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[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

96-1262(IT)I

ENTRE :

RYAN H. McNALLY,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Appel entendu le 13 novembre 1997 à Edmonton (Alberta), par

l'honorable juge suppléant D. W. Rowe

Comparutions

Pour l'appelant :                         L'appelant lui-même

Avocat de l'intimée :                   Me D. Horowitz

JUGEMENT

          L'appel des cotisations établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour les années d'imposition 1993 et 1994 est rejeté conformément aux motifs du jugement ci-joints.

Signé à Sidney (Colombie-Britannique), ce 6e jour de février 1998.

« D. W. Rowe »

J.S.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 31e jour de janvier 2003.

Isabelle Chénard, réviseure


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Date: 19980206

Dossier: 96-1262(IT)I

ENTRE :

RYAN H. McNALLY,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge suppléant Rowe, C.C.I.

[1]      L'appelant interjette appel à l'encontre d'une cotisation d'impôt sur le revenu établie à son égard pour les années d'imposition 1993 et 1994. Le ministre du Revenu national (le « ministre » ) a refusé, pour ces années d'imposition, la déduction de pertes d'entreprise s'élevant à 34 003 $ et 27 983 $, respectivement, que l'appelant déclarait avoir subies dans le cadre de l'exploitation d'une entreprise faisant affaire sous le nom de « McNally's German Wirehair Pointers » .

