Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

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Date: 19971030

Dossier: 96-34-IT-I

ENTRE :

HERBERT B. NOBLE,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Sobier, C.C.I.

[1] L’appelant interjette appel contre les cotisations se rapportant à ses années d’imposition 1991 et 1993 par lesquelles le ministre du Revenu national (le “ministre”) a ajouté un montant de 2 902 $ pour 1991 et de 24 164 $ pour 1993 et a rejeté des déductions s’élevant à des montants similaires qui avaient été effectuées à l’égard d’honoraires d’avocat qu’il avait payés.

[2] Initialement, les déductions ont été rejetées en vertu de l’alinéa 60a) de la Loi de l’impôt sur le revenu (la “Loi”) pour le motif que l’appelant n’avait pas engagé les dépenses en vue de se défendre contre une cotisation d’impôt et qu’il n’avait pas engagé ces dépenses en vue de réaliser un revenu au sens de l’alinéa 18(1)a) de la Loi. À l’audition de l’appel, la question relative à l’alinéa 60o) n’a pas été poursuivie.

[3] Subsidiairement, le ministre a allégué que les dépenses étaient imputables au capital, au sens de l’alinéa 18(1)b) de la Loi.

[4] L’appelant est un avocat qui exerce sa profession en Ontario. Il est sous contrat à longueur d’année à titre d’avocat spécialisé en droit international, son unique client étant généralement connu sous le nom du groupe Tridel (“Tridel”). Tridel est un groupe de compagnies contrôlé ou dirigé par trois frères, Angelo, Leo et Elvio Del Zotto; il est composé de Tridel Corporation et de Tridel Enterprises Inc. Me Noble a témoigné qu’Angelo Del Zotto était président et directeur général de Tridel et qu’il en était l’âme dirigeante.

[5] En fournissant des services juridiques à Tridel, l’appelant conseillait les dirigeants, administrateurs, mandataires et employés de Tridel ainsi que de ses filiales et de ses compagnies associées.

[6] Me Noble facture Tridel sur une base mensuelle par l’entremise d’une compagnie payeur connue sous le nom de Glen Nova Construction Limited, pour le douzième des honoraires annuels et est payé en conséquence.

[7] Me Noble a déclaré avoir appris avant 1991 que Revenu Canada enquêtait sur Tridel. Il a été mis au courant de la chose lors de discussions avec Elvio Del Zotto, William Christie et Robert Lindsay. Me Lindsay travaillait comme fiscaliste chez Osler, Hoskin et Harcourt et ses services avaient été retenus à l’égard de l’enquête. En 1990, les vérificateurs de Revenu Canada se sont installés dans les bureaux de Tridel où ils sont encore. La première indication officielle de l’intérêt que portait Revenu Canada à l’appelant s’est manifestée dans une lettre que Revenu Canada a envoyée à celui-ci le 3 mai 1990 et dans laquelle des renseignements étaient demandés, avec documents à l’appui, au sujet de la relation qu’il entretenait avec une corporation des Caïmans connue sous le nom de Supra Investments Inc. (“Supra”), et notamment du droit de propriété possible direct ou indirect qu’il avait sur Supra. Une copie de cette lettre avait été envoyée à Me Lindsay, à son cabinet.

[8] Revenu Canada n’avait jamais auparavant demandé de renseignements à Me Noble au sujet de Supra. Étant donné qu’il était question de Supra et qu’une copie avait été envoyée à Me Lindsay, l’appelant croyait que Tridel était en cause. Me Noble a déclaré qu’à son avis, à cause de cette demande de renseignements, il faisait face à un conflit d’intérêts puisqu’il voulait continuer à être rémunéré par Tridel et à lui fournir ses services. Me Noble a montré la lettre à M. Elvio Del Zotto, qui lui a suggéré de demander conseil à un avocat indépendant et l’a informé que Tridel le rembourserait de tous frais exigés par l’avocat. Me Noble a finalement retenu les services de Me Alan Gold, du cabinet Gold et Fuerst. Le 23 mai 1990, Me Gold a répondu à la lettre du 3 mai 1990. Dans sa lettre, Me Gold disait que Me Noble n’avait aucun droit de propriété direct ou indirect sur Supra Investments Inc., qu’il n’avait pas de livres ou de documents concernant cette compagnie et qu’il n’était pas habilité à aider Revenu Canada à obtenir communication de pareils livres et documents.

