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Date: 20001024

Dossiers: 98-3864-IT-I; 1999-2782-IT-I

ENTRE :

FRIEDER KEMPE,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Hamlyn, C.C.I.

[1]            L'appelant a déposé deux avis d'appel : l'un pour l'année d'imposition 1993 et l'autre pour les années d'imposition 1994 et 1995.

[2]            L'appelant demande, en vertu du paragraphe 126(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi » ), que soit déduit de son impôt canadien payable pour les années 1993, 1994 et 1995 le « Kirchensteuer » allemand ( « impôts destinés aux Églises » ). Le ministre du Revenu national (le « ministre » ) a établi une cotisation à l'égard de l'appelant pour les années d'imposition et il a refusé d'admettre les déductions déclarées.

[3]            La question en litige dans les appels est de savoir si l'appelant peut, en vue de calculer la déduction pour impôt étranger en vertu du paragraphe 126(1) de la Loi, inclure « l'impôt destiné aux Églises » allemand dans l'impôt étranger qu'il a payé.

[4]            Au début de l'audience, les parties ont déposé l'exposé conjoint des faits suivant :

[TRADUCTION]

Généralités

1.              L'appelant, Frieder Kempe, est un particulier résidant à Coquitlam, en Colombie-Britannique.

2.              Au cours des années d'imposition 1993, 1994 et 1995 M. Kempe était résident canadien, citoyen allemand et membre de l'Église luthérienne d'Allemagne.

3.              L'épouse de M. Kempe, Irene Kempe, était membre de l'Église catholique.

4.              M. et Mme Kempe ont déposé une déclaration conjointe d'impôt en Allemagne pour 1993, 1994 et 1995.

Les revenus et le « Kirchensteuer »

5.              En 1993, les revenus totaux de source allemande de M. Kempe ont été de 184 747 DM (144 177 $ en utilisant le taux de change moyen de 0,7804 pour 1993). Mme Kempe a eu des revenus totaux de source allemande de 26 093 DM (20 363 $). Leurs revenus combinés de source allemande ont donc été de 210 840 DM (164 540 $), dont 87,6 p. 100 ont été gagnés par M. Kempe.

6.              Pour 1993, M. et Mme Kempe ont été cotisés et ils ont payé le « Kirchensteuer » allemand ( « l'impôt destiné aux Églises » ), qui s'élevait à 5 402 DM (4 216 $).

7.              In 1994, les revenus totaux de source allemande de M. Kempe ont été de 183 050 DM (154 567 $ en utilisant le taux de change moyen de 0,8444 pour 1994). Mme Kempe a eu des revenus totaux de source allemande de 26 945 DM (22 752 $). Leurs revenus combinés de source allemande ont donc été de 209 995 DM (177 319 $), dont 87,2 p. 100 ont été gagnés par M. Kempe.

8.              Pour 1994, M. et Mme Kempe ont été cotisés et ils ont payé un impôt destiné aux Églises de 5 156 DM (4 354 $).

9.              En 1995, les revenus totaux de source allemande de M. Kempe ont été de 133 374 DM (127 919 $ en utilisant le taux de change moyen de 0,9591 pour 1995). Mme Kempe a eu des revenus totaux de source allemande de 27 026 DM (25 921 $). Leurs revenus combinés de source allemande ont donc été de 160 400 DM (153 840 $), dont 83,2 p. 100 ont été gagnés par M. Kempe.

10.            Pour 1995, M. et Mme Kempe ont été cotisés et ils ont payé un impôt destiné aux Églises de 2 633 DM (2 525 $).

11.            M. et Mme Kempe ont payé un impôt destiné aux Églises à un taux de 8 p. 100 de leur impôt sur le revenu ou sur les salaires.

12.            L'employeur de M. Kempe en Allemagne a calculé l'impôt destiné aux Églises et il l'a remis avec l'impôt sur les salaires au bureau d'impôt pour le compte de M. Kempe.

13.            M. Kempe demande que soit déduit de son impôt canadien payable pour les années d'imposition 1993, 1994 et 1995 l'impôt destiné aux Églises qu'il a payé, soit 3 694 $ (c.-à-d. 87,6 p. 100 de l'impôt destiné aux Églises de 4 216 $), 3 796 $ (c.-à-d. 87,2 p. 100 de l'impôt destiné aux Églises total de 4 354 $) et 2 100 $ (c.-à-d. 83,2 p. 100 de l'impôt destiné aux Églises total de 2 525 $), respectivement, conformément au paragraphe 126(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu, L.R.C. (1985), ch. 1 (5e suppl.).

