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Date : 19971128

Dossier : 96-4689-IT-I

ENTRE :

CLAUDIO POSOCCO,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Lamarre Proulx, C.C.I.

[1] L'appelant interjette appel, sous le régime de la procédure informelle, contre une cotisation datée du 27 octobre 1995 portant le numéro 06439. La cotisation a été établie conformément à l'article 227.1 de la Loi de l'impôt sur le revenu (la “Loi”), qui prévoit que lorsqu'une corporation a omis, à l'égard du salaire de ses employés, de déduire et de remettre un montant d'impôt tel que prévu à l'article 153 de la Loi, les administrateurs de cette corporation sont solidairement responsables du paiement de cette somme.

[2] Le paragraphe 227.1(3) de la Loi prévoit que l'administrateur qui a fait preuve d'une diligence raisonnable pour prévenir le manquement peut invoquer le moyen de défense fondé sur pareille diligence en vue de se dégager de cette responsabilité. Cette disposition se lit comme suit :

Un administrateur n'est pas responsable de l'omission visée au paragraphe (1) lorsqu'il a agi avec le degré de soin, de diligence et d'habileté pour prévenir le manquement qu'une personne raisonnablement prudente aurait exercé dans des circonstances comparables.

[3] Au début de l'audience, l'avocat de l'appelant a présenté une requête préliminaire en vue de faire ajourner l'audience parce que, à son avis, l'une des questions en litige se rapportait à la présumée fraude commise par l'associé de son client et qu'un préjudice serait causé à ce dernier si l'on procédait à l'audience sans les documents nécessaires. L'appelant croyait avoir ces documents chez lui; il les a cherchés la veille de l'audience, mais il n'a pas pu les trouver et il croyait que les documents étaient chez un autre avocat qui s'occupait d'une action au civil pour son compte. L'avocate de l'intimée s'est opposée à la requête pour le motif que l'appelant aurait eu suffisamment de temps pour recueillir les éléments de preuve appropriés, s'il avait agi avec la diligence dont ferait preuve une personne raisonnable, entre la date de l'avis d'audience, soit le 31 juillet 1997, et la date fixée pour l'audience.

[4] La requête a été rejetée pour le motif qu'elle était tardive puisqu'elle avait été présentée le matin de l'audience, et que rien ne montrait que l'appelant avait agi avec diligence lorsqu'il s'était agi de chercher les documents.

[5] Dans la réponse à l'avis d'appel, il est dit que Cambryan Homes Ltd. (la “corporation”) n'avait pas remis les sommes retenues à la source au titre de l'impôt sur le revenu fédéral, soit 8 597,34 $ le 24 mars 1992, 406,42 $ le 21 juillet 1992, 1 333,35 $ le 9 mars 1994 et 44,89 $ le 25 mai 1994.

[6] Le montant en cause était en litige. Après avoir examiné la preuve, les avocats des deux parties ont convenu que ce montant devait être réduit de 1 133,35 $, c'est-à-dire le montant mentionné pour le 9 mars 1994. Par conséquent, l'appel est admis en partie.

[7] Dans son témoignage, l'appelant a expliqué qu'un certain M. Franco Simone et lui étaient les deux seuls actionnaires et administrateurs de la corporation de 1989 à 1991. La corporation s'occupait de travaux de construction. L'appelant était président et M. Simone, secrétaire-trésorier de la corporation. L'appelant a témoigné qu'il s'occupait de l'exploitation et que son associé s'occupait de l'administration du bureau. Toutefois, les chèques qui étaient émis devaient être signés par les deux administrateurs. L'appelant a témoigné que son associé avait cessé de participer aux activités de la corporation à la fin de 1991, sauf en ce qui concerne la signature des chèques. Comme il en a déjà été fait mention, c'est pour l'année 1991 que le montant non versé des retenues à la source est le plus élevé.

[8] L'appelant a produit sous la cote A-1 un sommaire des prêts à recevoir et des emprunts à payer préparé le 12 août 1993 par un cabinet de comptables à l'aide des livres et documents de la corporation et de Cambryan Construction. Dans le sommaire, les deux corporations sont réunies de sorte qu'il est difficile de comprendre jusqu'à quel point le sommaire est utile en l'espèce. Le sommaire des prêts à recevoir montre que des prêts d'un montant fort élevé avaient été consentis à l'associé de l'appelant personnellement ainsi qu'à certaines des corporations de ce dernier. De plus, il montre qu'un prêt avait été consenti à M. Loris Posocco, dont je reparlerai ci-dessous. Le sommaire des emprunts à payer montre que l'appelant a consenti des prêts à la corporation et à Cambryan Construction. L'appelant a produit ce document en alléguant que son associé avait agi frauduleusement et qu'il avait détourné les fonds de la corporation.

