Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

 

 

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

2001-1349(IT)G

ENTRE :

NANCY JO WANNAN,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

 

 

Appel entendu le 7 octobre 2002 à Ottawa, Canada,

par l’honorable juge Terrence O’Connor

 

Comparutions

 

Avocat de l’appelante :    Me Emilo S. Binavince

 

Avocat de l’intimée :        Me Charles Camirand

 

 

JUGEMENT

 

          Les appels des nouvelles cotisations établies en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu pour les années d’imposition 1989, 1990, 1991, 1992, 1993, 1994 et 1995 sont rejetés avec frais.

 


Signé à Ottawa, Canada, ce 10e jour de décembre 2002.

 

 

 

« T. O’Connor »

J.C.C.I.

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 13e jour de décembre 2004.

 

 

 

Mario Lagacé, réviseur


 

 

 

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Date: 20021210

Dossier: 2001-1349(IT)G

 

 

ENTRE :

NANCY JO WANNAN,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge O’Connor, C.C.I.

 

[1]     Les questions en litige dans ces appels sont les suivantes :

          (i)      En vertu de l’article 160 de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi »), l’appelante a‑t‑elle une responsabilité à l’égard de certains impôts sur le revenu dus par son mari, Barry Winston Wannan (« M. Wannan »), en raison de certaines sommes que M. Wannan a transférées dans le REER de l’appelante (le « REER de la conjointe ») au cours des années allant de 1989 à 1995 inclusivement?

 

          (ii)      Dans l’affirmative, cette responsabilité est‑elle opposable à l’appelante après la réhabilitation de failli de M. Wannan?

 

          (iii)     Dans l’affirmative, une responsabilité solidaire en matière d’impôt attribuable à un transfert à la conjointe s’applique‑t‑elle à des cotisations versées au REER de la conjointe?

 

          (iv)     Les cotisations fiscales établies à l’égard de M. Wannan et de l’appelante sont‑elles frappées de prescription?

 

          (v)     Les dividendes payés par le syndic de faillite sur les biens en faillite de M. Wannan ont‑ils pour effet de décharger l’appelante de sa responsabilité?

 

[2]     Il est à noter que l’avis d’appel soulevait la question de savoir si des cotisations au REER de la conjointe peuvent être considérées comme des transferts en vertu de l’article 160 de la Loi, ainsi que la question de savoir si la valeur d’une telle cotisation doit être réduite du montant de l’impôt payable par l’appelante pour liquider le REER de la conjointe. L’avocat de l’appelante a traité non pas de ces deux questions, mais plutôt d’une question non soulevée dans l’avis d’appel, soit la question de savoir si les dividendes payés sur les biens en faillite de M. Wannan ont pour effet de décharger l’appelante de sa responsabilité.

 

[3]     L’intimée soutient que, pour les années d’imposition 1988 et 1989, M. Wannan était tenu de payer en vertu de la Loi un montant de 26 333,27 $ et que, entre le 1er janvier 1989 et le 31 décembre 1994, il a versé des cotisations de 50 850 $ au REER de sa conjointe. Je considère comme avéré que le montant de 26 333,27 $ est exact.

 

[4]     L’avocat de l’appelante concède que, entre le 1er janvier 1989 et le 31 décembre 1994, M. Wannan a versé des cotisations de plus de 26 333,27 $ au REER de sa conjointe.

 

[5]     En outre, le 16 septembre 1996, le ministre du Revenu national (le « ministre ») a établi à l’égard de M. Wannan pour l’année d’imposition 1995 une cotisation fiscale lui fixant 150 607,60 $ d’impôt, et, entre le 1er janvier et le 31 décembre 1995, M. Wannan a versé une cotisation de 7 500 $ au REER de sa conjointe.

 

[6]     L’avocat de l’intimée a d’abord soutenu que cette cotisation au REER  s’élevait à 13 125 $, mais, à l’audience, il a reconnu que le montant de 7 500 $ était exact.

