Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

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Date: 19971223

Dossier: 96-435-IT-G

ENTRE :

PETER HUI,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Bell, C.C.I.

QUESTION EN LITIGE

[1] Il s'agit de déterminer si, en ce qui concerne ses activités de consultant en immigration, l'appelant avait une attente raisonnable de profit dans les années d'imposition 1991, 1992 et 1993.

FAITS

[2] L'appelant a quitté Hong Kong pour aller vivre à Edmonton (Alberta) il y a quelque 28 ans; il était alors âgé de 19 ans. Sentant que son emploi à la ville d'Edmonton étant en danger en raison de la privatisation, il a décidé de mettre sur pied sa propre entreprise. Il a indiqué qu'après les événements de la place Tiananmen en Chine en 1989 et en raison de la fin imminente du régime britannique à Hong Kong, on prévoyait une augmentation spectaculaire de l'immigration au Canada. Il a donc décidé de se lancer dans l'entreprise de consultation en immigration. Il a décrit en gros les différents critères auxquels il faut satisfaire relativement aux diverses catégories d'immigration. Il a témoigné que, pour mener une entreprise de consultation en immigration, il faut gagner la confiance des personnes qui vivent à Hong Kong et qui souhaitent venir au Canada. Il estimait que l'entreprise avait de très bonnes chances de succès. Il a entrepris ses activités en 1991. Il a témoigné avoir compté représenter au moins 20 immigrants au cours de chacune des années en question. En contre-interrogatoire, il a modifié sa réponse, indiquant plutôt le nombre de clients qu'il avait dit, lors de l'interrogatoire préalable écrit, s'attendre à conseiller dans les années en question, à savoir de un à cinq clients. Les revenus tirés de l'entreprise, l'appelant ayant eu six clients dont les demandes d'admission au Canada avaient été accueillies, et les dépenses faites dans les mêmes années, sont les suivantes :

Revenu

Dépenses

Perte

1991

1 800 $

25 094,73 $

23 294,73 $

1992

3 000 $

33 454,56 $

30 454,56 $

1993

4 000 $

27 608,34 $

23 608,34 $

Le ministre du Revenu national (le « ministre » ) a refusé la totalité des dépenses dont la déduction a été demandée.

[3] L'appelant a témoigné qu'en dépit du fait qu'il avait reçu au plus 3 000 $ d'un client, il s'attendait à tirer un revenu substantiel en aidant les personnes dont la demande d'immigration au Canada avait été accueillie à acheter des maisons et en rendant d'autres services. Il a également témoigné qu'en raison du fléchissement de l'économie canadienne, de la faillite d'une compagnie de Winnipeg dans laquelle plusieurs centaines d'immigrants avaient investi de l'argent qu'ils avaient perdu, et d'autres entreprises commerciales infructueuses, son entreprise n'était pas aussi lucrative qu'il l'avait prévu.

[4] Il a déclaré qu'en 1991, en raison de l'insuffisance de la clientèle et des revenus, il a étendu ses activités à la Malaisie car un de ses amis de longue date y était consultant en immigration. L'appelant a indiqué que son ami avait besoin de son aide ici au Canada, et il est allé le voir en Malaisie. Il a ensuite témoigné que le Malaisien avait décidé de faire affaires avec d'autres consultants qui pouvaient passer plus de temps en Malaisie.

[5] Bien qu'en contre-interrogatoire, l'avocat de l'intimé ait tenté d'établir que l'appelant n'avait aucune formation dans le domaine, aucune expérience de travail avec un consultant en immigration et aucune connaissance des procédures, l'appelant a soutenu le contraire dans son témoignage. Il a dit qu'il n'était pas nécessaire d'avoir une formation particulière parce que des avocats faisaient le travail pour ce qui est des réfugiés. Il a également indiqué qu'il comprenait suffisamment les lignes directrices pour remplir une demande et qu'il travaillait avec des avocats et d'autres compagnies spécialisées en consultation. Il a déclaré qu'il ne connaissait pas à l'avance le nombre et la durée des appels qu'il devrait faire. Il a témoigné qu'aucune des dépenses qu'il avait faites étaient de nature personnelle. Il a déclaré que les dépenses étaient supérieures à son revenu parce qu'il croyait pouvoir prendre de l'expansion et survivre dans le domaine. Il a également déclaré que, s'il n'avait pas cru à la rentabilité éventuelle de l'entreprise, il n'aurait pas hypothéqué sa maison afin de payer les dépenses qu'il avait faites pour tenter de faire progresser ses activités.

