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Dossier : 2003-2345(EI)

ENTRE :

UNION OF SASKATCHEWAN GAMING EMPLOYEES LOCAL 40005,

appelant,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

SOCIÉTÉ DES JEUX DE HASARD DE LA SASKATCHEWAN,

intervenante.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

__________________________________________________________________

Appel entendu le 28 avril 2004 à Ottawa (Ontario).

Devant : L'honorable Lucie Lamarre

Comparutions :

Avocat de l'appelant :

Me James Cameron

Avocate de l'intimé :

Me Joanna Hill

Avocat de l'intervenante :

Me Kurt Wintermute

____________________________________________________________________

JUGEMENT

          L'appel interjeté en vertu du paragraphe 103(1) de la Loi sur l'assurance-emploi est rejeté et la décision rendue par le ministre du Revenu national le 26 mars 2003 est confirmée.

Signé à Ottawa, Canada, ce 7e jour de décembre 2004.

« Lucie Lamarre »

Juge Lamarre

Traduction certifiée conforme

ce 21e jour de juillet 2005.

Sara Tasset


Citation : 2004CCI799

Date : 20041207

Dossier : 2003-2345(EI)

ENTRE :

UNION OF SASKATCHEWAN GAMING EMPLOYEES LOCAL 40005,

appelant,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

SOCIÉTÉ DES JEUX DE HASARD DE LA SASKATCHEWAN,

intervenante.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS DU JUGEMENT

La juge Lamarre

[1]      Le présent appel fait suite à une décision rendue par le ministre du Revenu national (le « ministre » ) le 26 mars 2003, où il a déterminé que les pourboires versés à des employés de la Société des jeux de hasard de la Saskatchewan ( « SGC » ), (soit à Shauna Predenchuk au cours de la période allant du 29 mai 1999 au 10 décembre 2000, à Ljilijana Dundjerovic au cours de la période allant du 23 août 1999 au 5 mars 2000 et à Viviana Floer au cours de la période allant du 11 décembre 2000 au 24 juin 2001) constituaient une rémunération assurable et que l'appelant était l'employeur présumé aux fins du calcul de cette rémunération ainsi que du paiement, de la retenue et du versement des cotisations d'assurance-emploi exigibles à l'égard de cette rémunération durant les périodes susmentionnées, car c'est l'appelant qui a versé les pourboires (pièce A-3). Le ministre s'est appuyé sur les paragraphes 2(1) et 10(1) du Règlement sur la rémunération assurable et la perception des cotisations ( « RRAPC » ), qui sont rédigés comme suit :

PARTIE 1

RÉMUNÉRATION ASSURABLE

Rémunération provenant d'un emploi assurable

          2. (1) Pour l'application de la définition de « rémunération assurable » , au paragraphe 2(1) de la Loi et pour l'application du présent règlement, le total de la rémunération d'un assuré provenant de tout emploi assurable correspond à l'ensemble des montants suivants :

a) le montant total, entièrement ou partiellement en espèces, que l'assuré reçoit ou dont il bénéficie et qui lui est versé par l'employeur à l'égard de cet emploi;

b) le montant de tout pourboire que l'assuré doit déclarer à l'employeur aux termes de la législation provinciale.

[...]

Autres employeurs présumés

           10. (1) Lorsque, dans un cas non prévu par le présent règlement, un assuré travaille :

a) soit sous la direction générale ou la surveillance directe d'une personne qui n'est pas son véritable employeur, ou est payé par une telle personne,

b) soit avec l'assentiment d'une personne qui n'est pas son véritable employeur dans un lieu ou un local sur lequel cette personne a certains droits ou privilèges aux termes d'une licence, d'un permis ou d'une convention,

cette personne est réputée, aux fins de la tenue des registres, du calcul de la rémunération assurable de l'assuré ainsi que du paiement, de la retenue et du versement des cotisations exigibles à cet égard aux termes de la Loi et du présent règlement, être l'employeur de l'assuré conjointement avec le véritable employeur.

[2]       Dans son appel, l'appelant ne remet pas en question le fait que les pourboires constituent une rémunération assurable. Il conteste seulement la décision suivant laquelle il est l'employeur présumé en ce qui concerne le versement des pourboires et donc responsable de la retenue des cotisations d'assurance-emploi exigibles à l'égard de ces pourboires.

[3]       SGC, l'intervenante, conteste le caractère assurable des pourboires mais soutient que, si les pourboires sont assurables, elle est d'accord avec la décision du ministre de présumer que l'appelant est l'employeur aux fins de la retenue des cotisations exigibles à leur égard.

[4]       L'intimé, ce qui est surprenant et contraire à la décision du ministre qui fait l'objet du présent appel, a fait valoir à l'audience que les pourboires versés aux employés de SGC par l'appelant ne constituaient pas une rémunération assurable dans ces circonstances particulières.

[5]       L'appelant conteste cette nouvelle position adoptée par l'intimé et est aussi d'avis, étant donné que le caractère assurable des pourboires n'a pas été contesté dans l'avis d'appel, que l'intervenante et l'intimé n'ont plus la possibilité de le remettre en question. Selon l'appelant, l'intervenante aurait dû interjeter appel de la décision du ministre datée du 26 mars 2003 si elle souhaitait faire valoir ce point. L'appelant prétend que l'intervenante ne peut soulever un point qui n'a pas été mentionné dans l'avis d'appel.

[6]       Avant de statuer sur ce dernier point, et sur ceux qu'ont avancés les parties, je reproduirai les faits tels qu'ils ont été résumés par l'intervenante, correctement à mon avis, dans les paragraphes 3 à 20 de son exposé des faits et du droit.

           [TRADUCTION]

III. Faits

3.      L'intervenante est une société de la Couronne du Conseil du Trésor établie en vertu de la loi intitulée The Saskatchewan Gaming Corporation Act, 1994, LS 1994, ch. S-18.2.

4.      SGC exploite et gère le Casino Regina à Regina, en Saskatchewan.

5.      Le Casino Regina a ouvert ses portes au public en janvier 1996.

6.      L'appelant est une section locale de l'Alliance de la Fonction publique du Canada (l' « AFPC » ). L'AFPC est un agent négociateur accrédité d'un groupe désigné d'employés de l'intervenante.