[2]      Dans son témoignage, l'appelant a indiqué qu'il vit à Calahoo, en Alberta et qu'il occupe un emploi à temps plein en tant qu'ingénieur pour le compte du Canadien National (CN). Il a dit qu'il vivait à Morinville, en Alberta, en 1989, lorsqu'il a commencé à acheter des braques allemands à poil dur. Au cours de cette année-là et de l'année suivante, soit en 1990, il a acheté trois chiens, soit deux mâles et une femelle. À cette époque, habitant une maison située dans un lotissement, il a commencé à recevoir les plaintes de ses voisins concernant ses chiens. En 1991, il a déniché une parcelle de terrain de 80 acres près de Calahoo, dans le comté de Sturgeon, à environ une demi-heure d'Edmonton en voiture, où les règlements régissant l'utilisation du sol autorisent la décharge d'armes à feu que l'appelant doit utiliser en vue d'entraîner ses chiens. La parcelle était un terrain vague, et l'appelant y a élu résidence en vivant dans une camionnette de camping. Il a fait installer le service téléphonique sur sa propriété et a nettoyé le terrain en vue de construire un atelier de 24 pieds sur 36 pieds, ainsi que des pistes et des chenils pour les chiens. Il a également creusé un puits afin de pouvoir s'approvisionner en eau. Pendant cette période, il occupait un emploi à temps plein et était absent de sa propriété pendant 12 heures consécutives. L'appelant a expliqué qu'il était né dans le nord de l'Ontario et qu'il avait grandi entouré de chiens de chasse. Pendant son enfance et son adolescence, il avait élevé des beagles et des épagneuls Springer. En 1979, il s'est installé en Alberta. Plus tard, il a occupé un emploi pour le compte d'un homme qui avait travaillé toute sa vie avec des chiens et qui, au cours d'une conversation avec l'appelant, lui a recommandé une race de chiens appelée braque allemand à poil dur, un chien d'eau pouvant peser entre 55 et 60 livres et dont le poil est dur, couché et dense. L'appelant a indiqué qu'il avait effectué quelques recherches concernant cette race de chiens et qu'il avait acheté, pour la somme de 400 $, un mâle nommé Major auprès d'un éleveur à Medicine Hat, en Alberta. En 1988, Major a remporté le titre de champion dans le cadre d'une exposition canine. Certains amateurs de chasse sont disposés à payer la somme de 600 $ pour un chiot, et l'appelant a indiqué qu'il possédait maintenant six femelles et cinq mâles. Il a également mentionné qu'il pouvait vendre une femelle âgée d'un an pour la somme de 1 000 $ et un chien dressé, âgé de deux ans, pour la somme d'au moins 2 500 $. Il est également en train de construire une maison en bois rond sur son terrain et, pour ce faire, il a acheté une grue et un tracteur. M. McNally a renvoyé la Cour à l'état des revenus et des dépenses - la pièce A-1 - concernant son année d'imposition 1993. De même, l'état des revenus et des dépenses concernant son année d'imposition 1994 a été déposé en preuve sous la cote A-2, et la pièce A-3 consiste en une annexe qui indique le revenu brut, les dépenses et les pertes pour les années d'imposition 1989 à 1994 inclusivement découlant de l'exploitation de son entreprise d'élevage de chiens. Il a aussi déposé en preuve, sous les cotes A-4 et A-5, une série de photographies montrant sa propriété située à Calahoo à différentes saisons, quelques chiens, quelques chevaux et des enclos pour les faisans. L'appelant a expliqué qu'en 1993, il avait construit une route pour traverser un ruisseau parce que ses chiens ont besoin d'un point d'eau dans le cadre de leur entraînement et parce qu'il doit élever des canards sur l'étang qu'il utilise en vue de développer les aptitudes des chiens à chasser et à retrouver les proies. Toutes les compétitions auxquelles participent les braques allemands à poil dur sont organisées par des propriétaires ou des dresseurs de chiens qui montent des chevaux et font courir les chiens. Les juges sont également à cheval. Les chiens sont en compétition sur un terrain vallonné pendant une période de 30 minutes au cours de laquelle ils doivent repérer des faisans, des cailles et d'autres gibiers à plumes qui ont été placés sur le terrain par les organisateurs de la compétition. Par la suite, le gibier est dispersé au son d'un pistolet de départ que décharge un participant à la compétition. Pour que les juges accordent le maximum de points, les chiens doivent chasser avec un minimum d'ordres du participant à cheval. L'appelant a expliqué qu'il avait dû acheter des chevaux en vue de dresser ses chiens et qu'il avait découvert une race de cheval connue sous le nom de « Tennessee Walker » qui se déplace tout en douceur, ce qui est beaucoup plus confortable pour un cavalier qui participe à une compétition ardue pendant toute une fin de semaine. L'appelant possède maintenant un pur-sang âgé de six ans, un étalon âgé de trois ans, de même que trois juments. Il a expliqué qu'il était plus économique d'acheter une grue à 5 000 $ en vue de construire sa maison en bois rond sur son terrain que d'en louer une à un tarif horaire. De toute façon, en 1997, il estimait que cette grue lui avait été très utile pendant la construction de sa maison et il l'a vendue pour la somme de 6 000 $. L'appelant a indiqué qu'il n'avait déduit aucune perte d'entreprise pour les années d'imposition 1995 et 1996, qu'il avait tenté de terminer la construction de sa maison en bois rond d'une superficie de 2 400 pieds carrés et qu'il n'avait pas été en mesure d'obtenir auprès d'une institution financière quelconque un prêt suffisant pour lui permettre d'aménager la propriété plus rapidement. Il a mentionné qu'il avait utilisé une scierie mobile de manière à réduire les coûts liés à la construction. Il avait également décidé d'acheter des faisans en vue de les utiliser pour entraîner ses chiens, mais l'incubateur s'est brisé et il a perdu tous les oeufs. L'appelant a indiqué que l'inventaire des animaux qui vivent actuellement sur sa propriété est le suivant : six chiennes, soit quatre femelles qui ont atteint l'âge d'élevage et deux chiots, quatre chiens mâles dont l'un d'entre eux, JR, est un champion comme chien de chasse à courre, et un autre, Cocoa, qui est la progéniture de JR, cinq chevaux, y compris trois juments et un poulain, deux faisans et 25 poules. L'appelant a indiqué qu'au cours des années, ses chiens avaient remporté des prix dans le cadre de diverses compétitions. En 1995, l'appelant s'est classé en deuxième position dans le cadre d'une compétition à laquelle participaient les meilleurs chiens d'arrêt. En 1991, parmi les 32 chiens participants, Major a terminé premier, et un autre chien appartenant à l'appelant a remporté le deuxième prix dans le cadre d'une épreuve tenue à Seattle. L'appelant a mentionné qu'il avait refusé une offre de 8 000 $ pour son chien Major parce qu'il voulait l'accoupler pour obtenir des chiots de qualité. L'appelant a éprouvé des difficultés avec certains chiens reproducteurs et, en 1993, neuf chiots sont morts à la naissance. Cependant, les chiots survivants d'une portée ne présentent habituellement aucune différence sur le plan de la qualité. L'appelant a expliqué que ces chiens étaient de qualité supérieure et que, conséquemment, il devait maintenant tenter de trouver des gens aisés intéressés à acheter ses bêtes. Le braque allemand à poil dur est un bon animal de compagnie, est très polyvalent et possède une bonne endurance. Un chiot âgé de six semaines peut être vendu pour une somme de 800 $, mais l'appelant tente de choisir les acheteurs potentiels afin de s'assurer que ses bêtes seront dressées adéquatement. Il a indiqué que l'inventaire idéal est de cinq femelles et de cinq mâles, un nombre plus considérable nécessitant que l'on consacre davantage de temps à prendre soin des chiens et moins de temps à dresser chaque chien. En 1993, il a dressé certains chiens pour le compte de clients, mais il s'est rendu compte que cela n'en valait pas la peine et, conséquemment, il a abandonné ce projet. L'appelant a indiqué qu'il disposait de toutes les installations nécessaires au dressage de chiens et que le tarif normal était de 450 $ par mois pour une séance de dressage d'une durée de trois mois. Cependant, il a expliqué que les chiens doivent être entraînés à longueur d'année parce que « tout ce qu'ils savent faire c'est comment repérer le gibier à plumes » . Il considère que son entreprise est dotée de toutes les attributs nécessaires à son succès, notamment un terrain de 80 acres, des champs pour le foin, une terre pour cultiver le grain qui lui permet de nourrir le gibier à plumes qu'il élève pour le dressage de ses chiens, de même que de l'espace pour ses chevaux.

