Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date: 19991020

Dossiers: 98-2287-IT-I

ENTRE :

SYLVIE GIRARD,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Lamarre Proulx, C.C.I.

[1]L'appelante en appelle des cotisations du ministre du Revenu national (le “Ministre”), pour les années d'imposition 1994 et 1995.

[2]La question en litige est de savoir si pendant les années en question, l'appelante exerçait une entreprise de location.

[3]Les faits sur lesquels le Ministre s'est fondé pour établir ses nouvelles cotisations sont décrits aux paragraphes 10 de la Réponse à l'avis d'appel (la “Réponse”), comme suit :

a) la propriété sise au 170, rue de Bernières, app. 101 à Québec fut acquise en 1990 par l'appelante;

b) la propriété est un condominium;

c) le condominium a été acquis afin d'être utilisé à titre de résidence familiale;

d) l'appelante, en octobre 1991, fut nommée au titre d'attaché culturel à Paris pour le compte du Gouvernement du Québec au ministère des Affaires internationales de l'Immigration et des Communautés culturelles;

e) le condominium fut loué pour la période s'échelonnant du mois de janvier 1992 au mois d'août 1994;

f) l'appelante revint au Québec au mois de février 1995 et habite le condominium depuis le mois de mars 1995 jusqu'à aujourd'hui;

g) en 1992, l'appelante aurait prétendument entrepris des réparations importantes à l'égard de son condominium et pour ce faire aurait emprunté une forte somme sur marge de crédit;

h) en 1994, l'appelante a réclamé doublement les intérêts payés, une fois dans l'état des loyers de biens immeubles, et une autre fois à la ligne 221 de sa déclaration de revenus;

i) en 1995, l'appelante a réclamé les intérêts payés à la ligne 221 de sa déclaration de revenus;

j) pendant les années 1991, 1992, 1993 et 1994, la propriété de l'appelante accusait annuellement une perte :

Année d'imposition 1991 1992 1993 1994

Pertes réclamées 2 406 $ 8 030 $ 1 754 $ 6 636 $

k) l'appelante n'avait aucun espoir raisonnable de tirer un profit, à l'égard de la propriété sise au 170, rue de Bernières, app. 101 à Québec, au cours de l'année d'imposition 1994;

l) les dépenses de location réclamées pour l'année d'imposition 1994, à l'égard de la propriété sise au 170, rue de Bernières, app. 101 à Québec, constituaient des frais personnels ou des frais de subsistance de l'appelante, et n'ont pas été engagées par ladite appelante dans le dessein de tirer un revenu d'un bien ou d'une entreprise;

m) les intérêts payés par l'appelante, réclamés au titre de frais financiers dans le calcul de son revenu pour les années d'imposition 1994 et 1995, constituaient des frais personnels ou des frais de subsistance de ladite appelante, et n'ont pas été engagées dans le dessein de tirer un revenu d'un bien ou d'une entreprise.

[4]L'appelante a témoigné. Elle a admis les alinéas 10a) à 10j) de la Réponse.

[5]En ce qui concerne l'alinéa 10h) de la Réponse, elle déclare que c'est par erreur qu'elle a réclamé deux fois le montant de 7 593,81 $.

[6]En ce qui concerne l'énoncé de l'alinéa 10i) de la Réponse, l'appelante explique qu'elle a réclamé la somme totale des intérêts payés cette année-là, quoiqu'elle ait occupé la maison à partir de mars 1995 parce qu'elle avait mal interprété une réponse que lui aurait donnée un agent de Revenu Canada en ce qui concerne les modalités des déductions locatives possibles pour l'année 1991.

[7]L'appelante a acquis la propriété en 1990 pour 92 000 $. Elle a obtenu un prêt hypothécaire de 63 000 $. La balance du prix de vente était financée par une marge de crédit. L'année suivante, elle a consolidé ces emprunts en un emprunt hypothécaire d'environ 82 000 $. Elle a commencé un plan de rénovation important pour changer la propriété de demi sous-sol à une propriété de rez-de-chaussée. Elle a changé la fenestration et a fait d'autres travaux. Elle a investi 25 000 $ en réparation. Ce montant a également été financé par un emprunt hypothécaire. Elle a expliqué qu'elle avait fait cette acquisition et ces travaux dans le but de revendre la propriété à profit. Elle avait déjà fait l'acquisition d'une propriété sur la rue Cartier qu'elle avait revendue au double du prix d'acquisition.