[9] Le 15 mai 1991, Revenu Canada a envoyé une lettre dans laquelle on demandait à Me Noble de fournir tous les détails concernant la relation d’affaires qu’il entretenait avec Angelo Del Zotto, Tridel Corporation et Supra Investments Inc. On demandait de nouveau à Me Noble de fournir des renseignements au sujet de la possession d’actions de Supra ainsi que des renseignements au sujet de la possession par Supra d’actions d’autres corporations.

[10] Me Gold a répondu à cette lettre pour le compte de Me Noble par une lettre datée du 23 juillet 1991.

[11] Me Gold a facturé Me Noble à l’égard de ces services en 1991 et les factures ont été payées. Me Noble a ensuite soumis les factures à Tridel pour remboursement, ce qui a été fait.

[12] L’appel relatif à l’année d’imposition 1991 porte sur ces comptes.

[13] Les montants remboursés n’ont pas été inclus au titre du revenu ou déduits dans la déclaration de revenu de 1991 de Me Noble.

[14] Le 9 octobre 1992, Revenu Canada a entrepris une enquête (l’“enquête”) conformément au paragraphe 231.4(2) de la Loi, aux fins de l’examen des affaires financières d’Angelo Del Zotto.

[15] Une assignation datée du 21 avril 1993 a été signifiée à Me Noble , dans le cadre de l’enquête, laquelle enjoignait à celui-ci de remettre tous les documents ou autres choses en sa possession, sous son contrôle ou sous sa garde se rapportant aux affaires financières d’Angelo Del Zotto pour les années d’imposition 1979 à 1985 inclusivement, notamment les documents se rapportant à Supra, à 272930 B.C. Ltd., à Auburg Ventures Inc., à Night Hawk Resources Ltd. et à Delbancor Industries Inc., autrefois connue sous le nom de Saxton Industries Ltd.

[16] L’assignation se rapportait à des questions concernant Angelo Del Zotto, mais l’appelant croyait qu’on continuait à enquêter sur Tridel, enquête qui, allègue-t-il, remontait à 1990 et à la demande de renseignements que Revenu Canada lui avait envoyée dans la lettre du 15 mai 1991. De plus, l’appelant a affirmé qu’étant donné qu’il était fait mention de Supra, il supposait encore une fois que Tridel était en cause. Ici encore, Me Noble croyait faire face à un conflit lorsqu’il s’agissait de protéger sa source de revenu et son client, en ce sens qu’il serait contraint à témoigner contre celui-ci. Toutefois, rien ne montrait que M. Del Zotto était lui-même un client de Me Noble.

[17] Me Noble a de nouveau parlé à M. Elvio Del Zotto qui lui a dit de continuer à traiter avec Me Gold et que Tridel paierait les honoraires de cet avocat. Me Noble a ensuite montré l’assignation à Me Gold.

[18] Il y a ensuite eu de nombreuses procédures judiciaires au sujet de l’enquête, de l’assignation et d’autres questions. Ces procédures mettaient en cause M. Angelo Del Zotto ainsi que Me Noble. Pendant toute la durée des procédures, Me Gold et les membres de son cabinet ont occupé pour le compte de Me Noble; la Cour d’appel fédérale a en fin de compte déclaré que l’article 231.4 de la Loi et les assignations qui avaient été signifiées en vertu de cette disposition étaient inopérants en vertu du paragraphe 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982. L’autorisation de se pourvoir en appel contre la décision de la Cour d’appel fédérale a été demandée à la Cour suprême du Canada, mais la demande n’a pas été entendue.

[19] Me Gold a facturé Me Noble à l’égard des services fournis en 1993 au sujet de l’enquête et de l’assignation, et les comptes ont été traités de la même façon que les comptes de 19911. L’appel se rapportant à l’année d’imposition 1993 porte sur ces comptes.