[3]      En contre-interrogatoire, l'appelant a indiqué que les frais d'inscription, d'hébergement et de déplacement qu'il engageait en vue de participer à des compétitions s'élevaient en général au même montant chaque année. Les coûts liés à la publicité pouvaient augmenter certaines années, mais ceux liés à l'obtention d'un permis et aux assurances demeuraient sensiblement les mêmes chaque année. Les chiens ne sont pas assurés contre les pertes. Il continue à engager des frais pour des soins vétérinaires, bien qu'il soit en mesure de fournir lui-même certains soins. Cependant, ses frais d'intérêts ont diminué, mais les coûts liés à l'entretien et aux réparations étaient élevés en 1993 et en 1994 parce qu'il a dû acheter de nombreux petits outils. Il ne lui est plus nécessaire de verser des salaires, étant donné que son amie et le fils de celle-ci vivent avec lui sur sa propriété. Il a également indiqué qu'il possédait une volée de 100 pigeons qu'il utilisait pour dresser ses chiens. L'appelant a admis que les dépenses qu'il avait engagées de 1991 à 1994 inclusivement variaient de 34 022 $ à 42 535 $, tandis que son revenu s'élevait à 7 500 $ pour l'année d'imposition 1991, à 8 400 $ pour l'année d'imposition 1992, à 7 785 $ pour l'année d'imposition 1993 et à 14 552 $ pour l'année d'imposition 1994. En vue de générer un revenu suffisant afin de couvrir ses dépenses prévues, même réduites, il devait vendre au moins 35 chiots par année au prix de 600 $ chacun. Il a mentionné qu'il avait effectué plusieurs ventes grâce aux recommandations de gens qui connaissaient bien ses chiens. Lorsque la Cour a demandé à l'appelant quel était son engagement à l'égard de ses chiens, il a répondu : « Je dresserai des chiens de chasse jusqu'à la fin de mes jours. »

[4]      L'avocat de l'intimée a fait valoir que l'appelant n'avait aucune attente raisonnable de profit pendant les années en cause, étant donné que la preuve avait démontré qu'il avait accumulé des pertes excédant la somme de 148 000 $ depuis 1989 et qu'il n'avait pas été en mesure de générer un profit pendant les années en cause ou par la suite.

[5]      Dans l'arrêt Tonn c. La Reine, [1996] 2 C.F. 73, la Cour d'appel fédérale a examiné la notion d'attente raisonnable de profit telle qu'elle avait évolué au fil des ans depuis l'arrêt rendu par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Moldowan c. La Reine, [1978] 1 R.C.S. 480. Le juge d'appel Linden a, au nom de la Cour, procédé à une analyse de la jurisprudence. Le texte reproduit ci-dessous constitue l'examen de la jurisprudence qui débute à la page 6009 des motifs du juge d'appel :

