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[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

 

2002‑2889(IT)I

ENTRE :

SUCCESSION DE FEU RONALD CLAUSSEN,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

 

Appel entendu le 27 novembre 2002 à Vancouver (Colombie‑Britannique) par

 

l’honorable juge E. A. Bowie

 

Comparutions :

 

Représentante de l’appelante :        Jan Claussen

Avocat de l’intimée :                      Me Victor Caux

 

 

JUGEMENT

 

L’appel interjeté à l’encontre de la cotisation d’impôt établie en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu pour l’année d’imposition 1999 est accueilli et la cotisation est déférée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation au motif que l’appelante a le droit d’inclure dans le calcul de son revenu les frais de déplacement de Jan Claussen, tels qu’ils ont été demandés en vertu du paragraphe 118.2(2) de la Loi.

 

 

 

 

 

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 13e jour de janvier 2003.

 

 

 

« E. A. Bowie »

J.C.C.I.

 

Traduction certifiée conforme

ce 5jour d’avril 2004.

 

 

 

 

Nancy Bouchard, traductrice

 

 

 


 

 

 

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

 

 

Date : 20030113

Dossier : 2002‑2889(IT)I

 

ENTRE :

 

SUCCESSION DE FEU RONALD CLAUSSEN,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Bowie

 

[1]     Mme Jan Claussen a comparu devant moi à titre de représentante de la succession de son défunt mari, Ronald Claussen, dans le cadre d’un appel interjeté à l’encontre d’une cotisation d’impôt sur le revenu établie pour l’année d’imposition 1999. La question en litige consiste à savoir si M. Claussen avait droit à un crédit d’impôt en vertu de l’article 188.2 de la Loi de l’impôt sur le revenu (la Loi) à l’égard de certains frais médicaux que Mme Claussen a engagés pour son propre compte. Au départ, un certain nombre de points faisaient l’objet d’un litige, mais au cours de l’audience, Mme Claussen m’a informé qu’elle n’en contestait maintenant que deux. L’un d’entre eux portait sur les dépenses qu’elle a engagées pour se déplacer de Powell River, en C.‑B., à Vancouver en vue de consulter le Dr Chan, un naturopathe exerçant dans cette ville. L’autre point en litige concerne la somme de 11 810,91 $ qu’elle a versée pour l’achat de médicaments, de produits pharmaceutiques et d’autres préparations ou substances (les médicaments) que le Dr Chan lui avait prescrits sur ordonnance afin qu’elle puisse les utiliser, mais que ni le Dr Chan ni un pharmacien ne lui avaient fournis. Après avoir entendu le témoignage de Mme Claussen, l’avocat de l’intimée a reconnu, à très juste titre, que les frais de déplacement étaient une dépense justifiée qui devait être admise en vertu de l’alinéa 118.2(2)h) de la Loi.

 

[2]     Si la Cour doit déterminer que l’appelante a droit à un crédit d’impôt à l’égard des médicaments, alors la décision doit se fonder sur le fait que ces médicaments peuvent tomber sous le coup de l’alinéa 118.2(2)n) :

 

118.2(2)           Pour l’application du paragraphe (1), les frais médicaux d’un particulier sont les frais payés :

 

                        a)         []

 

n)         pour les médicaments, les produits pharmaceutiques et les autres préparations ou substances – sauf s’ils sont déjà visés à l’alinéa k) – qui sont, d’une part, fabriqués, vendus ou offerts pour servir au diagnostic, au traitement ou à la prévention d’une maladie, d’une affectation, d’un état physique anormal ou de leurs symptômes ou en vue de rétablir, de corriger ou de modifier une fonction organique et, d’autre part, achetés afin d’être utilisés par le particulier, par son conjoint ou par une personne à charge visée à l’alinéa a), sur ordonnance d’un médecin ou d’un dentiste, et enregistrés par un pharmacien; 

 

 

[3]     Il n’est pas contesté que l’appelante a réellement engagé les dépenses demandées qui ont donné lieu à la demande du crédit d’impôt ou que les médicaments ont été prescrits par le Dr Chan. Le ministre fonde le refus de ce crédit entièrement sur l’incapacité de l’appelante à démontrer que les médicaments ont été « [] enregistrés par un pharmacien ». Les médicaments en question consistaient en des vitamines et des remèdes à base de plantes médicinales. Le Dr Chan avait offert et vendu à l’appelante des médicaments semblables, et un crédit d’impôt avait été accordé à l’appelante en vertu de l’alinéa 118.2(2)a) au titre de services médicaux, crédit d’impôt qui comprenait le coût de ces mêmes médicaments. 

