mitchell, précité, et ont été reproduites par l’avocat de l'intimée dans son argumentation écrite (voir le paragraphe 31 des motifs de la présente décision). Bien que, par la mise en œuvre de cette disposition, on reconnaissait que les biens détenus par les Indiens en tant qu’Indiens sur leur territoire devaient être protégés, le Parlement a également pris soin de souligner que les exonérations d’impôt s’appliquaient uniquement aux biens meubles dans les réserves.

 

[48]     Dans leur analyse de l’article 87, les tribunaux ont toujours pris soin de garder l’exonération fiscale à l’intérieur des limites fixées par cet article, et la jurisprudence ne laisse aucun doute sur le fait que « l'objet de la Loi n'est pas de remédier à la situation économiquement défavorable des Indiens en leur assurant le pouvoir d'acquérir, de posséder et d'aliéner des biens sur le marché à des conditions différentes de celles applicables à leurs concitoyens. [... L]es Indiens qui acquièrent et aliènent des biens situés à l'extérieur des terres réservées à leur usage le font aux mêmes conditions que tous les autres Canadiens. » (voir l'arrêt Mitchell, précité, page 131).

 

[49]     Comme l’a suggéré l’avocat de l’intimée au paragraphe 6 de son argumentation écrite, reproduit au paragraphe 30 des motifs de la présente décision, les limites de l’exonération d’impôt accordée aux Indiens ont été clairement définies par le juge Dickson dans Nowegijick, précité, à la page 36. Il est accepté que les Indiens ne doivent pas être traités différemment des autres citoyens canadiens dans les affaires non régies par les traités ou par la Loi sur les Indiens, et cela comprend le paiement des impôts.

 

[50]     Par conséquent, le critère du situs, à l'article 87, a pour objet de déterminer si l'Indien détient les biens en question en vertu des droits qu'il possède à titre d'Indien dans la réserve (voir l'arrêt Williams, précité, page 887), ou s’ils ont été acquis dans une optique purement commerciale, à l’extérieur de la réserve, auquel cas l’exonération de l’article 87 ne s’applique pas et les transactions impliquant les biens meubles seront régis par les lois d’application générale (voir l'arrêt Mitchell, pages 137‑138).

 

[51]     La Cour suprême du Canada a opté pour une approche téléologique dans la détermination du situs des biens meubles dans l'arrêt Williams, précité. On a nommé cette approche le test des « facteurs de rattachement ». Le juge Gonthier tient les propos suivants aux pages 892-893 :

 

[. . .] Il faut d'abord identifier les divers facteurs de rattachement qui peuvent être pertinents. On doit ensuite analyser ces facteurs pour déterminer le poids à leur accorder afin d'identifier l'emplacement du bien, en tenant compte de trois choses: (1) l'objet de l'exemption prévue dans la Loi sur les Indiens, (2) le genre de bien en cause et (3) la nature de l'imposition de ce bien. Il s'agit donc de déterminer, relativement à chaque facteur de rattachement, le poids qui devrait lui être accordé pour décider si l'imposition en cause de ce type de bien représenterait une atteinte aux droits de l'Indien à titre d'Indien sur une réserve.

 

[52]     La Cour suggère ensuite une série de facteurs de rattachement potentiellement pertinents dans l’identification de l’emplacement du bien incorporel (dans ce cas, des prestations d’assurance-chômage). Ces facteurs étaient le lieu de résidence du débiteur, le lieu de résidence de la personne qui reçoit les prestations, l’endroit où les prestations étaient versées et le lieu du revenu de l’emploi ayant donné droit aux prestations.