Il appert d'un examen plus approfondi de la jurisprudence que cette interprétation est maintenant celle qui est retenue dans la plupart des cas. Les litiges dans lesquels le critère de « l'attente raisonnable de profit » est appliqué appartiennent à deux catégories. La première se compose des cas où l'activité reprochée se caractérise en grande partie par un élément personnel. Il s'agit de situations dans lesquelles le contribuable a investi de l'argent pour poursuivre une activité qui lui procure une satisfaction ou des avantages personnels, notamment sur le plan psychologique. L'exploitation de fermes d'élevage pour chevaux, la location d'unités en copropriété à Hawaï et en Floride ou de chalets de ski, l'affrètement de yachts, l'exploitation de chenils et ainsi de suite ont été considérés comme des activités de cette nature. Même si ces activités peuvent parfois être poursuivies comme s'il s'agissait d'une entreprise, les tribunaux ont généralement décidé qu'elles visaient avant tout des fins personnelles. Le désir de réaliser un bénéfice dans ce genre de situation n'est rien de plus qu'un voeu pieux ou un rêve impraticable et ne constitue qu'une intention secondaire liée à l'activité. En réalité, le contribuable cherche à subventionner le coût de ces activités en déduisant de son revenu ce qui constitue effectivement une dépense personnelle.

Ainsi, dans l'arrêt McKay (K.) c. M.R.N., le juge Brûlé, de la C.C.I., a décidé qu'une entreprise de formation en plongée et de photographie sous-marine constituait un simple passe-temps :

Bien que la voie sur laquelle l'appelant s'était engagé montre qu'il oeuvrait dans le domaine de la plongée, ce n'est pas suffisant pour faire de cette occupation autre chose qu'un simple passe-temps. À mon avis, sur la foi de l'ensemble de la preuve, l'appelant n'a pas établi qu'il avait bien une expectative raisonnable de profit à l'égard d'une entreprise de formation en plongée et de photographie sous-marine au cours des années dont il est ici question.

Le critère décisif dans ces affaires réside non pas dans le fait que les activités reprochées se prêtent plus ou moins bien en soi à l'exploitation commerciale, mais plutôt dans la façon dont elles sont poursuivies : même si le contribuable désire tirer un bénéfice de l'activité, ce n'est pas là le principal but de celle-ci, qui est poursuivie d'abord et avant tout pour la satisfaction personnelle du contribuable.

Dans une autre affaire de passe-temps, Escudero (J) c. MRN, le requérant a déduit les pertes découlant de l'exploitation d'un chenil. Même si celui-ci était manifestement exploité comme une entreprise, le contribuable avait un intérêt personnel évident à l'endroit des chiens, puisqu'il s'était même acheté une maison mobile pour se rendre à des expositions canines. Statuant que les déductions avaient été refusées à bon droit, le président Cardin a dit ce qui suit :

      Même si l'appelant a peut-être exploité son chenil en homme d'affaires averti, ce chenil n'a pas, à mon sens, l'ingrédient essentiel qui en ferait une entreprise, soit une expectative raisonnable de profit. D'après la preuve produite et, en particulier, les états financiers des années 1975 à 1980 inclusivement, je ne crois pas que l'appelant puisse raisonnablement s'attendre à tirer un profit de l'exploitation de son chenil dans un avenir prévisible. Quelle qu'ait été la raison pour laquelle il a entrepris d'élever des saint-bernard de race, ce n'était pas, à mon avis, afin d'en tirer un profit.

    Un autre exemple de cas où l'avantage personnel dominait est l'affaire Huot (M.-G.) c. M.R.N., où le contribuable a acquis certaines propriétés de ses parents et leur a ensuite loué une de celles-ci contre un loyer bien inférieur au taux du marché. Le requérant a ensuite tenté de déduire les pertes découlant de cette entente. Le juge de la Cour canadienne de l'impôt a conclu à bon droit que le requérant n'avait pas d'attente raisonnable de profit et a rejeté l'appel.

Enfin, dans Maloney (V.) c. M.R.N., la contribuable a loué à bas prix à sa mère une maison qu'elle lui avait achetée et a cherché à déduire les pertes engagées. Décidant que l'objet de l'entente était avant tout un avantage personnel, le juge de la Cour canadienne de l'impôt a formulé les commentaires suivants :

Je ne doute aucunement de la bonne foi de l'appelante. Celle-ci a présenté son appel avec sincérité et conviction. Je considère toutefois que le projet selon lequel la mère subviendrait à ses propres besoins et paierait de ce fait un loyer raisonnable qui aurait permis à l'appelante de tirer un revenu du bien en question a été mal conçu. Les éléments subjectifs de la bonne foi, des espoirs commerciaux et des aspirations d'un contribuable ne confèrent pas à son entreprise une expectative raisonnable de profit si cette entreprise ne satisfait pas aux critères objectifs d'une entreprise prudente dans des circonstances analogues.

