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Date: 19971127

Dossier: 96-3687-IT-I

ENTRE :

LAURIN CARON,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge G. Tremblay, C.C.I.

Point en litige

[1] Il s’agit de savoir si l’appelant est bien fondé dans le calcul de son revenu des années 1992, 1993 et 1994 de réclamer, à titre de frais de repas, de logement et de traversiers, les sommes respectives de 3 501 $, de 4 542 $ et de 480 $.

[2] Surintendant de chantier pour l’entreprise Beauvais & Verret Inc., son travail était de superviser deux travaux en cours dont les chantiers étaient situés à deux endroits éloignés.

[3] Selon l’intimée, l’appelant n’aurait eu la surveillance que d’un seul chantier, sa place d’affaires étant ce chantier. L’appelant n’était qu’un employé temporaire. Aussi, l’appelant recevait de son employeur pour ses déplacements une allocation qui n’était pas incluse dans son revenu.

[4] De plus, l’intimée a refusé le remboursement des services à l’intention des salariés en regard de frais refusés pour des montants de 178,66 $ en 1992 et de 171,55 $ en 1993.

Fardeau de la preuve

[5] L'appelant a le fardeau de démontrer que les cotisations de l'intimée sont mal fondées. Ce fardeau de la preuve découle de plusieurs décisions judiciaires dont un jugement de la Cour suprême du Canada rendu dans l'affaire Johnston c. Le ministre du Revenu national.[1]

[6] Dans le même jugement, la Cour a décidé que les faits assumés par l'intimé pour appuyer les cotisations ou nouvelles cotisations sont également présumés vrais jusqu'à preuve du contraire. Dans la présente cause, les faits présumés par l'intimée sont décrits aux alinéas a. à f. du paragraphe 4 et a. à c. du paragraphe 5 de la réponse à l'avis d'appel. Ces paragraphes se lisent comme suit :

4. Pour établir ces nouvelles cotisations, le Ministre a tenu notamment pour acquis les faits suivants:

a. au cours des années d’imposition 1992, 1993 et 1994, l’appelant était surintendant de chantier pour la compagnie Beauvais & Verret (l’ “employeur” ); [admis]

b. l’employeur s’occupait des chantiers de construction de la chaîne d’alimentation Sobeys; [admis]

c. l’appelant recevait de son employeur une allocation, pour frais de déplacement, pour les années sous appel et ces allocations n’étaient pas incluses dans le calcul de son revenu en vertu du sous-alinéa 6(1)b)(v); [admis avec explication]

d. l’appelant n’a pas démontré que les allocations qu’il a reçues de son employeur n’était pas raisonnable; [nié]

e. conséquemment les frais en litige, aux montants de 3 501 $ en 1992, de 4 542 $ en 1993 et de 480 $ en 1994 ont été refusés à l’appelant; [admis que refusés mais non à bon droit]

f. de plus, le remboursement de la taxe sur les produits et services à l’intention des salariés pour les années d’imposition 1992 et 1993 a été révisé à néant selon le paragraphe 253(1) de la Loi sur la taxe d’accise. [admis que refusé à néant mais non à bon droit]

5. Au stade de l’opposition, le ministre a obtenu, de la part de l’employeur, certains renseignements et a tenu pour acquis les faits suivants:

a. l’appelant a travaillé, au cours des années d’imposition 1992, 1993 et 1994, strictement pour la surveillance d’un chantier en particulier et ce, un chantier à la fois; [nié]

b. la place d’affaires de l’employeur, pour l’appelant, était le site du chantier particulier sur lequel il travaillait à ce moment-là; [nié]

c. l’appelant n’était qu’un employé temporaire de l’employeur; [étant seulement sur chantier précis]

Preuve des faits

[7] En plus des admissions ci-dessus, la preuve a été complété par le témoignage de l’appelant et par la production des pièces A-1 à A-3.

[8] L’appelant admet que dans le calcul de son revenu net pour les années d’imposition 1992, 1993 et 1994, il a réclamé les frais suivants:

a. frais de repas (80%) 2 218 $ 4 542 480 $

b. frais de logement 1 225 0 0

c. frais de traversiers 58 0___ _ 0___

3 501 $ 4 542 $ 480 $

Sous la pièce A-3, il a produit la preuve de ses dépenses, sauf les frais de traversier qui étaient compris dans le montant de 500 $ reçu hebdomadairement à titre de frais de transport.

