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Date : 20011030

Dossiers : 2000-1170-IT-I, 1999-4762-IT-I, 98-3850-IT-I

ENTRE :

GILLES G. BEAUPRÉ,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifsdu jugement

La juge Lamarre Proulx, C.C.I.

[1]            Ces appels ont été entendus sur preuve commune. Ils concernent les années d'imposition 1995 à 1998.

[2]            La question en litige est de savoir si les montants payés par l'appelant à la mère de son enfant, avec laquelle il n'a pas été marié, en conformité avec un jugement en date du 27 novembre 1984, peuvent être déduits par l'appelant en vertu des dispositions relatives à la déduction du paiement d'une pension alimentaire dans la Loi de l'impôt sur le revenu (la " Loi ").

[3]            Les faits sur lesquels le ministre du Revenu national (le " Ministre ") s'est appuyé sont admis et ils sont, à toutes fins utiles, identiques pour les années d'imposition en litige :

1)              L'appelant et madame Agathe Forget furent des conjoints de fait jusqu'en 1979. De leur union est née une fille, prénommée Amélie.

2)              Selon un jugement rendu le 27 novembre 1984, la garde d'Amélie fut confiée à la mère. Selon le même jugement, l'appelant doit verser à son ex-conjointe de fait une somme hebdomadaire de 75 $ à l'égard de son enfant. Ladite pension alimentaire est indexée à chaque date anniversaire du jugement.

3)              Au cours des années d'imposition en litige, l'appelant vivait séparé de madame Forget.

[4]            Pour les années 1995 à 1996, le Ministre refusa la déduction des sommes payées par l'appelant à titre de pension alimentaire ou autre allocation payable périodiquement parce que les parties n'avaient pas fait un choix conjoint par écrit prévoyant que les dites sommes seraient régies par les alinéas 56(1)c.1) et 60c).1 de la Loi.

[5]            Pour les années 1997 et 1998, le Ministre a refusé la déduction des sommes réclamées parce que les parties n'ont pas fait un choix conjoint par écrit prévoyant que les dites sommes seraient régies par le paragraphe 56.1(2) (anciennement l'alinéa 56(1)c.1) et le paragraphe 60.1(2) (anciennement l'alinéa 60c.1) de la Loi. Nous verrons plus loin qu'il ne s'agit pas des articles pertinents.

Analyse

[6]            Pour les fins de l'analyse de ce dossier, un historique de la disposition pertinente est requis. L'alinéa 60c.1) de la Loi a été ajouté par L.C. 1980-81-82-83, ch. 140, par. 28(2) :

28(2)        L'alinéa 60c) de ladite loi est abrogé et remplacé par ce qui suit :

c)              toute somme payée au cours de l'année par le contribuable, en vertu d'une ordonnance rendue par un tribunal compétent, à titre d'allocation payable périodiquement pour subvenir aux besoins du bénéficiaire, d'enfants du bénéficiaire ou à la fois du bénéficiaire et d'enfants du bénéficiaire si, au moment où le paiement a été effectué et jusqu'à la fin de l'année, le contribuable vivait séparé de son conjoint auquel il était tenu de faire le paiement;

c.1)           une somme payée dans l'année par le contribuable, en vertu d'une ordonnance rendue par un tribunal compétent en conformité avec la loi d'une province, à titre d'allocation payable périodiquement pour subvenir aux besoins du bénéficiaire, d'enfants du bénéficiaire ou à la fois du bénéficiaire et d'enfants du bénéficiaire, si, à la date où le paiement a été effectué et jusqu'à la fin de l'année, le contribuable vivait séparé du bénéficiaire et si ce dernier était un particulier appartenant à une catégorie prescrite de personnes prévue dans la loi de cette province;

[7]            Cette disposition a été mise en vigueur selon les termes du paragraphe 28(13) de la même loi modificative qui se lit comme suit :

(13)          Le paragraphe (2) s'applique aux paiements effectués

a)             après le 11 décembre 1979, dans le cas d'une ordonnance rendue après cette date; et

b)             dans l'année d'imposition et les années d'imposition suivantes, dans tous les autres cas où le bénéficiaire et le contribuable s'entendent par écrit à une date quelconque de l'année d'imposition.

[8]            L'alinéa 60c) de la Loi (ci-dessus) ne s'appliquait pas à l'appelant parce que l'appelant n'était pas marié. L'alinéa 60c.1) s'appliquait dans le cas des personnes non mariées, sauf qu'il fallait que le bénéficiaire appartienne à une catégorie prescrite par la loi de la province de résidence du bénéficiaire. Seule l'Ontario a eu une telle législation.

