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Dossier : 2001-3398(IT)I

ENTRE :

CONNIE LOUTIER,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

_______________________________________________________________

Appel entendu le 20 août 2002 à Edmundston (Nouveau-Brunswick)

Devant : L'honorable juge François Angers

Comparutions

Représentant de l'appelante :

Guy Decarie

Avocat de l'intimée :

Me Claude Lamoureux

_______________________________________________________________

JUGEMENT

L'appel interjeté à l'encontre de la cotisation établie en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour l'année d'imposition 999 est rejeté.

Signé à Edmundston (Nouveau-Brunswick), ce 24e jour de février 2003.

« François Angers »

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 17e jour de mars 2004.

Crystal Lefebvre, traductrice


Référence : 2003CCI58

Date : 20030224

Dossier : 2001-3398(IT)I

ENTRE :

CONNIE CLOUTIER,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Angers, C.C.I.

[1]      Dans le calcul de son revenu pour l'année d'imposition 1999, l'appelante a déclaré un revenu d'emploi de 12 724 $ et a demandé une déduction correspondante. Par Avis de cotisation daté du 10 octobre 2000, le ministre du Revenu national (le « ministre » ) a refusé la déduction. L'appelante interjette appel à l'encontre de la cotisation.

[2]      Les parties ont convenu que les faits suivants s'appliquaient qu règlement du présent appel :

                   [traduction]

1.                   l'appelante est une citoyenne des États-Unis, mais elle résidait au Canada à toutes les époques pertinentes;

2.                   pendant l'année d'imposition 1999, elle était employée à titre d'enseignante par la Maine School Administrative District # 27, aux États-Unis;

3.          dans sa déclaration de revenus de 1999, l'appelante a déclaré d'autres revenus d'emploi au montant de 12 724 $ et, en vertu du sous-alinéa 110 (1)f)(i), elle a demandé une déduction au même montant aux motifs que cette dernière était visée par l'exemption prévue à l'article XIX de la Convention entre le Canada et les États-Unis d'Amérique en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune;

4.          la rémunération totale perçue par l'appelante pour les services fournis au cours de son emploi aux États-Unis était de 8 654 $ en dollars américains. Le ministre a refusé la déduction;

5.          l'appelante disposait d'un foyer d'habitation permanent au Canada, mais elle ne disposait pas d'un tel foyer aux États-Unis.

[3]      Le seul fait nié par l'appelante est celui selon lequel les services fournis par l'appelante à titre d'enseignante n'ont pas été rendus dans l'exercice de fonctions à caractère public. Les parties n'ont pas appelé de témoins.

[4]      La question en litige consiste à savoir si le revenu d'emploi de l'appelante, alors qu'elle était employée aux États-Unis à titre d'une enseignante d'une école publique, est exempté de taxation au Canada en vertu de l'article XIX de la Convention entre le Canada et les États-Unis d'Amérique en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune (la « Convention » ) qui s'applique en matière de rémunération pour l'exercice de fonctions gouvernementales. L'appelante ne conteste pas le fait qu'elle est une résidente du Canada et, de ce fait, elle doit payer l'impôt sur son revenu d'emploi. Peut-elle demander une déduction en vertu du sous-alinéa 110(1)f)(i) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi » ) ainsi rédigé :

110(1) Pour le calcul du revenu imposable d'un contribuable pour une année d'imposition, il peut être déduit celles des sommes suivantes qui sont appropriées :

            f) [...] ou toute somme [...] selon le cas :

(i) une somme exonérée de l'impôt sur le revenu au Canada par l'effet d'une disposition de quelque convention ou accord fiscal avec un autre pays qui a force de loi au Canada,

La disposition de la Convention sur laquelle l'appelante s'est fondée est l'article XIX. Il est ainsi rédigé :

Les rémunérations, autres que les pensions, payées par un État contractant ou l'une de ses subdivisions politiques ou collectivités locales à un citoyen de cet État, au titre de services rendus dans l'exercice de fonctions à caractère public, ne sont imposables que dans cet État. Toutefois, les dispositions de l'article XIV (Professions indépendantes), XV (Professions dépendantes) ou XVI (Artistes et sportifs), selon le cas, s'appliquent et la phrases [sic] précédente ne s'applique pas aux rémunérations payées au titre de services rendus dans le cadre d'une activité industrielle ou commerciale exercée par un État contractant ou l'une des [sic] ses subdivisions politiques ou collectivités locales.