[8]Quand en octobre 1991, elle a obtenu un poste à Paris, elle a demandé à son père qui avait déjà fait de l'immobilier de s'occuper de louer sa propriété. Elle a aussi demandé à une agente immobilière de faire la même chose. Elle-même a mis des affiches à différents endroits qu'elle estimait être de bonnes sources. Elle dit qu'au départ, elle voulait louer sa propriété meublée pour 1 400 $ par mois. Cependant, la propriété s'est louée non meublée pour 900 $ par mois de janvier 1992 à juin 1994. Quoique la Réponse à l'alinéa 10e) mentionne août 1994, en fait c'est juin 1994.

[9]Quoique l'alinéa 10g) de la Réponse ait été admis sauf en ce qui concerne l'adverbe “prétendument”, il est douteux qu'il soit exact quant à l'année, car en 1992, l'appelante se trouvait à Paris depuis octobre 1991. Les travaux logiquement ont dû se faire en 1990 et 1991.

[10]En juillet 1994, elle a mis la propriété en vente ou en location. La pièce A-1 est une contre-proposition faite par l'appelante le 20 juillet 1994, au prix de 145 000 $. L'appelante a quitté Paris au début de mars 1995.

[11]La pièce A-2 est l'état des loyers pour l'année 1992. Le revenu locatif brut est de 10 800 $. Le total des dépenses est de 18 830 $ pour, notamment, l'entretien et les réparations au montant de 5 746 $ et les intérêts au montant de 9 463 $. La perte nette est de 8 030 $.

[12]La pièce A-3 est l'état des loyers de biens immeubles pour l'année 1993. Le revenu locatif brut est de 10 800 $. Les dépenses totales sont de 12 554,35 $, pour notamment les intérêts de 5 835,21 $. La perte nette est de 1 754,35 $.

[13]La pièce I-1 est la déclaration de revenu de l'appelante pour l'année 1994. On y voit à l'état des loyers de biens immeubles que le revenu brut de location fut de 5 400 $ et le total des dépenses, 12 036,80 $. Les seuls frais d'intérêt étaient au montant de 7 593 $.

[14]La pièce I-2 est la déclaration de revenu de l'appelante pour l'année 1995. On y trouve la formule de réclamation des frais de déménagement. La nouvelle adresse est le 170, de Bernières, #101, soit l'adresse de la propriété en question. La date du déménagement est le 1er mars 1995. Il n'y a pas d'état des loyers dans cette déclaration.

[15]L'avocat de l'appelante aurait voulu faire entendre un agent d'immeubles à titre d'expert sur les loyers que la propriété aurait pu retirer. L'avocat de l'intimée s'est opposé au motif que le rapport de l'expert n'avait pas été déposé au greffe et signifié à l'autre partie, au moins 10 jours avant la date de l'audition tel que requis par l'article 7 des Règles de la Cour canadienne de l'impôt (procédure informelle), et au motif de manque de pertinence. Ce qui est pertinent, ce n'est pas ce qui aurait pu hypothétiquement être fait, loyers plus élevés, intérêts plus bas, mais ce qui a été fait. J'ai maintenu l'objection à ces deux titres.

Analyse et conclusion

[16] Je me réfère aux propos du juge Dickson dans l'arrêt de la Cour suprême du Canada dans Moldowan c. La Reine, [1978] 1 R.C.S. 480, aux pages 485 et 486 :

Une jurisprudence volumineuse traite de la signification de l'expression expectative raisonnable de profit, mais il ne s'en dégage aucune constante. À mon avis, on doit s'appuyer sur tous les faits pour déterminer objectivement si un contribuable a une expectative raisonnable de profit. On doit alors tenir compte des critères suivants : l'état des profits et pertes pour les années antérieures, la formation du contribuable et la voie sur laquelle il entend s'engager, la capacité de l'entreprise, en termes de capital, de réaliser un profit après déduction de l'allocation à l'égard du coût en capital. Cette liste n'est évidement pas exhaustive. Les facteurs seront différents selon la nature et l'importance de l'entreprise : ...