14.            Le ministre du Revenu national a cotisé M. Kempe pour les années d'imposition 1993, 1994 et 1995 et il n'a accordé aucune déduction en rapport avec l'impôt destiné aux Églises.

La loi allemande

15.            Certaines Églises, en Allemagne, ont le droit de percevoir des impôts, mais pas toutes. L'Église luthérienne est l'une de celles à qui on a accordé le droit d'imposer un impôt à ses membres.

16.            Les Églises, incluant l'Église luthérienne, utilisent les revenus provenant de ces impôts afin de remplir leurs devoirs.

17.            Bien que les impôts destinés aux Églises existent dans les différents États allemands depuis le siècle dernier, ils ont obtenu un nouveau fondement juridique dans la constitution de la première république allemande, en 1919 (communément appelée la Constitution de Weimar). Les impôts destinés aux Églises sont perçus en fonction de lois mises en vigueur par les corps législatifs des États fédéraux allemands (Länder).

18.            L'impôt destiné aux Églises est payable par tous ceux qui sont membres d'une Église à qui on a accordé le droit d'imposer un impôt dans le district religieux (de leur groupe confessionnel) où ils vivent. Si une personne quitte l'Église, son obligation de payer l'impôt destiné aux Églises prend fin.

19.            Les impôts destinés aux Églises sont généralement établis en fonction de l'impôt sur le revenu ou de l'impôt sur les salaires (une retenue d'impôt à la source sur le salaire).

20.            Les impôts destinés aux Églises ne sont pas perçus en fonction des retenues à la source, sauf en ce qui concerne l'impôt sur les salaires susmentionné. De plus, l'impôt sur le revenu du capital n'est pas utilisé à des fins de cotisation.

21.            La plupart des lois concernant les impôts destinés aux Églises permettent la détermination de la cotisation en fonction de l'impôt sur la valeur nette ou en fonction du montant de base de l'impôt foncier, bien que ces assiettes fiscales ne soient plus guère utilisées.

22.            Si des couples mariés appartiennent à des groupes confessionnels différents et qu'ils produisent une déclaration de revenu conjointe, l'impôt destiné aux Églises concernant chacun des groupes confessionnels est soit calculé sur la moitié de l'impôt sur le revenu conjoint, soit d'abord calculé comme si les deux personnes étaient des membres du même groupe confessionnel et il est ensuite divisé entre les deux Églises. La deuxième méthode de calcul ne peut cependant être appliquée que lorsque les deux taux d'impôt destiné aux Églises sont identiques. Si seul le mari ou seule l'épouse est membre d'une Église, l'impôt destiné aux Églises est toujours calculé sur une base individuelle. Le montant payable par la personne qui est un membre de l'Église dépendra dans un tel cas de sa part respective de l'impôt sur le revenu conjoint ou de l'impôt sur les salaires.

23.            Les taux d'impôt destinés aux Églises varient de 8 p. 100 à 9 p. 100 de l'impôt sur le revenu ou de l'impôt sur les salaires selon l'endroit où réside le contribuable en Allemagne. Certaines lois sur les impôts destinés aux Églises prévoient un impôt minimum.

24.            L'impôt destiné aux Églises net payé dans une année, après avoir tenu compte des remboursements des versements excédentaires des années antérieures, est déduit à l'étape de la détermination du revenu imposable pour l'année.

25.            Dans la mesure où les impôts destinés aux Églises sont perçus en fonction de l'impôt sur le revenu ou de celui sur les salaires, ils sont administrés par les autorités fiscales des États fédéraux allemands. Les mêmes autorités administrent également l'impôt sur le revenu et celui sur les salaires. L'administration comprend la perception et, si nécessaire, l'exécution forcée.

26.            Si un contribuable est soumis à l'impôt sur les salaires, son employeur calcule l'impôt destiné aux Églises au taux applicable pour lieu de résidence de l'employé et est obligé de le verser au bureau du fisc avec l'impôt sur les salaires.

27.            Les sommes perçues en rapport avec les impôts destinés aux Églises sont versées aux Églises respectives après qu'un droit de perception ait été déduit. Les recettes fiscales des Églises n'appartiennent pas à la fédération allemande ou aux États fédéraux en vertu de la Constitution allemande.

LA POSITION DES PARTIES

[5]            L'appelant affirme que l' « impôt destiné aux Églises » est un « impôt sur le revenu ne provenant pas d'une entreprise » au sens du paragraphe 126(7) de la Loi. Il a été payé pour des années d'imposition au gouvernement d'un pays autre que le Canada et il a été payé à titre d'impôt sur le revenu ou d'impôt sur les bénéfices. Donc, l' « impôt destiné aux Églises » est déductible à titre de déduction pour impôt étranger en vertu du paragraphe 126(1) de la Loi.

