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Date: 19990407

Dossier: 98-111-IT-I

ENTRE :

RONALD CASEY,

requérant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs de l’ordonnance

Le juge Hamlyn, C.C.I.

[1] Étant donné une certaine confusion dans les actes de procédure et l’exposé introductif du requérant, j’ai conclu que la Cour était saisie d’une demande en vue d’obtenir la prorogation du délai imparti pour interjeter appel, conformément à l’article 167 de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi » ).

[2] Le requérant a également déposé, avec sa demande, des prétendus avis d’appel. Ces documents ont été déposés le 6 janvier 1998.

[3] L’intimée a déposé une réponse à l’avis d’appel, mais en ajoutant l’allégation suivante au paragraphe 11 :

[traduction]

Il est respectueusement soutenu que l’appel de l’appelant pour les années d’imposition 1989, 1990 et 1991 devrait être rejeté, les exigences de l’article 169 de la Loi n’ayant pas été respectées, c’est-à-dire que l’appel n’a pas été interjeté dans le délai prescrit par l’article 169 de la Loi.

[4] Les faits sont les suivants :

- un examen des dossiers révèle que les avis de nouvelle cotisation concernant les années d’imposition 1989, 1990 et 1991 du requérant ont été délivrés et postés au requérant le 31 mai 1993;

- le 19 juillet 1993, le requérant a déposé des avis d’opposition concernant les nouvelles cotisations établies pour les années d’imposition 1989, 1990 et 1991;

- par un avis daté du 19 août 1994, le ministre du Revenu national (le « ministre » ) a avisé le requérant que les nouvelles cotisations établies pour les années 1989, 1990 et 1991 étaient ratifiées, conformément au paragraphe 165(3) de la Loi.

[5] Aucun avis d’appel n’a été déposé à l’égard des années d’imposition 1989, 1990 ou 1991 dans le délai prescrit par l’article 169 de la Loi.

[6] L’avis de ratification daté du 19 août 1994 se lit en partie comme suit :

[traduction]

Avis d’opposition

pour les années d’imposition 1989, 1990 et 1991

Vos avis d’opposition pour les années susmentionnées ont été examinés et, comme il a été convenu récemment, les cotisations sont par les présentes ratifiées conformément au paragraphe 165(3) de la Loi de l’impôt sur le revenu.

[7] L’avis de ratification a été envoyé au requérant et un exemplaire de cet avis a été remis à son représentant.

[8] Selon le témoignage du requérant, contrairement au libellé de l’avis de ratification, il n’avait pas convenu de la ratification de la cotisation.

[9] Il a également produit un élément de preuve (un relevé de compte de Revenu Canada, daté du 17 décembre 1997) indiquant que Revenu Canada (à la suite de la ratification) procédait toujours à l’examen de la somme impayée (30 093,91 $), relativement à un avis d’opposition déposé au nom du requérant.

[10] Une personne a représenté le requérant durant l’étape de l’opposition et jusqu’au dépôt de la demande et des prétendus appels. Lors de la présente instruction, le requérant était représenté par un avocat.

[11] L’argument présenté par le requérant pour justifier sa demande est fondé sur le fait que, malgré l’expiration du délai imparti par la loi pour interjeter appel, l’avis de ratification ne rendait pas compte de ce qu’il avait convenu. Par conséquent, la Cour devrait appliquer le principe de l’estoppel (préclusion) ou se fonder sur l’equity inhérente pour annuler la prescription et proroger le délai imparti pour interjeter appel. Le requérant affirme en outre qu’il existe un rapport fiduciaire entre Revenu Canada et lui, de sorte que la présente cour pourrait ordonner une mesure de redressement.