    L'autre catégorie de cas se compose de situations dans lesquelles le contribuable ne poursuit pas l'activité en question pour en tirer des avantages personnels et dans lesquelles cette activité ne peut être considérée comme un passe-temps. Dans ces affaires, l'activité semble être poursuivie d'une façon commerciale et ne constitue pas une forme déguisée de loisir personnel. Habituellement, le Ministère ne conteste pas ces déductions; par conséquent, elles ne sont pas portées en appel et les décisions publiées dans les recueils judiciaires à ce sujet sont peu nombreuses. Cependant, les tribunaux doivent encore déterminer s'il existe dans ce genre de situations des facteurs moins évidents qui pourraient mener à une conclusion différente. Bien qu'ils soient moins enclins à refuser ces dépenses, ils le font dans les cas opportuns.

    Ainsi, dans Baker (C.B.) c. M.R.N., le juge Couture, juge en chef de la C.C.I., a statué que le contribuable s'était comporté d'une façon sérieuse et qu'il ne convenait pas de refuser les déductions qu'il réclamait :

Dans le présent appel, il me semble que l'appelant s'est comporté comme tout investisseur moyen normal, un investisseur non spécialisé à cause d'un manque de formation professionnelle, mais qui néanmoins avait une connaissance pratique des principes fondamentaux en matière de placement. Il connaissait la région où se trouvait le bien-fonds. Il avait obtenu la promesse formelle de l'agent immobilier qu'il n'aurait aucune difficulté à louer la propriété durant toute l'année et qu'en plus, l'agent avait suggéré le montant du loyer à percevoir... On ne peut en aucune manière rendre l'appelant responsable du fait que les prévisions de location ne se sont pas réalisées, ce qui d'ailleurs a été l'unique et la principale cause de l'échec de l'entreprise. Il s'agit tout simplement d'une part du risque attaché à l'entreprise.

Dans une affaire bien différente, le contribuable a tenté de déduire les pertes découlant de la location d'un bien. Tout en reconnaissant que le ministre ou le tribunal ne devait pas substituer son jugement commercial à celui du contribuable, le juge Bowman a décidé que l'entreprise ne respectait pas le critère de l'arrêt Moldowan :

Néanmoins, il doit y avoir suffisamment d'indices du caractère commercial permettant de conclure qu'une véritable entreprise commerciale est exploitée. Je ne trouve pas ces indices dans les ententes conclues par l'appelant. Le financement total de l'entreprise, le paiement d'une commission de 25 p. 100 aux constructeurs d'habitations de Port Charlotte ainsi que les frais et la perte élevés comparativement aux revenus bruts et au coût total de la propriété m'apparaissent des éléments incompatibles avec l'existence d'une véritable entreprise commerciale

    Bien entendu, cette conclusion ne justifie pas le refus automatique des pertes engagées au cours des premières années d'exploitation d'une véritable entreprise de location viable. Il faut donner à l'entreprise suffisamment de temps pour lui permettre de devenir autonome. Au cours des années faisant l'objet de l'appel, je ne crois pas que l'entreprise pouvait être considérée comme une entreprise commerciale ou comme une entreprise de location viable.

    Il existe d'autres arrêts dans lesquels le critère de l'arrêt Moldowan a été appliqué à ce qui semble être des situations d'entreprises commerciales régulières. Pour différencier les opérations qui seront jugées admissibles de celles qui ne le seront pas, une grande importance est évidemment accordée aux faits. Ainsi, lorsque le contribuable exploite une entreprise commerciale à perte dans le but d'obtenir des remboursements fiscaux ou de tirer d'autres conséquences de cette nature, le tribunal jugera vraisemblablement que l'entreprise ne satisfait pas au critère de l'arrêt Moldowan. Dans d'autres cas, le tribunal décidera que, même si le contribuable désirait vraiment tirer profit d'une activité purement commerciale, l'intention n'était pas réaliste, l'attente de profit n'était pas raisonnable et, par conséquent, l'activité n'était pas une entreprise. C'est ce genre de situation dont la Cour d'appel fédérale a été saisie dans l'arrêt Landry (C.) c. Canada. Statuant que l'espoir d'un avocat de tirer profit d'un cabinet rajeuni qu'il avait rouvert alors qu'il était âgé de plus de 70 ans n'était pas raisonnable sur le plan objectif, le juge Décary, J.C.A., a dit ce qui suit :

Quelqu'un peut bien, avec la meilleure volonté du monde, exercer une activité qui prend tout son temps, sans que cette activité ne devienne pour autant une entreprise pour les fins de la Loi de l'impôt sur le revenu... Il vient donc un temps, dans la vie de toute entreprise déficitaire, où le ministre doit pouvoir déterminer objectivement, après, le cas échéant, avoir donné la chance au coureur pendant un certain nombre d'années, qu'un espoir raisonnable de profit s'est transformé en rêve impraticable.

