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Dossier : 2016-1580(GST)I

ENTRE :

STÉPHANE CLERMONT,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

Appel entendu le 11 octobre 2016, à Québec (Québec).

Devant : L'honorable Lucie Lamarre, juge en chef adjointe

Comparutions :

 

Avocat de l'appelant :

Me Normand Roy

Avocats de l'intimée :

Me Alex Boisvert

Me Yan Gaudreau

 

JUGEMENT

        L'appel de la cotisation établie en vertu de la Partie IX de la Loi sur la taxe d'accise, dont l'avis est daté du 17 septembre 2014, pour la période du 1er décembre 2013 au 28 février 2014 est rejeté.

Signé à Ottawa, Canada, ce 16e jour de mars 2017.

« Lucie Lamarre »

Juge en chef adjointe Lamarre

 


 

Référence : 2017 CCI 32

Date : 20160316

Dossier : 2016-1580(GST)I

ENTRE :

STÉPHANE CLERMONT,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.


MOTIFS DU JUGEMENT

La juge en chef adjointe Lamarre

[1]             L’appelant porte en appel une cotisation, établie en vertu de la Partie IX de la Loi sur la taxe d’accise (LTA) par l’Agence du revenu du Québec au nom du ministre du Revenu national (ministre) en date du 17 septembre 2014, par laquelle on lui réclame un montant de 12 526,50 $ de taxe sur les produits et services (TPS) qu’il aurait dû verser pour la période du 1er décembre 2013 au 28 février 2014, en sus d’une pénalité pour défaut de produire de 309,39 $ et des intérêts.

[2]             L’appelant n’était pas un inscrit au sens de la LTA au cours de cette période.

[3]             Il a fait l’objet d’une enquête du Service de police de la Ville de Saint‑Eustache (SPVSE) qui visait le démantèlement d’un réseau de production de cannabis (projet d’enquête Blackout).

[4]             Suite à cette enquête, l’appelant, son frère Mario Clermont et son neveu Patrick Hunt Clermont ont été accusés d’exploiter une serre de production de cannabis destiné à la revente située dans un garage sis au 603‑603A, 25e Avenue à Saint-Eustache, appartenant à Patrick Hunt Clermont.

[5]             L’appelant a plaidé coupable, le 27 avril 2015, du chef d’accusation d’avoir produit du cannabis à Saint‑Eustache entre le 1er novembre 2013 et le 6 mars 2014 (notes sténographiques prises devant la Cour du Québec, chambre criminelle le 27 avril 2015, pièce A‑1, onglet 6, pages 3‑4). Il a également plaidé coupable le même jour du chef d’accusation d’avoir eu en sa possession le 6 mars 2014, ou vers cette date, du cannabis et de la résine de cannabis en vue d’en faire le trafic (pièce A‑1, onglet 6, pages 4‑5). L’appelant a reconnu qu’on avait saisi 30 kg de cannabis à sa résidence lors d’une perquisition qui avait eu lieu ce jour-là.

[6]             La Couronne a renoncé aux autres chefs d’accusation portés contre l’appelant, soit celui d’avoir eu en sa possession du cannabis en vue d’en faire le trafic, entre le 1er novembre 2013 et le 6 mars 2014, de même que celui d’avoir volé à Hydro Québec de l’électricité au cours de la même période (voir Dénonciation, pièce A‑1, onglet 5 et notes sténographiques, pièce A-1, onglet 6, pages 4-6).

[7]             Par ailleurs, devant la Cour du Québec, l’appelant avait reconnu que les clés saisies chez lui lors de la perquisition du 6 mars 2014 donnaient accès au garage de Saint‑Eustache où se trouvait la serre de production de cannabis et que ces clés lui permettaient aussi d’avoir accès à une autre pièce, à l’intérieur, qui était verrouillée et qui servait au séchage des plants. L’appelant a également reconnu que l’on a trouvé 61 000 $ chez lui (notes sténographiques, pièce A‑1, onglet 6, pages 9-10).

[8]             Lors de l’audience dans la présente cause, il a mentionné que cet argent avait été trouvé dans les manchons de son tapis roulant, qui se trouvait dans sa chambre, mais que cet argent ne lui appartenait pas et qu’il ne savait pas qu’il se trouvait là. Il a aussi dit qu’il ne savait pas que les clés qui étaient chez lui ouvraient la porte verrouillée de la salle de séchage. Quant aux 30 kg de cannabis trouvés chez lui, ils étaient empaquetés en 134 paquets emballés individuellement dans des sachets scellés sous vide donnant nettement l’impression d’être prêts à être vendus (voir photos prises lors de la perquisition, pièce I‑1).