7.      L'appelant et l'intervenante ont conclu une convention collective datée du 9 septembre 1997 pour la période allant du 1er juin 1997 au 31 mai 2000 (la « première convention collective » ). L'appelant et l'intervenante ont conclu une deuxième convention collective datée du 25 janvier 2001 pour la période allant du 1er juin 2000 au 31 mai 2003 (la « deuxième convention collective » ).

Avant les conventions collectives - collecte et distribution des pourboires

8.       Avant la première convention collective, l'intervenante était responsable de la collecte, du comptage et de la distribution des pourboires à ses employés qui travaillaient à divers endroits désignés du casino. L'intervenante avait placé des boîtes à pourboires aux divers endroits désignés du casino dans lesquelles les employés du casino étaient tenus de mettre tous les pourboires reçus des clients. Les boîtes à pourboires étaient ramassées par le personnel de sécurité à divers intervalles et emportées à la salle de comptage située dans la banque interne du casino. La fréquence de collecte des boîtes à pourboires variait en fonction de l'endroit où chaque boîte se trouvait dans le casino, les boîtes situées à des endroits comme les tables de jeu étant ramassées plus fréquemment qu'à d'autres endroits comme le service à la clientèle.

9.       Chaque fois que les boîtes à pourboires étaient ramassées par le personnel de sécurité et emportées à la banque interne, leur contenu était compté par des membres de l'équipe de comptage et consigné séparément sur un relevé des pourboires pour chaque endroit désigné du casino, notamment : la Sécurité, les machines à sous, les tables de jeu, les caissiers et le Service à la clientèle. Le directeur de l'équipe de la banque vérifiait ensuite le comptage des pourboires pour chaque endroit et consignait le montant des pourboires dans le système informatique du casino, qui générait ensuite un reçu. L'argent des pourboires était alors déposé à la banque du casino et les relevés des pourboires étaient transmis à la division des finances et de l'administration de l'intervenante.

10. Les pourboires recueillis dans chaque service étaient alors distribués par l'intervenante aux employés travaillant dans chacun de ces services d'après le nombre d'heures que l'employé avait travaillé dans chaque service au cours de la période de paye de deux semaines. Les montants des pourboires étaient ajoutés par l'intervenante sur les chèques de paye émis à l'intention des employés. L'intervenante défalquait les cotisations au Régime de pensions du Canada et les cotisations d'assurance-emploi du montant des pourboires versé à chaque employé et retenait aussi l'impôt sur le revenu en fonction du taux de chaque employé. Les montants nets des pourboires versés aux employés étaient ventilés sur chaque chèque de paye.

Première convention collective datée du 19 septembre 1997 (en vigueur du 1er juin 1997 au 31 mai 2000)

11. Dans la première convention collective, l'article 42 portait sur la collecte et le versement des pourboires aux employés du casino. Cet article est rédigé comme suit :

       [TRADUCTION]

42.01      Pour l'application de la présente convention, le terme « pourboires » désigne à la fois des espèces et des jetons du casino.

42.02      L'employeur continuera de fournir des installations destinées à la collecte des pourboires. Dès la signature de la présente convention, l'employeur fournira un endroit sûr, surveillé par des caméras, pour le comptage des pourboires deux fois par semaine. L'employeur fournira aussi au syndicat, toutes les deux semaines, la liste des heures travaillées par les employés durant chaque période de deux semaines.

42.03      Dès la signature de la présente convention, le syndicat assumera l'entière responsabilité de la distribution de tous les pourboires, sous réserve du point 42.04.

42.04      Le syndicat remettra toutes les deux semaines à l'employeur le montant des pourboires payables aux chefs de partie, aux chefs de quart des machines à sous et aux chefs de quart de la banque ainsi que les chiffres représentant le total des pourboires recueillis par chaque service. Ce montant comprendra la part attribuable aux employés des frais d'administration actuellement retenus par l'employeur. Les calculs actuels utilisés aux fins de la distribution des pourboires ne changeront pas à l'égard de ces employés pendant toute la durée de la présente convention.

42.05      Le syndicat fournira à l'employeur, toutes les deux semaines, le montant total des pourboires recueillis pour chaque période de deux semaines.

42.06      Un représentant de la direction peut assister au comptage en tout temps.

42.07      Si le syndicat retient les services d'un vérificateur afin qu'il fasse rapport sur le processus, les procédures comptables, etc., l'employeur peut acheter une copie du rapport en payant la moitié des montants facturés par le vérificateur.

12. Après la première convention collective, l'intervenante a continué de fournir les boîtes à pourboires dans les endroits désignés du casino pour la collecte des pourboires. Les boîtes à pourboires étaient emportées par le personnel de sécurité à la banque du casino aux divers intervalles convenus par l'intervenante et l'appelant. Plutôt que d'être comptés immédiatement par des membres de l'équipe de comptage, les boîtes à pourboires étaient vidées par l'équipe de comptage et les pourboires étaient placés dans des sacs de plastique scellables. Le superviseur du comptage consignait la date et le numéro de sac scellé puis parafait le relevé des pourboires du casino Regina. Le chef de quart de la banque vérifiait les numéros des sacs scellés et parafait le relevé des pourboires puis plaçait les sacs scellés et numérotés dans la chambre forte.

13. Une équipe de comptage nommée par [l'appelant] (l' « équipe de comptage du syndicat » ) se rendait ensuite à la salle de comptage de la banque interne du casino chaque semaine ou toutes les deux semaines et vérifiait le numéro du sac de plastique scellé puis parafait les relevés des pourboires du casino. L'équipe de comptage du syndicat comptait l'argent des pourboires séparément pour chaque endroit désigné puis consignait le montant sur des relevés des pourboires distincts. Les pourboires, sous forme d'espèces ou de jetons du casino, étaient ensuite remis par l'équipe de comptage du syndicat au chef de quart de la banque avec un relevé des pourboires dûment rempli pour chaque endroit désigné. En présence de l'équipe de comptage du syndicat, le chef de quart de la banque vérifiait ensuite le total des pourboires pour chaque endroit et signait l'accusé de réception de l'argent sur le relevé des pourboires.

14. Un membre désigné de l'équipe de comptage du syndicat signait alors pour l'argent remis au chef de quart de la banque, et une copie du relevé des pourboires signé était fourni à un membre désigné de l'équipe de comptage du syndicat. Le chef de quart de la banque inscrivait ensuite le montant des pourboires sur le formulaire de virement à la banque principale, qui produisait alors un reçu, et envoyait les relevés des pourboires au service des finances et de l'administration.