ANALYSE

[12] Les dispositions pertinentes se lisent comme suit :

167(1) Lorsqu'aucune opposition à une cotisation en application de l’article 165, aucun appel à la Cour canadienne de l’impôt en application de l’article 169 ou aucune demande en application du paragraphe 245(6) n’a été fait dans le délai imparti par ces dispositions, une demande peut être présentée à la Cour canadienne de l’impôt en vue d’obtenir une ordonnance qui prolonge le délai dans lequel l’avis d’opposition peut être signifié, l’appel interjeté ou la demande visée au paragraphe 245(6) faite. Si, à son avis, les circonstances du cas font qu’il serait juste et équitable de rendre cette ordonnance, la Cour canadienne de l’impôt peut la rendre aux conditions qu’elle estime justes.

[...]

(5) Aucune ordonnance ne peut être rendue en vertu du paragraphe (1) :

a) à moins que la demande de prolongation du délai d’opposition ou d’appel ne soit faite dans l’année qui suit l’expiration du délai par ailleurs imparti par la présente loi pour faire opposition ou interjeter appel en ce qui concerne la cotisation qui fait l’objet de la demande;

b) si la Cour canadienne de l’impôt a antérieurement rendu une ordonnance prolongeant le délai d’opposition ou d’appel en ce qui concerne la cotisation;

c) à moins que la Cour canadienne de l’impôt ne soit convaincue à la fois que :

(i) en l’absence des circonstances mentionnées au paragraphe (1), une opposition aurait été faite dans le délai par ailleurs imparti à cette fin par la présente loi,

(ii) la demande a été présentée aussitôt que les circonstances l’ont permis,

(iii) des motifs raisonnables de faire opposition ou d’interjeter appel existent en ce qui concerne la cotisation.

[13] Les avis de nouvelle cotisation étaient datés du 31 mai 1993. Les avis d’opposition étaient datés du 19 juillet 1993. L’avis de ratification était daté du 19 août 1994. La preuve révèle clairement que le requérant a reçu l’avis de ratification.

[14] Selon les faits exposés à la Cour, il semble que le requérant et son représentant n’aient pas communiqué entre eux jusqu’à l’étape de la ratification. Le libellé de la ratification est tout à fait clair. Les cotisations ont été ratifiées et le requérant, ou son représentant, ont eu tout le délai prévu par la Loi pour s’y opposer.

[15] Les appels et la demande ont été déposés le 6 janvier 1998, soit environ trois ans et quatre mois après la ratification. Le délai imparti par la Loi pour déposer les appels était échu depuis longtemps (article 169).

[16] En conclusion, la demande de prorogation du délai d’appel n’a pas été déposée dans l’année qui a suivi l’expiration du délai imparti par l’article 169. Par conséquent, la Cour n’a pas compétence pour faire droit à la demande, selon les paragraphes 167(1) et (5) de la Loi.

AUTRES MESURES DE REDRESSEMENT

RAPPORT FIDUCIAIRE

[17] Le requérant n’a produit aucun élément de preuve étayant l’allégation selon laquelle il existait, entre Revenu Canada et lui, un rapport fiduciaire qui permettrait à la Cour d’ordonner une mesure de redressement. Dans l’arrêt City Centre Properties Inc. v. The Queen, 94 DTC 6209 (C.F. 1re inst.), le juge MacKay a examiné la question de savoir si Revenu Canada avait, à l'égard du contribuable, une obligation de représentant fiduciaire lui permettant de faire une réclamation sur le fondement d’une garantie bancaire avant son expiration. Il a fait la déclaration suivante à la page 6219 :

À mon avis, les faits qui ont été établis n’ont pas pour effet de créer une obligation qui pourrait être considérée comme une obligation de représentant fiduciaire que Revenu Canada aurait envers Royalty ou envers la demanderesse. Il est vrai que dans l’arrêt Guérin c. La Reine, [1984] 2 R.C.S. 355, la Cour suprême a reconnu que le genre de circonstances donnant lieu à une obligation de représentant fiduciaire n’étaient pas limitées, mais l’arrêt Guérin en soi ne fait autorité qu’en ce qui concerne la possibilité que la Couronne ait des obligations de représentant fiduciaire envers les autochtones. Cet arrêt ne laisse pas entendre que des obligations de représentant fiduciaire existeront implicitement relativement aux mesures que les fonctionnaires prennent dans les limites de leurs attributions légales, même si ces mesures concernent la gestion de fonds de pension au profit des retraités. (voir Cullie v. Canada (1991), 41 F.T.R. 59 (C.F. 1re inst.)).

