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Dossier : 2004‑4626(IT)I

ENTRE :

LUCY HUMPHREY,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

 

Appel entendu le 9 mars 2006, à Kingston (Ontario).

 

Devant : L’honorable juge en chef D.G.H. Bowman

 

Comparutions :

 

Pour l’appelante :                               L’appelante elle‑même

 

Avocat de l’intimée :                           Me George Boyd Aitken

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

          L’appel interjeté à l’encontre de la cotisation établie en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu pour l’année d’imposition 2002 est rejeté.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 16e jour de mars 2006.

 

 

 

« D.G.H. Bowman »

Juge en chef Bowman

 

Traduction certifiée conforme

ce 13e jour de juin 2007.

D. Laberge, LL.L.


 

 

 

Référence : 2006CCI168

Date : 20060316

Dossier : 2004‑4626(IT)I

 

ENTRE :

LUCY HUMPHREY,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge en chef Bowman

 

[1]     Le présent appel est interjeté à l’encontre d’une cotisation établie en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu à l’égard de l’appelante pour l’année d’imposition 2002. Les faits sont quelque peu inhabituels, et l’affaire soulève une question de droit intéressante.

 

[2]     En 1997, 1998, 1999 et 2000, l’appelante a détourné un total de 96 982 $ de son employeur, Loughborough Inn, de la manière suivante :

 

1997             -        13 103 $

1998             -        19 487 $

1999             -        37 527 $

2000             -        26 865 $

                                                96 982 $

 

[3]     Une vérification judiciaire a permis de révéler que l’appelante avait pris l’argent. Elle a été accusée et déclarée coupable. La cour lui a ordonné de rembourser à son employeur l’argent qu’elle avait pris.

 

[4]     Le 6 avril 2001, le ministre du Revenu national a établi une cotisation à l’égard de l’appelante relativement aux sommes volées en 1997, 1998 et 1999. Après avoir reçu les avis de cotisation, l’appelante a consulté un conseiller financier qui lui a dit qu’elle devrait faire faillite. Elle a consulté un syndic de faillite et a fait une déclaration de faillite le 26 avril 2001.

 

[5]     Le 26 juillet 2002, une cotisation a été établie à son égard pour l’année 2000 concernant le montant de 26 865 $ qu’elle avait volé à son employeur cette année‑là.

 

[6]     À la suite de l’établissement de ces cotisations, elle devait un montant de 49 159,23 $ pour l’impôt, les intérêts et les pénalités qui découlaient des fonds qu’elle avait détournés de son employeur. Ce montant constituait presque la totalité de la réclamation en matière de faillite.

 

[7]     Elle a été libérée de la faillite le 27 janvier 2002, et le syndic a été libéré le 29 avril 2003. Le 15 mai 2003, le ministre a radié le montant dû de 49 159,23 $ qui découlait des nouvelles cotisations. À partir de ce moment‑là, elle a été libérée pour toujours de l’obligation de payer le montant. En fait, elle n’a jamais rien payé à cet égard, et le ministre n’a rien reçu dans le cadre de la faillite pour ce qui est de sa réclamation contre elle.

 

[8]     Après sa libération, elle a commencé, conformément à l’ordonnance de la cour, à rembourser à son employeur l’argent qu’elle avait volé. Elle a consciencieusement payé 500 $ par mois jusqu’à maintenant. Avant d’être en faillite, elle a appelé le bureau local de l’Agence des douanes et du revenu du Canada (l’« ADRC »), et on lui a dit qu’elle pouvait déduire les paiements. Après avoir fait faillite, elle a de nouveau parlé avec une fonctionnaire de l’ADRC, elle lui a dit qu’elle avait fait faillite et on lui a de nouveau dit qu’elle pouvait déduire les paiements. Je suppose que cette fonctionnaire s’est fondée sur le bulletin d’interprétation IT‑256R, qui est rédigé comme suit :

 

DATE : le 27 août 1979

 

OBJET : LOI DE L’IMPÔT SUR LE REVENU

Gains provenant d’un vol, d’un détournement de fonds ou de malversation

 

RENVOI : Alinéa 3a) (également l’article 4, l’alinéa 15(1)b) et le paragraphe 163(2) de la Loi).

