Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

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Date: 19980126

Dossier: 97-429-IT-I

ENTRE :

CLAUDE DUFOUR,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge G. Tremblay, C.C.I.

Point en litige

[1] Selon l’avis d’appel et la réponse à l’avis d’appel, il s’agit de savoir, dans le calcul du revenu de l’appelant des années d’imposition 1993 et 1994, si l’article 18(12) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la Loi) s’applique.

[2] Dans l’affirmative, l’appelant ne peut déduire les sommes de 2 472 $ (1993) et de 490 $ (1994). Au cas contraire, il y aurait droit. En effet, cette disposition 18(12) permet la déduction des dépenses d’un bureau à domicile qui sert

a) soit de principal lieu d’affaires de l’entreprise,

b) soit exclusivement pour tirer un revenu d’une entreprise et pour rencontrer des clients ou des patients sur une base régulière et continue dans le cadre de l’entreprise.

Dans ces cas, le particulier peut déduire les dépenses admissibles mais uniquement jusqu’à concurrence du revenu qu’il tire de son entreprise.

Fardeau de la preuve

[3] L'appelant a le fardeau de démontrer que les cotisations de l'intimée sont mal fondées. Ce fardeau de la preuve découle de plusieurs décisions judiciaires dont un jugement de la Cour suprême du Canada rendu dans l'affaire Johnston c. le ministre du Revenu national[1].

[4] Dans le même jugement, la Cour a décidé que les faits assumés par l'intimée pour appuyer les cotisations ou nouvelles cotisations sont également présumés vrais jusqu'à preuve du contraire. Dans la présente cause, les faits présumés par l'intimée sont décrits aux alinéas a) à g) du paragraphe 6 de la Réponse à l'avis d'appel. Ce paragraphe se lit comme suit :

6. À l’appui des avis de nouvelle cotisation datés du 28 mars 1996, à l’égard des années d’imposition 1993 et 1994, le Ministre a tenu notamment pour acquis les faits suivants :

a) l’appelant, pendant les années en litige, était à l’emploi de l’Université Laval; [admis]

b) concurramment à l’exercice de son emploi, l’appelant, pendant les années en litige, a également pratiqué sa profession de notaire à son domicile; [admis]

c) en 1990, l’appelant avait transformé son garage attenant à sa résidence, en y aménageant une étude où il exerce sa profession depuis ce temps; [admis]

d) les pertes de revenus de profession libérale, pour les années d’imposition 1993 et 1994, se chiffraient respectivement à des sommes de 5 914 $ et de 7 644 $; [admis en partie, quitte à compléter]

e) les pertes de revenus de profession libérale pour chacune des années d’imposition 1993 et 1994 incluaient respectivement les sommes de 2 472 $ et de 490 $ au titre de frais de local de travail à domicile; [nié]

f) les sommes de 2 472 $ et de 490 $ se rapportent à une dépense pour amortissement reliée à la fraction non amortie du coût en capital pour une partie de l’établissement domestique autonome; [nié]

g) dans le calcul du revenu de profession libérale de l’appelant, toute somme afférente au frais de local de travail à domicile ne peut dépasser le revenu de l’appelant tiré de cette entreprise; [nié]

Faits mis en preuve

[5] En plus des faits admis ci-dessus, l’appelant a témoigné que le même problème avait existé pour les années 1990, 1991 et 1992. Revenu Québec avait coupé les dépenses et par la suite, Revenu Canada Impôt avait suivi. Le litige s’est terminé devant la Cour du Québec, Chambre civile (Tribunal d’accès).

[6] Le juge Guy Pinsonnault a résumé ainsi les faits qui, en substance, sont les mêmes que ceux présentés devant cette Cour sauf qu’il ne s’agit pas des mêmes années :

Au cours de ces années, l’appelant était à l’emploi de l’Université Laval; cependant, en 1990, il décidait de pratiquer sa profession de notaire à domicile, dans le garage attenant à sa résidence; c’est pourquoi il a transformé celui-ci en y aménageant son bureau où il a exercé sa profession.

Dans sa déclaration de revenus pour 1990, l’appelant a déduit de ses revenus d’autres sources en déclarant une perte de profession de 11 381 $, celle-ci ayant été obtenue en soustrayant de ses revenus de profession des dépenses totalisant 12 756 $.

Or, dans ces dépenses se trouve un montant de 1 241 $ réclamé à titre d’amortissement sur des « améliorations locatives » suite à la transformation de son garage en bureau.