 

ARGUMENTS DE L’AVOCAT DE L’APPELANTE

 

[7]     L’avocat de l’appelante a présenté les observations écrites suivantes :

 

[TRADUCTION]

6.         M. Wannan a correctement produit sa déclaration de revenu pour l’année d’imposition 1995. En attendant que sa déclaration de revenu pour 1995 soit l’objet d’une cotisation fiscale, M. Wannan a fait une cession volontaire de faillite. Les dates et faits pertinents concernant la procédure de faillite et la cotisation fiscale selon l’article 160 sont les suivants :

 

a)       10 janvier 1996 : M. Wannan a fait la cession volontaire de faillite.

 

b)       10 octobre 1996 : réhabilitation automatique de M. Wannan en vertu de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité.

 

c)       Le 23 octobre 1996, le ministre a, en tant que créancier non garanti, présenté au syndic une preuve de réclamation au titre des montants suivants :

 

            Impôt :                             161 227,92 $

            Pénalités et intérêts :           16 847,02 $

            Réclamation totale :          178 074,94 $

 

d)       L’ADRC a reçu du syndic les dividendes suivants :

 

            (i)   Paiement provisoire :           45 752,51 $

 

            (ii)  Paiement final :                    26 261,37 $ *

 

                        Dividende total :                  72 013,88 $

 

             * Montant devant être payé 15 jours après la date de taxation éventuelle ou la date du 8 octobre 2002.

 

e)       Le 8 février 1999, soit presque trois (3) ans après la réhabilitation du failli, la cotisation fiscale selon l’article 160, du montant de 39 458,27 $, a été établie.

 

f)        Le 6 août 2002, un avis de demande selon le paragraphe 39(5) de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité, avec un bordereau de dividende définitif (établi conformément à l’article 152 de ladite loi), a été déposé auprès du tribunal de la faillite.

 

g)       8 octobre 2002 : audience concernant le rapport de syndic, etc., y compris la libération du syndic (selon l’article 41 de la loi susmentionnée).

 

PARTIE III : observations de l’appelante

 

A.        Résumé des observations

 

7.         Les observations de l’appelante se rapportent à des questions de droit.

 

Ces observations sont les suivantes :

a)       Après la réhabilitation de failli de M. Wannan, une dette fiscale ne peut être fixée à l’appelante en vertu de l’alinéa 160(1)e).

 

b)       La dette fiscale de l’auteur du transfert à l’égard de laquelle le bénéficiaire du transfert a une responsabilité solidaire en vertu de l’article 160 doit exister au moment du transfert des biens.

 

c)       Le paiement par voie de dividende reçu du syndic de faillite, soit un montant de 72 013,88 $, acquitte une dette fiscale antérieure de l’auteur du transfert et, dans cette mesure, l’appelante est déchargée de la responsabilité solidaire en vertu du paragraphe 160(3).

 

d)       La cotisation fiscale selon l’article 160 est de toute façon frappée de prescription, ayant été établie en 1999.

 

B.        Examen des observations

 

            (i)        Après la réhabilitation de failli de M. Wannan, la cotisation fiscale pouvant être établie à l’égard de l’appelante est une cotisation portant qu'aucun impôt n'est payable.

 

8.          La présente affaire se rapporte à une cotisation fiscale selon l’article 160 établie presque trois (3) ans après la réhabilitation de failli du débiteur fiscal.

 

9.          La réhabilitation de failli de M. Wannan, en date du 10 octobre 1996, le libère de la dette fiscale à partir de cette date.

 

10.        L’appelante soutient que la cotisation fiscale pouvant être établie en vertu de l’article 160 le 8 février 1999 doit être une cotisation portant qu'aucun impôt n'est payable.

 

Paragraphe 178(2) de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité; Gamache c. Canada, [1996] A.C.I. no 512; Caplan c. Canada, [1995] A.C.I. no 862.

 

(ii)     La dette fiscale de l’auteur du transfert doit exister à la date du transfert

 

11.        L’appelante soutient que sa responsabilité, en tant que bénéficiaire du transfert, ne s’applique qu’à la dette fiscale de l’auteur du transfert à la date du transfert.

 

Voir l’alinéa 160(1)e), qui dit expressément « au cours de l’année d’imposition dans laquelle les biens ont été transférés ou d’une année d’imposition antérieure ou pour une de ces années ».

 

12.        Le but de l’article 160 est évident : empêcher qu’un contribuable épuise ses actifs pour se soustraire au paiement de son impôt et empêcher qu’une partie permette qu’on se serve d’elle comme instrument dans ce stratagème.