[9]            L'alinéa 60c.1) a été modifié en 1988 par L.C. 1988, ch. 55, par. 37(1), comme suit :

37(1)        L'alinéa 60c.1) de la même loi est abrogé et remplacé par ce qui suit :

c.1)           une somme que le contribuable a payée au cours de l'année en vertu d'une ordonnance rendue par un tribunal compétent en conformité avec la législation d'une province, à titre d'allocation payable périodiquement pour subvenir aux besoins du bénéficiaire, d'enfants de celui-ci ou à la fois du bénéficiaire et d'enfants de celui-ci si :

(i)             l'ordonnance a été rendue :

(A)           soit après le 10 février 1988,

(B)            soit avant le 11 février 1988, si le contribuable et le bénéficiaire ont fait un choix conjoint par écrit avant la fin de l'année pour que le présent alinéa et l'alinéa 56(1)c.1) s'appliquent au paiement,

(ii)            à la date du paiement et jusqu'à la fin de l'année, le contribuable vivait séparé du bénéficiaire, et

(iii)           le contribuable tenu de payer le montant est un particulier de sexe opposé :

(A)           qui, avant la date de l'ordonnance, vivait avec le bénéficiaire dans une situation assimilable à une union conjugale, ou

(B)            qui est le père naturel ou la mère naturelle d'un enfant du bénéficiaire.

[10]          Cet amendement avait pour effet de supprimer la nécessité d'appartenir à la catégorie prescrite de personnes prévue dans la loi d'une province. L'application était générale pour les ordonnances rendues après le 10 février 1988. Toutefois, pour les ordonnances rendues avant le 11 février 1988, le contribuable et le bénéficiaire devaient faire ou avoir fait un choix conjoint par écrit, pour que l'alinéa 60c.1) et l'alinéa 56(1)c.1) s'appliquent au paiement.

[11]          L'alinéa 60c.1) de la Loi a été modifié à nouveau en 1993, la même année où la notion de conjoint de fait a été incluse dans celle de conjoint. Le paragraphe 20(2) de l'annexe VIII de la Loi visant à adapter certaines dispositions législatives relatives à l'impôt sur le revenu au texte révisé de la Loi de l'impôt sur le revenu et des Règles concernant l'application de l'impôt sur le revenu, L.C. 1994, ch. 7 a remplacé l'alinéa 60c.1) par l'alinéa 60c). Le paragraphe 20(2) se lit comme suit :

20(2)        L'alinéa 60c.1) de la même loi est remplacé par ce qui suit :

...

c)              un montant payé par le contribuable au cours de l'année à titre d'allocation payable périodiquement pour subvenir aux besoins du bénéficiaire, d'enfants de celui-ci ou à la fois du bénéficiaire et de ces enfants, si les conditions suivantes sont réunies :

(i)             au moment du paiement et durant le reste de l'année, le contribuable vivait séparé du bénéficiaire,

(ii)            le contribuable est le père naturel ou la mère naturelle d'un enfant du bénéficiaire,

(iii)           le montant a été reçu en vertu d'une ordonnance rendue par un tribunal compétent en conformité avec la législation d'une province;

[12]          Le paragraphe 20(12) de cette même loi modificative se lit comme suit :

20(12)      Le paragraphe (2) s'applique aux ordonnances rendues après 1992.

[13]          En ce qui concerne les ordonnances rendues avant 1993, l'alinéa 60c.1) continue à s'appliquer. Il n'a été abrogé qu'à l'égard des ordonnances rendues après 1992. Autrement, selon le texte du nouvel alinéa 60c) de la Loi, l'appelant aurait droit de réclamer la déduction de la pension alimentaire qu'il a payée au cours des années 1995 et 1996. Toutefois cette disposition ne s'appliquant qu'aux ordonnances rendues après 1992, à l'égard de celles rendues avant 1993 l'ancienne disposition de l'alinéa 60c.1) subsiste.

[14]          Donc, à l'égard des années 1995 et 1996, les appels doivent être rejetés. J'avais déjà étudié cette question dans l'affaire Jacques Gagné et la Reine, [2001] A.C.I. no 304 (Q.L.). En est-il de même pour les années 1997 et 1998?