En 1991, le même scénario se déroule mais cette fois l’appelant déduit un montant de 2 602 $ à titre d’amortissement sur des améliorations locatives; en 1992, il inclut dans son bilan 2 517 $ au même chef.

Ces montants déduits par l’appelant à titre d’amortissement sur les améliorations locatives ont été refusés par l’intimé, décision que conteste l’appelant, d’où le présent pourvoi en appel.

Il y a lieu de préciser que l’intimé admet l’opération que l’appelant a effectuée en transformant son garage en bureau pour ses fins professionnelles, ainsi que le coût de ces travaux soit 12 000 $.

[7] Toutefois, le point en litige qu’avait à résoudre la Cour du Québec est décrit ainsi :

Le problème juridique que doit trancher le Tribunal est de déterminer si les montants que l’appelant déduit, à titre d’amortissement sur des « améliorations locatives » peuvent être calculées sur une base de 20 % annuellement (catégorie 8) comme il le prétend, ou s’il n’a droit qu’à une déduction annuelle de 4 % (catégorie 1) comme le soutient l’intimé.

[8] Vu sous cet aspect, la Cour a décidé que des dépenses de peinture et autres dépenses d’entretien ne peuvent faire l’objet d’une déduction annuelle de 4 % par année, ce qui prendrait 25 ans pour être amortie. Le juge a opté pour la catégorie 8 qui est une « catégorie fourre-tout » :

La Cour croit que, dans son ensemble, cette catégorie serait plus conforme à la réalité objective des dépenses effectuées par l’appelant pour aménager son bureau.

de conclure le juge Pinsonnault.

[9] Selon l’appelant, il y avait eu entente au préalable avec le chef des appels de l’intimée que Revenu Canada suivrait la décision de la Cour du Québec. Pour les années 1990, 1991 et 1992, l’intimée s’est conformée à l’entente.

[10] Pour les années 1993 et 1994, toutefois, l’intimée ne voit pas le problème sous le même angle - le point en litige est différent.

L’appelant est-il sujet à la disposition 18(12) de la Loi? Elle se lit comme suit :

18(12) Travail à domicile.Nonobstant les autres dispositions de la présente loi, dans le calcul du revenu d’un particulier tiré d’une entreprise pour une année d’imposition :

a) un montant n’est déductible pour la partie d’un établissement domestique autonome où le particulier réside que si cette partie d’établissement :

(i) soit est son principal lieu d’affaires,

(ii) soit lui sert exclusivement aux fins de tirer un revenu d’une entreprise et pour rencontrer des clients ou des patients sur une base régulière et continue dans le cadre de l’entreprise;

b) si une partie de l’établissement domestique autonome où le particulier réside est son principal lieu d’affaires ou lui sert exclusivement aux fins de tirer un revenu d’une entreprise et pour rencontrer des clients ou des patients sur une base régulière et continue dans le cadre de l’entreprise, le montant déductible pour cette partie d’établissement ne peut dépasser le revenu du particulier tiré de cette entreprise pour l’année — calculé sans tenir compte de ce montant — ;

c) tout montant qui, par le seul effet de l’alinéa b), n’est pas déductible pour une partie d’établissement domestique autonome dans le calcul du revenu d’entreprise du particulier pour l’année d’imposition précédente est déductible dans le calcul du revenu d’entreprise du particulier pour l’année, sous réserve des alinéas a) et b). [Mon souligné.]

[11] L’article 248 de la Loi définit ainsi « établissement domestique autonome » :

« établissement domestique autonome » — « établissement domestique autonome » Habitation, appartement ou autre logement de ce genre dans lequel, en règle générale, une personne prend ses repas et couche.

[12] Étant donné que la profession de la pratique notariale de l’appelant est comprise dans la définition du mot « entreprise » (art. 248 de la Loi), il s’agit de se demander si les locaux utilisés exclusivement dans le cadre de l’entreprise formaient une partie d’un établissement domestique autonome où résidait l’appelant.

[13] Les travaux de rénovation effectués au garage existant (12' x 20') ont consisté d’abord à isoler le plancher, le plafond et les murs et aussi à y installer une petite salle de bain, le tout devant servir de salle d’attente pour les clients. De plus, les travaux appropriés ont été faits pour relier cet ancien garage à la maison résidentielle, principalement à une chambre déjà existante qui sert de bureau, et aussi aménager un espace pour une bibliothèque et une chambre forte. Le chauffage, l’eau, l’électricité de l’étude notariale proviennent de la résidence.