 

            Mah c. La Reine, C.F. 1re inst., no T‑1173‑90, 29 avril 1993 (93 D.T.C. 5267)

 

13.        Par conséquent, les cotisations qui ont été versées et qui sont antérieures à la dette fiscale de M. Wannan pour l’année d’imposition 1995 ne peuvent être recouvrées en l’espèce auprès de l’appelante par voie de cotisation fiscale en vertu de l’article 160 de la Loi de l’impôt sur le revenu.

 

Achtem c. Canada, [1995] A.C.I. n° 289 ([1995] 1 C.T.C. 2941) (C.C.I.)

 

(iii)    Le dividende de 72 013,88 $ payé dans la procédure de faillite éteint la dette fiscale existant aux dates des transferts pertinents

 

14.        Toute obligation selon une cotisation fiscale valide établie à l’égard de l’appelante en vertu de l’article 160 à supposer que les dettes fiscales n’aient pas été rendues nulles par la réhabilitation de failli de M. Wannan a néanmoins été éteinte par voie de paiement en vertu du paragraphe 160(3).

 

15.        L’appelante soutient que la somme de 72 013,88 $ que l’ADRC a reçue du syndic comme paiement de dividende, soit un paiement involontaire, constitue un paiement qui devrait être appliqué selon le principe « premier entré premier sorti » reconnu comme étant la règle de common law dans l'affaire Clayton. De plus, M. Wannan peut indiquer au ministre, avant la réception du dividende définitif, comment les paiements de dividende peuvent être appliqués.

 

Devaynes v. Noble; Clayton’s Case (1816), 1 Mer. 572, 35 E.R. 781. Pour une reconnaissance de l’existence de cette règle au Canada, voir : Polish Combatants’ Association Credit Union Ltd. v. Moge (1984), 9 D.L.R. (4th) 60; Greymac Trust Co. c. Ontario, [1988] 2 R.C.S. 172; Canada c. Union Gas Ltd., C.F. 1re inst., no T‑1349‑83, 12 juin 1987 ([1987] F.C.J. no. 528).

 

16.        Par conséquent, même en supposant que des dettes fiscales de M. Wannan subsistent après sa réhabilitation et même en supposant que la cotisation fiscale établie à l’égard de l’appelante en vertu de l’article 160 soit valable, les dettes fiscales à l’égard desquelles l’appelante pourrait valablement faire l’objet d’une cotisation fiscale ont été acquittées par voie de paiement, et aucune mesure de recouvrement ne peut être prise à l’encontre de l’appelante.

 

(iv)     La cotisation fiscale est frappée de prescription

 

17.        Le paragraphe 160(2) autorise la cotisation fiscale établie à l’égard de l’appelante en l’espèce. Ce paragraphe dit que les dispositions de la section I de la partie I « s’appliquent, avec les adaptations nécessaires, aux cotisations établies en vertu du présent article comme si elles avaient été établies en vertu de l’article 152 ».

 

18.        L’appelante soutient que les « adaptations » nécessaires sont les suivantes :

 

          a)       les délais prévus au paragraphe 152(4) s’appliquent à une cotisation fiscale établie en vertu de l’article 160;

 

b)       le délai de trois (3) ans doit être calculé à partir de la date du transfert; aux fins de l’article 160, la période normale de nouvelle cotisation, définie au paragraphe 152(3.1), est la période qui se termine trois (3) ans après le transfert;

 

19.        Par conséquent, comme le prévoit le paragraphe 152(5) modifié, dans la détermination de la responsabilité de l’appelante aux fins d’une cotisation fiscale selon l’article 160, un transfert antérieur à une période de trois (3) ans à partir de la date de la cotisation fiscale ne peut être inclus dans la cotisation fiscale selon l’article 160.

 

20.        Interpréter différemment les dispositions du paragraphe 160(2) équivaudrait à créer une responsabilité pour le bénéficiaire du transfert sans aucun délai de prescription. Comparativement au débiteur fiscal‑auteur du transfert, le bénéficiaire du transfert vivrait dans la crainte d’une responsabilité perpétuelle. Un tel résultat serait injuste et créerait une incertitude représentant une abomination pour l’ordre juridique dans son ensemble, ainsi que pour l’intégrité des opérations en général.