 

[4]     L’expression « [] enregistrés par un pharmacien » a récemment attiré l’attention des tribunaux dans une large mesure. Dans l’affaire Frank c. La Reine[1], le juge Teskey a soutenu que l’obligation avait été respectée puisqu’un pharmacien avait vendu les médicaments à la patiente, et ce, même s’ils ne figuraient pas sur la liste des médicaments destinés seulement à la vente sur ordonnance. Les bordereaux d’achat ou de vente du pharmacien étaient suffisants pour remplir l’obligation relative à l’enregistrement des médicaments. Dans l’affaire Pagnotta c. La Reine[2], le juge Miller devait se pencher sur une demande d’un crédit d’impôt en vertu de l’alinéa n) découlant de l’achat d’herbes et de suppléments qu’un médecin avait prescrits à l’appelante et dont certains avaient été fournis par un pharmacien et d’autres ne l’avaient pas été. Aucune de ces substances ne figurait sur la liste des médicaments destinés à la vente sur ordonnance seulement. Après avoir examiné attentivement l’alinéa n), il a conclu, suivant la décision Frank, que ces articles achetés dans une pharmacie satisfaisaient l’obligation exigeant qu’ils soient enregistrés par un pharmacien, contrairement à d’autres substances que l’appelante avait achetées ailleurs. Le juge Miller a reconnu qu’il s’agissait d’une interprétation libre des derniers mots contenus dans l’alinéa n), mais il était d’avis que cette interprétation était justifiée si l’on voulait réaliser l’objectif de la Loi. Sa décision selon laquelle des médicaments qui ne sont pas vendus par un pharmacien ne peuvent être admissibles à un crédit d’impôt a été adoptée par le juge suppléant Rowe dans l’affaire Dunn c. La Reine[3] ainsi que par le juge McArthur dans l’affaire  Melnychuk c. La Reine[4] qui, tous deux, auraient préféré accorder le crédit d’impôt, mais qui ont conclu qu’ils ne le pouvaient pas au motif qu’ils ne pouvaient ignorer les derniers mots contenus dans l’alinéa n).

 

[5]     La décision qu’a rendue le juge O’Connor dans l’affaire Ray c. La Reine[5] est la seule que peut faire valoir l’appelante pour appuyer sa position. Dans cette affaire, tout comme celle en l’espèce, les médicaments avaient été prescrits par un médecin mais n’avaient pas été obtenus auprès d’un pharmacien ni enregistrés par ce dernier. Il ne s’agissait pas de médicaments sur ordonnance, mais le juge O’Connor a conclu qu’ils étaient  nécessaires pour maintenir l’appelante en vie. Après avoir examiné les décisions du juge Teskey dans l’affaire Frank, du juge Miller dans l’affaire Pagnotta et du juge suppléant Rowe dans l’affaire Dunn, il a déclaré au paragraphe 20 de ses motifs ce qui suit :

 

En toute déférence, je dirais que, à cause de l'ambiguïté de la disposition législative, on a fait des acrobaties judiciaires pour que la situation d'un contribuable soit considérée comme entrant dans le cadre de la disposition législative. Je suis d'avis que le bon sens devrait prévaloir. Si les médicaments sont prescrits par un médecin et que la vie ou l'autonomie d'une personne dépend de ces médicaments, ceux‑ci devraient être considérés comme entrant dans le cadre de l'alinéa 118.2(2)n).

 

La question de savoir s’il y a ambiguïté en droit a récemment été abordée par le juge Iacobucci dans l’affaire Bell ExpressVu[6]. Il s’est exprimé dans les termes suivants[7] :

 

Qu'est‑ce donc qu'une ambiguïté en droit? Une ambiguïté doit être « réelle ». Le texte de la disposition doit être [traduction] « raisonnablement susceptible de donner lieu à plus d'une interprétation » (Westminster Bank Ltd. c. Zang, [1966] A.C. 182 (H.L.), p. 222, lord Reid). Il est cependant nécessaire de tenir compte du « contexte global » de la disposition pour pouvoir déterminer si elle est raisonnablement susceptible de multiples interprétations.  

