Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

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Date: 19990520

Dossier: 98-1391-IT-I

ENTRE :

N. FRED NORDSTROM,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Bowie, C.C.I.

[1] Il s’agit d’appels interjetés à l’égard de nouvelles cotisations établies en application de la Loi de l’impôt sur le revenu (la Loi) pour les années d’imposition 1993 et 1994. Au cours de ces années, l’appelant occupait un poste d’enseignant à temps plein. De plus, en collaboration avec son épouse, qui était son associée, il vendait des produits Amway, soit différents produits d’entretien vendus dans le cadre d’un système de vente pyramidale. Apparemment, comme c’est habituellement le cas dans ce genre de situation, les personnes qui se trouvent au sommet de la pyramide réussissent très bien, tandis que celles qui sont au bas s’en tirent passablement moins bien. Au cours des deux années en cause, l'appelant et son épouse ont subi des pertes nettes de 17 068 $ et 15 058 $. La part des pertes que l’appelant a subies au cours des deux années s’élève à 8 534 $ pour l’année 1993 et à 7 534 $ pour l’année 1994. Dans les déclarations de revenus qu’il a déposées pour les deux années en question, l’appelant a soutenu qu’il avait le droit de déduire ces montants de son revenu d’emploi comme enseignant au motif qu’il s’agit de pertes d’entreprise. Le ministre du Revenu national (le ministre) a refusé ces déductions, soutenant qu’au cours des années en question, l’appelant et son épouse n’avaient aucune expectative raisonnable de tirer profit de la vente de produits Amway et que cette activité de leur part ne constituait donc pas une entreprise ni une source de revenu au sens où ces mots sont employés à l’article 3 de la Loi; par conséquent, les pertes découlant de cette activité ne pouvaient être déduites des autres sources de revenu.

[2] Il est établi depuis longtemps que, lorsqu’un contribuable soutient avoir engagé des pertes d’entreprise découlant d’une activité donnée, la Cour doit déterminer de façon objective si le contribuable a poursuivi cette activité dans l’expectative raisonnable de tirer un profit de celle-ci. Ce n’est que si la réponse à cette question est positive que la Cour conclura à l’existence d’une entreprise et, par conséquent, d’une source de revenu pouvant également engendrer des pertes aux fins de l’article 3 de la Loi[1]. Parmi les critères qui, selon la Cour suprême du Canada[2], devraient être appliqués pour les besoins de l’enquête, mentionnons l’histoire des profits et pertes, la formation du contribuable et la conduite qu’il comptait adopter ainsi que la mesure dans laquelle l’entreprise financée pouvait donner lieu à un profit, compte tenu de la récupération de l’amortissement. À cette liste, la Cour d’appel fédérale a ajouté le délai requis pour rendre l’activité rentable, la présence des éléments nécessaires à la rentabilité, les résultats des années postérieures aux années en cause, le nombre d’années consécutives au cours desquelles des pertes ont été subies, l’évolution du niveau de revenus et de dépenses au cours de la période pertinente, la persistance des facteurs à l’origine des pertes et la mesure dans laquelle le contribuable a pu s’y adapter ainsi que le degré de planification du contribuable aux fins de l’entreprise[3].

[3] À l’audition de l’appel, l’appelant a accepté les arguments suivants que le ministre a invoqués pour établir les nouvelles cotisations :

[TRADUCTION]

6. Lorsqu’il a établi les nouvelles cotisations à l’encontre de l’appelant, le ministre a formulé les hypothèses de fait suivantes :

a) les faits admis et exposés ci-dessus;

b) de 1989 à 1996, l’appelant a déclaré les pertes suivantes découlant de la vente et de la promotion de produits Amway (“ l’activité ”) en collaboration avec Carolynne E. Nordstrom (ci-après appelée la “ conjointe ”) :

Année

Revenu brut

Perte nette

Part de l’appelant (1/2)

1989

2 427 $

(1 764 $)

      (882 $)

1990

22 284

(8 918)

(4 459)

1991

30 972

(9 798)

(4 899)

1992

38 825

(10 374)

(5 187)

1993

26 524

(17 068)

(8 534)

1994

20 591

(15 068)

(7 534)

1995

38 934

(16 470)

(8 235)

1996

66 224

(13 042)

(6 521)

c) l’appelant et son épouse ont commencé l’activité vers le 23 juin 1989;

d) de 1989 à 1996, l’appelant travaillait à temps plein et a touché le revenu d’emploi suivant au cours de chacune des années suivantes :

