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Date: 19990907

Dossier: 98-449-UI

ENTRE :

BRENT ROCKWOOD,

appelant,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

Motifs du jugement

Le juge Lamarre, C.C.I.

[1] L'appel en l'instance porte sur une décision aux termes de laquelle le ministre du Revenu national (“ ministre ”) a déterminé que l'emploi que l'appelant exerçait chez Late Nite Enterprises Limited (“ payeuse ”) du 17 février au 9 mai 1997 n'était pas un emploi assurable conformément aux alinéas 5(2)i) et 5(3)b) de la Loi sur l'assurance-emploi (“ Loi ”).

[2] Pour rendre sa décision, le ministre s'est fondé sur les faits énoncés au paragraphe 6 de la réponse à l'avis d'appel, libellé comme suit :

[TRADUCTION]

l'appelant a déposé un appel antérieurement —96-2038(UI) — relativement à des services fournis pour la payeuse du 1er janvier au 24 mars 1995 et du 28 janvier au 20 avril 1996;

le 30 mars 1998, le juge Edgar Allard, J.S.C.C.I., a confirmé la décision du ministre;

l'appelant fournissait des services conformément à des modalités à peu près semblables tant dans le cas de l'appel interjeté antérieurement que dans celui du présent appel;

la payeuse est une société dûment constituée sous le régime des lois de Terre-Neuve;

la payeuse a été constituée en 1987; l'appelant en était alors l'unique actionnaire;

six mois après la constitution en société, l'appelant a transféré ses actions à Joan Rockwood, par suite d'une ordonnance aux termes de laquelle la Commission des permis de vente d'alcool de Terre-Neuve interdisait à l'appelant de prendre part à la gestion ou à l'exploitation de l'entreprise;

l'appelant n'a rien reçu de Joan Rockwood en échange des actions transférées;

Joan Rockwood est la conjointe de l'appelant;

la payeuse exploite une boîte de nuit appelée Pirate's Cave;

l'appelant a représenté la payeuse auprès des agents de la division des recouvrements de Revenu Canada;

au cours de la période en cause, l'appelant a été engagé pour faire des travaux de réparation, de rénovation et d'entretien dans les locaux de la payeuse;

pour s'acquitter de ses tâches, l'appelant a eu l'aide d'un ami, qui n'a pas été payé pour les services rendus;

l'appelant a fourni des services semblables pour la payeuse en-dehors de la période en cause, sans toucher de rémunération;

la payeuse a remis à l'appelant, pour la période en cause, un relevé d'emploi faisant état de 480 heures d'emploi assurable sur une période de 12 semaines civiles, et d'une rémunération hebdomadaire de 520 $;

chaque année depuis 1993, la payeuse a remis à l'appelant des relevés d'emploi faisant état d'un nombre suffisant de semaines ou d'heures d'emploi assurable pour le rendre admissible à des prestations d'assurance-chômage ou d'assurance-emploi;

l'appelant et la payeuse ont créé une situation factice pour faire croire que l'appelant avait été engagé pour servir les intérêts commerciaux de la payeuse et permettre à l'appelant d'être admissible au montant maximal des prestations d'assurance-chômage;

l'appelant est lié à la payeuse au sens de la Loi de l'impôt sur le revenu;

l'appelant et la payeuse ont entre eux un lien de dépendance;

il n'est pas raisonnable de conclure, compte tenu de toutes les circonstances, notamment la rétribution versée, les modalités d'emploi ainsi que la durée, la nature et l'importance du travail accompli, que l'appelant et la payeuse auraient conclu entre eux un contrat de travail à peu près semblable s'ils n'avaient pas eu de lien de dépendance.

[3] Dans la réponse à l'avis d'appel, le ministre a fait valoir uniquement que l'appelant n'exerçait pas un emploi assurable chez la payeuse car l'emploi en question était un emploi exclu au sens de l'alinéa 5(2)i) puisque l'appelant et la payeuse avaient entre eux un lien de dépendance.

[4] À l'audience, l'intimé avait l'intention de démontrer que l'appelant avait été engagé par la payeuse aux termes d'un contrat d'entreprise et non pas aux termes d'un contrat de louage de services au sens de l'alinéa 5(1)a) de la Loi.

[5] Puisque l'avocat de l'intimé a soulevé un argument qui n'avait pas été mentionné dans la réponse à l'avis d'appel, j'ai déterminé que l'appelant n'était pas tenu de prouver qu'il n'avait pas été engagé aux termes d'un contrat d'entreprise. L'avocat de l'intimé a par conséquent abandonné son premier argument et il s'est fondé uniquement sur son argument principal, c'est-à-dire que l'emploi en question était un emploi exclu conformément aux alinéas 5(2)i) et 5(3)b) de la Loi. L'intimé a fait valoir qu'il était raisonnable de conclure que l'appelant et la payeuse n'auraient pas conclu entre eux un contrat de travail à peu près semblable s'ils n'avaient pas eu de lien de dépendance.