 

Le présent bulletin annule et remplace le bulletin d’interprétation IT‑256 du 14 octobre 1975. Les révisions sont indiquées par des traits verticaux.

 

1.     Le IT‑185 traite des pertes découlant d’un vol, d’un détournement de fonds ou de malversation. Le présent bulletin porte sur le traitement de ces sommes détenues par le bénéficiaire ainsi que des espèces ou des biens reçus à la suite d’extorsion, de chantage, de corruption ou d’autres actions semblables.

 

2.     Ces fonds ou ces biens constituent un revenu provenant d’une source et sont, à ce titre, imposables pour le bénéficiaire. Les espèces ou la juste valeur marchande des biens reçus sont ajoutés au revenu du bénéficiaire dans l’année où il les a touchés.

 

3.     Les contribuables qui reçoivent des fonds ou des biens de ce genre peuvent encourir une pénalité en vertu du paragraphe 163(2) pour chaque année où ce revenu a été touché et non déclaré.

 

4.     Lorsqu’il y a remboursement des sommes comptées dans le revenu d’un contribuable conformément au numéro 2 ci‑dessus, le Ministère accorde normalement une déduction à cet égard pour l’année d’imposition au cours de laquelle le remboursement est effectué, à moins que le contribuable ne fût un actionnaire principal ou un cadre supérieur de la partie lésée au moment du vol ou de toute autre action à laquelle s’applique le présent bulletin.

 

[9]     Le bulletin établit une pratique administrative avantageuse et raisonnable, et je ne voudrais pas mettre en doute son bien‑fondé. Le numéro 4 semble toutefois laisser un certain pouvoir discrétionnaire au ministre.

 

[10]    Les avis donnés à Mme Humphrey par les fonctionnaires du bureau local constitueraient probablement une représentation juste de la pratique administrative normale, mais de telles opinions exprimées par des fonctionnaires du revenu à l’égard de questions de droit ne lient ni la Couronne ni la Cour. Dans la décision Goldstein v. The Queen, 96 DTC 1029, à la page 1033, les propos suivants ont été tenus :

 

        Je passe maintenant à la question de la préclusion.

 

        Il existe une jurisprudence volumineuse sur la question de la préclusion dans les affaires fiscales, et il ne serait pas utile de passer une fois de plus les divers cas en revue. Je tenterai toutefois d’énoncer les principes tels que je les comprends, du moins dans la mesure où ils sont pertinents. La préclusion se présente sous diverses formes : préclusion du fait du comportement, préclusion de chose jugée et préclusion du fait d’acte formaliste. Dans certains cas, il est fait référence à une notion d’« equitable estoppel » (préclusion en equity), expression qui n’est pas nécessairement exacte4. Qu’il suffise de dire que le seul type de préclusion qui nous intéresse ici est la préclusion du fait du comportement. Dans l’arrêt Canadian Superior Oil Ltd. c. Paddon‑Hughes Development Co. Ltd. [1970] R.C.S. 932, pp. 939‑940, le juge Martland énonce comme suit les facteurs donnant lieu à une préclusion :

 

 

        Les facteurs essentiels pour fonder une fin de non‑recevoir sont, je pense, les suivants :

 

        (1) Une affirmation, ou une conduite y équivalant, qui a pour but d’inciter la personne à qui elle est faite à adopter une certaine ligne de conduite.

 

        (2) Une action ou une omission résultant de l’affirmation, en paroles ou en actes, de la part de la personne à qui l’affirmation est faite.

 

        (3) Un préjudice causé à cette personne en conséquence de cette action ou omission.