 

ARGUMENTS DE L’AVOCAT DE L’INTIMÉE

 

[11]    L’avocat de l’intimée a analysé les passages pertinents du paragraphe 160(1) de la Loi et a conclu que toutes les questions en litige doivent être tranchées en faveur de l’intimée, c'est‑à‑dire : qu’il y a eu des transferts à un moment où de l’impôt était dû; qu’il n’y a pas de doute que des cotisations au REER de la conjointe constituent des transferts de biens au sens du paragraphe 160(1); qu’il est indiscutable qu’aucune cotisation fiscale n’est frappée de prescription; que la réhabilitation de failli de M. Wannan et le paiement des dividendes sur les biens en faillite n’ont pas pour effet de décharger l’appelante de sa responsabilité.

 

ANALYSE

 

[12]    Les passages pertinents du paragraphe 160(1) se lisent comme suit :

 

(1)        Lorsqu’une personne a [...] transféré des biens […] à […]

 

a)  son époux [...]

           

les règles suivantes s’appliquent :

 

d) le bénéficiaire et l’auteur du transfert sont solidairement responsables du paiement d’une partie de l’impôt de l’auteur du transfert […] pour chaque année d’imposition égale à l’excédent de l’impôt pour l’année sur ce que cet impôt aurait été sans [le transfert au conjoint], à l’égard de tout revenu tiré des biens ainsi transférés [...]

 

e)         le bénéficiaire et l’auteur du transfert sont solidairement responsables du paiement en vertu de la présente loi d’un montant égal au moins élevé des montants suivants :

 

(i) l’excédent éventuel de la juste valeur marchande des biens au moment du transfert sur la juste valeur marchande à ce moment de la contrepartie donnée pour le bien,

 

(ii) le total des montants dont chacun représente un montant que l’auteur du transfert doit payer en vertu de la présente loi au cours de l’année d’imposition dans laquelle les biens ont été transférés ou d’une année d’imposition antérieure ou pour une de ces années;

 

aucune disposition du présent paragraphe n’est toutefois réputée limiter la responsabilité de l’auteur du transfert en vertu de quelque autre disposition de la présente loi.

 

[13]    Le paragraphe 160(1) indique clairement qu’il y a une responsabilité solidaire à l’égard de l’impôt dû par une personne en raison d’un transfert de biens à son conjoint. Quoique ce puisse sembler un peu élémentaire, je passe à la question de savoir s’il est satisfait en l’espèce aux deux conditions suivantes : a) il y a eu un transfert; b) il s’agissait d’un transfert de biens.

 

[14]    En ce qui a trait à la question de savoir si un transfert a été fait à la contribuable en l’espèce par son conjoint, je remarque que, dans son mémoire, l’appelante utilise presque à contrecœur le mot « transfert ». Ce mot n’est pas défini au paragraphe 248(1) de la Loi. Dans Black’s Law Dictionary, sixième édition, la définition du substantif anglais « transfer » commence comme suit : [TRADUCTION] « Acte des parties ou acte juridique par lequel le titre de propriété est cédé par une personne à une autre [...] »; quant au verbe anglais « transfer », il y est défini comme signifiant : [TRADUCTION] « [...] en particulier, céder la possession ou le contrôle [...] Vendre ou donner ».

 

[15]    Il semble tout à fait évident qu’un transfert a bel et bien été effectué en l’espèce. Le conjoint de l’appelante a versé des cotisations au REER de l’appelante. Vraisemblablement, ces fonds, une fois dans le REER, étaient sous le seul contrôle de l’appelante et étaient donc, vu l’absence apparente d’autres stipulations, en la possession de l’appelante. La jurisprudence considère automatiquement comme des transferts des actes semblables à celui qui est en cause dans la présente espèce.

 

[16]    En ce qui concerne la seconde condition, l’appelante a argué que « le contexte de l’article 160 indique clairement que le mot « biens » au sens de l’article 160 n’inclut pas de l’argent ».

 

[17]    La définition du mot « biens » figurant dans la Loi est ainsi libellée :

 

ARTICLE 248 : Définitions.

 

[...]

 

« biens » Biens de toute nature, meubles ou immeubles, corporels ou incorporels, y compris, sans préjudice de la portée générale de ce qui précède,

 

[...]