[6]            Le ministre a refusé l'inclusion de l' « impôt destiné aux Églises » dans le calcul de la déduction pour impôt étranger de l'appelant en vertu du paragraphe 126(1) compte tenu du fait que l' « impôt destiné aux Églises » était versé à une Église plutôt qu'au gouvernement allemand et que l' « impôt destiné à l'Église » n'était pas « un impôt sur le revenu ou un impôt sur les bénéfices » au sens de la Loi.

LES DISPOSITIONS LÉGISLATIVES PERTINENTES

[7]            Les dispositions pertinentes de la Loi de l'impôt sur le revenu sont les suivantes :

126. (1) Le contribuable qui résidait au Canada à un moment donné d'une année d'imposition peut déduire de l'impôt payable par ailleurs par lui pour l'année en vertu de la présente partie une somme égale à :

a) la partie de tout impôt sur le revenu ne provenant pas d'entreprises qu'il a payé pour l'année au gouvernement d'un pays étranger (sauf, lorsque le contribuable est une société, tout impôt, ou toute partie d'impôt, de ce genre qu'il est raisonnable de considérer comme ayant été payé par le contribuable relativement au revenu qu'il a tiré d'une action du capital-actions d'une société étrangère affiliée lui appartenant) dont il peut demander la déduction;

[...]

(7) « impôt sur le revenu ne provenant pas d'une entreprise » S'agissant de l'impôt sur le revenu ne provenant pas d'une entreprise payé par un contribuable pour une année d'imposition à un pays étranger, la fraction de tout impôt sur le revenu ou les bénéfices qu'il a payé pour l'année au gouvernement de ce pays ou au gouvernement d'une province, d'un État ou d'une autre subdivision politique de ce pays qui remplit les conditions suivantes : [...]

FAITS IMPORTANTS

[8]            Les impôts destinés aux Églises ont un fondement juridique dans la Constitution de l'Allemagne[1]. Les impôts destinés aux Églises sont perçus en fonction du droit des États fédéraux allemands[2]. Dans le présent cas, en vertu de la loi, l'Église luthérienne avait le droit d'imposer un impôt à ses membres[3]. L'appelant, étant un membre de l'Église luthérienne, a été cotisé et il a versé un impôt destiné à l'Église à un taux de 8 p. 100 de l'impôt sur le revenu ou de l'impôt sur les salaires[4]. Les impôts destinés aux Églises sont administrés par les autorités fiscales des États fédéraux allemands[5]. L'administration comprend la perception et l'exécution forcée[6]. L'impôt destiné aux Églises, après que des frais de recouvrement ont été déduits, est versé aux Églises[7]. En vertu de la Constitution allemande, les revenus provenant des impôts destinés aux Églises n'appartiennent pas à la fédération allemande ou aux États fédéraux[8]. Les sommes perçues sont utilisées pour les besoins de l'Église luthérienne[9].

ANALYSE

L'IMPÔT DESTINÉ AUX ÉGLISES EST-IL UN IMPÔT?

[9]            Un impôt est un prélèvement, susceptible d'exécution forcée en vertu de la loi, imposé en vertu de l'autorité d'une législature par un organisme public et perçu à des fins publiques[10].

[10]          L'impôt destiné aux Églises, qui est susceptible d'exécution forcée, a été perçu à l'égard de l'appelant en vertu de l'autorité de la législature allemande. La loi constitutionnelle allemande approuve l'impôt, et la législature allemande (un organisme public) accorde à l'Église luthérienne le droit d'imposer un impôt à ses membres. L'approbation constitutionnelle et l'intervention du législateur sont irréfutablement présumées servir toutes les deux à des fins publiques[11]. En ce qui concerne le caractère obligatoire de cet impôt, la capacité d'éviter ce dernier en renonçant à sa citoyenneté ou à son appartenance à une Église n'en fait pas moins un impôt pour autant. Je conclus que l'impôt destiné aux Églises est[12] de nature obligatoire.

[11]          Je conclus par conséquent que l'impôt destiné aux Églises est un impôt.

L'IMPÔT DESTINÉ AUX ÉGLISES CONSTITUE-T-IL UN IMPÔT SUR LE REVENU?