[15]          Les alinéas 60b) et c) de la Loi ont été remplacés en 1996 par le paragraphe 10(1) de la Loi budgétaire de 1996 concernant l'impôt sur le revenu, L.C. 1997, (" Loi budgétaire de 1996 ") ch. 25, qui se lit comme suit :

10(1)        Les alinéa 60 b) et c) de la même loi sont remplacés par ce qui suit :

                ...

b)             Pensions alimentaires — le total des montants représentant chacun le résultat du calcul suivant :

A - (B + C)

où :

A              représente le total des montants représentant chacun une pension alimentaire que le contribuable a payée après 1996 et avant la fin de l'année à une personne donnée dont il vivait séparé au moment du paiement,

B              le total des montants représentant chacun une pension alimentaire pour enfants qui est devenue payable par le contribuable à la personne donnée aux termes d'un accord ou d'une ordonnance à la date d'exécution ou postérieurement et avant la fin de l'année relativement à une période ayant commencé après cette date,

C              le total des montants représentant chacun une pension alimentaire que le contribuable a payée à la personne donnée après 1996 et qui est déductible dans le calcul de son revenu pour une année d'imposition antérieure;

[16]          Cette disposition a été mise en vigueur selon les termes du paragraphe 10(2) de la même loi modificative qui se lit comme suit :

10(2)        Le paragraphe (1) s'applique aux montants reçus après 1996.

[17]          Les termes qui se trouvent à l'alinéa 60b), dont notamment celui de " pension alimentaire ", sont définis au paragraphe 56.1(4) de la Loi. Cette disposition a été ajoutée par le paragraphe 9(6) de la Loi budgétaire de 1996 qui se lit comme suit :

9(6)          L'article 56.1 de la même loi est modifié par adjonction, après le paragraphe (3), de ce qui suit :

56.1(4)     Les définitions qui suivent s'appliquent au présent article et à l'article 56.

" date d'exécution " Quant à un accord ou une ordonnance :

a)             si l'accord ou l'ordonnance est établi après avril 1997, la date de son établissement;

b)             si l'accord ou l'ordonnance est établi avant mai 1997, le premier en date des jours suivants, postérieur à avril 1997 :

(i)             le jour précisé par le payeur et le bénéficiaire aux termes de l'accord ou de l'ordonnance dans un choix conjoint présenté au ministre sur le formulaire et selon les modalités prescrits,

(ii)            si l'accord ou l'ordonnance fait l'objet d'une modification après avril 1997 touchant le montant de la pension alimentaire pour enfants qui est payable au bénéficiaire, le jour où le montant modifié est à verser pour la première fois,

(iii)           si un accord ou une ordonnance subséquent est établi après avril 1997 et a pour effet de changer le total des montants de pension alimentaire pour enfants qui sont payables au bénéficiaire par le payeur, la date d'exécution du premier semblable accord ou de la première semblable ordonnance,

(iv)           le jour précisé dans l'accord ou l'ordonnance, ou dans toute modification s'y rapportant, pour l'application de la présente loi.

" pension alimentaire " Montant payable ou à recevoir à titre d'allocation périodique pour subvenir aux besoins du bénéficiaire, d'enfants de celui-ci ou à la fois du bénéficiaire et de ces enfants, si le bénéficiaire peut utiliser le montant à sa discrétion et, selon le cas :

a)             le bénéficiaire est le conjoint ou l'ancien conjoint du payeur et vit séparé de celui-ci pour cause d'échec de leur mariage ou union de fait et le montant est à recevoir aux termes de l'ordonnance d'un tribunal compétent ou d'un accord écrit;

b)             le payeur est le père naturel ou la mère naturelle d'un enfant du bénéficiaire et le montant est à recevoir aux termes de l'ordonnance d'un tribunal compétent rendue en conformité avec les lois d'une province.

" pension alimentaire pour enfants " Pension alimentaire qui, d'après l'accord ou l'ordonnance aux termes duquel elle est à recevoir, n'est pas destinée uniquement à subvenir aux besoins d'un bénéficiaire qui est soit l'époux ou le conjoint de fait ou l'ex-époux ou l'ancien conjoint de fait du payeur, soit le père ou la mère d'un enfant dont le payeur est le père naturel ou la mère naturelle.

[18]          Les modalités d'application du paragraphe 9(6) qui se trouvent au paragraphe 9(8) de la même loi prévoient que le sens de " pension alimentaire " ne permet pas l'inclusion d'un montant qui n'en faisait pas antérieurement partie :

9(8)          Le paragraphe (6) s'applique à compter de 1997. Toutefois est exclu de la pension alimentaire, au sens du paragraphe 56.1(4) de la même loi, édicté par le paragraphe (6), le montant qui, s'il était payé et reçu, ne serait pas inclus, si ce n'était la présente loi, dans le calcul du revenu du bénéficiaire.