[9]             L’appelant a par ailleurs reconnu qu’il avait déclaré des revenus de 52 000 $ en 2009 et qu’au cours des années 2010 à 2013, ses revenus déclarés avaient diminué (s’élevant en moyenne à 32 000 $ par année). Au cours de cette période, il possédait deux immeubles locatifs achetés en 1993 et en 1999 et deux véhicules achetés en 2002 et en 2004 (et un troisième à compter de 2012) (voir rapport de vérification, pièce I‑11, page 12 de 12).

[10]        Monsieur Alexandre Fleury, sergent‑détective pour le SPVSE, était l’enquêteur principal de l’opération Blackout. Il a témoigné dans la présente cause relativement à cette enquête et à l’implication de l’appelant dans la production de cannabis en cause. L’avocat de l’appelant a soulevé une objection générale quant à toute la partie de son témoignage qui pourrait constituer du ouï-dire.

[11]        J’ai réservé ma décision sur cette objection, mais il est suffisant ici, aux fins de cette cause, de relater simplement les faits dont monsieur Fleury a eu une connaissance personnelle.

[12]        L’enquête a débuté en janvier 2013. Monsieur Fleury a obtenu un mandat général pour entrer dans le garage abritant la serre en avril 2013. Il était présent avec les autres policiers lors de l’exécution de ce premier mandat. Il s’agissait d’une entrée subreptice à l’insu des propriétaires.

[13]        Il y a constaté l’installation complète d’un établissement professionnel de type commercial pour la production de cannabis. Il a lui-même pris des photos montrant une chaudière de 5 gallons de feuilles de cannabis (pièce I‑3), comme l’a confirmé par la suite Santé Canada. Toutefois, il n’a pu constater aucun plant en croissance à ce moment-là. Les tests effectués n’ont pu démontrer la présence de la chaleur excessive que l’on trouve normalement s’il y a production effective de cannabis.

[14]        Le 17 novembre 2013, monsieur Fleury a fait revérifier les installations électriques reliant le garage au réseau d’Hydro-Québec, et à ce moment on a constaté que ces installations avaient été modifiées à l’aide d’un « passe-droit » (by-pass) et on a décelé une chaleur anormale provenant de la serre de production.

[15]        Le 17 décembre 2013, monsieur Fleury a obtenu un second mandat pour entrer de façon subreptice dans ces mêmes lieux avec d’autres policiers. Cette fois, il a pu constater que la production de cannabis était bien en fonctionnement, le tout étant organisé pour une production efficace et rapide. Il y avait des systèmes de minuterie et un système automatisé de luminosité. Lors de cette visite, ils ont pris des photos de plants de cannabis à différents stades de croissance. Il y en avait 941 selon le calcul qu’il a effectué avec ses collègues. Ils ont également pris en photo une quantité de cannabis en cocotte en phase de séchage dans une pièce fermée à clé (toutes ces photos ont été produites sous la cote I‑5). Monsieur Fleury a estimé que se trouvait dans cette salle de séchage une quantité de 4 kg de cannabis prêt pour la vente. 

[16]        Monsieur Fleury est retourné sur les lieux en février 2014 et a rédigé des mandats d’écoute électronique et a fait installer des caméras de surveillance à l’extérieur. Il a constaté à ce moment un fort bruit de ventilation et une odeur soutenue de cannabis. On a pu voir qu’il y avait de l’activité quotidiennement dans la serre et que l’appelant s’y rendait régulièrement. De fait, l’appelant a reconnu dans son témoignage qu’il y faisait la surveillance.

[17]        Tout ceci a culminé avec la saisie du garage le 6 mars 2014. Selon les photos prises ce même jour par Monsieur Fleury et ses collègues (pièce I‑7), on y a trouvé des installations comparables à celles qui s’y trouvaient le 17 décembre 2013, sauf que les pots n’étaient pas disposés de la même façon. La résidence de l’appelant a aussi été perquisitionnée en son absence le même jour. Ce dernier a été arrêté à l’aéroport le 9 mars 2014 à son retour de vacances et accusé des différents chefs auxquels j’ai fait référence plus haut.