 

b) à moins d’une intention contraire évidente, l’argent, [...]

 

[18]    Rien n’indique qu’une intention contraire sous‑tend l’article 160 de la Loi; le mot « biens » inclut de l’argent. De plus, dans la jurisprudence, on a considéré ce concept comme si évident que l’on ne s’est pas donné la peine de faire une distinction entre des transferts de biens immeubles et des transferts d’argent.

 

[19]    En résumé, comme un transfert de biens avait été fait à la contribuable par son conjoint, la contribuable aurait une responsabilité solidaire à l’égard de l’impôt dû par son conjoint. Les limites relatives à la responsabilité de la contribuable sont examinées ci‑après.

 

À QUEL MOMENT NAÎT LA RESPONSABILITÉ DE L’APPELANTE

 

[20]    L’appelante argue que son conjoint n’a été mis au courant de la cotisation fiscale du ministre pour les années d’imposition 1988 et 1989 qu’en 1993 et que les cotisations versées avant cette date ne devraient donc pas être prises en compte dans la détermination de la responsabilité solidaire de l’appelante. Il est toutefois bien établi qu’une obligation fiscale résulte d’un revenu imposable et non d’une cotisation ou nouvelle cotisation.

 

[21]    Dans l’affaire Heavyside c. Canada, [1996] A.C.I. n° 170 (C.C.I.), le juge Beaubier a dit, au paragraphe 5 :

 

Il est bien établi que c’est le revenu imposable d’un contribuable et non une cotisation ou nouvelle cotisation qui donne lieu à une obligation fiscale (The Queen v. Simard-Beaudry Inc. et al., 71 D.T.C. 5511).  Un contribuable est donc assujetti à l’impôt pour une année d’imposition même si le ministre du Revenu national n’a pas déterminé l’impôt à payer.

 

[22]    Le revenu imposable dans ce cas‑ci remontait aux années d’imposition 1988 et 1989. Il s’agissait du revenu imposable du mari de l’appelante, et il incombait au mari de l’appelante de payer l’impôt dû, mais l’appelante est devenue solidairement responsable à l’égard de l’impôt dû en raison des cotisations versées au REER.

 

[23]    L’appelante argue que les cotisations fiscales considérées en l’espèce — c'est‑à‑dire la cotisation initiale établie à l’égard du conjoint de l’appelante et la cotisation établie à l’égard de l’appelante relativement à sa responsabilité solidaire — sont frappées de prescription. Quoiqu’il y ait bel et bien des dispositions législatives, notamment à l’article 152, quant à savoir quand le ministre peut établir des cotisations fiscales, le paragraphe 160(2) (tel qu’il se lisait à cette époque) disait :

 

(2)  Le ministre peut, à tout moment, établir une cotisation à l’égard d’un bénéficiaire du transfert pour toute somme payable en vertu du présent article et les dispositions de la présente section s’appliquent, avec les adaptations nécessaires, à une cotisation faite en vertu du présent article comme si elle avait été faite en vertu de l’article 152.

 

[24]    Il est clair que le paragraphe 160(2) dispose que le ministre peut « à tout moment » établir une cotisation fiscale à l’égard du bénéficiaire d’un transfert au titre de l’impôt dû par l’auteur du transfert à l’époque du transfert. Ce qui est particulier en l’espèce, c’est que les cotisations au REER en question étaient des transferts périodiques. Le paragraphe 160(2) permet donc au ministre d’établir une cotisation fiscale à l’égard de l’appelante au titre de l’impôt dû pour chaque année au cours de laquelle une cotisation au REER a été versée.

 

[25]    De plus, d’après le paragraphe 22,780 de CCH Commentary, le paragraphe 160(2) indique que le ministre peut établir une cotisation fiscale à l’égard de chaque contribuable ayant une responsabilité solidaire en vertu de l’article 160 et qu’une telle cotisation a le même effet qu’une cotisation fiscale établie en vertu de l’article 152.

 

[26]    En résumé, la responsabilité en matière d’impôt résultant d’un transfert naît au moment de ce transfert, mais s’applique à des sommes dues pour des années précédentes. Comme M. Wannan devait de l’impôt lorsqu’il a versé les cotisations au REER, l’appelante est devenue solidairement responsable à cet égard à partir de 1989, même si l’impôt dû remontait à l’année 1988 ou à une période antérieure.