 

        La préclusion n’est plus simplement une règle de preuve. C’est une règle de droit positif5. Lord Denning en parle comme d’un « principe de justice et d’équité »6.

 

        On dit parfois que la préclusion n’est pas recevable contre la Couronne. Cette affirmation n’est pas exacte et semble provenir d’une mauvaise application du terme préclusion. Le principe de la préclusion lie la Couronne, tout comme d’autres principes de droit. La préclusion du fait du comportement, telle qu’elle s’applique à la Couronne, comprend des déclarations de faits de fonctionnaires de la Couronne sur lesquelles le sujet s’est fondé et en fonction desquelles il a agi, à son détriment7. La doctrine n’a aucune application lorsqu’une interprétation particulière d’une loi a été communiquée à un sujet par un fonctionnaire de l’État, que le sujet s’est fondé sur cette interprétation à son détriment et que le gouvernement a ensuite retiré ou modifié l’interprétation. Dans un tel cas, un contribuable cherche parfois à invoquer la doctrine de la préclusion. Ce n’est pas approprié, non pas parce que ces déclarations donnent lieu à une préclusion qui ne lie pas la Couronne, mais plutôt parce qu’aucune préclusion ne peut se poser lorsque de telles déclarations ne sont pas conformes au droit. Bien que la préclusion soit maintenant un principe de droit positif, elle prend son origine dans le droit de la preuve et, en tant que telle, se rapporte aux déclarations de faits. Elle n’a aucun rôle à jouer lorsque des questions d’interprétation du droit sont en cause, car la préclusion ne peut déroger au droit8.

 

        La question de l’interprétation de l’alinéa 146(1)c) est une question de droit, et je dois la trancher conformément au droit tel que je le comprends. Je ne saurais éviter cette obligation parce que le ministère du Revenu national peut avoir adopté antérieurement une interprétation différente de celle qu’il avance maintenant. La question n’est pas de savoir si la Couronne est liée par une interprétation antérieure sur laquelle un contribuable s’est fondé. Il est plus exact de dire que les tribunaux, qui sont tenus de trancher les litiges conformément au droit, ne sont pas liés par des déclarations, opinions ou aveux relatifs au droit de la part des parties9.

 

        L’application de la règle dans l’affaire Maritime Electric et les nombreuses autres affaires à cet effet peut avoir, dans des cas particuliers, des conséquences malheureuses pour un contribuable qui, de bonne foi, se fonde sur une interprétation ministérielle qui est par la suite modifiée. Néanmoins, il n’est pas dans l’intérêt de la justice que les tribunaux soient entravés par des interprétations erronées du droit de la part de fonctionnaires de l’État10.

 

        L’appel est rejeté.

 

_________________________________________________________

 

     4     Canadian Pacific Railway Co. v. The King [1931] A.C. 414, à la p. 429. Cf. Central London Property Trust Ltd. v. High Trees House Ltd. (1946) [1947] 1 K.B. 130.

      5     Halsbury’s Laws of England, 4e éd., vol. 16, p. 840, paragraphe 951.

      6     Moorgate Mercantile Co. Ltd. v. Twitchings [1976] 1 B.R. 225, à la p. 241.

      7     Robertson v. Minister of Pensions [1949] 1 B.R. 227; The Queen v. Langille, 77 D.T.C. 5086. Les cas antérieurs ont été examinés à fond par le juge Cameron dans Woon v. M.N.R., 50 D.T.C. 871.

      8     Maritime Electric Co. v. General Dairies Ltd. [1937] A.C. 610; M.N.R. v. Inland Industries Ltd., 72 D.T.C. 6013; Stickel v. M.N.R., 72 D.T.C. 6178 et Granger c. C.E.I.C. [1986] 3 C.F. 70.

      9     C.(G ) v. V.‑F.(T.) [1987] 2 R.C.S. 244, aux pp. 257‑258; Custom Glass Ltd. v. M.N.R., 67 D.T.C. 5207, à la p. 5210; L.I.U.N.A. Local 527 Members’ Training Trust Fund v. The Queen, 92 D.T.C. 2365, à la p. 2369.