    Je souligne pour les besoins de la cause que les circonstances de l'affaire Landry soulevaient certains doutes. Une des sources importantes des pertes réclamées dans cette affaire était une partie du coût de la résidence personnelle du contribuable où celui-ci exerçait ses activités au moins une partie du temps.

    Par ailleurs, dans l'arrêt Engler (J.S.) c. Canada, un contribuable a tenté de déduire des pertes d'une petite entreprise qu'il avait créée pour acheter et vendre différents cadeaux comme des objets en laiton, des montres, des bagues et des articles pour le foyer. Le contribuable voulait ainsi suppléer au revenu qu'il tirait de son emploi. Même si aucun élément personnel n'était évident dans la façon dont le contribuable a exploité l'entreprise et que la nature de celle-ci donnait à penser qu'il s'agissait d'une entreprise commerciale honnête, la déduction des pertes qui en découlaient n'a pas été autorisée, parce qu'il n'y avait pas d'attente raisonnable de profit. L'entreprise ne pouvait être attaquée pour d'autres raisons, mais les pertes assez élevées qui étaient réclamées soulevaient trop de doutes pour être passées sous silence, ce qui indiquait que l'objet sous-jacent n'était pas commercial. Dans sa décision, le juge Joyal s'est exprimé en ces termes :

    D'après la preuve, on pourrait dire que le demandeur a créé la controverse lui-même en déduisant des frais qui n'étaient nullement justifiés. Compte tenu de l'écart évident entre les pertes et le chiffre d'affaires, les fonds investis et le temps consacré à l'entreprise, il était facile de présumer, après avoir conclu que les dépenses n'étaient pas raisonnables, que l'entreprise n'avait à tout événement aucune expectative raisonnable de profit.

Les commentaires suivants du même jugement m'apparaissent également intéressants :

    Ce n'est que lorsque le contribuable déduit ce genre de pertes d'une autre source de revenu que Revenu Canada envoie des signaux qui pourraient être inquiétants pour le contribuable. Selon les circonstances de chaque cas, Revenu Canada présumera que le contribuable exploite une entreprise qui, objectivement, n'a aucune expectative raisonnable de profit. Il conclura que le contribuable s'adonne simplement à un sport ou à un loisir ou poursuit une autre activité purement personnelle et que, lorsqu'il déduit ses pertes de ses autres sources de revenu, il abaisse en réalité le montant d'impôt qu'il risquerait par ailleurs de payer.

Le problème que le contribuable n'a pu surmonter est la conclusion, qui découlait de la nature déraisonnable des dépenses, selon laquelle l'entreprise n'était pas exploitée pour des raisons commerciales.

    Lorsque les causes sont classées en deux groupes de la façon susmentionnée, il apparaît évident que les cas dans lesquels l'entreprise est exploitée comme passe-temps ou dans le but d'en tirer un avantage personnel sont rarement tranchés en faveur du contribuable. En revanche, l'activité qui est purement commerciale est rarement contestée. Si elle l'est, les tribunaux se sont montrés réticents à deviner l'intention du contribuable et lui ont accordé le bénéfice du doute. Je constate également que, sur le plan de la quantité pure et simple, le nombre d'affaires concernant un

passe-temps ou un avantage personnel est nettement supérieur à celui des cas touchant une activité commerciale, qui sont plutôt rares, ce qui indique que l'activité du contribuable est moins souvent contestée dans ce genre de situations.

    L'application du critère de l'arrêt Moldowan principalement comme critère objectif vise donc à empêcher les réductions d'impôt illégitimes; le critère ne doit pas servir d'instrument permettant de faire des conjectures sur l'appréciation commerciale des contribuables. Un avertissement doit être formulé dans les cas où le critère est appliqué aux activités commerciales. Sauf s'il en est prévu autrement dans la Loi, les erreurs de jugement n'empêchent pas un contribuable de réclamer les déductions des pertes qui en découlent. Sheldon Silver a bien insisté sur ce dernier point :

Il n'appartient pas à Revenu Canada de déterminer les fins que les contribuables qui exploitent une entreprise devraient viser. En fait, les gouvernements du Canada ont reconnu à maintes reprises la nécessité de favoriser la création de nouvelles entreprises et d'inciter les contribuables à prendre des risques et ont adopté à l'occasion des lois visant à stimuler ce genre d'activité. Récemment, les banques à charte canadiennes ont été vivement critiquées par la presse et les fonctionnaires gouvernementaux parce que leurs services de prêt étaient mal adaptés aux besoins des petites entreprises et des nouvelles. De toute évidence, lorsque Revenu Canada tente de pénaliser les contribuables qui ont échoué dans leurs tentatives, il agit à l'encontre de la politique gouvernementale visant à encourager les entrepreneurs privés.