15. Le service des finances et de l'administration de l'intervenante préparait alors une feuille de calcul faisant état des pourboires comptés de la semaine ventilés par endroit désigné et demandait la production d'un chèque correspondant au montant des pourboires qui était ensuite transmis à l'appelant. Aucune somme n'était retenue sur le total des pourboires par l'intervenante et le chèque remis à l'appelant équivalait au montant total des pourboires recueillis durant la semaine.

16. Ce processus se répétait pour la deuxième semaine de la période de paye de deux semaines. Une feuille de calcul à jour était préparée par l'intervenante et faisait état du montant total des pourboires recueillis dans chaque endroit désigné au cours de la période de deux semaines et précisait le nombre d'heures travaillées par les employés de chaque endroit désigné, qu'ils soient visés par la convention ou non. Des redressements étaient effectués pour les heures supplémentaires ou les heures non travaillées par des employés de chaque endroit donné. Le montant total des pourboires à payer aux employés non visés par la convention (chefs de partie, chefs de quart des machines à sous ou chefs de quart de la banque) était calculé et déduit des pourboires totaux pour la période de deux semaines, ainsi que le montant précédent des pourboires fourni à l'appelant. Une demande de chèque était préparée, et un chèque correspondant au solde des pourboires à payer était fourni à l'appelant, accompagné d'une copie des heures travaillées par chaque employé de chaque endroit désigné au cours de la période de deux semaines et d'un relevé des redressements effectués au titre des heures supplémentaires et des heures non travaillées par les employés de chaque endroit. Aucune retenue sur les pourboires n'était effectuée par l'intervenante au titre du RPC, de l'AE ou de l'impôt sur le revenu.

17. Une fois que le solde des pourboires était acheminé à l'appelant, accompagné de la liste des heures et des redressements à l'égard des employés travaillant dans chaque endroit désigné, l'intervenante n'avait plus aucune responsabilité dans le calcul des pourboires à payer à chaque employé ou dans le versement des pourboires à chaque employé.

Deuxième convention collective datée du 26 janvier 2001 (en vigueur du 1er juin 2000 au 31 mai 2003)

18. Dans la deuxième convention collective, l'appelant et l'intervenante ont convenu de certaines modifications à l'article 42 portant sur la question des pourboires. L'article 42 révisé est rédigé comme suit :

     [TRADUCTION]

42.01      Pour l'application de la présente convention, le terme « pourboires » désigne à la fois des espèces et des jetons du casino.

42.02      L'employeur continuera de fournir des installations destinées à la collecte des pourboires. Dès la signature de la présente convention, l'employeur fournira un endroit sûr, surveillé par des caméras, pour le comptage des pourboires deux fois par semaine. L'employeur fournira aussi au syndicat, toutes les deux semaines, la liste des heures travaillées par les employés durant chaque période de deux semaines.

42.03      Dès la signature de la présente convention, le syndicat assumera l'entière responsabilité de la distribution de tous les pourboires.

42.04      Le syndicat distribuera les pourboires qui devaient être auparavant versés aux chefs de partie, aux chefs de quart des machines à sous et aux chefs de quart de la banque à tous les employés en fonction des heures travaillées, à l'exception des employés des tables de jeux, des machines à sous et du service à la clientèle.

42.05      Sur demande, le syndicat fournira à l'employeur le montant total des pourboires recueillis pour chaque année civile.

42.06      Un représentant de la direction peut assister au comptage en tout temps.

19.    Le principal changement apporté à l'article 42 concernait les pourboires à payer aux employés non visés par la convention (chefs de partie, chefs de quarts des machines à sous et chefs de quart de la banque). Selon la deuxième convention collective, aucun pourboire n'était versé aux chefs de partie, chefs de quarts des machines à sous et chefs de quart de la banque. L'article 42.04 disposait plutôt que l'appelant distribuerait les pourboires auparavant versés aux employés non visés par la convention à tous les employés en fonction des heures travaillées, à l'exception des employés des tables de jeux, des machines à sous et du service à la clientèle. En outre, selon l'article 42.05, l'appelant était tenu de fournir à l'intervenante seulement le total des pourboires recueillis pour chaque année civile, et non pas pour chaque période de deux semaines. L'ancien article 42.07, qui permettait au syndicat de retenir les services d'un vérificateur qui ferait rapport sur le processus de collecte des pourboires, l'employeur ayant le droit d'acheter une copie du rapport en payant la moitié des montants facturés par le vérificateur, a été supprimé.

20.    Le processus de collecte des pourboires régi par la deuxième convention collective s'est poursuivi à peu près de la même manière, sauf qu'aucun montant n'était retenu sur le chèque émis par l'intervenante à l'intention de l'appelant pour la deuxième semaine de la période de paye de deux semaines au titre des pourboires à payer aux employés non visés par la convention.

[7]      M. Blaine Pilatzke, représentant régional de l'Alliance de la Fonction publique du Canada ( « AFPC » ), a expliqué qu'après la signature de la première convention collective, l'appelant a demandé à l'Agence des douanes et du revenu du Canada ( « ADRC » ) s'il était nécessaire de recourir à un service de paye pour distribuer les pourboires. On lui a répondu qu'il avait besoin d'un numéro d'employeur pour le versement de l'impôt. Il a donc été décidé que l'appelant utiliserait le numéro d'employeur de SGC pour les retenues d'impôt à la source sur les pourboires versés aux employés. À cette époque, l'appelant considérait que les pourboires ne constituaient pas une rémunération assurable, de sorte qu'aucun montant n'a été retenu à la source au titre des cotisations d'assurance-emploi ou au Régime de pensions du Canada. Le versement des pourboires, les retenues d'impôt à la source et la délivrance des feuillets T4 ont tous été effectués par l'entremise du propre service de paye de l'appelant et non celui de SGC. C'est l'appelant qui établissait, d'après ses calculs et une liste des heures de chaque employé que lui fournissait SGC, comment les pourboires devaient être distribués aux employés. Dès que SGC avait remis un chèque à l'appelant pour les pourboires qu'elle avait recueillis et dès que SGC avait fourni à l'appelant le nombre d'heures travaillées par les employés durant une période de paye, il n'y avait plus aucune intervention de la part de SGC dans la distribution des pourboires aux employés. L'appelant versait les pourboires directement aux employés. M. Ron Adams, directeur des services de soutien de SGC au Casino Regina, a déclaré que SGC avait appris que l'appelant utilisait son numéro d'employeur lorsqu'elle a reçu la première décision du ministre, datée du 16 août 2002 (pièce A-1), établissant que les pourboires constituaient une rémunération assurable.