[5]      Selon la position de l'appelante, l'article XIX de la Convention prévoit seulement deux types de services qui peuvent être fournis par des employés du gouvernement. Les services sont rendus soit « dans l'exercice de fonctions à caractère public » , soit « dans le cadre d'une activité industrielle ou commerciale » . Il n'existe pas une troisième catégorie de services qui ne sont ni de caractère public ni lié à une activité industrielle ou commerciale. Le cas échéant, les services rendus par l'appelante sont néanmoins de caractère public, et la rémunération de tels services n'est imposable que dans cet État, c.-à-d. les États-Unis.

[6]      Selon la position de l'intimée, l'article XIX de la Convention ne s'applique que lorsque les fonctions à caractère public sont exercées dans le cadre d'une situation où un État (État d'envoi) envoie une personne dans un autre État (État hôte) pour rendre des services de caractère public, et il ne s'applique pas aux citoyens employés dans l'État où ils sont réputés être des résidents aux fins de la Convention. Par exemple, l'avocat de l'intimée propose qu'il s'applique à une situation où une personne travaillant pour le militaire américain est envoyée travailler au Canada, mais pour le gouvernement américain. La position de l'avocat de l'intimée est appuyée par le paragraphe 2 de l'explication technique américaine de l'article XIX de la Convention qui est ainsi rédigé :

[traduction]

[...] Par conséquent, la rémunération de services rendus par un citoyen américain résidant au Canada et rendant de tels services au Canada dans l'exercice de fonctions à caractère public pour les États-Unis est imposable uniquement aux États-Unis.

[7]      L'avocat de l'intimée soutient de plus que le fait qu'une personne travaille pour le gouvernement ne signifie pas forcément que les conditions de l'article XIX de la Convention sont réunies et, plus particulièrement, le fait qu'une personne travaille pour le gouvernement ne signifie pas que les fonctions exercées sont à caractère public. L'intimée ajoute que, comme le revenu de l'appelante provient des États-Unis, la question de savoir si ses fonctions sont à caractère public devrait être tranchée selon leur concept. À l'appui de son argument, l'avocat de l'intimée a cité l'explication technique américaine de l'article 19 de la U.S. Model Income Tax Convention (modèle de convention fiscale des États-Unis) ainsi rédigée :

[traduction]

L'expression « fonctions à caractère public » n'est pas définie. En règle générale, il est admis qu'elle comprend les fonctions traditionnellement exécutées par un gouvernement. Elle ne comprend pas les fonctions que l'on trouve habituellement dans le secteur privé (par exemple, éducation, soins de santé, commodités). Au contraire, elle se limite aux fonctions qui sont, de manière générale, exécutées uniquement par le gouvernement (par exemple, les fonctions militaires, les services diplomatiques, les administrateurs fiscaux) et aux activités qui facilitent directement l'exécution de ces fonctions.

[8]      Selon l'avocat de l'intimée, l'article XIX de la Convention ne s'applique pas à la situation de l'appelante. Il conclut en affirmant que la responsabilité des impôts à payer de l'appelante doit être déterminée conformément à l'article XV de la Convention et, par conséquent, le revenu tiré par l'appelante à titre d'enseignante d'école publique est imposable au Canada.

[9]      Les dispositions de la Convention pertinentes au règlement du présent appel sont reproduites ci-dessous. J'ai également ajouté les explications techniques américaines pour certaines parties, sous réserve que ces dernières ne constituent pas une autorité sur une question de droit, mais elles constituent simplement un facteur à considérer dans le processus d'interprétation de la Convention (voir Kubicek, succession c. La Reine).

Article I : Personnes visées

La présente Convention s'applique d'une façon générale aux personnes qui sont des résidents d'un État contractant ou des deux États contractants.

[...]