[18]        Monsieur Fleury n’a pas témoigné sur l’implication ou non de l’appelant dans le trafic de cannabis. Il a dit que le but de son enquête consistait à démanteler la production. Il a cependant constaté qu’il y avait eu une production suffisante pour en faire le trafic et il a envoyé son rapport d’enquête ainsi que toutes les informations qu’il avait à l’ARQ aux fins de vérification fiscale.

[19]        L’intimée a appelé à la barre madame Suzanne De Larochellière, spécialiste en drogues pour la Sûreté du Québec. Celle-ci a témoigné en tant qu’experte en matière de culture de cannabis et d’estimation de sa valeur sur le marché.

[20]        Madame De Larochellière a expliqué que la culture intérieure de cannabis nécessitait un bon système de ventilation et un échange d’air. Pour faire croître les boutures, celles-ci sont exposées à la lumière sous des lampes de 1000 watts avec de grands abat-jours et du plastique blanc sur les murs pour favoriser la plus grande luminosité possible. C’est ce genre d’installations qu’elle a constaté sur les photos de la serre.

[21]        Un cycle de production, de la bouture à la floraison, peut s’étaler entre 39 et 45 jours et peut aller jusqu’à 60 jours. En moyenne, un producteur atteindra 6 à 8 récoltes par année.

[22]        Elle a également mentionné, lors de son témoignage, qu’un plant produit en moyenne de 2,5 onces à 5 onces par cocotte (la partie du plant qui est prisée par les consommateurs), et le prix d’achat d’une livre de cannabis varie, dans la province de Québec, entre 1 600 $ et 2 200 $ (soit en moyenne 1 800 $ la livre).

[23]        À son avis d’appel, l’appelant a joint un document du Sergent Pascal Bouchard de la Sûreté du Québec daté du 31 mars 2014, qui dit dans un premier temps que la quantité de cannabis produite pour un plant de marihuana varie entre 1,5 et 5 onces. Ensuite, le sergent Bouchard mentionne que la quantité de cannabis produite par un plant de marihuana se situe entre 1,5 et 2,5 onces de marihuana par plant. Bien que j’aie accepté de déposer ce document en preuve sous la cote A‑2 puisque nous sommes en procédure informelle, j’ai émis des réserves quant à sa fiabilité puisque, d’une part, les chiffres du rapport ne semblent pas cohérents ; d’autre part, le sergent Bouchard n’a pas été appelé à témoigner à ce sujet ; et finalement, madame De Larochellière était d’avis qu’une quantité en dessous de 2,5 onces par plant n’était pas crédible.  

[24]        Par ailleurs, madame De Larochellière a analysé les photos qui ont été déposées en preuve. Bien qu’elle n’ait pas eu tous les éléments précis, elle a établi, selon la qualité de la luminosité, l’espace entre les plants, la ventilation, les caissettes, les cocottes et les plants en floraison, que la serre avait dû produire au moins une récolte, mais plus probablement deux récoltes sur une période de quatre mois et demi (entre le 1er novembre 2013 et la mi-mars 2014).

[25]        Finalement, madame Magali Gosselin, vérificatrice en milieu interlope pour le compte de l’ARQ, a témoigné. C’est elle qui a procédé à la vérification menant à la cotisation portée en appel devant moi. Elle a commencé sa vérification en mai 2014 après avoir reçu de la direction des renseignements les informations provenant des enquêtes policières dans le cadre du projet Blackout. Plusieurs individus étaient en cause, dont l’appelant, son frère Mario et son neveu Patrick.

[26]        Dans le cas de l’appelant, elle a vérifié ses revenus déclarés et fait une analyse de ses actifs. Elle n’a toutefois pas tenté d’établir des revenus non déclarés par la méthode de l’avoir net.

[27]        Elle s’est appuyée sur le rapport d’enquête policière et sur un rapport d’expertise rédigé par madame Suzanne De Larochellière en février 2008 (qui est pratiquement le même que le rapport déposé lors de l’audience sous la cote I‑10) pour calculer les revenus provenant de la culture de cannabis dans le garage situé au 603-603A, 25e Avenue à Saint‑Eustache.

[28]        Ainsi, en tenant compte qu’une récolte est effectuée en moyenne dans 39 ou 45 jours à partir d’une bouture, elle a calculé qu’il y avait eu au moins une récolte au cours de la période du 1er décembre 2013 au 28 février 2014 en se fiant au nombre de plants et de kilos de cocottes trouvés par les policiers en décembre 2013. Elle a compté le minimum de 2,5 onces de cocottes par plant et une moyenne de 10 plants par lampe. Elle a retenu le prix moyen de 1 800 $ la livre suggéré par madame De Larochellière.