Question préliminaire

[8]      L'appelant a demandé tout d'abord si l'intervenante pouvait soulever un point qui n'avait pas été mentionné dans l'avis d'appel, à savoir si les pourboires constituaient ou non une rémunération assurable. L'intervenante soutenait qu'elle avait un intérêt dans ce point particulier, selon l'issue de l'instance dont notre Cour est saisie. De fait, si nous décidons que l'appelant n'est pas l'employeur présumé, l'intervenante sera directement touchée puisqu'elle sera responsable, dans le cas où les pourboires sont considérés comme une rémunération assurable, du versement des cotisations d'assurance-emploi exigibles à l'égard des pourboires versés aux employés. L'intervenante a donc un intérêt à faire valoir que les pourboires, en ce qui la concerne, ne constituent pas une rémunération assurable.

[9]      L'intimé convient que l'intervenante a un intérêt direct dans cette question. D'après l'avocate de l'intimé, aucune disposition des Règles de procédure de la Cour canadienne de l'impôt à l'égard de la Loi sur l'assurance-emploi(les « Règles » ) ne permet de croire que l'intervenante ne peut que réfuter les arguments soulevés par l'appelant ou l'intimé. À son avis, il n'existe aucune obligation de restreindre de la sorte les questions soulevées dans le cadre d'un appel.

[10]     En vertu de la Loi sur l'assurance-emploi ( « la Loi » ), une personne concernée par une décision rendue sous le régime du paragraphe 93(3) de la Loi portée en appel devant le ministre en vertu des articles 91 ou 92 peut interjeter appel devant la Cour canadienne de l'impôt, de la manière prévue par la Loi sur la Cour canadienne de l'impôt et les règles applicables, dans un délai précis (paragraphe 103(1) de la Loi). Les articles 91, 92 et 93 de même que le paragraphe 103(1) de la Loi sont rédigés comme suit :

          91. La Commission peut porter la décision en appel devant le ministre à tout moment, et tout autre intéressé, dans les quatre-vingt-dix jours suivant la date à laquelle il reçoit notification de cette décision.

          92. Lorsque le ministre a évalué une somme payable par un employeur au titre de l'article 85, l'employeur peut, dans les quatre-vingt-dix jours suivant la date à laquelle il reçoit l'avis d'évaluation, demander au ministre de reconsidérer l'évaluation quant à la question de savoir s'il y a matière à évaluation ou quel devrait être le montant de celle-ci.

          93. (1) Le ministre notifie son intention de régler la question à toute personne pouvant être concernée par l'appel ou la révision, ainsi qu'à la Commission en cas de demande introduite en vertu de l'article 91; il leur donne également, selon le besoin, la possibilité de fournir des renseignements et de présenter des observations pour protéger leurs intérêts.

          (2) Les demandes d'appel et de révision sont adressées au directeur adjoint des Appels d'un bureau des services fiscaux de l'Agence des douanes et du revenu du Canada et sont livrées à ce bureau ou y sont expédiées par la poste.

          (3) Le ministre règle la question soulevée par l'appel ou la demande de révision dans les meilleurs délais et notifie le résultat aux personnes concernées.

          (4) Lorsqu'il est requis d'aviser une personne qui est ou peut être concernée par un appel ou une révision, le ministre peut faire aviser cette personne de la manière qu'il juge adéquate.

          103. (1) La Commission ou une personne que concerne une décision rendue au titre de l'article 91 ou 92, peut, dans les quatre-vingt-dix jours suivant la communication de la décision ou dans le délai supplémentaire que peut accorder la Cour canadienne de l'impôt sur demande à elle présentée dans les quatre-vingt-dix jours suivant l'expiration de ces quatre-vingt-dix jours, interjeter appel devant la Cour canadienne de l'impôt de la manière prévue par la Loi sur la Cour canadienne de l'impôt et les règles de cour applicables prises en vertu de cette loi.

[11]        L'article 9 des Règles se lit comme suit :

          9. (1) Toute personne qui désire intervenir dans un appel doit le faire en déposant ou en expédiant par la poste, au greffe où l'avis d'appel a été déposé ou expédié par la poste, un avis d'intervention conformément au modèle figurant à l'annexe 9.

          (2) L'avis d'intervention doit être déposé ou expédié par la poste dans les 45 jours de la signification de l'avis d'appel à l'intervenant en vertu de l'article 8.

          (3) Un intervenant peut préciser, dans son avis d'intervention, qu'il a l'intention d'invoquer les moyens indiqués dans l'avis d'appel qu'il a reçu ou ceux mentionnés dans l'avis d'intervention d'un autre intervenant.

          (4) Le greffier signifie au ministre et à l'appelant une copie de chaque avis d'intervention qu'il reçoit.

          (5) La signification de l'avis d'intervention peut se faire à personne ou par la poste; dans le premier cas, la signification à personne au commissaire des douanes et du revenu est réputée avoir été faite au ministre; dans le deuxième cas, la date de signification est la date de la mise à la poste et, en l'absence de toute preuve du contraire, cette date correspond à la date figurant sur la lettre du greffier accompagnant l'avis d'intervention.

[12]     L'annexe 9 des Règles renferme un exemple d'avis d'intervention acceptable. Sous la rubrique « Exposé des faits » , on demande à l'intervenant d'admettre ou de nier les faits allégués dans l'avis d'appel et à exposer les autres faits qu'il a l'intention d'invoquer. Sous la rubrique « Les moyens que l'intervenant a l'intention d'invoquer » , on demande à l'intervenant d'indiquer les moyens qu'il a l'intention d'invoquer. Une note jointe à l'annexe 9 mentionne que l'intervenant peut, au lieu de faire un nouvel exposé des faits et moyens, s'appuyer sur celui donné dans l'avis d'appel ou dans un autre avis d'intervention.