 

[53]     En ce qui concerne la résidence du débiteur, la Cour a convenu que l'établissement du situs d'un organisme de la Couronne à un endroit particulier du Canada présente des difficultés de nature conceptuelle. Quoi qu’il en soit, la Cour souligne que cela ne veut pas dire que l’emplacement matériel de la Couronne est sans importance pour ce qui est des objets sous-jacents de l’exemption fiscale prévue par la Loi sur les Indiens. Cela indique toutefois que l’importance que la Couronne soit la source du paiement des sommes à l'étude dans ce cas particulier résidait davantage dans la nature spéciale de la politique d’ordre public à la base des paiements, plutôt que dans le situs de la Couronne, à supposer qu'il aurait pu être établi. Par conséquent, la Cour a conclu que le lieu de résidence du débiteur est un facteur de rattachement dont l’importance est limitée dans le contexte des prestations d’assurance-chômage. Pour des raisons semblables, la Cour a décidé que l’endroit où les prestations sont payées est également d’une importance limitée dans ce contexte.

 

[54]     Dans le même ordre d’idées, dans l'arrêt Folster, précité, la Cour d’appel fédérale s’exprime de la façon suivante à la page 289 :

 

[25] [. . .] Vu le grand nombre de possibilités lorsque la Couronne est en cause, la résidence de l'employeur devient un concept assez arbitraire et ne constitue certainement pas un critère fiable pour accorder ou non l'exemption d'impôt.

 

[55]     Dans l'arrêt Recalma c. Sa Majesté la Reine, C.A.F., n°A-571-96, 27 mars 1998, paragraphe 10 ([1998] 3 C.N.L.R. 279), autorisation de pourvoi devant la Cour suprême du Canada rejetée, [1998] S.C.C.A. No. 250 (Q.L.), le juge Linden a énoncé que « [l]orsque le revenu est tiré d'un emploi ou qu'il s'agit d'un salaire, le lieu de résidence du contribuable, le type de travail effectué, l'endroit où le travail a été effectué et la nature de l'avantage qu'en tire la réserve ont une très grande importance. (voir l'arrêt Folster, précité.) » (page 282).

 

[56]     La cadre analytique servant à identifier le situs du revenu d’emploi a été plus récemment étudié par la Cour d’appel fédérale dans l'arrêt Monias, précité. Dans cette affaire, le contribuable était un Indien à l’emploi d’une agence autochtone de services à l’enfance qui offrait des services aux familles dans les réserves. Elle était financée par le gouvernement fédéral par le biais du MAINC. Le contribuable travaillait principalement hors réserve et l’emplacement physique de l’agence était également hors réserve. Le contribuable alléguait que le situs de son revenu d’emploi était dans la réserve puisqu’il fournissait des services profitant aux Indiens vivant dans les réserves.

 

[57]     Dans l'arrêt Monias, précité, le juge Evans de la Cour d’appel fédérale a examiné les facteurs de rattachement suivants parmi d'autres : la nature et l’emplacement de l’emploi ainsi que l’emplacement et la nature de l’employeur.

 

[58]     En ce qui concerne la nature de l’emploi du contribuable, le juge Evans s’est exprimé comme suit :

 

          a) La nature de l'emploi

 

[33] Bien que le poids à accorder aux facteurs de rattachement particuliers doit toujours dépendre des faits de chaque affaire, l'emplacement et la nature de l'emploi, ainsi que les circonstances y afférentes, seront généralement très importants lorsqu'il s'agit de déterminer où se situe le revenu d'emploi d'un Indien aux fins de l'article 87. (page 66)

 

[59]     En ce qui a trait à l’emplacement, il a écrit :

 

L'emplacement de l'emploi

 

[. . .]