(Le souligné est de moi)

[17] Je me réfère aux propos du juge Linden dans la décision de la Cour d'appel fédérale dans Tonn (supra), aux pages 102, 103 et 104 :

L'application du critère de l'arrêt Moldowan principalement comme critère objectif vise donc à empêcher les réductions d'impôt illégitimes; le critère ne doit pas servir d'instrument permettant de faire des conjectures sur l'appréciation commerciale des contribuables. Un avertissement doit être formulé dans les cas où le critère est appliqué aux activités commerciales. Sauf s'il en est prévu autrement dans la Loi, les erreurs de jugement n'empêchent pas un contribuable de réclamer les déductions des pertes qui en découlent. ...

...

... je, par ailleurs, reconnais que le critère de l'arrêt Moldowan devrait être appliqué avec modération lorsque l'“appréciation commerciale” du contribuable est concernée, qu'aucun élément personnel n'a été établi et que le montant des déductions réclamées n'est pas contestable à première vue. Cependant, lorsque les circonstances donnent à penser qu'une motivation personnelle ou non commerciale existait ou que l'attente de profit était déraisonnable au point de soulever un doute, le contribuable devra prouver objectivement que l'activité constituait effectivement une entreprise. Par conséquent, des circonstances douteuses appelleront plus souvent un examen plus approfondi comparativement à celles qui ne soulèvent aucun doute.

[18]Je suis d'avis que la preuve n'a pas révélé dans la présente affaire qu'il s'agissait de l'appréciation commerciale de l'appelante mais de circonstances donnant à penser qu'une motivation personnelle ou non commerciale existait. Un tel élément n'est pas nécessairement fatal mais la Cour doit s'assurer que les caractéristiques normales d'une entreprise se retrouvent pour accorder l'appel.

[19]Il a été mis en preuve par la partie appelante que la propriété en question n'a pas été achetée dans un but de location mais pour être habitée et éventuellement revendue à profit. Les réparations ont été faites dans cette perspective.La revente à profit est une entreprise distincte de celle de la location et ce n'est pas parce qu'une personne a acquis une propriété dans le but de la revendre à profit qu'elle exploite en attendant une entreprise de location à profit.

[20]Il est à noter que le Ministre a accordé trois ans de délai à l'appelante en ce qui concerne ses activités de location. En 1991, 1992 et 1993, le Ministre a accordé des pertes aux montants respectifs de 2 406 $, 8 030 $ et 1 754 $.

[21]La structure financière de la propriété ne permettait aucun profit. En termes de capital, la propriété n'avait aucune capacité dans les années en litige de réaliser un profit ainsi qu'on peut le constater selon les faits énoncés aux paragraphes 11, 12 et 13 de ces motifs. Il est au surcroît étonnant de constater que de l'année 1993 à 1994, les frais d'intérêts avaient augmenté de près de 2 000 $, tel qu'indiqué aux paragraphes 12 et 13 de ces motifs. De plus, l'activité même de location dans les années en litige était presque inexistante. En 1994, la propriété n'a été louée que pour 6 mois et pour l'année 1995, la propriété n'a pas été louée du tout.

[22]L'analyse des faits ne peut m'amener qu'à une seule conclusion, en 1994, les quelques activités de location de l'appelante ne constituaient pas une entreprise de location ayant une expectative raisonnable de profit et en 1995, il n'y avait pas d'entreprise de location.

[23]L'appel est en conséquence rejeté.

Signé à Ottawa, Canada, ce 20e jour d'octobre 1999.

“Louise Lamarre Proulx”

J.C.C.I.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.