Explication technique américaine de 1984

[traduction]

L'article 1 prévoit que la Convention s'applique d'une façon générale aux personnes qui sont des résidents soit du Canada, soit des États-Unis ou des deux. L'expression « d'une façon générale » est utilisée parce que certaines dispositions de la Convention s'appliquent à des personnes qui ne sont résidents ni du Canada ni des États-Unis.

Article III - Définitions générales

2. Pour l'application de la Convention par un État contractant, toute expression qui n'y est par [sic] définie a le sens que lui attribue le droit de cet État concernant les impôts auxquels s'applique la Convention, à moins que le contexte n'exige une interprétation différente et sous réserve des dispositions de l'article XXVI (Procédure amiable).

Article IV - Résidence

1. Au sens de la présente Convention, l'expression « résident d'un État contractant » désigne toute personne qui, en vertu de la législation de cet État, est assujettie à l'impôt dans cet État, en raison de son domicile, de sa résidence, de son siège de direction, de son lieu de constitution [...]

2. Lorsque, selon les dispositions du paragraphe 1, une personne physique est un résident des deux États contractants, sa situation est réglée de la manière suivante :

a) Cette personne est considérée comme un résident de l'État contractant où elle dispose d'un foyer d'habitation permanent; si elle dispose d'un foyer d'habitation permanent dans les deux États ou ne dispose d'un tel foyer dans aucun des États, elle est considérée comme un résident de l'État contractant avec lequel ses liens personnels et économiques sont les plus étroits (centre des intérêts vitaux);

b) Si l'État contractant où cette personne a le centre de ses intérêts vitaux ne peut pas être déterminé, elle est considérée comme un résident de l'État contractant où elle séjourne de façon habituelle;

c) Si cette personne séjourne de façon habituelle dans les deux États ou si elle ne séjourne de façon habituelle dans aucun des États, elle est considérée comme un résident de l'État contractant dont elle possède la citoyenneté; et

d) Si cette personne possède la citoyenneté des deux États ou si elle ne possède la citoyenneté d'aucun d'eux, les autorités compétentes des États contractants tranchent la question d'un commun accord.

[...]

Explication technique américaine de 1984 :

[...]

[traduction]

Les paragraphes 2, 3 et 4 prévoient des règles en vue de déterminer une seule résidence aux fins de la Convention pour les personnes qui, selon les règles établies au paragraphe 1, sont des résidents des deux États contractants. Le paragraphe 2 traite des personnes physiques. Au départ, une personne physique ayant une double résidence est considérée comme un résident de l'État contractant où elle dispose d'un foyer d'habitation permanent. Si elle dispose d'un foyer d'habitation permanent dans les deux États ou ne dispose d'un tel foyer dans aucun des États, elle est considérée comme un résident de l'État contractant avec lequel ses liens personnels et économiques sont les plus étroits. Si les liens personnels et économiques d'une personne ne sont pas plus étroits avec un des États contractants que l'autre, elle est considérée comme un résident de l'État contractant où elle séjourne de façon habituelle. Si cette personne séjourne de façon habituelle dans les deux États ou si elle ne séjourne de façon habituelle dans aucun des États, elle est considérée comme un résident de l'État contractant dont elle possède la citoyenneté. Si cette personne possède la citoyenneté des deux États ou si elle ne possède la citoyenneté d'aucun d'eux, les autorités compétentes des États contractants doivent trancher la question d'un commun accord.

5. Nonobstant les dispositions des paragraphes précédents, une personne physique est considérée comme un résident d'un État contractant si :

a) La personne physique est un employé de cet État ou de l'une de ses subdivisions politiques ou collectivités locales ou d'une de ses personnes morales ressortissant à son droit public qui rend des services dans l'exercice de fonctions de caractère public dans l'autre État contractant ou dans un État tiers; et

b) La personne physique est assujettie, à l'égard des impôts sur le revenu dans le premier État, à des obligations analogues à celles des résidents du premier État.

Article XV - Professions dépendantes

1. Sous réserve des dispositions des articles XVIII (Pensions et rentes) et XIX (Fonctions publiques), les salaires, traitements et autres rémunérations similaires qu'un résident d'un État contractant reçoit au titre d'un emploi salarié ne sont imposables que dans cet État, à moins que l'emploi ne soit exercé dans l'autre État contractant. Si l'emploi y est exercé, les rémunérations reçues à ce titre sont imposables dans cet autre État.