[20] Me Noble affirme que pendant tout ce temps, il a continué fournir des services juridiques à Tridel et qu’il voulait continuer à fournir pareils services. Me Noble affirme qu’en demandant conseil à un avocat à la demande de Tridel, il pouvait continuer à fournir pareils services. S’il n’avait pas retenu les services d’un avocat, il n’aurait pas pu fournir ces services, puisqu’il y aurait eu un conflit entre sa capacité de gagner sa vie et son client.

[21] Pour avoir gain de cause, l’appelant doit démontrer qu’il a versé le montant des honoraires exigés par le cabinet d’avocats de Me Gold afin de tirer un revenu de sa profession d’avocat. L’appelant doit établir l’existence d’un lien entre les dépenses et le but de pareilles dépenses.

[22] Au début de l’enquête, en 1990, et compte tenu de la présence des vérificateurs de Revenu Canada dans les locaux de Tridel, il semblait que c’était Tridel qui faisait l’objet d’un examen. Dans la deuxième lettre, Revenu Canada parlait expressément de Tridel, contrairement à la première lettre et à l’assignation. Lorsqu’il a témoigné au sujet de l’assignation, il a été fait mention de Supra, qui, selon Me Noble, était liée à Tridel, même s’il n’en a pas été fait mention. La preuve présentée par Me Noble m’amène à conclure que la relation qu’il entretenait avec les membres constituants du groupe Tridel ainsi qu’avec le personnel du groupe était telle que cela ne formait selon lui qu’un tout. Angelo Del Zotto, Tridel et la source de revenu de l’appelant étaient liés à un point tel, aux yeux de l’appelant, qu’il n’existait plus aucune distinction. Cela étant, il faut ensuite apprécier la chose par rapport au fait que, quelle que soit la relation qui ait existé entre Me Noble et Angelo Del Zotto, il ne s’agissait pas d’une relation procureur-client.

[23] Il est évident aux yeux de l’appelant que toute l’entreprise Tridel faisait l’objet de l’enquête. Par conséquent, lorsqu’il a demandé à un avocat de le conseiller, afin de ne pas être ou sembler être dans une situation de conflit d’intérêts, l’appelant cherchait à continuer à tirer un revenu de Tridel. À cette fin, le conseil qu’il a demandé visait à lui permettre de continuer à réaliser son revenu.

[24] Les tribunaux ont reconnu qu’il n’est pas nécessaire de démontrer qu’une dépense donne lieu à la réalisation d’un revenu précis2. Compte tenu du contexte dans lequel il exerçait sa profession dans son ensemble, Me Noble devait verser des honoraires à un avocat pour pouvoir continuer à réaliser un revenu. Il est reconnu depuis longtemps que la déduction d’honoraires d’avocat est permise lorsque ces honoraires sont engagés à l’égard de l’entreprise continue de l’appelant, ce qui est le cas en l’espèce.

[25] Quant à l’argument selon lequel les dépenses étaient imputables au capital, elles ne l’étaient pas. Elles étaient imputables au revenu et découlaient des activités quotidiennes de l’appelant dans l’exercice de sa profession. En retenant les services d’un avocat et en payant les honoraires, l’appelant a pu continuer à conseiller son client. Il croyait que s’il ne retenait pas les services d’un avocat, il serait en conflit d’intérêts, ce qui l’empêcherait de fournir ses services et, par conséquent, de réaliser un revenu.

[26] Pour les motifs susmentionnés, l’appel est admis avec dépens et la question est déférée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation compte tenu du fait que les honoraires d’avocat en question sont déductibles.

"Ronald E. Sobier"

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme ce 29e jour de janvier 1998.

Mario Lagacé, réviseur



1                Un compte se rapportait notamment à des honoraires d’un montant de 1 050 $ exigés pour des questions non liées à la présente affaire; il n’est pas ici en cause.

2                Voir Consolidated Textiles Ltd. v. M.N.R., 3 DTC 958 (C. de l’É.), à la page 960.

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