[6] En ce qui concerne les alinéas 6 a), b) et c) reproduits précédemment, l'appelant a admis que les modalités suivant lesquelles il avait fourni des services dans le cas tant de l'appel interjeté antérieurement que dans celui du présent appel étaient à peu près semblables. Cependant, dans les appels antérieurs, les faits que le ministre a pris en considération pour prendre sa décision relativement aux services rendus par l'appelant pour la payeuse en 1995 et en 1996 ne se rapportaient pas tous aux conditions de travail. Dans l'appel en l'instance, aucune preuve n'a été produite sur ces autres faits. L'appel en l'instance porte sur une période différente, et je ne peux me fonder que sur la preuve produite en l'espèce. Je ne m'estime donc pas liée par la décision rendue par le juge suppléant E. Allard le 30 mars 1998 dans les appels antérieurs.

[7] Quant aux autres faits sur lesquels le ministre s'est fondé, je suis d'avis que l'appelant a établi selon la prépondérance des probabilités que certains d'entre eux étaient incorrects et que le ministre avait omis de tenir compte de toutes les circonstances pertinentes en ce qui concerne ces autres faits.

[8] Relativement aux alinéas 6 d), e), f), g) et h), l'appelant a expliqué que l'entreprise était endettée et que, après que la Commission des permis de vente d'alcool de Terre-Neuve eut rendu une ordonnance le contraignant à transférer ses actions, il n'avait pu les transférer qu'à son épouse puisque personne d'autre ne les aurait achetées. Il est faux de dire que l'appelant n'a rien reçu de son épouse en contrepartie des actions transférées puisque, en devenant propriétaire de ces actions, l'épouse de l'appelant a assumé toutes les dettes de la payeuse.

[9] L'appelant a déclaré également qu'il n'avait pas représenté la payeuse auprès des agents de la division des recouvrements de Revenu Canada. Il a simplement répondu, au téléphone, à certaines questions très générales qu'on lui a posées au cours de la vérification.

[10] L'appelant a témoigné également qu'il n'était pas vrai que, pour s'acquitter de ses tâches, il avait eu l'aide d'un ami qui n'avait pas été payé pour ses services. Il a déclaré que, de temps en temps seulement, un ami lui tenait compagnie pendant qu'il travaillait. L'appelant a nié également avoir fourni des services pour la payeuse sans être rémunéré en-dehors de la période visée par l'appel.

[11] Compte tenu de la preuve, je n'ai aucune raison de ne pas croire l'appelant, qui, à mon avis, était un témoin crédible. L'avocat du ministre a insisté sur le fait que Joan Rockwood n'avait pas été appelée à témoigner et il a indiqué que je devrais en tirer une inférence défavorable à l'égard de l'appelant. Je dois souligner que je pourrais tirer la même inférence défavorable à l'égard de l'intimé, puisque personne n'a témoigné pour son compte afin d'expliquer comment le ministre avait exercé son pouvoir discrétionnaire dans l'appel en l'instance.

[12] Audition faite du témoignage de l'appelant et puisque, je le répète, je n'ai aucune raison de ne pas croire les explications de ce dernier, je ne suis pas du tout convaincue que le ministre a à juste titre déclaré que “ l'appelant et la payeuse ont créé une situation factice pour faire croire que l'appelant avait été engagé pour servir les intérêts commerciaux de la payeuse et permettre à l'appelant d'être admissible au montant maximal des prestations d'assurance-chômage ” (voir l'alinéa 6 p) de la réponse).

[13] Je conclus par conséquent que l'appelant a réfuté, selon la prépondérance des probabilités, la plupart des hypothèses sur lesquelles le ministre s'est fondé. Je conclus que les autres éléments de preuve ne sont pas suffisants pour appuyer la décision du ministre. Je conclus donc que le ministre a exercé son pouvoir discrétionnaire d'une manière contraire à la loi et que je suis par conséquent justifiée d'intervenir.

[14] Je conclus également que l'emploi n'était pas un emploi exclu au sens de l'alinéa 5(2)i) de la Loi puisque, à mon avis, il est raisonnable de conclure, compte tenu de toutes les circonstances, notamment la rétribution versée, les modalités d'emploi ainsi que la durée, la nature et l'importance du travail accompli, que l'appelant et la payeuse auraient conclu entre eux un contrat de travail à peu près semblable s'ils n'avaient pas eu de lien de dépendance.

[15] L'appel est par conséquent accueilli et la décision du ministre est annulée.

Signé à Ottawa, Canada, ce 7e jour de septembre 1999.

“ Lucie Lamarre ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 31e jour de mai 2000.

Isabelle Chénard, réviseure

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