 

ÉTENDUE DE LA RESPONSABILITÉ DE L’APPELANTE

 

[27]    En vertu de l’alinéa 160(1)e), le montant à l’égard duquel la contribuable est responsable est égal au moins élevé des montants suivants :

 

(i) l’excédent éventuel de la juste valeur marchande des biens au moment du transfert sur la juste valeur marchande à ce moment de la  contrepartie donnée pour le bien;

 

(ii) le total des montants dont chacun représente un montant que l’auteur du transfert doit payer en vertu de la présente loi au cours de l’année d’imposition dans laquelle les biens on été transférés ou d’une année d’imposition antérieure ou pour une de ces années;

 

[28]    En l’espèce, les biens en cause étaient les cotisations au REER de la conjointe. Aucune contrepartie n’a été versée au titre de ce transfert. Donc, la juste valeur marchande des biens transférés était le montant des cotisations effectivement versées au REER.

 

[29]    M. Wannan a fait l’objet d’une cotisation fiscale en 1993 relativement à de l’impôt dû pour les années d’imposition 1988 et 1989. On ne conteste pas le fait que, bien qu’il ait été redevable de ce montant, M. Wannan a, entre le 1er janvier 1989 et le 31 décembre 1994, versé des cotisations supérieures à ce montant.

 

[30]    Le montant total de l’impôt dû par M. Wannan est donc le moins élevé des montants suivants : le montant des cotisations versées et le montant total de l’impôt dû par le conjoint de l'appelante pour les années d’imposition 1988 et 1989.

 

[31]    L’appelante argue que l’obligation fiscale pour 1988 n’entre pas en ligne de compte dans la présente espèce, car les transferts de biens ont eu lieu en 1989 et dans les années suivantes. Toutefois, l’alinéa 160(1)e) indique explicitement que la responsabilité de l’appelante s’applique à l’impôt dû par son conjoint dans l’année du transfert ou une année antérieure. L’appelante a donc une responsabilité à l’égard de l’impôt dû par son conjoint pour l’année d’imposition 1988.

 

PERTINENCE DE LA RÉHABILITATION DE FAILLI DE L’AUTEUR DU TRANSFERT PAR RAPPORT À L’APPELANTE

 

[32]    Dans l’affaire Heavyside c. Canada, [1996] A.C.F. n° 1608, la Cour d'appel fédérale a rejeté toutes les décisions antérieures associant la réhabilitation d’un failli à une dette plutôt qu’à une personne. Au paragraphe 12, la Cour d'appel fédérale dit :

 


Il ne fait aucun doute que la libération du conjoint consécutive à sa faillite le soustrait à son obligation de payer au ministre la somme qu’il devait aux termes de l’article 160 de la Loi de l’impôt sur le revenu; c’est ce qui ressort clairement du paragraphe 178(2) de la Loi sur la faillite.  Mais l’ordonnance de libération n’éteint pas la dette; cette dette est une responsabilité personnelle du conjoint et elle ne porte aucunement atteinte à la responsabilité de l’intimée qui est conjointement liée.  Comme le soulignait le juge Sarchuk, de la C.C.I., dans la décision Garland [Voir Note 5 ci-dessous], au sujet de l’article 179 de la Loi sur la faillite [Voir Note 6 ci-dessous], il est clair que l’intention de cet article n’est pas de libérer une personne qui était "conjointement liée" au failli au moment de la libération de ce dernier.  À moins qu’un paiement ne soit fait aux termes du paragraphe 160(3) de la Loi, la responsabilité du bénéficiaire du transfert demeure en vigueur, et la libération obtenue aux termes de la Loi sur la faillite n’est tout simplement pas un paiement aux termes du paragraphe 160(3).      

Note 6 :  L’article 179 de la Loi sur la faillite, L.R.C. (1985), ch. B-3, est formulé dans les termes suivants :

179. Une ordonnance de libération ne libère pas une personne qui, au moment de la faillite, était un associé du failli ou coadministrateur avec le failli, ou était conjointement liée ou avait passé un contrat en commun avec lui, ou une personne qui était caution ou semblait être une caution pour lui.