[29]        Ainsi, lors de l’entrée des policiers en décembre 2013, on avait compté 941 plants et 4 kg de cocottes. Elle a donc calculé que les 941 plants donnaient 2 352,5 onces (941 x 2,5 onces), soit environ 147 livres de cannabis. Au prix de 1 800 $ la livre, cela donnait 264 654 $ de revenus. Pour les 4 kg de cocottes trouvés par les policiers dans la salle de séchage, elle a converti cette quantité en 141 onces environ, soit 8,82 livres, pour des revenus de 15 876 $ (8,82 x 1 800 $). Elle arrive donc à des revenus totaux pour cette récolte de 280 530 $ (264 654 $ + 15 876 $).

[30]        Puisque, selon l’enquête policière, l’appelant, son frère Mario et son neveu Patrick ont été considérés comme des partenaires d’affaires, chacun a fait l’objet d’une cotisation pour les taxes à récupérer sur la totalité des fournitures, compte tenu de leur responsabilité conjointe et solidaire du paiement des taxes.

[31]        L’ARQ a inscrit l’appelant aux termes de la LTA à compter du 1er décembre 2013. Il s’est vu accorder le statut de petit fournisseur pour les premiers 30 000 $ de ventes de l’année. Elle a calculé la taxe sur un montant de ventes de 250 530 $, soit 12 526,50 $ (5% x 250 530 $).

[32]        Par ailleurs, aucun crédit de taxe sur intrants n’a été accordé puisque l’appelant n’a fourni aucun livre comptable ou pièce justificative montrant qu’il avait versé de la TPS lors de l’achat de biens ou de services utilisés dans le cadre de ses activités commerciales.

[33]        Finalement, une pénalité pour défaut de produire de 309,39 $ a été imposée aux termes de l’article 280.1 de la LTA. 

[34]        En contre-interrogatoire, Mme Gosselin a reconnu que l’enquête policière ne portait pas sur les ventes effectuées, mais a dit que, pour l’ARQ, lorsqu’il y a récolte, il y a vente par la suite. Elle n’était pas au courant du plaidoyer de culpabilité fait par l’appelant en avril 2015 puisque ceci s’est fait après la fermeture de son dossier, la cotisation ayant été établie en septembre 2014.

Arguments de l’appelant

[35]        Selon l’appelant, il n’y a aucune preuve de revente. Le fait d’avoir plaidé coupable de production de cannabis au cours de la période en litige ne prouve pas en soi que l’appelant a tiré des profits de la vente. À preuve, il n’y a pas eu d’accusation de possession en vue d’en faire le trafic pour cette même période. Lors de l’entrée subreptice qui a eu lieu en décembre 2013, les policiers n’auraient trouvé aucun sachet de cannabis prêt pour la vente, alors que, lors de la perquisition du 6 mars 2014, ils ont saisi de tels sachets. Selon l’appelant, ces sachets de cannabis devaient être le résultat d’une production qui aurait commencé 60 jours auparavant, soit à la fin du mois de décembre 2013. Il n’y aurait donc pas eu de vente durant la période en litige (du 1er décembre 2013 au 28 février 2014) car les plants n’étaient pas rendus à maturité.

[36]        En l’absence de la détermination d’un avoir net démontrant un écart entre les revenus réels et les revenus déclarés de l’appelant, et compte tenu du fait que la Couronne a retiré le chef d’accusation de possession de cannabis en vue d’en faire le trafic entre le 1er novembre 2013 et le 6 mars 2014, l’appelant considère que le ministre a établi sa cotisation sur des ventes de cannabis à partir de prémisses erronées et qu’il n’y a pas de preuve probante prouvant l’existence de ces ventes. S’appuyant sur les arrêts Dubé c. Cliche, 2003 CanLII 12554 (QCCA) et Lavoie c. Perras, 2004 CanLII 16405 (QCCA), l’appelant fait valoir que la preuve policière constitue du ouï-dire et ne pouvait être versée au dossier.

Arguments de l’intimée

[37]        L’intimée soutient qu’il y a suffisamment de preuves pour conclure à la validité de la cotisation.

[38]        L’appelant a reconnu avoir produit du cannabis entre le 1er novembre 2013 et le 6 mars 2014 et avoir eu en sa possession 30 kg de cannabis le jour de la perquisition chez lui, le 6 mars 2014, en vue d’en faire le trafic.