Dans l'arrêt Bélec (E.) c. Canada, le juge Bowman a repris cette critique en ces termes :

Il faut souligner que ces pertes ont été subies dans un contexte complètement commercial. Il n'y avait aucun élément de personnel ni dans son achat ni dans son utilisation de l'immeuble. L'appelant est un homme de commerce expérimenté. Il a pris sa décision de bonne foi sur son meilleur jugement commercial et sur les faits qui lui étaient disponibles à cette époque. Il n'appartient pas au ministre (ou à cette cour) de substituer, avec le bénéfice de sa sagesse d'après coup, son jugement commercial pour celui du contribuable. Il ne faut pas se poser la question « En sachant ce que je sais maintenant,

est-ce que je me serais embarqué dans cette entreprise? » La réponse est sans aucun doute « non » , parce que la question ne se soulève que lorsqu'il y a des pertes.

Enfin, le même avertissement a été répété dans Nichol (G.) c. Canada :

[M. Nichol] a fait ce qui peut, rétrospectivement, être considéré comme une erreur de jugement, mais il s'agissait d'une question d'appréciation commerciale, et cette appréciation n'était manifestement pas déraisonnable au point d'autoriser cette Cour ou le ministre du Revenu national à y substituer leur propre appréciation ou à pénaliser le contribuable pour avoir pris une décision que moi-même ou le ministre, forts de la clairvoyance qu'un gérant d'estrade possède toujours, ne prendrions peut-être pas aujourd'hui. Après tout, nous n'étions pas là en 1986.

Même si je ne suis pas d'accord avec l'utilisation du mot « manifestement » dans l'arrêt Nichol, je, par ailleurs, reconnais que le critère de l'arrêt Moldowan devrait être appliqué avec modération lorsque l' « appréciation commerciale » du contribuable est concernée, qu'aucun élément personnel n'a été établi et que le montant des déductions réclamées n'est pas contestable à première vue. Cependant, lorsque les circonstances donnent à penser qu'une motivation personnelle ou non commerciale existait ou que l'attente de profit était déraisonnable au point de soulever un doute, le contribuable devra prouver objectivement que l'activité constituait effectivement une entreprise. Par conséquent, des circonstances douteuses appelleront plus souvent un examen plus approfondi comparativement à celles qui ne soulèvent aucun doute.