2. Nonobstant les dispositions du paragraphe 1, les rémunération [sic] qu'un résident d'un État contractant reçoit au titre d'un emploi salarié exercé dans l'autre État contractant au cours d'une année civile ne sont imposables que dans le premier État :

a) Si ces rémunérations n'excèdent pas dix mille dollars ($10,000) en monnaie de cet autre État; ou

b) Si le bénéficiaire séjourne dans l'autre État contractant pendant une période ou des périodes n'excédant pas au total 183 jours au cours de cette année, et si la charge des rémunérations n'est pas supportée par un employeur qui est un résident de cet autre État ou par un établissement stable ou une base fixe que l'employeur a dans cet autre État.

Article XIX - Fonctions publiques

Les rémunérations, autres que les pensions, payées par un État contractant ou l'une de ses subdivisions politiques ou collectivités locales à un citoyen de cet État, au titre de services rendus dans l'exercice de fonctions à caractère public, ne sont imposables que dans cet État. Toutefois, les dispositions de l'article XIV (Professions indépendantes), XV (Professions dépendantes) ou XVI (Artistes et sportifs), selon le cas, s'appliquent et la phrases [sic] précédente ne s'applique pas aux rémunérations payées au titre de services rendus dans le cadre d'une activité industrielle ou commerciale exercée par un État contractant ou l'une des [sic] ses subdivisions politiques ou collectivités locales.

Explication technique américaine de 1984 :

[traduction]

L'article XIX prévoit que les rémunérations, autres que les pensions, payées par un État contractant ou l'une de ses subdivisions politiques ou collectivités locales à un citoyen de cet État, au titre de services rendus dans l'exercice de fonctions à caractère public, ne sont imposables que dans cet État. (Selon le paragraphe 5 de l'article IV (Résidence), d'autres revenus peuvent également être exonérés d'imposition ou faire l'objet d'un taux réduit d'impôt dans l'État où elle rend ses services, conformément aux autres dispositions de la Convention.) Toutefois, si les services sont rendus dans le cadre d'une activité industrielle ou commerciale, les dispositions de l'article XIV (Professions indépendantes), de l'article XV (Professions dépendantes) et de l'article XVI (Artistes et sportifs), selon le cas, sont déterminantes. La question de savoir si les fonctions sont à caractère public peut être tranchée en examinant le concept de fonction publique dans l'État où le revenu est tiré.

Conformément à l'alinéa 3a) de l'article XXIX (Dispositions diverses), l'article XIX constitue une exception à la « clause de sauvegarde » . Par conséquent, la rémunération de services rendus par un citoyen américain résidant au Canada et rendant de tels services au Canada dans l'exercice de fonctions à caractère public pour les États-Unis est imposable uniquement aux États-Unis.

Article XXIV - Élimination de la double imposition

[...]

3. Pour l'application du présent article :

a) Les bénéfices, revenus ou gains (autres que les gains auxquels le paragraphe 5 de l'article XIII (Gains) s'applique) d'un résident d'un État contractant qui sont imposabbles [sic] dans l'autre État contractant conformément à la Convention (sans tenir compte du paragraphe 2 de l'article XXIX (Dispositions diverses)), sont considérées [sic] comme provenant de cet autre État; et

b) Les bénéfices, revenus ou gains d'un résident d'un État contractant qui ne sont pas imposables dans l'autre État contractant conformément à la Convention (sans tenir compte du paragraphe 2 de l'article XXIX (Dispositions diverses)) ou auxquels le paragraphe 5 de l'article XIII (Gains) s'applique sont considérés comme provenant du premier État.