[13]     En l'espèce, il n'est pas contesté que l'intervenante est directement concernée par la décision du ministre qui est l'objet de l'appel. L'appelant remet simplement en question le droit de l'intervenante de présenter un nouvel argument. Je statuerai sur ce point préliminaire simplement en disant qu'il est assez clair, à la lumière des Règles, qu'il n'est pas interdit à un intervenant de soulever un point qui n'était pas invoqué dans l'avis d'appel. La Loi ne l'empêche pas de le faire non plus. Un intervenant peut, s'il le souhaite, s'appuyer sur les moyens invoqués dans l'avis d'appel. Toutefois, il est clair qu'il ne lui est pas interdit de se fonder sur d'autres moyens qui ne sont pas mentionnés dans l'avis d'appel.

[14]     Je vais donc analyser les deux questions dont j'ai été saisie. Tout d'abord, les pourboires constituent-ils une rémunération assurable en l'espèce, et ensuite, si c'est le cas, qui est l'employeur présumé aux fins du calcul de la rémunération assurable à l'égard des pourboires ainsi que du paiement, de la retenue et du versement des cotisations exigibles à cet égard aux termes de la Loi?

Premier point : Les pourboires versés aux employés constituent-ils une rémunération assurable au sens de la Loi et du RRAPC?

[15]     L'appelant se fonde principalement sur les arrêts Canadien Pacifique Limitée c. Le procureur général du Canada, [1986] 1 R.C.S. 678 (LexUM) et S & F Philip Holdings Ltd. Op Sooke Harbour c. Canada (Ministre du Revenu national - M.R.N.), [2003] A.C.I. no 344 (Q.L.), pour soutenir que les pourboires constituent une rémunération assurable. Dans l'affaire Canadien Pacifique limitée ( « CP » ), une majorité des juges de la Cour suprême du Canada avait conclu que les pourboires versés à l'employeur pour être distribués aux employés constituaient une rémunération assurable. Dans l'affaire S & F Philip Holdings Ltd., l'employeur avait intégré le versement des pourboires au mécanisme de paye régulière afin d'en faciliter la distribution aux employés. Le juge suppléant Rowe de la Cour canadienne de l'impôt avait statué que, dans ces circonstances, les pourboires constituaient une rémunération assurable.

[16]     L'intervenante invoque le paragraphe 2(1) du RRAPC pour affirmer que, en ce qui concerne l'appelant, les montants versés par ce dernier aux employés au titre des pourboires peuvent fort bien constituer une rémunération assurable au sens de l'alinéa 2(1)a) du RRAPC. Cependant, il avance que, en ce qui concerne l'intervenante, ces pourboires n'ont pas été versés aux employés « par l'employeur » (l'intervenante) et qu'ils n'entrent donc pas dans la définition de la « rémunération assurable » à l'égard de l'intervenante. Celle-ci a établi une distinction avec les deux arrêts précités et invoqués par l'appelant à cause des faits du présent appel, car dans ces deux arrêts, les pourboires ont été versés par l'employeur directement aux travailleurs, ce qui n'était pas le cas ici puisque les pourboires ont été versés par le syndicat (l'appelant) durant la période visée. Finalement, l'intervenante a fait valoir que les pourboires reçus par les employés ne constituent pas une rémunération assurable au sens de l'alinéa 2(1)b) du RRAPC, étant donné qu'il n'y a aucune disposition législative provinciale en Saskatchewan qui exige que les employés déclarent les montants de leurs pourboires à leur employeur.

[17]     Selon l'intimé, afin que les pourboires puissent être considérés comme une rémunération assurable au sens de l'alinéa 2(1)a) du RRAPC, l'employeur doit avoir le contrôle sur les pourboires, ce qui n'est pas le cas ici. À son avis, avant l'entrée en vigueur de la convention collective, les pourboires étaient intégrés au salaire et aux autres formes de rémunération, puis le montant total était versé aux employés. On pourrait dire qu'à cette époque l'employeur avait le contrôle sur la rémunération totale, dont les pourboires. Depuis l'entrée en vigueur de la convention collective, les pourboires sont recueillis par l'employeur, mais ce dernier n'exerce plus de contrôle sur leur distribution aux employés. Par conséquent, on ne peut pas dire, d'après l'avocate de l'intimé, que les pourboires distribués en l'espèce constituent même une rémunération assurable. L'avocate n'invoque aucune décision à l'appui de cette thèse.

[18]     L'exposé du droit qui fait autorité sur la question de savoir si les pourboires font partie de la rémunération assurable se retrouve dans la décision majoritaire rédigée par le juge La Forest dans l'arrêt CP, précité. Le point en litige dans cette affaire est semblable à celui qui est soulevé ici. Il a été reproduit comme suit par le juge La Forest au paragraphe 2 (LexUM) :

[...] faut-il, dans le calcul de ces cotisations, prendre en considération les sommes qu'un employeur a versées à ses employés après les avoir reçues de ses clients qui les lui avaient payées volontairement pour qu'il en fasse la distribution aux employés à titre de pourboires?"

[19]     Dans cette affaire, CP avait recueilli les pourboires auprès des participants à des congrès et à des banquets qui se déroulaient à un de ses hôtels. CPdistribuait ces pourboires à ses employés conformément à une convention collective. Le ministre a assimilé les pourboires à une rémunération assurable aux fins du calcul des cotisations d'assurance-chômage que CP était tenue de verser. La Cour suprême du Canada devait déterminer le sens à donner aux termes « rémunération assurable » . Le juge La Forest a conclu que l'expression « rémunération assurable » devait être interprétée dans son sens large pour inclure les pourboires versés aux employés par leurs employeurs. Cette interprétation concorde avec les arrêts britanniques qui acceptent que le mot « rémunération » ne se limite pas au salaire ou aux gages versés par un employeur. Le juge La Forest a souligné que le Parlement avait choisi d'employer le terme « rémunération » dans la Loi de 1971 sur l'assurance-chômage, qui était le texte législatif applicable à l'époque. Une interprétation large du terme « rémunération » se reflétait également dans la définition de la « rémunération assurable » au paragraphe 3(1) du Règlement sur l'assurance-chômage (perception des cotisations) (RACPC), qui était rédigé comme suit à cette époque :

3. (1) Le montant qui sert à déterminer la rémunération assurable d'un assuré est le montant de la rétribution, qu'elle soit entièrement ou partiellement versée en espèces, qui lui est payée par son employeur pour une période de paie, et comprend

a) toute somme que lui paie son employeur au titre, au lieu ou en règlement

       (i) d'un boni, d'une gratification, d'une augmentation de rémunération avec effet rétroactif, d'une participation aux bénéfices, du paiement d'heures supplémentaires accumulées ou d'une sentence arbitrale.