[39]        Selon madame De Larochellière, les cocottes et les plants en floraison dans les photos qu’elle a vues lui faisaient croire que la serre aurait dû produire au moins une et plus probablement deux récoltes au cours de la période s’échelonnant entre le 1er novembre 2013 et le 6 mars 2014.

[40]        Le 17 décembre 2013, lors de la deuxième entrée subreptice, les photos montrent des plants de cannabis à différents stades de croissance. M. Fleury et ses collègues ont compté 941 plants en tout et estimé qu’il y avait à ce moment une quantité de 4 kg de cannabis déjà prête pour la vente.

[41]        Madame Gosselin, la vérificatrice au dossier, a établi de façon très modérée les revenus provenant de la production de cannabis au cours de la période en litige. Elle n’a considéré que les revenus provenant d’une seule récolte, en comptant le minimum de 2,5 onces de cocottes par plant, au prix moyen suggéré par madame De Larochellière.

[42]        Par ailleurs, l’intimée soutient que la méthode utilisée pour reconstituer les revenus de l’appelant sur lesquels on lui réclame la TPS, c’est‑à‑dire l’utilisation des données policières et de l’information de madame De Larochellière, était justifiée. L’appelant ne déclarait en moyenne que 30 000 $ de revenus annuellement depuis quelques années, ce qui semble nettement insuffisant pour soutenir son rythme de vie, tenant compte des biens qu’il possédait.

[43]        Selon l’intimée, la déclaration de culpabilité de l’appelant de même que la saisie de cannabis effectuée chez lui sont une preuve prépondérante qu’il était impliqué dans le trafic de stupéfiants et qu’il a effectué une fourniture taxable.

[44]        À cet égard, l’intimée soutient que l’appelant avait l’obligation solidaire de percevoir et de remettre au ministre la TPS sur les fournitures taxables qu’il a effectuées avec ses partenaires d’affaires Mario Clermont et Patrick Hunt Clermont dans le cadre des ventes illégales de stupéfiants au cours de la période en litige.

Analyse

[45]        L’appelant a fait référence à l’arrêt de la Cour suprême du Canada F.H. c. McDougall, 2008 CSC 53, [2008] 3 R.C.S. 41, quant à la question du fardeau de preuve. La Cour statue qu’en matière civile il n’existe qu’une seule norme de preuve, celle de la prépondérance des probabilités (par. 40). Ainsi, « la seule façon possible d’arriver à une conclusion de fait dans une instance civile consiste à déterminer si, selon toute vraisemblance, l’événement » ou « le fait allégué a eu lieu » (par. 44 et 49). La Cour ajoute que la preuve doit être claire et convaincante pour satisfaire au critère de la prépondérance des probabilités. Il n’existe toutefois aucune norme objective permettant de déterminer qu’elle l’est suffisamment (par. 46).

[46]        Par ailleurs, une déclaration de non-culpabilité en matière criminelle ou le fait qu’aucune accusation criminelle n’ait été portée pour défaut de preuve n’est pas concluant aux fins d’établir, dans les appels en matière fiscale, si une cotisation a été bien établie. Ceci s’explique par le fait que la norme de preuve dans une poursuite pénale est la preuve hors de tout doute raisonnable, alors qu’en matière civile, c’est la prépondérance des probabilités (Molenaar c. La Reine, 2003 CCI 468, par. 51, conf. 2004 CAF 349; Brown c. La Reine, 2012 CCI 251, par. 58-59, conf. 2013 CAF 111).

[47]        Également, il est bien établi par la jurisprudence que les fournitures effectuées dans le cadre de l’exploitation d’une entreprise de vente de stupéfiants sont une activité commerciale et constituent des fournitures taxables pour lesquelles la TPS est payable par les acquéreurs et que cette taxe doit être perçue et remise au ministre par celui qui effectue la fourniture (Ouellette c. La Reine, 2009 CCI 443, par.19; Boisvert c. La Reine, 2016 CCI 195, par. 68; Molenaar, précité, par. 51 à 53 (CCI) et par. 4 et 5 (CAF).

[48]        De plus, la méthode de l’avoir net ne constitue pas la seule méthode disponible pour établir une nouvelle cotisation lorsque le contribuable ne détient pas de registres fiables relativement à tous ses revenus, y compris ceux de source illicite. Le ministre peut établir une cotisation arbitraire en utilisant toute méthode acceptable eu égard aux circonstances (Brown, précité, par. 60 (CCI); Korki c. La Reine, 2010 CCI 384, par. 18, conf. 2011 CAF 287; Armeni c. Agence du Revenu du Québec, 2012 QCCQ 11807, par 26-27, conf. 2014 QCCA 1746).