[14] Dans l’affaire Grace Ellis[2], le juge suppléant Rowe de cette Cour a eu à rendre une décision similaire concernant aussi l’utilisation d’un garage. La page 7 et une partie de la page 8 de son jugement méritent d’être citées :

En l’occurrence, l’appelante a fait construire un studio devant servir de local de travail au-dessus d’un garage attenant à la maison qu’elle habite. Il s’agit de déterminer si le local appelé « studio » , utilisé exclusivement dans le cadre de l’entreprise, formait « une partie » d’un établissement domestique autonome où résidait l’appelante. Ce studio était relié au reste de la maison par deux passages intérieurs, l’un conduisant via une salle de bain à la chambre à coucher de l’appelante, et les portes de ces passages étaient verrouillables de manière à en interdire l’accès au public. Dans son édition de 1988, le Webster’s Dictionary précise que part ( « partie » en français) est une « portion, fragment ou élément d’un ensemble » et, selon l’édition de 1986 du Oxford Reference Dictionary, publié par Clarendon Press, self-contained ( « autonome » en français) se dit de ce qui est « complet en soi; (en parlant d’une habitation) comportant en propre tous les services nécessaires » .

L’avocat de l’appelante a évoqué l’arrêt Bell c. The Ontario Human Rights Commission, 1971 R.C.S., p. 756, dans lequel la Cour suprême a statué qu’un appartement de trois pièces ne comportant pas d’entrée distincte pouvait certes être un « logement » (lire « une unité d’habitation » - note du réviseur) mais n’était pas « indépendant » (lire « autonome » - note du réviseur). L’argument présenté en faveur de l’appelante est que celle-ci prend ses repas et couche dans sa résidence et n’utilise le studio-boutique, qui est doté d’une entrée extérieure distincte, pour aucune de ces activités domestiques. À mon avis, pour l’application du paragraphe en question, cela revient à inverser la perspective. Le fait est que le studio-boutique, qui sert à un travail à domicile, fait manifestement partie de la résidence de l’appelante, qui constitue effectivement un établissement domestique autonome. Par contre, ce n’est pas le cas de la remise abritant le four à cuisson, qui est située à l’arrière de la propriété et n’est pas attenante à la maison. Même si les clients potentiels pouvaient pénétrer dans les locaux de l’enteprise par l’extérieur, il reste que le studio était physiquement rattaché à la maison, était accessible de l’intérieur de celle-ci et en partageait les installations d’adduction d’eau, d’électricité et de chauffage. Il est probablement juste de supposer que, en édictant le paragraphe en question, le législateur visait la forme courante du bureau à domicile, où une partie de la résidence, tout en ayant une fonction commerciale, continue de faire manifestement partie intégrante de la résidence. Pour des raisons d’ordre pratique et de rentabilité, l’appelante a trouvé commode de faire construire les locaux de son entreprise comme elle l’a fait et a réussi à aménager ce qui semblait, du point de vue du public, constituer une entité distincte de par sa conception, l’aménagement d’un trottoir, d’un escalier et d’une entrée et l’utilisation adéquate d’affiches. Ce faisant, elle est parvenue à distinguer son entreprise de la forme que peut habituellement prendre une entreprise commerciale exploitée à domicile. Cependant, cette distinction fondée sur la perception ne change rien au fait que le studio occupait un local qui faisait partie de la résidence de l’appelante. Pour que le paragraphe en question s’applique, il n’est pas nécessaire que flotte dans une pièce une odeur de pain de ménage. Le Ministre a eu raison d’appliquer les limites imposées par le paragraphe 18(12) de la Loi aux années d’imposition en question. [Nos soulignés.]

[15] Il nous semble bien que le raisonnement du juge Rowe est logique et s’applique également dans la présente affaire.

[16] L’étude notariale de l’appelant, de l’entrée extérieure à la chambre qui sert de bureau, ce tout fait partie de sa résidence qui constitue effectivement un établissement domestique autonome. L’étude notariale était physiquement rattachée à la maison. De plus, elle était accessible de l’intérieur et « en partageait les installations d’adduction d’eau, d’électricité et de chauffage » .

[17] L’alinéa b) du paragraphe 18(12) de la Loi s’applique et les cotisations relatives aux années d’imposition 1993 et 1994 doivent être maintenues, les sommes de 2 472 $ (1993) et de 490 $ (1994) ne peuvent être déduites.

Conclusion

[18] L’appel est rejeté.

« Guy Tremblay »

J.C.C.I.

Québec, Canada, 26e jour de janvier 1998.



[1] [1948] R.C.S. 486, 3 DTC 1182, [1948] C.T.C. 195.

[2] 93-1625(IT)I , décision rendue le 13/01/94 (C.C.I.)

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