[18] De la même façon, le requérant a omis d’établir l’existence d’un rapport fiduciaire entre Revenu Canada et lui.

ESTOPPEL IN PAIS (PRÉCLUSION RÉSULTANT DU COMPORTEMENT)

[19] La prétention du requérant selon laquelle la préclusion résultant du comportement s’applique à son cas est erronée. Dans l’arrêt Can. Superior Oil Ltd. c. Paddon-Hughes Development Co. Ltd., [1970] R.C.S. 932, le juge Martland déclare aux pages 939 et 940 que trois facteurs doivent être présents pour que le principe de la préclusion puisse s’appliquer : il doit y avoir une affirmation, ou une conduite y équivalant, qui a pour but d’inciter la personne à qui elle a été faite à adopter une certaine ligne de conduite; l’action ou l’omission de cette personne doit résulter de l’affirmation; et, finalement, l’action ou l’omission doit causer un préjudice à la personne. Le requérant n’a pas présenté de preuve montrant que ces exigences étaient satisfaites.

[20] Même si ces exigences avaient été satisfaites, la théorie de la préclusion s’applique uniquement aux affirmations portant sur les faits et non à celles portant sur le droit[1].

[21] Une affirmation des fonctionnaires de Revenu Canada selon laquelle il n’était pas nécessaire de déposer un avis d’appel dans le délai imparti par l’article 169 constituait une affirmation portant sur le droit à laquelle la théorie de la préclusion ne s’applique pas.

[22] En outre, la préclusion ne peut conférer à la Cour une compétence qui lui est expressément niée par la Loi[2]. Le paragraphe 167(5) énonce clairement que la Cour ne peut pas rendre une ordonnance prorogeant le délai imparti pour interjeter appel en application du paragraphe 167(1), à moins que la demande ne soit faite dans l’année qui suit l’expiration du délai imparti par l’article 169. Comme il a été dit précédemment, dans la présente affaire, la demande a été déposée après cette période. La Cour n’a donc pas la compétence pour rendre l’ordonnance demandée par le requérant. La préclusion ne peut conférer la compétence nécessaire à la Cour, puisque cette compétence est expressément retirée par le paragraphe 167(5) de la Loi.

[23] De plus, même s’il y avait un certain fondement aux mesures de redressement reconnues en equity, auquel la présente cour ne conclut pas, la présente cour n’est pas autorisée par la loi à agir. La Cour canadienne de l’impôt est un tribunal créé par la loi. Ses pouvoirs sont définis par la loi. Celle-ci n’autorise pas la Cour à accorder la mesure de redressement recherchée[3].

DÉCISION

[24] La demande est rejetée.

Signé à Ottawa, Canada, ce 7e jour d’avril 1999.

« D. Hamlyn »

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 28e jour de janvier 2000.

Mario Lagacé, réviseur



[1]           Voir la décision Goldstein v. The Queen, 96 DTC 1029 (C.C.I.).

[2]           Voir l’arrêt Merck Frosst Canada Inc. c. Apotex, [1997] 2 C.F. 561 (C.A.F.), à la page 570 et l’arrêt Mount Royal/Walsh Inc. v. Jensen Star (The), [1990] 1 C.F. 199 (C.A.F.), à la page 211.

[3]           Voir la décision Salter v. M.N.R., 52 DTC 148 (C.A.I.) et Impact Shipping Inc. v. Canada, [1995] G.S.T.C. 28 (C.C.I.).

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