[9] L'appelant a témoigné qu'il avait pris les dispositions nécessaires pour prévenir l'omission de remettre les sommes retenues à la source en embauchant un teneur de livres, qui a travaillé pour lui jusqu'en 1994. D'autre part, l'appelant a également témoigné qu'il n'avait été mis au courant de l'omission qu'en 1994. Il a témoigné qu'il avait appris que Revenu Canada effectuait une vérification au mois d'août 1992 seulement. L'avis de vérification a été produit sous la cote R-2. L'appelant a affirmé n'avoir pris connaissance du problème qu'en janvier 1994, lorsqu'un autre avis de vérification a été donné (pièce R-3). Un autre avis a été donné le 7 février 1994 (pièce R-4).

[10] Le 2 août 1995, Revenu Canada a envoyé à l'appelant une lettre l'informant que la corporation devait les montants retenus à la source et qu'en sa qualité d'administrateur de cette corporation, il pouvait être tenu responsable du paiement de ces montants (pièce R-6). Une lettre similaire aurait été envoyée à une autre personne, M. Loris Posocco, et l'avocat de ce dernier, Robert R. Jason (soit l'avocat qui représentait l'appelant en l'espèce) y a répondu par une lettre datée du 7 septembre 1995 (pièce R-7) dont les passages pertinents se lisent comme suit :

[TRADUCTION]

[...]

Objet : Cambryan Homes Ltd., compte no AXC216862, M. Loris Posocco

Votre lettre du 2 août 1995 m'a été renvoyée. Je veux confirmer que M. Posocco n'est plus administrateur de Cambryan Homes depuis le mois d'octobre 1989. Je joins une copie de l'avis spécial qui a été déposé le 10 février 1993. Cet avis révèle que M. Claudio Posocco était l'unique administrateur de la corporation. Aucun autre administrateur n'est mentionné parce qu'il n'y avait pas d'autres administrateurs. Étant donné que M. Loris Posocco n'était pas administrateur de la corporation, il n'a pas pris de mesures et il n'est donc pas responsable de la présumée omission par Cambryan Homes Ltd. de remettre les sommes retenues à la source.

Si vous possédez d'autres renseignements indiquant le contraire, c'est avec plaisir que j'en parlerais avec vous, à défaut de quoi aucune mesure ne sera prise arbitrairement. [Je souligne.]

[...]

Les avis spéciaux mentionnés dans cette lettre montrent de fait qu'en 1993, l'appelant était le seul administrateur.

[11] L'avocat de l'appelant a soutenu que son client s'était acquitté de son obligation de faire preuve d'une diligence raisonnable en se fiant à l'autre administrateur en 1991 et en ayant recours à un teneur de livres compétent. C'est la conduite frauduleuse de l'associé qui a induit son client en erreur et rien ne permettait à celui-ci de ne pas faire confiance à son associé.

[12] L'avocat de l'appelant a cité la décision que la Cour d'appel fédérale a rendue dans l'affaire Soper v. The Queen, 97 DTC 5407 et, en particulier, les remarques que le juge Robertson a faites, aux pages 5416, 5417 et 5419, dont voici les passages pertinents :

[...] La norme de prudence énoncée au paragraphe 227.1(3) de la Loi est fondamentalement souple. Au lieu de traiter les administrateurs comme un groupe homogène de professionnels dont la conduite est régie par une seule norme immuable, cette disposition comporte un élément subjectif qui tient compte des connaissances personnelles et de l'expérience de l'administrateur, ainsi que du contexte de la société visée, notamment son organisation, ses ressources, ses usages et sa conduite. Ainsi, on attend plus des personnes qui possèdent des compétences supérieures à la moyenne (p. ex., les gens d'affaires chevronnés).

La norme de prudence énoncée au paragraphe 227.1(3) de la Loi n'est donc pas purement objective. Elle n'est pas purement subjective non plus. Il ne suffit pas qu'un administrateur affirme qu'il a fait de son mieux, car il invoque ainsi la norme purement subjective. Il est également évident que l'intégrité ne suffit pas. Toutefois, la norme n'est pas une norme professionnelle. Ces situations ne sont pas régies non plus par la norme du droit de la négligence. La Loi contient plutôt des éléments objectifs, qui sont représentés par la notion de la personne raisonnable, et des éléments subjectifs, qui sont inhérents à des considérations individuelles comme la “ compétence ” et l'idée de “ circonstances comparables ”. Par conséquent, la norme peut à bon droit être qualifiée de norme “objective subjective ”.

[...]