[49]        Quant à la preuve policière dont s’est servi le ministre pour établir la cotisation, l’appelant n’a soulevé aucun motif valable qui aurait pu empêcher cette façon de procéder. La preuve policière a été obtenue suite à des perquisitions et des saisies effectuées par le SPVSE et autorisées par mandat. L’appelant n’a pas contesté la validité des mandats. Cette façon de faire, c.‑à‑d. d’établir une cotisation fiscale à partir d’une preuve circonstancielle basée sur des preuves policières, a déjà été entérinée par les tribunaux (Brown, précité, par. 19 à 23 (CAF); Armeni, précité, par. 24 à 33 QCCQ).

[50]        De plus, les règles de preuve soulevées dans l’arrêt Lavoie c. Perras, précité, cité par l’appelant, ont été respectées ici, en ce que l’enquêteur principal du SPVSE, Monsieur Fleury, a témoigné dans le présent appel pour établir les faits de l’enquête policière dont il avait une connaissance personnelle et qui ont été mis en preuve.

[51]        De même, madame De Larochellière a également témoigné pour expliquer son rapport d’expertise. Ce dernier témoignage n’a pas été contredit. J’estime de plus, que les informations que l’on trouve dans le rapport du sergent Bouchard, joint à l’avis d’appel, ne peuvent être retenues puisqu’elles contiennent des contradictions et qu’elles n’ont pu être testées en contre-interrogatoire.

[52]        Par ailleurs, les notes sténographiques prises lors du plaidoyer de culpabilité de l’appelant devant la Cour du Québec ont été déposées en preuve par l’appelant lui-même (pièce A‑1, onglet 6).

[53]        Comme l'appel de monsieur Clermont a été exercé au Québec, il faut s'en remettre aux règles de preuve du Code civil du Québec (CcQ), en particulier celles relatives aux moyens de preuve, notamment l’aveu (article 40 de la Loi sur la preuve au Canada, Vincent c. La Reine, 2005 CCI 330, par. 21).

[54]        Le plaidoyer de culpabilité donné par l’appelant devant la Cour du Québec de même que les dépositions qui ont été faites constituent des aveux extrajudiciaires (article 2852 CcQ), qui ont été introduits en preuve par le dépôt du procès-verbal les reproduisant. Le procès-verbal  fait partie des registres des cours de justice et constitue en soi un acte authentique qui fait preuve de son contenu et est admissible en preuve selon les articles 2814, al. 3 et 2818 CcQ : Scarapicchia c. Industrielle (L'), Compagnie d'assurance-vie, [1989] J.Q. no 3443 (QL), Cour supérieure du Québec, au paragraphe 34.

[55]        La force probante de ces aveux extrajudiciaires est laissée à l’appréciation du tribunal (article 2852 du CcQ). J’estime qu’en les introduisant dans son cahier de preuve, l’appelant a fait lui-même la preuve de leur existence et qu’il est lié par le contenu de ces aveux, lesquels sont présumés vrais. Je reprendrai ici les propos du juge Favreau de notre Cour dans l’affaire Desroches c. La Reine, 2013 CCI 81,  aux paragraphes 41 et 42 :

[41]      L’article 2852 du C. c. Q. édicte les règles quant à la force probante d’un aveu en ces termes :

Art. 2852. L’aveu fait par une partie au litige, ou par un mandataire autorisé à cette fin, fait preuve contre elle, s’il est fait au cours de l’instance où il est invoqué. Il ne peut être révoqué, à moins qu’on ne prouve qu’il a été la suite d’une erreur de fait.

La force probante de tout autre aveu est laissée à l’appréciation du tribunal.

[42]      Même si, selon l’article 2852 du C.c.Q., la force probante d’un aveu extrajudiciaire est laissée à l’appréciation du tribunal, la doctrine enseigne qu’il y a une présomption de vérité qui s’attache à toute déclaration extrajudiciaire par laquelle une personne reconnaît un fait contraire à ses intérêts et qu’un tribunal ne peut écarter un aveu extrajudiciaire sans raison valable. Le professeur Léo Ducharme dans son « Précis de la preuve » supra, paragraphes 755 à 757, a formulé les commentaires suivants à ce sujet :

[…] L’article 2852 C.c.Q. établit en effet une distinction très nette entre la force probante de l’aveu judiciaire et celle de l’aveu extrajudiciaire. […]

[…] un tribunal ne peut écarter l’aveu extrajudiciaire d’une partie sans raison valable, vu la présomption de vérité qui s’attache à toute déclaration par laquelle une personne reconnaît un fait contraire à ses intérêts. Il est normal que, dans ces conditions, une partie soit liée par l’aveu qu’elle a fait, à moins qu’elle ne démontre pourquoi le tribunal ne devrait pas y ajouter foi.