 

[37] Il n'y a pas de doute que le fait d'effectuer le travail hors des réserves est une indication que le revenu d'emploi n'est pas situé sur une réserve: Shilling, précité, aux paragraphes 47 et 48. Toutefois, le lieu de l'emploi ne permet pas à lui seul de trancher la question: Bell c. Canada (1998), 98 DTC 1857 (C.C.I.), à la page 1863. Si le ministre a abandonné les appels en ce qu'ils concernent le revenu gagné lorsque les employés travaillaient dans une réserve du fait qu'il considérait cette question comme déterminante, je suis d'avis que son interprétation de la loi est erronée. (page 67)

 

[60]     Dans l'arrêt Monias, précité, le contribuable soutenait que l’employeur était situé hors de la réserve par nécessité. Cette prétention a été rejetée par la Cour. Le fait qu’il était impossible d’accomplir le travail dans les réserves n’habilitait pas pour autant la Cour à agir comme si les fonctions de l’emploi avaient été accomplies à cet endroit. Le juge Evans a dit :

 

[43] Je conviens que la nécessité ne peut situer dans une réserve des fonctions qui ont été clairement exécutées hors de la réserve, non plus que situer un revenu d'emploi sur une réserve lorsque les facteurs de rattachement indiquent un autre emplacement. Le fait que l'intimé travaille hors de la réserve est un facteur qui tendrait à rattacher son revenu d'emploi à un endroit situé hors de la réserve.

(page 68)

 

[61]     En ce qui concerne la nature des services offerts, l’opinion de la Cour était la suivante :

 

La nature des services offerts

 

[. . .]

 

[46] Toutefois, bien que le travail des employés puisse aider à maintenir ou à améliorer la qualité de vie dans la réserve pour les membres des bandes qui y vivent, ce fait ne vient pas nécessairement rattacher l'acquisition ou l'utilisation de leur revenu d'emploi à la réalité physique des réserves. (page 69)

 

[62]     La Cour a déclaré également, en ce qui concerne les circonstances y afférentes :

 

Les circonstances y afférentes

 

[47]  En considérant le travail de l'employé comme un facteur de rattachement, la Cour ne peut ignorer les circonstances y afférentes: Folster, précité, au paragraphe 27. Ceci vient assurer qu'en pondérant le facteur de l'emploi, la Cour évalue la situation dans son ensemble. Toutefois, comme la nécessité n'est pertinente qu'en tant qu'élément du contexte dans lequel les services sont fournis, elle ne joue qu'un rôle secondaire dans l'analyse. (page 69)

 

[63]     L’emplacement et la nature de l’employeur est un autre facteur qui a été analysé par la Cour :

 

          b) L'emplacement et la nature de l'employeur

 

[50]  L'emplacement de l'employeur est considéré comme un facteur de rattachement dans l'analyse prévue par l'arrêt Williams, précité. Toutefois, en l'absence d'une preuve au sujet de l'importance des activités de l'employeur dans la réserve, ou d'un bénéfice pour la réserve du fait de la présence de l'employeur, il n'y a pas lieu d'accorder beaucoup de poids à ce facteur: Shilling, précité, au paragraphe 35. Notamment, le fait qu'un employeur soit installé pro forma dans une réserve ne contribuera pas beaucoup à rattacher le revenu d'emploi à la réserve. (page 70)

 

[64]     La Cour a également considéré la résidence des employés comme étant un autre facteur de rattachement significatif, sans être pour autant une exigence universelle. La Cour a dit :

 

[58]  Étant donné que la politique qui sous-tend l'article 87 vise à protéger les réserves en tant qu'entités économiques au bénéfice des membres de la bande qui y résident, la résidence des employés peut être un facteur significatif lorsqu'il s'agit de déterminer le situs du revenu d'emploi. [. . .]

 

[59] Toutefois, la résidence du propriétaire du bien personnel ne peut être une exigence universelle, étant donné qu'elle n'est pas mentionnée dans la définition que la loi donne à la portée de l'article 87. En fait, il peut ressortir clairement des faits que les biens corporels d'une personne sont situés dans la réserve, même si cette personne n'y a pas sa résidence. Le fait que le bien soit situé dans la réserve implique normalement que son propriétaire ne peut en faire un objet de marché ordinaire (Williams, précité, à la page 887), quel que soit le lieu de résidence du propriétaire. Toutefois, je veux faire remarquer que dans l'arrêt Mitchell, précité, à la page 133, le juge La Forest, qui se réfère semble-t-il tant aux biens corporels qu'aux biens incorporels, a lié la disponibilité des protections fournies par les articles 87 et 89 à la question de savoir s'il y avait « un lien discernable entre le bien en question et l'occupation des terres réservées par le propriétaire de ce bien ». [Je souligne.]