[6] L'avocat de l'intimé a soutenu que l'appelant n'avait pas de plan et qu'il n'avait que la conviction et l'espoir que les gens de Hong Kong auraient recours à ses services. L'avocat a également soutenu que l'appelant n'avait aucune formation, et qu'il croyait simplement qu'il pourrait exploiter cette entreprise. Il a fait remarquer que les dépenses totales pour trois années s'élevaient à 92 539,13 $ et le revenu total, pour la même période, à seulement 8 800 $. Il a également mentionné la preuve qui a révélé qu'aucun revenu n'avait été tiré de ces activités dans les années d'imposition 1994 et 1995. Il a également souligné que les dépenses au titre des repas et de l'hébergement s'élevaient, en 1991, à environ 18 900 $, à environ 16 000 $ en 1992 et à environ 14 000 $ en 1993. Il a déclaré que l'appelant n'avait aucune idée de la nature du revenu et des dépenses en cause dans ce genre d'entreprise. Il a ensuite invoqué la décision souvent citée rendue dans Moldowan v. Her Majesty the Queen, 77 DTC 5213, où la Cour suprême du Canada a dit à la page 5215 :

Il y a d'abord eu controverse, mais il est maintenant admis que pour avoir une « source » de revenu, le contribuable doit avoir en vue un profit ou une expectative raisonnable de profit. L'expression source de revenu équivaut donc au terme entreprise [...]

[...] À mon avis, on doit s'appuyer sur tous les faits pour déterminer objectivement si un contribuable a une expectative raisonnable de profit.

L'avocat de l'intimé a alors fait valoir qu'objectivement, l'appelant n'avait simplement pas et ne pouvait simplement avoir d'attente raisonnable de profit.

[7] Je ne suis pas d'accord. Ainsi qu'il a été indiqué dans un certain nombre d'affaires, plus particulièrement dans l'arrêtTonn v. The Queen, 96 DTC 6001, le sens des affaires d'un contribuable ne devrait pas entrer en ligne de compte dans l'application du critère qui permet de déterminer s'il existe une attente raisonnable de profit. M. le juge Linden s'est exprimé ainsi à la page 6009 :

Cependant, le respect des objets de la Loi exige-t-il que les déductions de pertes provenant d'entreprises exploitées de bonne foi soient refusées pour la simple raison que le contribuable a fait preuve de mauvais jugement? Je ne le crois pas. Si l'examen de la bonne foi du contribuable est nettement justifié dans certains cas, le régime fiscal ne devrait pas décourager ou pénaliser les contribuables qui ont pris des décisions honnêtes, mais erronées. Le régime d'imposition n'est pas fondé sur l'examen du sens des affaires de façon à accorder les déductions aux contribuables perspicaces et à les refuser à ceux qui ont manqué de jugement.

[8] J'accepte le témoignage de l'appelant selon lequel il a entrepris ces activités avec la ferme conviction qu'elles constitueraient une entreprise rentable. L'avocat de l'intimé a soutenu que ces dépenses étaient des frais personnels et de subsistance. Je n'ai rien vu dans la preuve qui étaye une telle conclusion. La description par l'appelant des dépenses qu'il a faites lors de ses différents voyages à Hong Kong et lors d'un voyage en Belgique m'a convaincu qu'elles avaient été faites aux fins de l'entreprise. En outre, ces activités ne mettaient pas en cause un lieu de résidence et ne correspondaient pas au genre de cas qui, comme les fermes d'élevage de chevaux, l'affrètement de yachts, etc., tombent, selon le juge Linden, dans la catégorie

[...] de situations dans lesquelles le contribuable a investi de l'argent pour poursuivre une activité qui lui procure une satisfaction ou des avantages personnels, notamment sur le plan psychologique.

Les activités de l'appelante constituaient une entreprise commerciale. Il serait déraisonnable de conclure que l'appelant n'avait aucune attente raisonnable de profit pour la simple raison qu'il n'a tiré aucun revenu net les trois premières années. Il se peut très bien qu'en ce qui concerne l'expérience vécue en 1994 et en 1995, il ne sera plus justifié, à l'avenir, de conclure qu'il existe une attente raisonnable de profit. Cependant, compte tenu des circonstances, dont le fait que l'appelant était originaire de Hong Kong, qu'il y avait un certain nombre de relations, qu'une augmentation du nombre de personnes originaires de Hong Kong qui voudraient venir au Canada semblait inévitable, que les possibilités de faire de l'argent en offrant des services à ces gens-là au Canada étaient nombreuses et qu'il

ne s'agissait pas de frais personnels et de subsistance, je conclus que l'appelant avait une attente raisonnable de profit.

[9] Dans son avis d'appel, l'appelant écrit ceci :

[TRADUCTION]

Je demande que l'on admette, en vertu de l'alinéa 18(1)a), au moins les trois quarts des dépenses que j'ai faites dans chacune des années en question.

[10] Puisque j'ai conclu qu'il existait une attente raisonnable de profit, j'admettrai l'appel en ce qui concerne les trois quarts des dépenses faites. À l'ouverture de l'audition, l'avocat de l'intimée a convenu que les montants dont la déduction a été demandée avaient été dépensés.

[11] Les frais sont accordés à l'appelant.

Signé à Ottawa, Canada, ce 23e jour de décembre 1997.

« R. D. Bell »

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 27e jour d’avril 1998.

Benoît Charron, réviseur

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