[12]          Les impôts destinés aux Églises sont généralement imposés en fonction de l'impôt sur le revenu ou de l'impôt sur les salaires. L'impôt destiné aux Églises qui s'ajoute à l'impôt sur le revenu ou à l'impôt sur les salaires ne change rien à son caractère. Il demeure un impôt, un impôt dérivé sur le revenu ou un impôt sur les salaires.

[13]          L'impôt destiné aux Églises, calculé en pourcentage de l'impôt sur le revenu ou de l'impôt sur les salaires, varie directement en fonction des variations des revenus ou des variations des salaires. Il s'agit d'un impôt qui constitue une majoration d'impôt (un impôt sur un impôt). L'affectation des sommes recueillies ne change pas ses caractéristiques d'impôt sur le revenu ou d'impôt sur les salaires.

À QUI L'IMPÔT DESTINÉ AUX ÉGLISES A-T-IL ÉTÉ VERSÉ?

[14]          Dans le cas de l'appelant, ce dernier a payé l'impôt destiné aux Églises au taux de 8 p. 100 de l'impôt sur le revenu ou de l'impôt sur les salaires. L'impôt destiné aux Églises a été perçu et a été payé au gouvernement de l'Allemagne[13]. Par la suite, le gouvernement de l'Allemagne a versé le produit net perçu (après déduction de frais de recouvrement) à l'Église. Les recettes fiscales provenant des impôts destinés aux Églises n'appartiennent pas à la fédération allemande ou aux États fédéraux en vertu de la Constitution allemande.

[15]          Le paragraphe 126(1) prévoit que, pour être déductible à titre d'impôt étranger, une telle partie de tout impôt sur le revenu ne provenant pas d'une entreprise qui a été payé par le contribuable pour l'année doit être payée au gouvernement d'un pays autre que le Canada.

[16]          Je conclus, à partir de l'exposé conjoint des faits, que l'appelant a payé les cotisations de l'impôt destiné aux Églises aux autorités fiscales des États fédéraux allemands, les mêmes autorités qui administrent l'impôt sur le revenu ou celui sur les salaires et qui administrent la perception et l'exécution forcée.

[17]          Je conclus donc que l'appelant a payé l'impôt destiné aux Églises aux autorités fiscales de l'État fédéral allemand approprié, c'est-à-dire qu'il a payé l'impôt destiné aux Églises au gouvernement d'un pays autre que le Canada. Selon les modalités de la loi au Canada, lorsque le langage législatif est clair et sans équivoque, comme c'est le cas ici, l'enquête prend fin[14].

CONCLUSION

[18]          L'impôt destiné aux Églises est un impôt sur le revenu ne provenant pas d'une entreprise qui a été payé par le contribuable au gouvernement allemand sur une base obligatoire en vertu des lois de l'Allemagne. L'impôt est calculé en pourcentage de l'impôt sur le revenu ou de celui sur les salaires et il est perçu par le gouvernement allemand de la même manière et en vertu des mêmes pouvoirs que l'impôt ordinaire sur le revenu ou celui sur les salaires.

DÉCISION

[19]                          Les appels interjetés à l'encontre des cotisations établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour les années d'imposition 1993, 1994 et 1995 sont admis, et les cotisations sont déférées au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelles cotisations au motif que l'appelant a droit à des déductions pour impôt étranger, pour les années d'imposition 1993, 1994 et 1995, concernant les impôts destinés aux Églises qu'il a payés, selon l'exposé conjoint des faits (paragraphe 13).

Signé à Ottawa, Canada, ce 24e jour d'octobre 2000.

« D. Hamlyn »

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 6e jour d'avril 2001.

Mario Lagacé, réviseur



[1] Exposé conjoint des faits au paragraphe 17.

[2] Ibid.

[3] Exposé conjoint des faits au paragraphe 15.

[4] Exposé conjoint des faits aux paragraphes 2, 6, 8, 10 et 11.

[5] Exposé conjoint des faits au paragraphe 25.

[6] Ibid.

[7] Exposé conjoint des faits au paragraphe 27.

[8] Ibid.

[9] Exposé conjoint des faits au paragraphe 16.

[10] Lawson c. Interior Tree Fruit and Vegetable Committee of Direction, [1931] R.C.S. 357.

[11] Lawson, précité à la page 363.

[12] Voir Succession Eurig (Re), [1998] 2 R.C.S., à la page 565 (tableau no 3, à la page 703 du livre de l’appelant), où on a décidé que la somme requise pour l’homologation en Ontario était une taxe.

[13] Exposé conjoint des faits aux paragraphes 12 et 25.

[14] Shell Canada Limited c. Canada, C.S., no 26596, 15 octobre 1999 (99 DTC 5669) (C.S.C.).

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