[56]        Dans la présente instance, l’appelant soutient que le ministre n’a aucune preuve qu’il aurait vendu la quantité de cannabis pour laquelle il fait l’objet d’une cotisation. Il est vrai que la cotisation est basée sur des inférences tirées d’une enquête policière. Mais la preuve soumise par l’intimée est fondée sur le témoignage direct de l’enquêteur principal, qui a participé personnellement aux perquisitions, de même que sur le témoignage de madame De Larochellière, experte en matière de culture de cannabis et d’estimation de sa valeur sur le marché.

[57]        L’appelant a admis qu’il a participé à la production de cannabis et qu’il avait accès régulièrement à la serre perquisitionnée. Il dit avoir agi comme surveillant simplement. Toutefois, il y a certains éléments qui me font douter qu’il n’ait eu que ce seul rôle et qu’il n’ait pas participé aux revenus provenant de cette production pendant la période en litige.

[58]        En premier lieu, il a nié devant moi avoir eu la clé pour avoir accès à la salle de séchage des plants dans la serre (local verrouillé, à l’intérieur, contenant le produit fini du cannabis prêt pour la vente, selon le témoignage de l’enquêteur Fleury). Or, cette clé se trouvait dans le trousseau de clés saisi chez lui et il avait admis avoir accès à cette salle au moment de plaider coupable, devant la Cour du Québec, des chefs d’accusation de production de cannabis (entre le 1er novembre 2013 et le 6 mars 2014) et de possession de cannabis le 6 mars 2014 en vue d’en faire le trafic. Cette contradiction entache en soi la crédibilité de l’appelant, qui donne deux versions différentes devant deux tribunaux différents.

[59]        Deuxièmement, on a trouvé une somme importante d’argent cachée chez lui, soit 61 000 $. Cet argent a été trouvé dans les manchons de son tapis roulant dans sa chambre. Il a dit devant moi ne pas savoir que cet argent s’y trouvait et que cet argent ne lui appartenait pas. Il n’a pas tenté de faire témoigner quelqu’un qui aurait pu donner foi à cette version. Qui d’autre que lui avait accès à sa résidence – qui plus est, à sa chambre – pour cacher cet argent chez lui à son insu?

[60]        Troisièmement, on a trouvé 30 kg de cannabis empaqueté en 134 paquets emballés individuellement et prêts pour la vente au moment de la perquisition chez lui le 6 mars 2014. Il a reconnu dans son plaidoyer de culpabilité avoir eu cette quantité en sa possession en vue d’en faire le trafic. Bien que ce plaidoyer ne s’applique pas à la période en litige, on peut en inférer que l’appelant s’y connaissait en matière de trafic de cannabis.

[61]        L’appelant soutient que les sachets de cannabis trouvés chez lui devaient venir de plants qui auraient été cultivés seulement à partir de la fin du mois de décembre 2013, puisqu’il calcule qu’un cycle de production dure 60 jours. Ces sachets ne lui ont rapporté aucun revenu puisqu’ils ont été saisis. Il ajoute que les plants trouvés dans la serre lors de la perquisition le 17 décembre 2013 n’auraient pas été utilisés par lui pour la vente de cannabis. Il appuie cette assertion en arguant, d’une part, que les policiers n’ont pas trouvé de sachets prêts pour la vente à ce moment-là, et d’autre part, qu’il n’y a pas eu d’accusation portée contre lui pour possession de cannabis en vue d’en faire le trafic entre le 1er novembre 2013 et le 6 mars 2014.

[62]        Comme je le mentionnais plus haut, le fait qu’il n’y ait pas eu d’accusation criminelle de possession de cannabis en vue d’en faire le trafic n’est pas concluant en soi parce que la norme de preuve est différente en matière pénale.

[63]        De plus, le fait que les policiers n’aient pas trouvé de sachets prêts à la vente dans la serre lors de la perquisition le 17 décembre 2013 n’est pas concluant non plus. Des sachets pouvaient très bien se trouver chez l’appelant, comme ce fut le cas le 6 mars 2014, ou ailleurs, ou être sur le point d’être confectionnés au moment de la saisie ou être confectionnés au fur et à mesure de la fin du cycle de chacun des plants.