4. Lorsqu'un citoyen des États-Unis est un résident du Canada, les règles suivantes s'appliquent :

a) Le Canada accorde sur l'impôt canadien une déduction à l'égard des impôts sur le revenu payés ou dus aux États-Unis à raison de bénéfices, revenus ou gains qui proviennent (au sens du paragraphe 3) des États-Unis, sauf que cette déduction n'a pas à excéder le montant de l'impôt qui serait payable aux États-Unis si le résident n'était pas un citoyen des États-Unis; et

b) Aux fins du calcul de l'impôt des États-Unis, les États-Unis accordent sur l'impôt des États-Unis un crédit d'un montant égal aux impôts sur le revenu payés ou dus au Canada après la déduction visée à l'alinéa a). Le crédit ainsi accordé ne réduit pas cette par [sic] de l'impôt des États-Unis qui est déductible de l'impôt canadien conformément à l'alinéa a).

Article XXIX - Dispositions diverses

[...]

2. Sauf dans les cas prévus au paragraph [sic] 3, aucune disposition de la Convention ne peut être interprétée comme empêchant un État contractant d'imposer ses résidents (tels que déterminés en vertu de l'article IV (Résidence)) et, en ce qui concerne les États-Unis, ses citoyens (y compris tout ancien citoyen dont l'une des raisons principales pour lesquelles il a renoncé à sa citoyenneté a été de se soustraire à l'impôt sur le revenu, mais seulement pendant une période de dix ans suivant une telle renonciation) et les sociétés qui choisissent d'être considérées comme sociétés domestiques (domestic corporations), comme s'il n'y avait pas de convention entre le Canada et les États-Unis en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune.

3. Les dispositions du paragraphe 2 ne portent pas atteinte aux obligations prises par un État contractant :

a) en vertu des [...] articles [...] XIX (Fonctions publiques) [...] XXIV (Élimination de la double imposition) [...] et XXVI (Procédure amiable);

[10]     Dans le cadre de l'interprétation d'une disposition d'un traité fiscal, l'arrêt de principe est La Reine c. Crown Forest Industries Ltd., [1995] 2 R.C.S. 802 (95 D.T.C. 5389) (ci-après Crown Forest), portant sur la signification le juge Iacobucci a établi les principes applicables. Il a cité ce qui suit à la page 5393 :

L'interprétation d'un traité vise d'abord et avant tout à trouver le sens des termes en question. Il convient donc de considérer le langage utilisé ainsi que l'intention des parties.

[11]     Par la suite, il a indiqué que l'intention des rédacteurs constitue un important facteur à considérer dans l'interprétation et l'application d'une disposition d'un traité. Il a dit ce qui suit à la page 5396 :

L'analyse de l'intention des rédacteurs d'une convention fiscale est très importante pour déterminer le champ d'application de ce traité. Comme le fait remarquer le juge Addy dans Succession J. N. Gladden c. La Reine, [1985] 1 C.T.C. 163 (C.F. 1re inst.), aux pp. 166 et 167 :

Contrairement à une loi fiscale ordinaire un traité ou une convention en matière d'impôt doit être interprété de façon libérale, de manière à appliquer les véritables intentions des parties. Il faut éviter une interprétation littérale ou légaliste lorsque l'objet fondamental du traité pourrait être rejeté ou contrecarré dans la mesure où le point particulier à l'étude est visé. [Je souligne.]

[12]     Par la suite, il a souligné les objectifs et les buts de la Convention entre le Canada et les États-Unis à la page 5396 :

Le projet de traité fiscal entre les États-Unis et le Canada vise principalement à réduire ou à éliminer la double imposition du revenu tiré, par les citoyens et les résidents de l'un ou l'autre pays, de sources situées dans l'autre pays, et à parer à tout évitement fiscal ou à toute évasion fiscale dans les deux pays.

[13]     Dans Crown Forest, précitée, la Cour a fait état d'autres documents extrinsèques qui peuvent être utilisés par les tribunaux lors de l'interprétation de traités tels que le Modèle de convention fiscale de l'OCDE concernant le revenu et la fortune, les modèles de conventions de l'ONU ainsi que des articles savants et des manuels académiques


[14]     Les articles 31 et 32 de la Convention de Vienne sur le droit des traités,à laquelle le Canada a adhéré en 1970, et qui est entrée en vigueur en 1980, établit également des principes applicables à l'interprétation des traités. Ils sont ainsi rédigés :

Article 31

[...]