      10   Je laisse entièrement de côté la question des décisions anticipées, qui représentent une partie importante et nécessaire de l’application de la Loi de l’impôt sur le revenu. Le ministère du Revenu national considère qu’il est lié par ces décisions. Autant que je sache, aucune décision anticipée qui avait été communiquée à un contribuable et sur laquelle ce dernier s’était fondé n’a jamais été répudiée par le ministre, à l’encontre du contribuable à qui la décision avait été communiquée. Le système s’effondrerait si le ministre agissait de la sorte.

 

[11]    Je reviens donc à la question : pourquoi Mme Humphrey devrait‑elle avoir le droit de déduire le montant de 6 000 $ qu’elle a remboursé à son employeur par année alors que, en raison de sa faillite, elle n’a jamais payé et elle ne payera jamais l’impôt relatif aux montants qu’elle a volés à son employeur? Au cours de la plaidoirie de la Couronne, j’ai dit à MAitken que la position de la Couronne était tout à fait conforme au bon sens, mais que je préférerais que ma décision repose davantage sur des principes juridiques. C’est un fondement de cette nature que je me propose de m’efforcer d’établir, avec une certaine appréhension.

 

[12]    Je pars du principe selon lequel le revenu tiré d’activités criminelles est un revenu tiré d’une entreprise. Dans le bulletin d’interprétation cité ci‑dessus, il est indiqué qu’un tel revenu est un « revenu provenant d’une source ». Je ne crois pas qu’il s’agisse d’un énoncé digne d’intérêt. Dans la décision K.L. Svidal v. Canada, [1995] 1 C.T.C. 2692, les observations suivantes ont été formulées à la page 2697 :

 

        Il est établi en droit que les produits de la criminalité constituent des revenus imposables. Je ne peux imaginer les circonstances dans lesquelles ce type de revenu ne pourrait être qualifié de revenu d’entreprise. La lettre du ministère, proposant d’apporter des rajustements au revenu de l’appelant, indique que les ajouts proposés au revenu sont des « revenus provenant d’une source ». On parle souvent aujourd’hui de « revenus provenant d’une source », comme si des revenus pouvaient exister dans l’abstrait, en l’absence d’une source précise. Le concept est plutôt anodin, mais on peut en contester l’exactitude. Il ne peut exister de revenu dont on ne puisse définir la source. Les montants ajoutés au revenu de l’appelant sont décrits dans la réponse à l’avis d’appel comme des revenus provenant d’une entreprise frauduleuse. La Loi de l’impôt sur le revenu exige qu’un contribuable soit imposé sur les revenus dont la source se situe à l’intérieur ou à l’extérieur du Canada, y compris le revenu tiré de chaque charge, d’un emploi, d’une entreprise et d’un bien. D’autres articles de la Loi de l’impôt sur le revenu, inclus dans la sous‑section d de la section B, exigent que les revenus provenant de sources supplémentaires précises soient inclus – par exemple les revenus provenant de fiducies, de régimes enregistrés d’épargne‑retraite, de pensions et de nombreuses autres sources non couvertes par les mots « bien, entreprise ou emploi ». Il est difficile d’imaginer d’autres sources de revenus que celles déjà mentionnées dans la Loi de l’impôt sur le revenu1.

 

        Les sommes reçues par l’appelant sont des revenus d’entreprise, et elles le demeurent indépendamment du nombre d’entités constituées et de comptes bancaires par lesquels elles ont transité.  Le caractère illégal de l’activité dont proviennent les profits s’attache aux fonds et les suit jusqu’à leur bénéficiaire final qui, en l’espèce, est l’appelant. Ce caractère illégal n’est pas éliminé par le passage des fonds à travers une série d’entités ou de formes.  Le circuit compliqué emprunté par les fonds fait au contraire partie intégrante de la fraude2.