[9] L’appelant travaille depuis 11 ans pour la compagnie Beauvais & Verret dont la place d’affaires est situé au 2181, rue Léon-Harmel à Québec. Sous la pièce A-1, l’appelant a déposé plusieurs lettres de son employeur relatives à son travail et aux dépenses de déplacement, de frais de repas et de logements.

Une lettre du 21 mars 1990 adressée “ à qui de droit ” stipule, entre autres, ce qui suit:

Monsieur Caron est engagé par nous comme [Surintendant], il n’est pas régi par le décret de la Construction au niveau du taux salarial et de la définition de ses tâches.

Il travaille pour nous depuis 1987, il a fait plusieurs chantiers (Rimouski, Matane, Rivière-du-Loup, Campbellton, Québec, St-Apollinaire, St-Casimir). La durée de ces chantier a varié selon leurs importances.

Il s’est aussi déplacé afin de faire l’estimé de soumission pour l’obtention de nouveaux contrats.

Il se rapporte au bureau chef régulièrement pour l’analyse de la bonne marche de ses chantiers, ainsi que ses rapports pour les soumissions.

Une lettre du 3 juin 1991:

... La présente est pour vous confirmer que les montants qui vous sont versés, le sont effectivement pour défrayer vos frais de déplacement sur nos chantiers à titre de surintendant de notre compagnie, et que les frais de pension et de repas sont à votre charge.

Une lettre du 24 septembre 1997:

Nous confirmons par la présente que Monsieur Laurin Caron a été à notre emploi depuis plusieurs années à titre de Surintendant de chantier sur divers contrats à travers la Province de Québec et du Nouveau-Brunswick pour une durée de trois à six mois variant d’un contrat à l’autre. À ce titre, sa fonction consistait à superviser et coordonner les travaux de construction. Toutefois, sur tous les contrats où il a été affecté, il n’y a jamais eu de bureau administratif de quelque nature que ce soit sur place. Ces travaux d’ordre administratifs tels que:

- gérance de projet.

- comptabilité.

- secrétariat.

- commandes d’achat.

- facturation.

- paiement.

- sollicitation.

- négociation de contrat.

Étaient effectués à partir de notre bureau de Québec.

Bien à vous,

[10] Sous la pièce A-2, a été déposé un jugement de la Cour des petites créances, District de Montmagny, émis par le juge André Verge de la Cour du Québec, le 8 janvier 1992, le tout conformément aux articles 59 et 63 de la Loi de l'impôt du Québec.

[11] Le savant juge a accordé la demande de l’appelant Laurent Caron relative à une somme de 4 901 $ pour les dépenses de logement et de repas, prouvés pour l’année 1988.

[12] En résumé, la Cour n’admet pas l’argument du ministère du Revenu du Québec que le fait que l’appelant ait reçu une allocation de frais de transport, il ne peut bénéficier de la déduction pour les frais de logement et de nourriture, le tout s’appuyant, entre autres, sur une décision de la Cour suprême du Canada dans l’affaire John-Manville Canada Inc.[2]. La Cour accorda l’appel.

[13] Le payeur exécute des travaux comme contracteur de la compagnie Sobey’s principalement pour la construction de centres d’alimentation. Il engage aussi à cette fin des sous-contracteurs. L’appelant est engagé comme surintendant à la surveillance des travaux.

[14] Selon l’appelant, en 1992 il a travaillé principalement à Baie-Comeau. Il serait allé pour faire une soumission à Ste-Anne-des-Monts.

[15] En 1993, il a travaillé à Rimouski pour l’agrandissement d’un centre pour un contrat de 3 000 000 $. Il s’est rendu encore faire une soumission à Ste-Anne-des-Monts.

[16] En 1994, il a travaillé principalement à Ste-Anne-des-Monts avec une soumission à Baie-Comeau.

[17] Selon l’appelant, lorsqu’il travaille en surveillance, il y a une roulotte sur le chantier. Cette roulotte sert pour les réunions avec les sous-contracteurs, etc.

[18] Selon l’appelant, les dépenses de transport sont payées par une moyenne de 500 $ par semaine.