 

[60] Le lieu de résidence peut donc être un facteur important servant à rattacher le revenu d'emploi à une réserve, alors que le fait qu'un employé ne réside pas dans la réserve peut indiquer que son revenu d'emploi n'a pas été acquis ou utilisé dans la réserve. (page 72)

 

[65]     La Cour a ensuite soupesé le fait que le contribuable résidait et fournissait ses services hors de la réserve (souvent à une grande distance des réserves) au regard du bénéfice incontestable qu’apportaient aux résidents des réserves les services fournis et au regard de l’identité de l’employeur (une agence née d’une entente entre les gouvernements et les chefs des bandes qu’elle desservait, et qui était contrôlé par ces chefs) et de l’importance de ces services pour le maintien des réserves comme groupes sociaux viables. Malgré tout, la Cour a conclu :

 

[66] Le fait que le travail qui donne lieu au revenu d'emploi soit au bénéfice des Indiens dans les réserves et qu'il puisse être essentiel au maintien des réserves comme groupes sociaux viables, n'est pas en soi suffisant pour situer le revenu d'emploi dans les réserves. La politique qui sous-tend l'alinéa 87(1)b) n'a pas pour but d'offrir une subvention fiscale aux services fournis aux réserves. Il s'agit plutôt de protéger la propriété que les Indiens peuvent acquérir, conserver et utiliser dans une réserve, de toute atteinte par le biais de l'impôt, bien que dans le cas d'un bien incorporel, comme le revenu d'emploi, c'est le situs de son acquisition qui est particulièrement important.

 

[67] En édictant l'alinéa 87(1)b), le législateur a créé une exception importante au principe qui veut que les personnes qui sont dans des situations semblables doivent être traitées de la même façon aux fins de l'impôt. Toutefois, cette disposition ne peut être interprétée comme exemptant de l'impôt sur le revenu le revenu d'emploi des Indiens qui n'a pas clairement été gagné dans des circonstances qui lient son acquisition à une réserve en tant qu'unité économique.

 

[68]  Il est clair que la présente affaire soulève un cas frontière. Toutefois, selon mon interprétation de la jurisprudence, le bénéfice de l'exemption ne peut, au vu de la fragmentation des facteurs de rattachement les plus importants, être maintenu afin de permettre aux demandeurs d'établir qu'ils gagnent leur revenu dans une réserve, plutôt que dans l'économie canadienne en général. Selon moi, il serait difficile de justifier une conclusion voulant que l'intimé a obtenu son revenu d'emploi dans les réserves qui sont servies par Awasis, alors qu'il n'y résidait pas et qu'il n'y travaillait pas.

(page 74)

 

[66]     Finalement, la question de savoir si la nature du travail fourni devrait se voir accorder moins de poids lorsque le revenu d’emploi n’est pas rattaché à une réserve déterminée a été soulevée dans l'arrêt Desnomie, précité. En examinant le poids à donner au fait que le revenu d’emploi puisse ou non être rattaché à une réserve déterminée, le juge Rothstein a déclaré ce qui suit :

 

[21] [. . .] L'argument de l'appelant signifie que tant qu'un Indien travaille au profit d'un employeur indien et pour des Indiens venant de réserves, son revenu d'emploi devrait être exonéré d'impôt, indépendamment du lieu où lui-même, son employeur ou son emploi sont situés, ou l'endroit où il est payé. Il n'y a aucun doute quant au fait que le travail de l'appelant consiste à aider des Indiens venant des réserves quand ils en déménagent. Il n'y a aucun doute non plus quant au fait que son employeur est un organisme indien. Le problème est que ces éléments ne rattachent pas le revenu d'emploi de l'appelant à une réserve déterminée. Même s'il peut être soutenu que l'exonération de l'article 87 s'applique quand les biens d'un Indien sont situés dans une autre réserve que la sienne, dans la présente affaire, la nature de l'employeur et l'emploi ne permettent pas, à eux seuls, de déterminer une réserve donnée à laquelle les biens de l'appelant peuvent être rattachés. Par conséquent, ces éléments n'aident pas à déterminer le lieu de son revenu d'emploi.

