Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

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Date: 19971126

Dossier: 96-2424-UI

ENTRE :

FRANSEN ENGINEERING LTD.,

appelante,

et

LA MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Teskey, C.C.I.

[1] L'appelante porte en appel un règlement aux termes duquel la ministre du Revenu national (la “ ministre ”) a déterminé que l'emploi exercé par Karl Bedley (le “ travailleur ”) au cours de la période allant du 17 août 1995 au 17 janvier 1996 était un emploi assurable en vertu de la Loi sur l'assurance-chômage (la “ Loi ”).

Faits

[2] Dans ce règlement, la ministre se fondait sur une série d'hypothèses de fait. L'appelante ne conteste pas les hypothèses de fait énoncées aux alinéas a) à c) et e) à j), qui se lisent comme suit :

[TRADUCTION]

a) l'appelante est une société qui exploite une entreprise d'ingénieurs-conseils à partir d'un bureau situé au 3031, Viking Way, pièce 210, Richmond (C.-B.);

b) le travailleur avait présenté un curriculum vitae à l'appelante et, le 17 août 1995 ou vers cette date, l'appelante lui avait offert un poste consistant à faire du dessin industriel assisté par ordinateur, poste que le travailleur a accepté;

c) le travailleur a fait du dessin industriel assisté par ordinateur pour l'appelante concernant divers projets industriels de l'appelante;

[...]

e) le travailleur était libre de choisir chaque jour l'heure à laquelle il allait commencer et l'heure à laquelle il allait finir;

f) tout au long de la journée, le travailleur recevait sa charge de travail de Kevin Coles, soit un employé de l'appelante chargé de superviser le travail consistant à faire du dessin industriel assisté par ordinateur;

g) le travailleur devait remplir des feuilles de temps et les présenter à l'appelante deux fois par mois;

h) le travailleur était payé deux fois par mois, au taux de 23 $ l'heure;

i) l'appelante fournissait au travailleur tout le matériel informatique et tout le matériel de bureau dont le travailleur avait besoin pour la prestation des services consistant à faire du dessin industriel;

j) le travailleur ne détenait aucun intérêt ou participation dans l'entreprise de l'appelante et n'était pas lié à l'un quelconque des actionnaires de l'appelante;

[3] Le travailleur avait été engagé pour faire du dessin industriel assisté par ordinateur dans le cadre d'un projet particulier. L'appelante avait des délais à respecter et, dans la mesure où le travailleur fournissait des services satisfaisants dans les délais impartis, l'appelante ne se préoccupait pas de la question de savoir quand le travail était exécuté.

[4] Le travailleur avait signé une confirmation indiquant qu'il n'aurait aucun avantage autre que la rémunération de ses services.

[5] Le travailleur délivrait promptement des factures à l'entreprise de l'appelante pour ses heures de travail, fournissait son numéro de compte TPS et percevait de la TPS auprès de l'appelante dans toutes ses factures.

[6] Le travailleur était affecté à un projet particulier, qu'il menait à terme. Une fois le projet terminé, on lui demandait s'il voulait travailler à un autre projet. Il était libre de refuser et, s'il acceptait, il menait ce projet à terme. L'appelante ne lui confiait pas différents projets à réaliser au jour le jour. Le travailleur n'était pas traité comme les autres. L'appelante avait effectivement plusieurs dessinateurs industriels à temps plein, dont le travail consistait à faire du dessin industriel assisté par ordinateur.

[7] Il est de pratique courante dans le domaine de l'ingénierie d'avoir des employés aux fins de la charge de travail normale de l'entreprise. Il est également de pratique courante en période de pointe de retenir les services d'entrepreneurs indépendants pour des projets particuliers. Ces personnes ne sont pas soumises aux contraintes auxquelles sont soumis les employés et n'ont pas non plus les avantages dont ils bénéficient. D'une manière générale, le travailleur en cause dans l'affaire en instance n'était pas l'objet d'une supervision.

Analyse

[8] Dans l'arrêt Wiebe Door Services Ltd. v. M.N.R., 87 DTC 5025, le juge MacGuigan, de la Cour d'appel fédérale, traitant de ce qui était considéré comme quatre critères, soit le contrôle, la propriété des instruments de travail, les chances de bénéfice ou les risques de perte et l'intégration, a dit qu'il considérait cette règle “ non pas comme une règle comprenant quatre critères [...] mais comme un seul critère qui est composé de quatre parties intégrantes ” et qu'il faut appliquer en insistant sur “ l'ensemble des éléments qui entraient dans le cadre des opérations ”.

[9] Le juge MacGuigan affirmait, à la page 5030 :

De toute évidence, le critère d'organisation énoncé par lord Denning et d'autres juristes donne des résultats tout à fait acceptables s'il est appliqué de la bonne manière, c'est-à-dire quand la question d'organisation ou d'intégration est envisagée du point de vue de l'“ employé ” et non de celui de l'“ employeur ”. En effet, il est toujours très facile, en examinant la question du point de vue dominant de la grande entreprise, de présumer que les activités concourantes sont organisées dans le seul but de favoriser l'activité la plus importante. Nous devons nous rappeler que c'est en tenant compte de l'entreprise de l'employé que lord Wright a posé la question “ À qui appartient l'entreprise ”.