[20]     Le juge La Forest s'est exprimé comme suit au paragraphe 21 (LexUM) :

21        Quoi qu'il en soit, la signification du mot rémunération n'est pas restreinte aux seules situations comprises dans le préambule du par. 3(1). Les alinéas de cette disposition énumèrent toute une série de bénéfices qui reviennent à l'employé en raison de son emploi. Ceux-ci servent à clarifier ou même à ajouter à ce qui est compris dans le préambule.

[21]     À ce moment-là, le terme « gratification » faisait partie des catégories de rémunération énumérées, et le juge La Forest a conclu que ce terme comprenait les pourboires. Il est ensuite parvenu, aux paragraphes 25, 26 et 27 (LexUM) à la conclusion suivante :

25         L'interprétation que je donne à l'expression "rémunération assurable" est conforme à l'objectif de la Loi qui est de verser des prestations aux personnes qui ont perdu leur emploi en fonction d'un pourcentage de leur rémunération assurable. Autrement l'employé qui reçoit une bonne partie de sa rémunération sous forme de pourboires n'aurait pas droit aux avantages que lui confère la Loi au même degré que ses confrères qui reçoivent la totalité de leur rémunération directement de la poche de leur employeur. Le règlement cité, en ajoutant à la définition de rémunération toute une gamme de bénéfices qu'un employé reçoit en raison de son emploi, indique bien que l'expression doit recevoir une portée large. En plus, comme je l'ai noté, une loi ayant pour objet la sécurité sociale doit être interprétée de façon à atteindre ce but. Il ne s'agit pas d'une loi fiscale. Les arrêts Penn v. Spiers & Pond Ltd. [[1908] 1 K.B. 766] et Great Western Railway Co. v. Helps [[1918] A.C. 141], précités, ne sont que des illustrations du principe que je viens de formuler.

26         J'ajoute que si l'appelante est obligée de payer des cotisations en fonction seulement de la partie de la rémunération de l'employé qui vient de sa poche, elle se trouve dans une situation avantageuse par rapport aux employeurs qui paient ces cotisations en fonction de toute la rémunération que l'employé reçoit en vertu de son emploi. Il est évident que l'employeur bénéficie du fait que certains de ses employés sont dans une situation qui leur donne la possibilité de toucher des pourboires. Il peut retenir leurs services à meilleur marché. Or il me paraît injuste qu'il puisse aussi se débarrasser d'une partie de l'obligation dont tout autre employeur est obligé de s'acquitter, ou restreindre le montant des bénéfices que retirent les employés dont la rémunération vient en bonne partie de pourboires.

27         Il est vrai que ces arguments s'appliquent jusqu'à un certain point aux situations où les employés eux-mêmes reçoivent des pourboires, bien que le par. 3(1) du règlement n'en tienne pas compte. Mais ceux qui ont rédigé le règlement ont sans doute conclu que cette façon de procéder s'impose pour des raisons administratives. Voir sur ce sujet l'arrêt Association des employés civils c. Ministre du Revenu national, précité. Il est presque impossible de percevoir des cotisations sur des pourboires obtenus de cette façon et c'est pour cette raison que le règlement n'en tient pas compte. Il va de soi que la rémunération assurable comprend bien d'autres pourboires que ceux prélevés de la façon prévue en l'espèce, par exemple, ceux qui sont ajoutés en payant par carte de crédit.

[22]     Dans une décision qu'a rendue récemment notre Cour et qui est citée par l'appelant, soit S & F Philip Holdings, précitée, le juge suppléant Rowe a suivi le raisonnement énoncé dans l'arrêt CP pour statuer que les pourboires versés par un employeur à un employé constituaient une rémunération assurable au sens du paragraphe 2(1) du RRAPC, qui correspond à l'ancien paragraphe 3(1) du RACPC. La Cour a mentionné que, même si le RACPC dont il est question dans l'arrêt CP incluait précisément les gratifications, ce n'est pas le cas des dispositions législatives actuellement. Du point de vue de la Cour, toutefois, la définition actuelle continue d'englober les pourboires reçus des employeurs. Le juge suppléant Rowe a expliqué son raisonnement en ces termes au paragraphe 24 de ses motifs :

¶ 24      Je suis conscient que dans le Règlement pertinent élaboré en vertu de l'ancienne Loi sur l'assurance-chômage - où l'on définit la rémunération assurable - il est particulièrement indiqué que la « gratification » en fait partie. Selon moi, la définition que l'on trouve au paragraphe 2(1) du Règlement sur l'assurance emploi de la Loi en vigueur de nos jours est encore plus vague en ce que l'on y fait référence au « montant total » versé « à l'égard de » cet emploi.

[23]     Deux autres décisions où il a été rendu que les pourboires ne faisaient pas partie de la rémunération assurable (Guimond c. Canada (Ministre du Revenu national - M.R.N.), [2000] A.C.I. no 143 (Q.L.) et Sauvé c. Canada (Ministre du Revenu national - M.R.N.), [1995] A.C.F. no 1378 (C.A.F.) (Q.L.)) confirment qu'il faut obligatoirement que les pourboires soient distribués aux employés par l'employeur pour entrer dans la définition de la « rémunération assurable » .

[24]     En conclusion, la jurisprudence semble indiquer que les pourboires font partie de la rémunération assurable à la condition qu'ils soient versés par un employeur à un employé. Dans la présente affaire, l'intervenante recueille les pourboires puis émet un chèque à l'intention de l'appelant qui, ensuite, distribue les pourboires aux employés. L'intervenante ne verse pas les montants directement aux employés. Par conséquent, puisque l'appelant s'occupe de la distribution des pourboires, il est nécessaire de déterminer s'il entre dans la catégorie des « employeurs présumés » de manière à ce qu'on puisse conclure qu'un employeur présumé verse les pourboires aux employés. Le cas échéant, les pourboires feront partie de la rémunération assurable des employés.

Deuxième point : L'employeur présumé

[25]     L'appelant a fait valoir qu'il agissait en tant que mandataire de l'employeur dans la distribution des pourboires. De fait, puisque le syndicat ne pouvait recueillir les pourboires directement pour des raisons de sécurité, le rôle de l'appelant était limité, à cause des politiques de l'employeur en matière de sécurité, au comptage et à la distribution des fonds recueillis par l'employeur. Par conséquent, selon l'appelant, il est impossible de conclure qu'il était l'employeur présumé au sens du paragraphe 10(1) du RRAPC, puisqu'il servait uniquement d'intermédiaire dans le versement aux employés des pourboires qui étaient en fait payés par l'intervenante.