Ce ne sont évidemment pas tous les administrateurs internes qui ont été tenus responsables. La Cour de l'impôt a refusé de retenir la responsabilité d'un administrateur interne dans des affaires où il était une partie innocente qui a été induite en erreur ou trompée par d'autres administrateurs : voir Bianco c. M.R.N., 91 DTC 1370 (C.C.I.); Edmondson c. M.R.N., 88 DTC 1542 (C.C.I.); Shindle c. M.R.N., 95 DTC 5502 (C.F. 1re inst.); et Snow c. M.R.N., 91 DTC 832 (C.C.I.). Il existe également d'autres exemples d'un administrateur interne qui échappe à la responsabilité : voir Fitzgerald et autres c. M.R.N., 92 DTC 1019 (C.C.I.).

[...]

[...] C'est au juge de la Cour de l'impôt qu'il appartiendra dans chaque cas de déterminer si, d'après les renseignements ou les documents financiers que possédait l'administrateur, celui-ci aurait dû savoir qu'il y avait un problème réel ou éventuel avec les versements. La question de savoir si l'administrateur visé a satisfait à la norme de prudence, telle qu'elle est maintenant définie, est donc avant tout une question de fait qu'il faut trancher à la lumière des connaissances personnelles et de l'expérience de ce dernier.

[13] L'avocat de l'appelant s'est également reporté aux jugements Edmondson et Snow (ci-dessus) dans lesquels certains éléments de preuve montraient qu'un administrateur avait induit en erreur les appelants respectifs en ce sens que les sommes retenues à la source avaient été remises. Ces appels avaient été admis parce qu'on avait agi d'une façon frauduleuse.

[14] L'avocate de l'intimée s'est reportée à deux décisions rendues par cette cour dans les affaires Youngman v. M.N.R., 87 DTC 250 et Quantz v. M.N.R., 88 DTC 1201. Elle a soutenu que l'appelant n'avait pas prouvé qu'il avait pris des mesures, en sa qualité de président de la corporation, en vue de s'assurer que les sommes retenues à la source soient remises de la façon appropriée. Elle a également soutenu qu'il fallait faire une inférence défavorable à l'égard du fait que ni le teneur de livres ni l'associé n'avaient été appelés à témoigner.

[15] J'ai analysé la preuve et je conclus qu'elle est clairement insuffisante à tous les égards. Pendant toute la durée de l'audience, l'appelant a témoigné d'une façon évasive et imprécise. Il n'y avait pas de preuve documentaire à part une pièce qui était à peine pertinente et personne n'a témoigné sauf l'appelant. En témoignant au sujet de ses fonctions d'administrateur, l'appelant a dit qu'il s'occupait principalement de l'exploitation de la corporation, que l'autre administrateur était responsable de l'administration du bureau et que rien ne lui permettait de ne pas faire confiance à celui-ci.

[16] Pareille déclaration n'est pas suffisante. Elle doit être prouvée, et ce, à un degré plus élevé, lorsque l'administrateur est président de la corporation, qu'il possède 50 p. 100 des actions de la corporation et qu'il doit signer chaque chèque émis par la corporation.

[17] Quant à la question de la diligence, l'administrateur doit s'assurer que les sommes retenues à la source sont remises; or, l'appelant a simplement dit qu'il avait embauché un teneur de livres compétent. Le teneur de livres n'a pas témoigné pour faire savoir qui lui donnait des instructions et pour expliquer pourquoi les sommes retenues à la source n'avaient pas été remises. Les livres peuvent être tenus de la façon appropriée sans pour autant que les sommes retenues à la source soient remises si des instructions sont données pour qu'elles ne soient payées qu'en dernier lieu ou pour qu'elles soient retenues.

[18] On ne saurait croire que l'appelant n'a appris qu'en 1994 que les sommes retenues à la source n'avaient pas été remises, alors que l'autre administrateur et lui devaient signer les chèques. Il n'a pas été allégué et il n'a pas été prouvé que les chèques appropriés avaient été signés et qu'il y avait ensuite eu détournement de fonds.

[19] L'avocat de l'appelant voulait se fonder principalement sur le motif selon lequel son client avait été induit en erreur. La nature des présumés actes frauduleux n'a pas été expliquée non plus que les raisons pour lesquelles l'appelant avait été induit en erreur. Étant donné que l'appelant est le seul administrateur depuis 1991, je ne puis voir pourquoi il n'aurait pas eu en sa possession tous les documents nécessaires pour être en mesure de prouver l'allégation selon laquelle des actes frauduleux avaient été commis et pour établir la raison pour laquelle il avait été induit en erreur.

[20] En conclusion, je ne dispose d'aucun élément de preuve montrant que l'appelant a agi avec le degré de soin, de diligence et d'habileté nécessaire pour prévenir l'omission de remettre les sommes retenues à la source, tel qu'il est prévu au paragraphe 227.1(3) de la Loi, ou qu'il a été induit en erreur. L'appel est admis en partie en ce qui concerne le montant mentionné au paragraphe 6 de ces motifs. À tous les autres égards, il est rejeté.

Signé à Ottawa, Canada, ce 28e jour de novembre 1997.

“ Louise Lamarre Proulx ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

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