 

[…]

 

        Un des arguments les plus astucieux et intéressants avait trait aux conséquences, sur les années d’imposition 1984 et 1985 de l’appelant, de l’ordonnance d’indemnisation rendue par la Cour de l’Alberta en 1991, qui exigeait de l’appelant et de ses coaccusés qu’ils versent 10 075 735,55 $ à Coopers and Lybrand Limited. Selon cette thèse, cette somme devrait être admise en déduction dans le calcul du revenu tiré par l’appelant de l’entreprise qualifiée de frauduleuse par la Couronne. Si je comprends bien, l’argument est que l’obligation de rembourser les sommes a été fixée par l’ordonnance d’indemnisation rendue en 1991, mais que, comme elle se rapporte à l’entreprise exploitée en 1984 et 1985, elle devrait être admise en déduction pour ces années.

 

        La thèse soulève plus de problèmes que je ne suis prêt à en aborder en l’espèce. Elle suppose que les revenus provenant de la criminalité doivent être calculés selon la méthode de la comptabilité d’exercice – une prétention au sujet de laquelle aucune jurisprudence n’a été citée, ni n’a été entendu d’expert‑comptable. Elle suppose en outre que, dès qu’un crime est commis, il existe une responsabilité latente qui ne se concrétise que si l’accusé est condamné, après sa déclaration de culpabilité, à payer une indemnité ou à faire restitution. Elle pose aussi, sous l’angle de l’intérêt public, la question de savoir si ces types de paiements devraient être admis en déduction. Comme il en a déjà été fait mention, l’appelant n’a fait aucun paiement en application de l’ordonnance d’indemnisation, et rien ne laisse présager qu’il en fera jamais. L’argument n’est pas étranger à celui présenté sans succès dans l’arrêt The Queen v. Poynton, 72 D.T.C. 6329 (C.A. Ontario).

 

        Aussi intéressante que puisse être une étude plus poussée de ces questions d’ordre théorique, il suffit de dire, pour trancher sur ce point, que l’ordonnance d’indemnisation a été rendue en 1991 et qu’elle ne peut avoir d’effet sur les revenus de 1984 et 1985 de l’appelant. Notre régime fiscal ne permet pas la réouverture d’années antérieures de façon à tenir compte d’événements survenus au cours d’années postérieures, sauf dans les circonstances particulières mentionnées dans la Loi de l’impôt sur le revenu : voir l’affaire M.N.R. v. Benaby Realties Limited, 67 D.T.C. 5275.

 

_____________________________________________________________

 

      1     L’arrêt Curran v. M.N.R., 59 D.T.C. 1247 (C.S.C.) est parfois cité à titre d’exemple d’un revenu tiré d’une source non identifiée, sans rapport avec un emploi, une entreprise ou un bien. Voir aussi les arrêts Ryall v. Hoare [1923] 2 K.B. 447 et CIR v. Duberstein et al., 60‑2 USTC 9515 (United States Supreme Court). La source, dans toutes ces causes, est une prestation de service ou un engagement de prestation de service.

 

      2     Il est intéressant de noter que, dans un contexte juridique et factuel bien différent, la Cour de l’Échiquier a statué que, lorsqu’un contribuable recevait d’une fiducie des sommes tirées d’opérations minières, ces sommes « provenaient » des opérations minières : Gilhooly v. M.N.R., [1945] Ex. C.R. 141; voir aussi Kemp v. M.N.R., 3 D.T.C. 1078.

 

[13]    Voir aussi la décision Neeb v. The Queen, 97 DTC 895, où les commentaires suivants ont été formulés à la page 902 :

 

        3.    Les honoraires d’avocat de 155 000 $. Ces honoraires ont été versés à MClayton Ruby à l’égard de la défense de M. Neeb dans l’affaire des stupéfiants. On ne sait pas trop si ces honoraires se rapportaient en partie à l’accusation d’évasion fiscale. Je suis convaincu qu’ils ont été payés.