Loi - Jurisprudence - Analyse

[19] Loi

Les dispositions de la Loi de l'impôt sur le revenu (la Loi) 6(1), 6(1)b)(v), (vi), (vii), 8(1), 8(1)e), 8(1)f), 8(1)g) et 8(1)h) sont invoquées, dont certaines n’ont pas d’application telles qu’indiquées ci-après:

6: Éléments à inclure à titre de revenu tiré d’une charge ou d’un emploi.

(1) Doivent être inclus dans le calcul du revenu d’un contribuable tiré, pour une année d’imposition, d’une charge ou d’un emploi, ceux des éléments appropriés suivants:

b) Frais personnels ou de subsistance — toutes les sommes qu’il a reçues dans l’année à titre d’allocations pour frais personnels ou de subsistance ou à titre d’allocations pour toute autre fin, sauf

...

(v) les allocations raisonnables pour frais de déplacement reçues de son employeur par un employé et afférentes à une période pendant laquelle son emploi était relié à la vente de biens ou à la négociation de contrats pour son employeur,

(vi) les allocations raisonnables reçues par un ministre du culte ou un membre du clergé desservant un diocèse, une paroisse ou une congrégation, ou en ayant la charge, pour les frais de transport qu’a entraînés l’accomplissement des fonctions de sa charge ou de son emploi,

(vii) les allocations raisonnables pour frais de déplacement (à l’exception des allocations pour l’usage d’un véhicule à moteur) qu’un employé — dont l’emploi n’est pas relié à la vente de biens ou à la négociation de contrats pour son employeur — a reçues de son employeur pour voyager à l’extérieur:

(A) de la municipalité où était situé l’établissement de l’employeur dans lequel l’employé travaillait habituellement ou auquel il adressait ordinairement ses rapports, et,

(B) le cas échéant, de la région métropolitaine où était situé cet établissement,

dans l’accomplissement des fonctions de sa charge ou de son emploi,

8. Éléments déductibles.

(1) Lors du calcul du revenu d’un contribuable tiré, pour une année d’imposition, d’une charge ou d’un emploi, peuvent être déduits ceux des éléments suivants qui se rapportent entièrement à cette source de revenus, ou la partie des éléments suivants qui peut raisonnablement être considérée comme s’y rapportant;

...

(4) Repas. Une somme dépensée par un cadre ou un employé pour son repas ne doit pas être incluse dans le calcul du montant d’une déduction en vertu de l’alinéa (1)f) ou h), à moins que le repas n’ait été pris au cours d’une période où les fonctions de ce cadre ou de cet employé l’obligeaient à être absent, durant une période d’au moins douze heures, de la municipalité dans laquelle était situé l’établissement de l’employeur où il se présentait habituellement pour son travail, et à être absent, le cas échéant, de la région métropolitaine où cet établissement était situé.

Dispositions non applicables

8(1)e) employés de chemin de fer;

8(1)f) dépenses de vendeurs;

8(1)g) employés d’entreprise de transport.

8(1)h) Frais de déplacement — lorsque le contribuable, au cours de l’année, à la fois:

(1) a été habituellement tenu d’exercer les fonctions de son emploi ailleurs qu’au lieu d’affaires de son employeur ou à différents endroits,

(ii) a été tenu, en vertu de son contrat d’emploi, d’acquitter les frais de déplacement qu’il a engagés pour l’accomplissement des fonctions de sa charge ou de son emploi,

les sommes qu’il a dépensées pendant l’année (sauf les frais afférents à un véhicule à moteur) pour se déplacer dans l’exercice des fonctions de son emploi, sauf s’il a, selon le cas:

(iii) reçu une allocation pour frais de déplacement qui, par l’effet des sous-alinéas 6(1)b)(v), (vi) ou (vii), n’est pas incluse dans le calcul de son revenu pour l’année,

(iv) demandé une déduction pour l’année en application des alinéas e), f) ou g);

[20] Jurisprudence

La jurisprudence citée par les parties est telle que ci-après:

1- Laurin Caron c. Ministère du Revenu du Québec, Division des petites créances, Cour du Québec, Chambre civile 3.03;

2- Lorne Nelson c. Ministre du Revenu national, 81 DTC 190 (Commission de révision de l’impôt);

3- Sa Majesté La Reine c. Merten, 90 DTC 6600 (Cour fédérale, division de première instance);

4- David Campbell Davey c. Le ministre du Revenu national, 61 DTC 531 (Tax Appeal Board);

5- Evald Viitrarc c. Le ministre du Revenu national, 76 DTC 1073.