1.       Un traité doit être interprété de bonne foi suivant le sens ordinaire à attribuer aux termes du traité dans leur contexte et à la lumière de son objet et de son but.

2.       Aux fins de l'interprétation d'un traité, le contexte comprend, outre le texte, préambule et annexes inclus :

a) tout accord ayant rapport au traité et qui est intervenu entre toutes les parties à l'occasion de la conclusion du traité;

b) tout instrument établi par une ou plusieurs parties à l'occasion de la conclusion du traité et accepté par les autres parties en tant qu'instrument ayant rapport au traité.

3.       Il sera tenu compte, en même temps que du contexte :

a) de tout accord ultérieur intervenu entre les parties au sujet de l'interprétation du traité ou de l'application de ses dispositions; [...]

Article 32

[...]

Il peut être fait appel à des moyens complémentaires d'interprétation, et notamment aux travaux préparatoires et aux circonstances dans lesquelles le traité a été conclu, en vue, soit de confirmer le sens résultant de l'application de l'article 31, soit de déterminer le sens lorsque l'interprétation donnée conformément à l'article 31 :

a) laisse le sens ambigu ou obscur; ou

b) conduit à un résultat qui est manifestement absurde ou déraisonnable.

[15]     Le paragraphe 2 de l'explication technique américaine de 1984 de l'article XIX est ainsi rédigé :

[traduction]

Conformément à l'alinéa 3a) de l'article XXIX (Dispositions diverses), l'article XIX constitue une exception à la « clause de sauvegarde » . Par conséquent, la rémunération de services rendus par un citoyen américain résidant au Canada et rendant de tels services au Canada dans l'exercice de fonctions à caractère public pour les États-Unis est imposable uniquement aux États-Unis.

[16]     L'intimée se fonde sur cette explication technique américaine pour soutenir que l'article XIX a été adopté en vue de traiter strictement des citoyens travaillant à l'étranger dans l'exercice de fonctions à caractère public. Bien que l'explication technique américaine ne soit qu'un facteur dans le processus d'interprétation, l'arrêt Crown Forest (précitée) l'a appuyée lorsque le juge Iacobucci a fait le commentaire suivant, à la page 5396, relativement à la portée générale de la Convention :

À ce stade-ci de l'analyse, il importe de prendre un léger recul et de déterminer avec exactitude qui devait bénéficier de la Convention. Font partie du groupe visé les Canadiens qui travaillent aux États-Unis (ou l'inverse) et les compagnies canadiennes exploitées aux États-Unis (ou l'inverse là encore). [...]

[17]     Bien que l'article XIX ne mentionne pas précisément les citoyens employés dans l'exercice de fonctions à caractère public dans d'autres États contractants, il semble que l'objectif principal de l'adoption de l'article XIX, si ce n'est son seul objectif, était de fournir la règle d'imposition applicable aux employés travaillant dans l'exercice de fonctions à caractère public à l'étranger. Sans l'article XIX, ces employés seraient imposables en vertu de l'article XV dans l'État où ils travaillent.

[18]     Le Modèle de convention fiscale de l'OCDE concernant le revenu et la fortune, sur lequel la Convention entre le Canada et les États-Unis est fondée en partie, semble appuyer le fait que les employés du gouvernement qui travaillent à l'intérieur du pays ne sont pas les personnes visées par les rédacteurs relativement à la portée de l'article XIX. Ce dernier visait les employés travaillant à l'étranger au service de leur pays.

[19]     L'expression [traduction] « services à caractère public » n'est pas définie dans la Convention. Le paragraphe 1 de l'explication technique américaine qui accompagne l'article XIX de la Convention prévoit notamment ce qui suit :

[traduction]

La question de savoir si les fonctions sont à caractère public peut être tranchée en examinant le concept de fonction publique dans l'État où le revenu est tiré.