 

        Il reste à savoir si ces honoraires sont déductibles. À coup sûr, ces dépenses ont été engagées par suite de l’entreprise illégale que M. Neeb exploitait. Je ne retiens pas la thèse de la Couronne selon laquelle, puisque l’entreprise de M. Neeb a soudainement pris fin le jour où celui‑ci a été arrêté, la « source » n’existait pas lorsqu’il a engagé la dépense de sorte que la déduction n’est pas permise. Cet argument est fondé sur la décision que le juge Cullen, de la Cour fédérale, a rendue dans l’affaire Emerson v. The Queen, 85 D.T.C. 5236 (conf. dans 86 D.T.C. 6184 (C.A.F.)) où une personne avait vendu des actions qu’elle avait payées à l’aide d’argent emprunté. Le contribuable s’est vu refuser le droit de déduire les frais d’intérêts versés une fois les actions vendues.

 

        La décision ne s’applique pas dans les cas d’obligations qui découlent directement d’une entreprise qui était exploitée, mais qui sont invoquées une fois que cette entreprise a mis fin à ses activités. Prenons par exemple le cas d’une personne qui exerçait sa profession dans le cadre d’une entreprise, mais qui a mis fin à cette entreprise pour exercer un autre emploi. Après que l’entreprise a cessé ses activités, cette personne fait l’objet de poursuites par suite d’une négligence professionnelle commise lorsqu’elle exerçait sa profession. Elle paie le montant en cause. La thèse de la Couronne, fondée sur le jugement Emerson, serait de refuser la déduction à l’égard du montant payé parce que la « source » n’existe plus. Bien sûr, cela est tout à fait absurde.

 

        Dans l’arrêt Tennant v. The Queen, 96 D.T.C. 6121 (C.S.C.) [[1996] 1 R.C.S. 305], le juge Iacobucci a dit ceci, à la p. 6126 [319‑320] :

 

         Les tribunaux d’instance inférieure ont jugé que, puisque les actions de TWL avaient une juste valeur marchande de seulement 1 000 $, alors seulement 1 000 $ de l’emprunt initial continuaient d’être utilisés aux fins de tirer un revenu d’un bien, conformément à l’arrêt Emerson c. The Queen, 86 D.T.C. 6184 (C.A.F.). Dans cet arrêt, le contribuable avait emprunté 100 000 $ pour faire l’achat d’actions de trois petites sociétés par actions. Il a vendu les actions pour 35 000 $ et a emprunté 63 750 $ pour rembourser à la banque l’emprunt initial. Le contribuable a été autorisé à déduire l’intérêt versé sur l’emprunt initial, mais non l’intérêt sur le second emprunt, et ce, pour la raison que la source de revenu n’existait plus. À mon avis, l’arrêt Emerson ne s’applique aucunement aux faits de l’espèce. En effet, l’arrêt Emerson diffère en ce que le produit de la disposition dans cette affaire n’a pas été réinvesti dans un autre bien dont l’utilisation était admissible, contrairement à ce qui a été fait en l’espèce.

 

       Voici ce qu’en dit le professeur Krishna dans « Interest Deductibility: More Form over Substance » (1993), 4 Can. Curr. Tax C17 :

 

[TRADUCTION]

La Cour fédérale [dans l’arrêt Tennant] a considéré l’utilisation directe et actuelle des fonds et la valeur du bien substitué acquis avec l’argent emprunté, avec le résultat suivant : si un investisseur emprunte de l’argent pour acheter des actions, ses frais d’intérêt relatifs à l’emprunt demeurent déductibles tant et aussi longtemps qu’il détient les actions, même si elles perdent toute leur valeur. S’il se retire d’un mauvais investissement et achète des actions de remplacement, l’intérêt ne sera déductible qu’à concurrence du coût des nouvelles actions. Il en est ainsi même si les nouvelles actions augmentent de valeur jusqu’à égaler le coût de l’investissement initial. La règle dégagée dans l’arrêt Emerson est peut‑être logique d’un point de vue technique relativement à la source, mais elle fait bien peu quant à la promotion de la nature économique et commerciale des opérations.