[10] Il poursuivait en disant, à la même page :

C'est probablement le juge Cooke, dans Market Investigations, Ltd. v. Minister of Social Security, [1968] 3 All E.R. 732 [...] qui, parmi ceux qui ont examiné le problème, en a fait la meilleure synthèse (aux pages 738 et 739) :

[TRADUCTION] Les remarques de LORD WRIGHT, du LORD JUGE DENNING et des juges de la Cour suprême des États-Unis laissent à entendre que le critère fondamental à appliquer est celui-ci: “La personne qui s'est engagée à accomplir ces tâches les accomplit-elle en tant que personne dans les affaires à son compte”. Si la réponse à cette question est affirmative, alors il s'agit d'un contrat d'entreprise. Si la réponse est négative, alors il s'agit d'un contrat de service personnel. Aucune liste exhaustive des éléments qui sont pertinents pour trancher cette question n'a été dressée, peut-être n'est-il pas possible de le faire; on ne peut non plus établir de règles rigides quant à l'importance relative qu'il faudrait attacher à ces divers éléments dans un cas particulier. Tout ce qu'on peut dire, c'est qu'il faudra toujours tenir compte du contrôle même s'il ne peut plus être considéré comme le seul facteur déterminant; et que des facteurs qui peuvent avoir une certaine importance sont des questions comme celles de savoir si celui qui accomplit la tâche fournit son propre outillage, s'il engage lui-même ses aides, quelle est l'étendue de ses risques financiers, jusqu'à quel point il est responsable des mises de fonds et de la gestion, et jusqu'à quel point il peut tirer profit d'une gestion saine dans l'accomplissement de sa tâche. L'utilisation du critère général peut être plus facile dans un cas où la personne qui s'engage à rendre le service le fait dans le cadre d'une affaire déjà établie; mais ce facteur n'est pas déterminant. Une personne qui s'engage à rendre des services à une autre personne peut bien être un entrepreneur indépendant même si elle n'a pas conclu de contrat dans le cadre d'une entreprise qu'elle dirige actuellement.

[11] Dans l'arrêt Moose Jaw Kinsmen Flying Fins Inc. v. M.N.R., 88 DTC 6099, la Cour d'appel fédérale déclarait, à la page 6100 :

[...] comme le juge MacGuigan, nous considérons les critères comme des subordonnés utiles pour peser tous les faits relatifs à l'entreprise de la requérante. C'est maintenant l'approche appropriée et préférable pour la très bonne raison que dans une cause donnée, et celle-ci peut très bien en être une, un ou plusieurs des critères peuvent être peu ou pas applicables. Pour rendre une décision, il faut donc considérer l'ensemble de la preuve en tenant compte des critères qui peuvent être appliqués et donner à toute la preuve le poids que les circonstances peuvent exiger.

[12] Concernant le contrat écrit (pièce A-1) que l'appelante avait signé et concernant ce qui est pratique courante dans ce domaine, dans l'appel en instance, après avoir considéré ces faits, j'ai décidé d'y accorder un certain poids. Dans l'arrêt Standing c. M.R.N., [1992] A.C.F. no 890, rendu le 29 septembre 1992, la Cour d'appel fédérale déclarait :

[...] Peu importe l'appréciation, par la Cour de l'impôt, du critère énoncé dans l'arrêt Wiebe Door, l'essentiel, tout compte fait, c'est que les parties elles-mêmes ont ensuite qualifié leur relation d'employeur-employé. Rien dans la jurisprudence ne permet d'avancer l'existence d'une telle relation du simple fait que les parties ont choisi de la définir ainsi sans égards aux circonstances entourantes appréciées en fonction du critère de l'arrêt Wiebe Door. La Cour de l'impôt aurait dû analyser les faits en tenant compte de ce critère qui, en fait, a été confirmé à nouveau par l'arrêt Moose Jaw Kinsmen Flying Fins Inc. v. The Minister of National Revenue [...]

[13] La question de savoir si un travailleur est un employé ou un entrepreneur indépendant est une question de droit. Le critère décrit par le juge MacGuigan dans l'arrêt Wiebe Door Services Ltd., puis examiné par la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Moose Jaw Kinsmen Flying Fins Inc., doit être appliqué à toutes les modalités du contrat. Dans certains cas, ce que les parties au contrat déclarent comme étant leur relation contractuelle ou la pratique dans leur domaine peut bien être un facteur qui fera pencher la décision dans un sens ou dans l'autre. Sur la foi des faits dont j'ai été saisis, j'estime que nous sommes ici en présence d'un tel cas.

[14] Appliquant le critère composé de quatre parties intégrantes qui a été énoncé dans l'arrêt Wiebe Door Services Ltd. et examiné dans l'arrêt Moose Jaw Kinsmen Flying Fins Inc., considérant tous les faits qui m'ont été exposés et interprétant le contrat dans son ensemble, je conclus que le travailleur était non pas un employé mais un entrepreneur indépendant. En conséquence, l'appel est accueilli.

Signé à Ottawa, Canada, ce 26e jour de novembre 1997.

“ Gordon Teskey ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 6e jour de novembre 1998.

Isabelle Chénard, réviseure

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