[64]        Il y avait 941 plants et 4 kg de cannabis prêt pour la vente sur place le 17 décembre. Même si les plants n’étaient pas tous au même stade de croissance, selon madame De Larochellière il faut de 39 à 45 jours (parfois 60 jours) pour qu’un plant vienne à maturité. J’en conclus donc que ces plants étaient tous parvenus au stade de production de cannabis à la mi‑février 2014 au plus tard (certains de ces plants devaient avoir complété le cycle avant). Il est tout à fait plausible que la récolte de cette production ait été vendue dans la période en litige (laquelle s’échelonne du 1er décembre 2013 au 28 février 2014).

[65]        Finalement, l’appelant ne déclarait qu’un montant d’environ 30 000 $ dans ses déclarations de revenus au cours des années 2010 à 2013. Ce revenu déclaré est peu élevé pour un contribuable qui possède deux immeubles et trois véhicules et qui se paie des vacances à l’extérieur de chez lui. Il n’est pas déraisonnable de conclure qu’il tirait des revenus non déclarés d’une source illicite.

[66]        Compte tenu de la crédibilité entachée de l’appelant par suite de son témoignage peu vraisemblable, j’estime que la preuve est prépondérante et suffisamment convaincante pour que je puisse conclure que l’appelant a tiré des revenus de la vente de cannabis au cours de la période en litige.

[67]        Madame De Larochellière a mentionné dans son témoignage qu’un producteur de cannabis atteint en moyenne 6 à 8 récoltes par année, ce qui veut dire au moins une récolte aux deux mois. Puisque l’appelant a reconnu avoir produit du cannabis à compter du 1er novembre 2013, et compte tenu de la quantité de plants et de cocottes de cannabis trouvés dans la serre le 17 décembre 2013, j’estime qu’il est plus que probable qu’il a récolté les fruits de cette production au moins une fois entre le 1er décembre 2013 et le 28 février 2014, la période en litige. Le calcul effectué par la vérificatrice est par ailleurs très modéré, en ce qu’elle a retenu la quantité minimale de cannabis qu’on pouvait tirer des plants et des cocottes trouvés dans la serre, au prix moyen suggéré par madame De Larochellière.

[68]        En terminant, même si l’appelant devait avoir partagé les revenus qui lui sont attribués avec les deux autres partenaires, l’intimée a raison de soutenir qu’il a une responsabilité solidaire à l’égard de la totalité du montant de la taxe due sur ces revenus. Cette obligation solidaire découle de l’article 1525 du CcQ, qui prévoit en son deuxième paragraphe que la solidarité est présumée entre les débiteurs d’une obligation contractée pour le service ou l’exploitation d’une entreprise. Le troisième paragraphe de l’article 1525 stipule que l’exercice, par une ou plusieurs personnes, d’une activité économique organisée, qu’elle soit ou non à caractère commercial, consistant dans la production ou la réalisation de biens, leur administration ou leur aliénation, ou dans la prestation de services, constitue l’exploitation d’une entreprise.

[69]        Je conclus donc, selon la prépondérance de la preuve, que l’appelant est tenu au paiement du montant de taxe de 12 526,50 $ que le ministre lui réclame, de même que de la pénalité pour défaut de produire et des intérêts.

[70]  Pour toutes ces raisons, l’appel est rejeté et la cotisation portée en appel est confirmée.

Signé à Ottawa, Canada, ce 16e jour de mars 2017.

« Lucie Lamarre »

Juge en chef adjointe Lamarre

 


 

RÉFÉRENCE :

2017 CCI 32

Nº DU DOSSIER DE LA COUR :

2016-1580(GST)I

INTITULÉ DE LA CAUSE :

STÉPHANE CLERMONT c.

SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L’AUDIENCE :

Québec (Québec)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 11 octobre 2016

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :

L'honorable Lucie Lamarre, juge en chef adjointe

DATE DU JUGEMENT :

Le 16 mars 2017

COMPARUTIONS :

 

Avocat de l'appelant :

Me Normand Roy

 

 

Avocat de l'intimée :

Me Alex Boisvert

Me Yan Gaudreau

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

Pour l'appelant:

Nom :

Me Normand Roy

Cabinet :

Normand Roy, Avocat

Québec (Québec)

Pour l’intimée :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 

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