[20]     Dans cette perspective, l'article 19 de la U.S. Model Convention (convention modèle américaine) et son explication technique américaine semblent exclure les services d'enseignement aux fins de l'article XIX. L'article 19 et l'explication technique américaine prévoient ce qui suit :

[traduction]

Article 19 FONCTIONS PUBLIQUES

1.      Nonobstant les dispositions des articles 14 (Professions indépendantes), 15 (Professions dépendantes), 16 (Tantièmes) et 17 (Artistes et sportifs) :

a) Les rémunérations, autres que les pensions, payées à même les fonds publics par un État contractant ou les autorités de ses États, y compris leurs collectivités locales, à une personne physique, au titre de services rendus à cet État, autorités de ses États dans l'exercice de fonctions à caractère public, sous réserve des dispositions de l'alinéa b), ne sont imposables que dans cet État;

b) Ces rémunérations ne sont toutefois imposables que dans l'autre État contractant si les services sont rendus dans cet État et si la personne physique est un résident de cet État qui :

i)           possède la citoyenneté de cet État; ou

ii)          n'est pas devenu un résident de cet État à seule fin de rendre les services.

2.       Nonobstant les dispositions du paragraphe 1 de l'article 18 (Pensions, Sécurité sociale, Rentes, Pension alimentaire et Pension alimentaire pour enfants) :

a) toute pension payée à même les fonds publics par un État contractant ou les autorités de ses états, y compris leurs collectivités locales, à une personne physique, au titre de services rendus à cet État, autorités de ses états dans l'exercice de fonctions à caractère public, sous réserve des dispositions de l'alinéa b), ne sont imposables que dans cet État;

b) ces pensions ne sont toutefois imposables que dans l'autre État contractant si la personne physique est un résident de cet État et possède la citoyenneté de cet État.

Explication technique américaine

L'expression « fonctions à caractère public » n'est pas définie. En règle générale, il est admis qu'elle comprend les fonctions traditionnellement exécutées par un gouvernement. Elle ne comprend pas les fonctions que l'on trouve habituellement dans le secteur privé (par exemple, éducation, soins de santé, commodités). Au contraire, elle se limite aux fonctions qui sont, de manière générale, exécutées uniquement par le gouvernement (par exemple, les fonctions militaires, les services diplomatiques, les administrateurs fiscaux) et aux activités qui facilitent directement l'exécution de ces fonctions.

[21]     L'article 19 du Modèle de convention fiscale de l'OCDE est presque identique à l'article XIX de la Convention entre le Canada et les États-Unis. La disposition modifiée actuelle du Modèle de convention ne comprend plus la phrase « fonctions » à caractère public.

[22]     Dans une publication de l'ADRC intitulée The Income Tax Treaties Reference Manual (manuel de référence des traités fiscaux) portant la référence 94 ITC 301, selon Revenu Canada, ces fonctions comprennent les fonctions exécutives, législatives et judiciaires et comprennent notamment l'élaboration, la détermination, la mise en oeuvre et l'application des politiques gouvernementales. L'ancienne Convention fiscale entre le Canada et les États-Unis d'Amérique accordait une exemption d'impôt aux professeurs ou aux enseignants dans l'État hôte qui étaient des résidents de l'autre État contractant mais qui résidaient temporairement dans l'État hôte aux fins d'enseigner à l'université, au collège, à l'école ou à tout autre établissement d'enseignement (article VIIIA). Cette disposition n'est pas incluse dans la convention actuelle. Il semble que l'intention tant du Canada que des États-Unis était d'imposer les services d'enseignement dans les écoles publiques et à l'université conformément au régime de l'article XV.

[23]     Je conclus donc que l'appelante n'était pas employée dans l'exercice de fonctions à caractère public au sens de l'article XIX de la Convention et, par conséquent, elle ne peut déduire l'exemption accordée par la disposition portant sur de tels services. L'appelante est tenue de payer de l'impôt au Canada en vertu de l'article XV de la Convention au motif que la rémunération tirée ne dépassait pas 10 000 $US conformément à l'alinéa 2a). Selon l'article XIV de la Convention entre le Canada et les États-Unis, l'appelante peut déduire un crédit en vertu de la Convention relativement aux impôts payables aux États-Unis.

[24]     L'appel est donc rejeté.

Signé à Edmundston (Nouveau-Brunswick), ce 24e jour de février 2003.

« François Angers »

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 17e jour de mars 2004.

Crystal Lefebvre, traductrice

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