 

[33]    Dans l’affaire Heavyside, au paragraphe 10, le juge Décary a souligné que, même si une contribuable fait l’objet d’une cotisation après que son conjoint a été libéré d’une faillite, cela « n’a aucun effet sur sa propre obligation fiscale ».

 

[34]    En outre, je suis convaincu que les montants transférés n’ont pas à être réduits du fait que l’appelante pouvait théoriquement être tenue de payer de l’impôt si elle liquidait son REER. Elle était libre d’utiliser d’autres actifs que le REER de manière à éviter de payer de l’impôt.

 

MONTANTS PRÉCIS À L’ÉGARD DESQUELS L’APPELANTE A UNE RESPONSABILITÉ

 

[35]    Vu le raisonnement tenu précédemment, je peux maintenant déterminer des chiffres précis quant à la responsabilité de l’appelante.

 

[36]    Le montant de l’impôt dû par M. Wannan pour les années d’imposition 1988 et 1989 était de 26 333,27 $. L’appelante et l’intimée ont dit que les cotisations que M. Wannan a versées au REER de l’appelante pour les années 1989 à 1994 étaient supérieures à ce montant. Conformément au paragraphe 160(1) de la Loi, l’appelante a donc une responsabilité à l’égard du moins élevé de ces deux montants, soit 26 333,27 $, relativement à l’impôt dû par M. Wannan pour les années d’imposition 1988 et 1989.

 

[37]    Le montant de l’impôt dû par M. Wannan pour l’année d’imposition 1995 était de 150 607,60 $. L’appelante fait valoir que les cotisations versées à son REER par M. Wannan pour l’année d’imposition 1995 s’élevaient à 7 500 $, et l’intimée accepte ce montant. Par conséquent, l’obligation de l’appelante représente au total 33 833,27 $ (26 333,27 $ + 7 500 $).

 

CONCLUSION

 

[38]    À mon avis, pour les raisons principales suivantes, l'appelante ne peut obtenir gain de cause :

 

1.       Le paragraphe 160(1) de la Loi s’applique, de sorte que l’appelante a une responsabilité en tant que bénéficiaire du transfert, et le paragraphe 160(2) dit que le ministre peut à tout moment établir une cotisation fiscale à l’égard d'un bénéficiaire d’un transfert.

 

2.       La décision rendue par la Cour d'appel fédérale dans l’affaire Heavyside indique clairement que la réhabilitation d’un failli n'a pas pour effet de décharger la bénéficiaire d’un transfert de sa responsabilité.

 

3.       Les cotisations fiscales en cause ne sont pas frappées de prescription.

 

4.       Les décisions rendues dans les affaires Gamache et Caplan étaient mal fondées.

 

5.       Je ne suis pas d’accord pour dire que, dans les circonstances exposées en l’espèce, le principe « premier entré premier sorti » s’applique. Je ne suis pas d’accord non plus pour dire que le débiteur peut choisir quelles dettes sont acquittées grâce aux dividendes de liquidation. Les dividendes de liquidation de 72 013,88 $ (ce qui inclut le paiement final mentionné dans les observations de l’appelante) ramènent de 178 074,94 $ à 106 061,06 $ la réclamation totale du ministre à l’égard des biens du failli. La dette impayée s’élevait donc à 106 061,06 $. Ce montant est bien supérieur au montant de 33 833,27 $ à l’égard duquel l’appelante est responsable. Permettre à l’appelante ou à M. Wannan d’appliquer les 72 013,88 $ à l’obligation fiscale de 33 833,27 $ serait contraire à l’objet global du paragraphe 160(1).

 

[39]    En outre, même si M. Wannan avait pu choisir que les 72 013,88 $ s’appliquent à l’obligation fiscale de 33 833,27 $ — mais je ne crois pas qu’il ait été légalement en droit de le faire —, il ne l’a pas fait. Quoi qu’il en soit, le paiement a été effectué par le syndic de faillite, qui agit dans l’intérêt des créanciers et non dans l’intérêt du failli ou d’une personne solidairement responsable avec le failli.

 

[40]    Pour tous les motifs énoncés précédemment, les appels sont rejetés avec frais.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 10e jour de décembre 2002.

 

 

« T. O’Connor »

J.C.C.I.

 

Traduction certifiée conforme

ce 13e jour de décembre 2004.

 

 

 

Mario Lagacé, réviseur

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.