[6]      Il ressort du témoignage de l'appelant que l'élevage de chiens de chasse l'intéresse depuis longtemps. De plus, il a indiqué qu'il s'adonnerait à cette activité jusqu'à la fin de ses jours. La difficulté, dans ce genre d'affaires, consiste en ce que l'on doit, si l'on veut réussir, être extrêmement dévoué au type d'animal que l'on élève et être prêt à faire tout ce que cette activité requiert, y compris adopter le style de vie qui s'y rattache. Pour procéder à l'examen de la présente affaire, il est essentiel de faire preuve d'objectivité, de laisser parler sa raison et non son coeur. L'appelant a tenté de se livrer à trop d'activités à la fois. Il a entrepris diverses démarches qui semblaient correspondre à sa propre notion d'intégration verticale, de manière à ce qu'il puisse devenir presque autonome et, ainsi, exercer un contrôle sur la qualité et réduire les coûts. Il a acheté un terrain de 80 acres afin de disposer de l'espace nécessaire pour dresser ses chiens, y compris des ressources nécessaires pour élever des chevaux, soit des Tennessee Walkers, et pour construire des plans d'eau sous forme de ruisseaux et d'étangs pour élever des canards. Il a également élevé des faisans et des pigeons qu'il utilisait pour entraîner ses chiens à la chasse. Ensuite, il a construit une maison qui, selon lui, était nécessaire pour recevoir les visiteurs, et il a acheté une grue et un tracteur pour lui permettre de construire le bâtiment en question. Il a engagé des dépenses considérables pour construire des pistes et des chenils pour ses chiens. Il a inscrit ses chiens à des compétitions et il a remporté de nombreux prix, ce qui, croyait-il, créerait une demande pour ses chiots et, conséquemment, lui permettrait d'exiger un très bon prix auprès des acheteurs désireux d'obtenir un chien de cette qualité. L'aménagement de cette superstructure a été entrepris pour permettre à l'appelant de disposer, en 1997, d'un inventaire de 10 chiens dont seulement quatre étaient des femelles reproductrices. Ces quatre chiennes et les chiens reproducteurs qui appartenaient à l'appelant devaient produire des portées suffisantes qui soient vendables afin qu'il puisse assumer les coûts liés à l'exploitation d'une terre de 80 acres et à l'entretien des bâtiments et afin qu'il puisse payer les frais d'intérêts, les factures de soins vétérinaires, l'essence, les frais d'automobile, les déductions pour amortissements, ainsi que la nourriture et les soins pour cinq chevaux et un assortiment de gibiers à plumes. Les compétitions en soi ne généraient aucun revenu sous forme de prix, de sorte que la seule possibilité pour l'appelant de réaliser un profit consistait à vendre suffisamment de chiots en vue de tirer un revenu adéquat, bien que l'appelant ait, en 1994, généré un revenu de 7 400 $ grâce à la vente de deux chevaux, de même qu'un autre revenu de 1 500 $ grâce à la vente de faisans. L'appelant continuait de travailler à temps plein pour CN. Pendant les années en cause, il aurait fallu qu'il vende près de 70 chiens par année pour atteindre le seuil de rentabilité. Ceci s'avère difficile même si l'appelant a indiqué qu'il était convaincu du contraire puisque, selon ses calculs, si chaque femelle lui donnait deux portées par année, il obtiendrait 14 chiots, et s'il avait six chiennes reproductrices, celles-ci lui donneraient 84 chiots. Cependant, le nombre le plus important de chiots qu'il ait jamais vendus était de 13, en 1994, et, par suite de la cotisation qu'a établie le ministre à son égard et dans laquelle il a refusé les pertes que l'appelant avait déduites, ce dernier a cessé de vendre des chiens en 1995. En 1996, il a donc décidé de terminer la construction de sa maison. Outre l'élément personnel qui est présent en l'espèce, la capacité de l'entreprise de créer, dans les circonstances, une attente raisonnable de profit a été entravée par le manque de maturité de l'activité commerciale, telle qu'elle était structurée, qui n'était rien d'autre que la poursuite - au tout début de la période d'aménagement -, du rêve d'un propriétaire de campagne qui souhaitait créer un lieu de villégiature idéal pour les chiens de chasse situé en campagne à proximité d'une région métropolitaine. Il ne fait aucun doute que l'appelant est propriétaire d'un lieu idyllique qui pourrait très bien convenir à l'exploitation d'un gîte du passant ou d'un lieu de retraite idéal pour le ski de fond, mais l'entreprise n'avait pas la capacité nécessaire pour générer un revenu suffisant pendant les années en cause et satisfaire, par la suite, le critère commercial. Bien que l'appelant ait affirmé qu'il souhaitait générer un profit plutôt que de s'adonner simplement à un passe-temps et qu'au cours des années précédentes, soit de 1989 à 1992, il ait consacré du temps, de l'argent et de l'énergie à améliorer la propriété de manière à ce qu'elle réponde à ses besoins, ses prévisions n'étaient pas raisonnables. Qui plus est, le fait qu'il ait décidé de cesser ses activités commerciales en 1995, et par la suite, parce que le ministre, en établissant une nouvelle cotisation à son égard, a refusé les pertes d'entreprise qu'il avait demandées ne révèle en rien ce qui aurait pu se produire s'il avait gardé le cap. Il n'était pas nécessaire d'aller au fond des choses pour tenter de déterminer, selon le point de vue de l'appelant, en quoi consiste une dépense d'entreprise déductible, mais l'appelant avait déduit certaines dépenses qui, au mieux, auraient été considérées comme des dépenses en capital, telles que la construction d'une route, et je ne vois pas comment les coûts associés à la construction d'une résidence privée d'une superficie de 2 400 pieds carrés peuvent être répartis en fonction de la prétendue entreprise qui consistait en l'élevage et en la vente de chiens.

[7]      La cotisation du ministre est bien fondée et l'appel est par les présentes rejeté.

Signé à Sidney (Colombie-Britannique), ce 6e jour de février 1998.

« D. W. Rowe »

J.S.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 31e jour de janvier 2003.

Isabelle Chénard, réviseure

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