 

[67]     Dans l'arrêt Shilling, précité, la Cour d’appel fédérale n’avait pas à décider de l’interprétation à donner aux mots « une réserve » à l’article 87. Quoi qu’il en soit, la Cour a fait référence à l’inférence faite par le juge du procès à l’effet que les biens personnels d’un Indien situés dans une réserve bénéficient d’une exemption d’impôt, déclarant:

 

[42] [. . .] Toutefois, nous ne sommes pas convaincus que le libellé de l'alinéa 87(1)b) doive être ainsi interprété, bien que nous reconnaissions que les biens personnels d'un Indien peuvent entraîner les avantages prévus à l'article 87, et ce, même si le propriétaire de ces biens ne réside pas dans une réserve, comme c'est le cas pour Mme Shilling.

 

[68]     Si on applique ces principes aux cas présents, force nous est de constater que le seul facteur qui rattache le revenu d’emploi de chacun des appelants à des réserves est la nature des services fournis. Quoi qu’il en soit, le travail n’a pas été fourni au profit d’une réserve déterminée non plus qu’au profit de la réserve que chacun des appelants considérait comme son chez-soi. Il n’y a aucun lien perceptible entre le revenu de travail et l’occupation des réserves indiennes par les appelants indiens qui demandent l’exemption (voir l'arrêt Mitchell, précité, à la page 133). Pour les années d’imposition en litige, tous les appelants résidaient dans la région de la capitale nationale, à une distance considérable de leur réserve respective. Ils travaillaient tous pour le gouvernement du Canada, représentant ses intérêts dans nombre de sujets touchant les Autochtones.

 

[69]     Tous les appelants fournissaient généralement leurs services hors des réserves et se rapportaient à leur lieu de travail fixe dans la région de la capitale nationale. Même si le travail des appelants aidait au maintien et à l’amélioration de la qualité de vie des membres des bandes vivant dans des réserves, cela ne constituait pas un facteur rattachant l’acquisition ou l’utilisation de leur revenu d’emploi au lieu où sont situées les réserves. Les circonstances entourant le travail des appelants nous amènent à penser que leur rattachement aux réserves est trop éloigné.

 

[70]     Les affaires présentement à l'étude peuvent aisément être distinguées des deux seules affaires où la Cour d’appel fédérale a maintenu une demande d’exemption d’impôt du revenu d’emploi fondée sur l’article 87. Dans l'arrêt Foster, précité, le contribuable résidait dans une réserve et était employé dans un hôpital subventionné par le gouvernement adjacent à sa réserve. Quatre-vingt pour cent des patients de l’hôpital étaient des Indiens, et historiquement l’hôpital avait été situé dans la réserve du contribuable. Dans l'affaire Amos c. Sa Majesté la Reine, C.A.F., n° A‑461-98, 17 mai 1999 (99 DTC 5333), les contribuables résidaient dans une réserve mais travaillaient hors de la réserve. Les contribuables se sont vu accorder l’exemption d’impôt parce que leur bande indienne avait accepté de céder la réserve en location, étant entendu que le bail procurerait des occasions d’emploi aux membres de la bande. Dans ces deux affaires, les circonstances entourant l’emploi des contribuables suggéraient un rattachement étroit avec leur réserve respective, et tous vivaient dans leur réserve. Ce n’est pas du tout le cas dans les présents appels.