[26]     L'intervenante soutient qu'étant donné que c'est l'appelant qui était le seul responsable de la distribution et du versement des pourboires aux employés durant les périodes visées, c'est lui, conformément au paragraphe 10(1) du RRAPC, qui est réputé être l'employeur des employés aux fins du paiement, de la retenue et du versement des cotisations d'assurance-emploi exigibles à l'égard de ces employés. L'intervenante ne conteste pas le fait qu'elle soit l'employeur véritable des employés ou que ceux-ci se soient trouvés, à toutes les dates importantes, sous sa direction générale ou sa surveillance directe. Toutefois, elle prétend que c'est l'appelant, et non pas elle, qui a versé les pourboires aux employés et que c'est donc l'appelant qui est réputé être l'employeur des employés aux fins du paiement, de la retenue et du versement des cotisations exigibles à l'égard de ces pourboires.

[27]     L'intervenante s'appuie sur la décision rendue par la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Insurance Corp. of British Columbia c. Canada (Ministre du Revenu national -- M.R.N.), [2002] A.C.F. no 380 (Q.L.), pour avancer que le terme « payé » utilisé à l'alinéa 10(1)a) du RRAPC doit être interprété de façon large et libérale. Le juge Strayer, au nom de la Cour d'appel fédérale, s'est exprimé comme suit au paragraphe 8 :

¶ 8        Le but du Règlement et de la loi qui l'autorise consiste, en partie, à faciliter la perception des cotisations d'assurance-emploi, une activité qui est essentielle au système tel qu'il existe actuellement. La Loi autorise clairement le genre de dispositions qui ont été adoptées par le gouverneur en conseil dans l'article 10 du Règlement. En examinant l'article 10, on voit qu'il est censé s'appliquer, entre autres choses, lorsqu'un employé qui est assuré est [TRADUCTION] « payé par une personne qui n'est pas son véritable employeur » . Dans un tel cas, cette « autre personne » doit conserver des relevés d'emploi et calculer, déduire et verser les cotisations appropriées. La proposition est assez simple et son but est clair : les cotisations doivent être retenues à la source lorsque le traitement ou le salaire est calculé et administré et lorsque les paies ou les chèques sont émis. Le terme « payé » doit être interprété dans son contexte et il n'est pas nécessaire d'examiner les sources techniques dans le but de lui attribuer un sens qui irait à l'encontre du but clairement recherché par l'article. Il serait également possible, si quelqu'un devait s'attarder sur des concepts juridiques abstraits, de décider qu'une personne ne pourra être un « véritable employeur » que si la personne paie l' « employé » avec ses propres ressources et non aux frais d'une autre. Mais, cela irait aussi à l'encontre du but recherché par l'article en empêchant son application à toute situation où, dans les faits, un tiers fournirait ou administrerait le traitement ou le salaire.

[28]     Le juge Strayer a également conclu que l' « autre personne » peut être considérée avoir « payé » l'employé de quelqu'un d'autre « sans avoir d'obligation juridique à cet effet envers ledit employé » (voir Insurance Corp. of British Columbia, précité, au paragraphe 9).

[29]     D'après l'intervenante, on doit conclure de cette décision que les cotisations d'assurance-emploi doivent être retenues à la source lorsque les pourboires sont versés à chaque employé. Elle affirme que, dans la présente affaire, il est clair que le calcul de la partie des pourboires à payer à chacun des employés a été effectué par l'appelant, qui émettait ensuite les chèques à l'intention des employés. L'appelant fournissait et administrait donc les pourboires et était alors responsable de la retenue à la source des cotisations.

[30]     L'intervenante fait valoir en dernier lieu que la jurisprudence énonce clairement que, même si la direction générale ou la surveillance directe des employés relevaient de l'intervenante, qui était aussi leur employeur véritable, c'est le paiement des pourboires qui fait en sorte que l'appelant entre dans la portée de l'alinéa 10(1)a) du RRAPC. L'intervenante soutient que l'expression « ou est payé par » à l'alinéa 10(1)a) est utilisée dans une alternative et n'exige donc pas de conclure que la personne autre que l'employeur véritable de l'assuré assumait la direction générale ou la surveillance directe des employés et avait également « payé » les employés. Il suffit plutôt, pour que l' « autre personne » soit visée à l'alinéa 10(1)a), que cette « autre personne » paie un montant aux employés (voir Gateway Building & Supply Ltd. c. Canada (Ministre du Revenu national - M.R.N.), [1991] A.C.I. no 521 (Q.L.)).

[31]     L'avocate de l'intimé a souscrit à la position de l'intervenante. Elle a mentionné les propos du juge Strayer dans l'affaire Insurance Corp. of British Columbia, précitée, au paragraphe 8, suivant lesquels le but recherché par le RRAPC consiste notamment à faciliter la perception des cotisations d'assurance-emploi. Elle a signalé que l'appelant retenait déjà l'impôt à la source sur les pourboires versés aux employés. À son avis, c'est l'appelant qui devrait aussi effectuer les retenues au titre des cotisations d'assurance-emploi, conformément à l'alinéa 10(1)a) du RRAPC.

[32]     D'après moi, l'argument de l'appelant, soit qu'il agissait uniquement en qualité de mandataire de l'employeur lorsqu'il distribuait les pourboires, invoqué afin d'empêcher l'application du paragraphe 10(1) du RRAPC, n'est pas acceptable. Bien que cet argument ait été avancé dans l'affaire Canada (Attorney General) v. Théorêt (1988), 61 D.L.R. (4th) 289, [1988] A.C.F. no 1115 (C.A.F.) (Q.L.), qui porte sur l'article 18 du RACPC, disposition remplacée par l'article 10 du RRAPC, la décision rendue par une majorité des juges de la Cour d'appel fédérale s'était attardée sur différents points. L'argument a été rejeté avec autorité par le juge Marceau, dissident dans cette affaire, qui a déclaré ce qui suit à la page 298 (D.L.R.) :