 

[6]     J’admets que les derniers mots de l’alinéa 118.2(2)n) de la Loi, examinés dans leur contexte comme faisant partie d’un ensemble de dispositions conçues afin de prévoir une mesure de redressement contre le fardeau fiscal qui incombe aux particuliers qui sont atteints, ou comme dans l’affaire en l’espèce dont les personnes à charge sont atteintes, d’une maladie, peuvent prêter à plusieurs sens. De façon tout à fait concevable, ils peuvent renvoyer à l’obligation imposée à un pharmacien qui prépare une ordonnance pour un médicament figurant à l’annexe F en vertu du Règlement sur les aliments et drogues en vue de tenir à jour un registre des ordonnances délivrées, ce qui semble toutefois improbable, puisque l’alinéa n) fait mention de substances qui ne relèveraient certainement pas de la catégorie des drogues prévues à l’annexe F. Ils peuvent également renvoyer à l’obligation en vertu des dispositions législatives provinciales imposée aux pharmaciens de tenir un registre à jour des ordonnances délivrées à chaque patient ou encore, ils peuvent simplement renvoyer à l’enregistrement dans la caisse enregistreuse de la vente d’un produit qui relève de la catégorie des substances dont il est fait mention à l’alinéa n), comme c’était le cas dans les affaires que j’ai citées précédemment. Cependant, ces mots doivent avoir une signification. Avec tout le respect que je dois au juge O’Connor, à mon avis, il n’appartient pas à la Cour de simplement recopier les termes que contiennent les dispositions législatives au motif que leur signification est ambiguë. Dans l’affaire Bell Express Vu, le juge Iacobucci stipule clairement que si l’on relève une ambiguïté, alors la Cour doit faire en sorte de la dissiper à l’aide d’outils externes et des principes d’interprétation. Selon l’un des principes fondamentaux d’interprétation, les termes contenus dans une disposition législative ne peuvent être rendus comme inopérants. Toutefois, il ne m’est pas nécessaire de décider si les juges Teskey et Miller étaient justifiés de rendre la conclusion selon laquelle une vente par un pharmacien suffit pour satisfaire l’obligation prévue à l’alinéa n); pour ma part, je ne peux conclure qu’un achat qui n’implique pas une pharmacie ou un pharmacien est admissible. 

 

[7]     Je ne voudrais pas conclure la présente affaire sans d’abord exprimer mon accord avec les propos du juge en chef adjoint Bowman qui, dans un bref jugement oral rendu dans l’affaire Banman c. La Reine[8], a suggéré que tôt ou tard le gouvernement devra songer à modifier cette disposition législative de façon à accorder un crédit d’impôt afin de couvrir les médicaments homéopathiques et les formes de traitement de rechange qui sont de plus en plus présents sur le marché et qui, dans certains cas, s’avèrent efficaces.  L’affaire en l’espèce démontre cette nécessité d’apporter certaines modifications à la loi. L’appelante se trouve dans une position où elle a droit à un crédit d’impôt pour l’achat de certains médicaments que le Dr Chan lui a offerts et vendus mais à qui on a refusé un crédit d’impôt à l’égard de ces mêmes médicaments achetés dans un point de vente au détail, parce qu’il ne s’agit pas d’une pharmacie. Rien ne laisse sous‑entendre que les médicaments n’ont été d’aucune efficacité; en fait, il semble que le contraire soit vrai. La distinction que fait la loi ne s’appuie sur aucun principe médical apparent. Ce genre de situation exige une réforme. Toutefois, seul le législateur peut intervenir; quant à la Cour, elle doit appliquer la loi telle qu’elle est rédigée.

 

[8]     L’appel sera accueilli et la cotisation sera déférée au ministre pour nouvel examen et nouvelle cotisation, mais seulement de manière à d’augmenter la base en fonction de laquelle le crédit d’impôt est calculé par le montant des frais de déplacement qui ont été précédemment refusés.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 13e jour de janvier 2003.

 

 

 

 

« E. A. Bowie »

J.C.C.I.

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 5jour d’avril 2004.

 

 

 

 

Nancy Bouchard, traductrice

 


 

 

 



[1]           C.C.I., no 2000‑3586(IT)I, 30 avril 2001 ([2001] 3 C.T.C. 2596).

[2]           C.C.I., no 2000‑4291(IT)I, 27 août 2001 ([2001] 4 C.T.C. 2613).

[3]           C.C.I., no 2001‑1628(IT)I, 18 janvier 2002 ([2002] 2 C.T.C. 2007).

[4]           C.C.I., no 2001‑2232(IT)I, 10 janvier 2002 ([2002] 2 C.T.C. 2389).

[5]           C.C.I., no 2002‑710(IT)I, 20 septembre 2002 ([2002] 4 C.T.C. 2590).

[6]           Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, [2002] 2 R.C.S. 559.

[7]           Au paragr. 29.

[8]           C.C.I., no 2000‑4039(IT)I, 20 février 2001 ([2001] 2 C.T.C. 2111).

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