 

[71]     Du reste, je ne puis accepter l’argument de l’avocat des appelants voulant que le moteur principal du travail des appelants n’était pas le gain d’un salaire mais le seul désir de servir la population autochtone. Le témoignage de Mme Lanigan était très clair lorsqu’elle a expliqué dans les termes suivants la raison pour laquelle elle a accepté de travailler pour le MAINC : [traduction] « chez les Premières Nations, les occasions économiques et sociales ne sont pas aussi nombreuses qu’à l’extérieur des réserves » (voir page 13 de la transcription dans le dossier 2001-4278(IT)G).

 

[72]     Cela, à mon avis, indique que les appelants désiraient s’intégrer au marché du travail canadien de la même manière que n’importe quel autre citoyen canadien. En faisant ce choix, ils ont accepté de s’intégrer totalement dans la grande société commerciale et ont accepté de ce fait d’être traités sur un pied d’égalité avec tous les autres Canadiens. Cela implique qu’ils n’acquéraient pas leur revenu de travail à titre d’Indiens dans une réserve et qu'ils n’étaient donc pas couverts par le système de protection mis en place par la Loi sur les Indiens. Qui plus est, il vaut la peine de reproduire ici les propos du feu juge Sobier dans Brant c. M.R.N., C.C.I., n° 89-8(IT), 30 septembre 1992 à la page 10 (92 DTC 2274, à la page 2279), cités avec approbation par la Cour d’appel fédérale dans l'arrêt Folster, précité, à la page 293 : « Permettre à l'appelant de bénéficier d'une exemption d'impôt sur ce revenu constituerait une tentative de remédier à la situation économiquement défavorable des Indiens qui ne peuvent trouver un emploi sur la réserve. Ce n'est pas l'objet de l'exemption de taxation accordée par l'article 87 de la Loi sur les Indiens. »

 

[73]     Finalement, tant Mme Stacey-Diabo que M. Ace ont demandé pour les employés du MAINC un traitement fiscal équivalent à celui octroyé à leurs homologues dans les réserves, comme celui des Indiens travaillant pour l’Assemblée des Premières Nations. Mme Cassaway a témoigné qu’il n’existait aucune différence entre les services prodigués par les employés du gouvernement du Canada et ceux prodigués par les employés d’autres organismes tels que l’Assemblée des Premières Nations.

 

[74]     Malheureusement, il n’y a pas grand-chose que je puisse faire à cet égard. La législation prend soin de n’exempter de l’impôt que les biens personnels d’un Indien qui se trouvent dans une réserve. Les tribunaux ont énoncé certains facteurs de rattachement liant les biens personnels à une réserve. J’ai analysé ces facteurs dans le contexte des faits pertinents des présentes affaires. Je ne puis me permettre de dire que les appelants ont été traités de façon discriminatoire par rapport à d’autres Indiens travaillant pour l’Assemblée des Premières Nations. Les appels devant moi ne touchent pas cette dernière question. Et même s’il y avait traitement discriminatoire par l’Agence des douanes et du revenu du Canada, cela n’aurait aucune influence sur ma décision, étant donné que je dois trancher les questions soulevées par les présents appels en appliquant la Loi sur les Indiens et la jurisprudence pertinente aux faits de ces espèces (voir l'arrêt Monias, précité, à la page 65, paragraphe 32).

 

[75]     En conclusion, les facteurs de rattachement concernant le revenu d’emploi gagné par les appelants situent principalement ce revenu hors des réserves. Pour ce motif, le revenu d’emploi des appelants n’était pas exempté d’impôt en vertu de l’article 87 de la Loi sur les Indiens et de l’alinéa 81(1)a) de la Loi.

 

[76]     Les appels sont rejetés, avec dépens.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 12e jour de décembre 2002.

 

 

 

 

« Lucie Lamarre »

J.C.C.I.

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 30e jour de décembre 2003.

 

 

 

 

Mario Lagacé, réviseur

 

                                                                                                                          

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