[19]          Ces modalités d'application ont été modifiées par L.C. 1998, c. 19, art. 307(1) et se lisent comme suit :

9(8)          Le paragraphe (6) s'applique à compter de 1997. Toutefois :

a)             les montants suivants ne sont pas des pensions alimentaires, au sens du paragraphe 56.1(4) de la même loi, édicté par le paragraphe (6) :

(i)             le montant reçu aux termes d'un arrêt, d'une ordonnance ou d'un jugement d'un tribunal compétent, ou d'un accord écrit, sans date d'exécution au sens du paragraphe 56.1(4),

(ii)            le montant qui, s'il était payé et reçu, ne serait pas inclus, si ce n'était la présente loi, dans le calcul du revenu du bénéficiaire;

b)             ...

[20]          S'il n'y avait eu cette législation d'application mentionnée aux paragraphes [18] et [19] de ces motifs, l'alinéa 60b) et le paragraphe 56.1(4) de la Loi s'appliqueraient aux montants en litige pour les années d'imposition 1997 et 1998.

[21]          Le motif invoqué dans la Réponse soutenant que l'appelant n'a pas droit à une déduction à titre de pension alimentaire payable périodiquement, pour les paiements effectués au cours des années d'imposition 1997 et 1998 à madame Forget pour subvenir aux besoins d'Amélie, parce que les parties n'ont pas fait, par écrit, un choix conjoint prévoyant que les paragraphes 60.1(2) et 56.1(2) s'appliqueraient aux sommes versées, parce qu'ils remplaceraient les anciens articles 56(1)c.1) et 60c.1) est mal fondé.

[22]          Le paragraphe 60.1(2) étend la portée de l'alinéa 60b) en déclarant que certaines dépenses engagées pour subvenir aux besoins d'une personne, d'enfants confiés à sa garde ou à la fois de la personne et de ces enfants, sont censément des montants payables par le contribuable à cette personne et à recevoir par celle-ci à titre d'allocation périodique. Les dépenses visées par cette disposition sont des " paiements à des tiers " et revêtent souvent la forme de paiements directs, notamment de frais médicaux, d'études, d'hypothèque et de loyers. Il ne s'agit pas de paiement de pensions alimentaires en tant que tel.

[23]          L'appelant a soulevé dans un de ses avis d'appel le motif de non constitutionalité des dispositions qui empêchent un parent non marié de profiter des déductions concernant le paiement des pensions alimentaires. L'avocate de l'intimée s'est référée à la décision de la Cour d'appel fédérale dans Bergman v. Canada, [1993] F.C.J. No. 1429 (Q.L.), qui a décidé qu'il ne s'agissait pas d'une disposition discriminatoire.

[24]          Au motif que les dispositions législatives pertinentes ne permettent pas la déduction du paiement de pensions alimentaires dans les circonstances ci avant décrites et que ces dispositions sont constitutionnelles, les appels sont rejetés.

Signé à Ottawa, Canada, ce 30e jour d'octobre 2001.

" Louise Lamarre Proulx "

J.C.C.I.

Nos DES DOSSIERS DE LA COUR : 2000-1170(IT)I, 1999-4762(IT)I

et 98-3850(IT)I

INTITULÉ DE LA CAUSE :                                 Gilles G. Beaupré et Sa Majesté la Reine

LIEU DE L'AUDIENCE :                                      Sherbrooke (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                                    le 6 septembre 2001

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :                         l'honorable juge Louise Lamarre Proulx

DATE DU JUGEMENT :                                      le 30 octobre 2001

COMPARUTIONS :

Pour l'appelant :                                    Me Robert Jodoin

Pour l'intimée :                                       Me Marie-Aimée Cantin

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

Pour l'appelant :

                                Nom :                       Me Robert Jodoin

                                Étude :                     Jodoin Huppé, s.e.n.c.

                                                                Granby (Québec)

Pour l'intimée :                                       Morris Rosenberg

                                                                Sous-procureur général du Canada

                                                                Ottawa, Canada

2000-1170(IT)I

1999-4762(IT)I

98-3850(IT)I

ENTRE :

GILLES G. BEAUPRÉ,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Appels entendus sur preuve commune

le 6 septembre 2001 à Sherbrooke (Québec) par

l'honorable juge Louise Lamarre Proulx

Comparutions

Avocat de l'appelant :                                   Me Robert Jodoin

Avocate de l'intimée :                                    Me Marie-Aimée Cantin

JUGEMENT

          Les appels des cotisations établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour les années d'imposition 1995, 1996, 1997 et 1998 sont rejetés selon les motifs du jugement ci-joints.

Signé à Ottawa, Canada, ce 30e jour d'octobre, 2001.

" Louise Lamarre Proulx "

J.C.C.I.

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