 

        Le jugement prononcé par le juge Iacobucci ne le montre pas très clairement, mais le fait que le juge ait cité l’article du professeur Krishna, apparemment en l’approuvant, semblerait laisser entendre qu’il doute du bien‑fondé de la décision Emerson. Cela permettrait à tout le moins de restreindre la portée de cette décision aux faits qui lui sont propres.

 

        Il serait possible de soutenir que les frais d’avocat qu’une personne engage en vue de se défendre constituent un incident nécessaire dans le cadre de l’exploitation d’une entreprise illégale, mais je préfère fonder ma décision sur un motif différent. M. Neeb s’est défendu contre les accusations relatives au trafic de stupéfiants, non parce qu’il avait l’intention d’exploiter une entreprise illégale de trafic de stupéfiants mais parce qu’il ne voulait pas aller en prison ou du moins voulait éviter d’aller en prison plus longtemps que nécessaire. Il ne défendait pas son entreprise ou ses pratiques commerciales.

 

[14]    Comme il a été indiqué ci‑dessus, je pense que la politique de l’ADRC énoncée dans le bulletin d’interprétation est raisonnable et je crois qu’elle est conforme à la loi. Elle doit toutefois être appliquée avec une certaine dose de bon sens et d’équité. Il est, je crois, bien établi qu’une entreprise continue d’être exploitée tant que les obligations découlant de l’entreprise ne sont pas acquittées : voir le jugement Dagnall [1896] 2 Q.B. 407 et le jugement Theophile v. Solicitor General [1950] A.C. 186. Je ne veux pas mettre en doute le bien‑fondé de cette jurisprudence, mais je ne crois pas qu’elle corresponde tout à fait à la situation quelque peu inhabituelle en l’espèce. Je crois qu’il est peut‑être un peu irréaliste de dire que l’appelante a continué, en 2002 et au cours des années suivantes, d’exploiter l’entreprise qu’elle a exploitée de 1997 à 2000, simplement parce qu’elle respecte l’ordonnance de restitution. Même si on peut appliquer les principes des jugements Dagnall et Theophile, on se heurte au principe figurant dans l’article 67 de la Loi de l’impôt sur le revenu qui interdit la déduction de dépenses qui ne sont pas raisonnables. Même s’il était certes raisonnable pour l’appelante de rembourser les montants conformément à l’ordonnance de restitution, pour elle, si on donne une interprétation littérale, contextuelle et téléologique de l’article 67, il n’est pas raisonnable de pouvoir déduire le remboursement de montants à l’égard desquels elle n’a jamais payé d’impôt.

 

[15]    Compte tenu de toutes les circonstances, je crois que le ministre a eu raison de refuser la déduction.

 

[16]    L’appel est rejeté.

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 16e jour de mars 2006.

 

 

 

 

« D.G.H. Bowman »

Juge en chef Bowman

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 13e jour de juin 2007.

 

D. Laberge, LL.L.

 


 

RÉFÉRENCE :

2006CCI168

 

NO DU DOSSIER DE LA COUR :

2004‑4626(IT)I

 

INTITULÉ :

Lucy Humphrey c. Sa Majesté la Reine

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Kingston (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 9 mars 2006

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

L’honorable juge en chef D.G.H. Bowman

 

DATE DU JUGEMENT :

Le 16 mars 2006

 

COMPARUTIONS :

 

Pour l’appelante :

L’appelante elle‑même

 

Avocat de l’intimée :

Me George Boyd Aitken

 

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

 

Pour l’appelante :

 

Nom :

 

Étude :

 

 

 

Pour l’intimée :

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 

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