[21] Analyse

[22] Les frais de transport

Les dépenses de transports ne sont pas en litige. L’appelant recevait 500 $ par semaine et cela ne concernait pas le coût des repas et les frais de pension [9 (lettre du 3 juin 1991].

[23] Les frais de repas

La disposition 8(4) précitée est claire. La déduction du coût du repas n’est pas permise

..., à moins que le repas n’ait été pris au cours d’une période où les fonctions de ce cadre ou de cet employé l’obligeaient à être absent, durant une période d’au moins douze heures, de la municipalité dans laquelle était situé l’établissement de l’employeur où il se présentait habituellement pour son travail, et à être absent, le cas échéant, de la région métropolitaine où cet établissement était situé.

[24] Le payeur a sa place d’affaires à Québec [9]. L’appelant accomplit sa fonction de surintendant sur les chantiers de constructions [14, 15, 16]. Le litige est de savoir lequel des deux sites doivent être considérés.

[25] Dans les affaires précitées et jugées tant par la Commission de révision de l’impôt (Nelson et Vittkar) que par la Commission d’appel de l’impôt (Davey) et la Cour fédérale (Merten) ont toutes été décidées dans les circonstances similaires au présent appel, que l’établissement de l’employeur où le contribuable se présentait habituellement pour son travail était le chantier de construction et non le principal lieu d’affaires de l’employeur.

[26] En conséquence, les dépenses de repas ne peuvent être déduites.

[27] Les frais de logement

Les frais de logement ne sont pas définis comme tels dans la Loi sinon par le truchement de la définition de “ frais de déplacement ” prévue à l’alinéa 8(1)h) et qui exclut les frais afférents à un véhicule-moteur.

[28] Ces frais sont déductibles, “ sauf s’il a reçu, selon le cas ”:

(iii) une allocation pour frais de déplacement qui, par l’effet des sous-alinéas 6(1)b)(v), [employé pour négociations de contrat: non applicable], 6(1)b)(vi) [pour un ministre du culte: non applicable], et

6(1)b)(vii) les allocations raisonnables pour frais de déplacement (à l’exception des allocations pour l’usage d’un véhicule à moteur) qu’un employé — dont l’emploi n’est pas relié à la vente de biens ou à la négociation de contrats pour son employeur — a reçues de son employeur pour voyager à l’extérieur:

(A) de la municipalité où était situé l’établissement de l’employeur dans lequel l’employé travaillait habituellement ou auquel il adressait ordinairement ses rapports, et,

(B) le cas échéant, de la région métropolitaine où était situé cet établissement,

dans l’accomplissement des fonctions de sa charge ou de son emploi,

[29] Cette disposition 6(1)b)(vii) est applicable à l’appelant pour l’application de l’alinéa 8(1)h) car il n’a pas reçu d’allocations raisonnables pour les frais de logement.

[30] En somme, il n’y a pas une seule catégorie de dépenses de voyages, si les frais de repas n’étaient traités spécifiquement par le paragraphe 8(4), ils auraient pu être aussi inclus sous l’alinéa 8(1)h) par le truchement du sous-alinéa 6(1)b)(vii).

[31] Dans la cause de John-Mansville Inc. c. Sa Majesté La Reine, rapportée à [1985] 2 R.C.S., page 46, le juge Esty écrit:

D’autre part, si l’interprétation d’une loi fiscale n’est pas claire et qu’une interprétation raisonnable entraîne une déduction au profit du contribuable alors qu’une autre interprétation laisse le contribuable sans allègement pour les dépenses réelles faites dans le cours de ses opérations commerciales, selon les règles générales d’interprétation des lois fiscales, le Tribunal devrait choisir la première.

Cette interprétation est applicable aux dépenses de logement dans la présente affaire.

[32] Conclusion

L’appel est rejeté pour les frais de nourriture et accordé pour les frais de logement.

“ Guy Tremblay ”

J.C.C.I.



[1] [1948] R.C.S. 486, 3 DTC 1182, [1948] C.T.C. 195.

[2] [1985] 2 R.C.S. 46.

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