           Elle n'est pas correcte d'abord, au niveau de l'interprétation de la loi à appliquer, parce qu'elle présuppose que l'article 18 du règlement sur la perception des cotisations doit s'interpréter comme ne couvrant pas le mandataire. C'est une présupposition à mon sens gratuite. Les mots pertinents de l'article sont les suivants: « lorsque ... un assuré est payé ... par une personne (qui n'est pas son véritable employeur), ... cette autre personne ... est réputée être l'employeur de l'assuré conjointement avec le véritable employeur ... » . Rien dans le texte permet d'inférer qu'un mandataire n'est pas inclu, et, à mon sens, c'est précisément le contraire qui est suggéré. Le mandataire agit lui-même, même s'il est là comme mandataire, et il répond de ses faits et gestes. Sans doute, le principe est que le mandataire qui dévoile son mandat « n'est pas responsable personnellement envers les tiers avec qui il contracte » (article 1715 du Code civil du Bas-Canada), mais cela n'empêche évidemment pas que ce soit lui qui ait passé le contrat. Si le notaire a payé, peu importe que ce soit en qualité de mandataire, il a payé, il a procédé au paiement, et il me semble qu'à sa face même c'est tout ce que le texte requiert pour s'appliquer.

[33]     Dans l'arrêt Insurance Corp. of British Columbia, précité, la Cour d'appel fédérale a manifestement écarté la décision majoritaire rendue dans l'affaire Théorêt, précitée, notamment parce qu'il n'y avait pas eu de décision sur le point crucial, qui était le même qu'en l'espèce, et aussi parce que la décision majoritaire n'avait pas porté sur le sens du Règlement en tant que tel.

[34]     Le juge Strayer a clairement fait savoir, dans l'arrêt Insurance Corp. of British Columbia, précitée, que le but de l'article 10 du RRAPC et celui de la loi habilitante consistent en partie à faciliter la perception des cotisations d'assurance-emploi. Il a souligné qu'en examinant l'article 10, « on voit qu'il est censé s'appliquer, entre autres choses, lorsqu'un employé qui est assuré est [TRADUCTION] "payé par une personne qui n'est pas son véritable employeur". Dans un tel cas, cette "autre personne" doit conserver des relevés d'emploi et calculer, déduire et verser les cotisations appropriées. » (paragraphe 8). L'article 10 du RRAPC est certainement rédigé de manière à inclure « toute situation où, dans les faits, un tiers fournirait ou administrerait le traitement ou le salaire » (ibid.).

[35]     Dans l'arrêt Insurance Corp. of British Columbia, le juge Strayer mentionne le salaire et le traitement comme étant le genre de choses qui sont « payées » au sens du paragraphe 10(1); il le fait probablement parce que c'était un salaire et un traitement qui avaient été payés à l'employé dans cette affaire (et non pas des pourboires comme dans le présent appel).

[36]     Compte tenu du sens large donné à la « rémunération assurable » dans l'arrêt CP et de la définition actuelle de ces termes dans le RRAPC, où ils ne sont pas limités au salaire et au traitement, il faut en conclure que le mot « payer » désigne généralement le paiement d'une « rémunération assurable » , ce qui inclut le versement d'un salaire, d'un traitement et de pourboires. Cette conclusion est compatible avec le fait que les cotisations sont censées être fondées sur la rémunération totale. De même, dans l'affaire CP, la majorité de la Cour suprême du Canada a donné un sens large au terme « payer » et conclu qu'il pouvait aussi bien comprendre une simple distribution par l'employeur (arrêt CP, précité, paragraphe 20 (LexUM)); voilà qui concorde avec l'approche adoptée par la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Insurance Corp. of British Columbia.

[37]     Dans le présent appel, les conventions collectives disposent clairement que l'appelant assume la responsabilité exclusive de la distribution de tous les pourboires. Le calcul des pourboires à payer à chaque employé est fait par l'appelant qui, après avoir reçu un chèque de l'intervenante, distribue les pourboires aux employés au moyen de son propre service de paye. D'ailleurs, l'appelant effectue déjà les retenues à la source au titre de l'impôt sur le revenu que doivent payer les employés sur cette rémunération.

[38]     Par conséquent, comme l'intervenante (qui est l'employeur véritable) recueille les pourboires et les transmet à l'appelant, ce dernier est l' « autre personne » et donc l' « employeur présumé » parce qu'il distribue et « paie » alors les pourboires aux employés du casino.

Conclusion

[39]     Le paragraphe 1(2) du RRAPC est rédigé comme suit :

      (2) Pour l'application de la partie IV de la Loi et pour l'application du présent règlement, « employeur » s'entend notamment d'une personne qui verse ou a versé la rémunération d'un assuré pour des services rendus dans l'exercice d'un emploi assurable.

[40]     Selon le paragraphe 2(1) du RRAPC, l'ensemble des montants que reçoit un assuré et qui lui sont versés par son employeur constitue sa rémunération assurable.

[41]     Les paragraphes 1(2) et 10(1) portent à croire que le terme « employeur » désigne aussi un « employeur présumé » au sens du RRAPC. Par conséquent, pour les motifs susmentionnés, je conclus que les pourboires versés par l'appelant aux employés de l'intervenante constituent une rémunération assurable au sens de la Loi et du RRAPC et que l'appelant, en tant qu'employeur présumé, est responsable, conformément au paragraphe 10(1) du RRAPC, du paiement, de la déduction et du versement des cotisations exigibles à l'égard de cette rémunération assurable en vertu de la Loi et du RRAPC.

[42]     La décision du ministre est donc confirmée et l'appel est rejeté.

Signé à Ottawa, Canada, ce 7e jour de décembre 2004.

« Lucie Lamarre »

Juge Lamarre

Traduction certifiée conforme

ce 21e jour de juillet 2005.

Sara Tasset


RÉFÉRENCE :

2004CCI799

NO DU DOSSIER DE LA COUR :

2003-2345(EI)

INTITULÉ DE LA CAUSE :

Union of Saskatchewan Gaming Employees Local 40005 c. M.R.N. et Société des jeux de hasard de la Saskatchewan

LIEU DE L'AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :

28 avril 2004

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :

L'honorable Lucie Lamarre

DATE DU JUGEMENT :

7 décembre 2004

COMPARUTIONS :

Avocat de l'appelant :

Me James Cameron

Avocate de l'intimé :

Me Joanna Hill

Avocat de l'intervenante :

Me Kurt Wintermute

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour l'appelant :

Nom :

Me James Cameron

Cabinet :

Raven, Allen, Cameron & Ballantyne

Pour l'intimé :

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

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