Année

Revenu d’emploi

1989

42 323 $

1990

44 630

1991

49 266

1992

53 256

1993

54 262

1994

54 396

1995

51 253

1996

28 332

e) les produits Amway sont vendus au moyen d’un système de commercialisation multi-niveaux dans le cadre duquel les produits sont vendus par une personne (le distributeur), qui les refile à une autre personne qui s’en sert à des fins personnelles ou qui les revend à un distributeur en aval, qui utilise lui-même les produits à des fins personnelles ou les refile à son tour à d’autres personnes ou à d’autres distributeurs possibles;

f) l’appelant et son épouse achètent les produits et les revendent ensuite au prix d’achat qu’ils ont payé;

g) étant donné que les produits sont revendus au prix coûtant, la seule façon dont le système peut donner lieu à un profit brut avant les frais est la possibilité pour l’appelant de toucher des primes au rendement, qui sont fondées sur le volume de produits vendus, y compris les ventes de produits à des fins personnelles par l’appelant et son épouse;

h) l’appelant et son épouse ont utilisé et consommé personnellement une bonne partie des produits et services Amway qu’ils ont achetés;

i) les ventes brutes déclarées chaque année comprenaient les produits que l’appelant et son épouse avaient achetés à des fins de consommation personnelle;

j) au cours de la période allant de 1993 à 1994, le nombre de distributeurs en aval auxquels l’appelant et son épouse ont vendu des produits est passé de 10 à 5;

k) depuis le début de l’activité, l’appelant et son épouse n’ont pu trouver suffisamment de distributeurs en aval pour toucher un revenu brut leur permettant de réaliser un bénéfice net;

l) les primes au rendement que l’appelant et son épouse ont déclarées sont passées de 4 332,62 $ en 1993 à 2 218,01 $ en 1994;

m) une partie des primes au rendement que l’appelant et son épouse ont touchées pour chacune des années en question comprend les montants au titre des produits qu’ils se sont vendus et qu’ils ont consommés personnellement;

n) une partie des primes au rendement gagnées a été versée aux distributeurs d’un palier inférieur auxquels l’appelant et son épouse avaient vendu des produits, soit des montants de 574 $ en 1993 et de 272 $ en 1994;

o) l’appelant et son épouse poursuivaient l’activité depuis leur demeure personnelle;

p) l’appelant et son épouse faisaient la promotion et la vente de produits Amway principalement en en parlant à d’autres personnes;

[4] L’appelant a poursuivi en expliquant que la clé du succès en matière de distribution de produits Amway réside dans le recrutement de distributeurs en aval et qui connaîtront eux-mêmes du succès, si bien qu’ils feront gagner des points donnant droit à des primes au rendement à la personne en amont. Ce sont ces points qui constituent la source du revenu. L’appelant a cité en exemple le cas de certaines personnes qu’il connaissait et qui touchaient un bénéfice net élevé de la distribution de produits Amway. Il a déclaré, et je ne doute nullement de sa sincérité, qu’il a toujours une expectative raisonnable de tirer un profit de l’activité, parce qu’il est convaincu que, tôt ou tard, il rencontrera et recrutera suffisamment de personnes qui seront de bons distributeurs qui lui assureront des profits importants grâce à leurs volumes de ventes. Aux yeux de l’appelant, la voie du succès est certainement le recrutement de distributeurs et non la vente au détail de produits par ses propres efforts. Il est bien évident que lui-même et son épouse ont consacré beaucoup de temps, au cours des années en cause, à rencontrer de nouvelles personnes et à leur faire connaître l’entreprise Amway, comme en témoignent les agendas de l’appelant, qui ont été déposés en preuve à l’audition.

[5] L’appelant a produit des photocopies de certaines feuilles qui permettraient d’expliquer le fonctionnement du système Amway; il a dit qu’il s’agissait de son plan d’affaires ainsi que d’un résumé de la planification qu’il faisait chaque semaine avec son épouse afin de rencontrer d’autres distributeurs éventuels. D’après ce que je peux comprendre à la lumière de la preuve dont je suis saisi, l’appelant et son épouse n’avaient aucun plan pouvant être considéré comme une solution nouvelle visant à les aider à surmonter les facteurs qui étaient constamment sources de pertes pour eux et à transformer ces éléments négatifs en facteurs positifs.

[6] Comme l’indiquent les résultats financiers exposés ci-dessus à l’égard des années allant de 1989 à 1996, l’appelant et son épouse ont subi des pertes de plus de 90 000 $ en sept ans et demi par suite des activités de vente de produits Amway qu’ils ont poursuivies. En 1996, leur revenu brut a atteint un montant de 66 224 $, ce qui était nettement supérieur au revenu qu’ils avaient touché au cours des années précédentes; malgré tout, ils ont perdu une somme de 13 042 $ au cours de la même année. L’appelant a déclaré au cours de son témoignage qu’en 1998, lui-même et son épouse avaient fait un léger profit, mais il a admis que ce montant était inférieur à 200 $. À cette époque, il se consacrait à temps plein à l’entreprise Amway.

[7] Compte tenu de l’évolution de cette entreprise ainsi que de l’absence de plan d’affaires satisfaisant ou de proposition visant à transformer les pertes en profits, je ne crois pas qu’au cours des années en cause, une personne raisonnablement objective aurait pu en arriver à la conclusion que l’entreprise avait la moindre chance de devenir rentable dans un avenir prévisible et encore moins que son exploitation suscitait une expectative raisonnable en ce sens.

[8] Les appels sont rejetés.

Signé à Ottawa, Canada, le 20 mai 1999.

“ E. A. Bowie ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 27e jour de mars 2000.

Mario Lagacé, réviseur



[1] La Reine c. Moldowan, [1978] 1 R.C.S. 480.

[2] Ibid., p. 486.

[3] Landry v. The Queen, 94 DTC 6624, p. 6626.

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