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Date : 19971222

Dossier : 96-2240-UI

ENTRE :

VITO GUARAGNA,

appelant,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

Motifs du jugement1

Le juge Rip, C.C.I.

[1] Vito Guaragna interjette appel contre le règlement du 24 septembre 1996 par lequel le ministre du Revenu national (l' « intimé » ) a conclu que du 21 décembre 1992 au 18 décembre 1993 et du 7 novembre 1994 au 14 octobre 1995, il exerçait un emploi exclu en vertu de l'alinéa 3(2)c) de la Loi sur l'assurance-chômage (la « Loi » ) auprès de Santo Guaragna, qui exploitait une entreprise sous le nom de Chaussures Santo Enr. De l'avis du ministre, « il existait un lien de dépendance entre Santo Guaragna et l'appelant » ; Santo Guaragna est le père de l'appelant, Vito Guaragna.

[2] Le ministre a fondé sa décision sur les faits suivants :

a) le payeur, monsieur Santo Guaragna, exploite une entreprise sous la raison sociale de « Chaussures Santo Enr. » ;

b) le payeur, monsieur Santo Guaragna, est l'unique propriétaire de l'entreprise;

c) le payeur exploite un magasin de chaussures;

d) l'appelant est le fils du payeur;

e) le magasin est situé au 4669, rue Jarry Est, à ville Saint-Léonard2 ;

f) l'appelant fut le seul travailleur du payeur pendant les années en litige;

g) l'appelant travaillait principalement à titre de vendeur;

h) l'appelant et le payeur travaillaient ensemble pendant les périodes en litige;

i) l'appelant respectait l'horaire de travail qui avait été déterminé et travaillait environ quarante (40) heures par semaine;

j) l'appelant était rémunéré par chèque à raison d'une somme de 250 $ par semaine;

k) l'appelant travaille pour le payeur depuis 1986, car il lui a été impossible de se trouver de l'emploi ailleurs;

l) l'appelant, pendant les périodes en litige, logeait gratuitement dans un immeuble appartenant au payeur;

m) les mise à pied de l'appelant, datées du 18 décembre 1993 et du 14 octobre 1995, ne se justifiaient pas sous le critère des ventes mensuelles :

MOIS 1993 1994 1995

Janvier 6 906 11 257 10 383

Février 5 264 5 515 7 365

Mars 8 977 8 081 5 315

Avril 9 676 13 650 12 744

Mai 21 100 19 075 19 263

Juin 14 799 16 005 17 709

Juillet 11 839 10 638 14 132

Août 9 668 7 667 8 591

Septembre 8 477 7 694 8 447

Octobre 11 163 12 441 10 430

Novembre 19 817 12 730 12 476

Décembre 14 137 9 312 11 300

n) pendant l'année civile 1994, avec des ventes mensuelles comparables à celles de 1993 et de 1995, le payeur a exploité seul son entreprise et n'a pas cru bon de remplacer l'appelant :

o) l'appelant avait un lien de dépendance avec le payeur;

p) seul un lien de dépendance peut expliquer l'embauche de l'appelant.

[3] Lors de l'audience, M. Santo Guaragna avait 61 ans; il exploitait un magasin de chaussures depuis 1976, d'abord dans le cadre d'une société avec son frère et, depuis 1986, dans le cadre d'une entreprise individuelle. Vito Guaragna travaillait ailleurs comme vendeur de chaussures lorsque son père lui a demandé de travailler pour lui. Santo Guaragna croyait avoir besoin de deux personnes au magasin. Le magasin était ouvert les lundis, mardis et mercredis, de 9 à 18 h, les jeudis et vendredis de 9 à 21 h, et les samedis de 9 à 17 h. Santo Guaragna a témoigné qu'à ce moment-là, il ne pouvait pas tenir son commerce sans avoir de l'aide.

[4] Santo Guaragna ouvrait et fermait le magasin et supervisait le travail de vendeur de l'appelant. L'appelant n'avait pas la clé du magasin.

[5] En décembre 1993, Santo Guaragna a dit qu'il faisait face à de « légères » difficultés financières et qu'il s'est vu obligé de mettre l'appelant à pied. À cause de la concurrence, il était obligé de réduire les prix, de sorte que ses bénéfices étaient moindres. Il cherchait à diminuer ses frais et la façon la plus facile de le faire était de mettre son fils à pied. En novembre 1994, il a réembauché l'appelant parce qu' « il semblait que les affaires reprenaient peu à peu » . Cependant, a-t-il dit, il a fait face au même problème et il s'est vu obligé de mettre de nouveau l'appelant à pied en octobre 1995. Toutefois, en décembre 1995, l'appelant travaillait pour son père à temps partiel les jeudis, vendredis et samedis, soit environ 12 heures par semaine.

[6] L'avocate de l'intimé a examiné le chiffre d'affaires mensuel de l'entreprise pour les années 1993, 1994 et 1995. M. Guaragna a refusé de reconnaître les chiffres, mais je suis convaincu, compte tenu de la preuve, notamment du témoignage de Mme Francine Perreault, agente des appels à Revenu Canada, que les chiffres mentionnés par l'avocate sont exacts. L'avocate a demandé à M. Guaragna pourquoi il avait retenu les services de son fils en janvier, février, mars et avril 1993, lorsque les ventes étaient en baisse, alors qu'il l'avait mis à pied en décembre 1993, même si, en novembre et décembre 1993, un plus grand nombre de ventes avaient été conclues. M. Guaragna a répondu qu'il avait beaucoup de comptes à acquitter en décembre et qu'il n'avait pas d'argent pour le faire; il s'est donc vu obligé de laisser partir son fils. Aucun état financier de l'entreprise n'a été produit pour confirmer le montant des dépenses allégué par M. Guaragna. Au début de 1994, « les affaires n'avaient pas repris » , de sorte que M. Guaragna n'a réembauché l'appelant qu'au mois de novembre suivant.

[7] Santo Guaragna a déclaré qu'en 1995, l'appelant habitait dans l'un de ses logements et qu'il payait un loger mensuel de 340 $. L'appelant a produit une copie du bail pour la période allant du 1er juillet 1995 au 30 juin 1996, confirmant le témoignage de son père à ce sujet (pièce A-1). Avant 1994, l'appelant habitait seul; il n'habitait pas chez ses parents ou dans un logement appartenant à son père.

[8] Vito Guaragna a témoigné qu'il vendait des chaussures depuis 1981 et il a confirmé qu'en 1986, lorsque son père lui a demandé de se joindre à lui, il travaillait pour Aldo Shoes Store. Au magasin de son père, il travaillait 40 à 45 heures par semaine moyennant un salaire de 250 $. Son travail consistait à replacer les marchandises et à servir les clients. Chez son ancien employeur, il gagnait de 200$ à 400 $ par semaine, mais il était principalement rémunéré à la commission.

[9] L'appelant a initialement été mis à pied par son père en décembre 1993. Il a dit qu'en novembre 1994, son père l'avait réembauché pour « voir comment les choses iraient » . Il gagnait 250 $ par semaine. Lorsqu'il a été mis à pied en octobre 1995, il a présenté une demande de prestations d'assurance-chômage, mais on a rejeté la demande de sorte qu'il a travaillé à temps partiel pour son père. En décembre 1995, il a travaillé à temps partiel et encore une fois, 12 heures par semaine, du mois de mars au mois de juin 1996. Le 25 juin 1996, il a commencé à travailler à plein temps moyennant un salaire hebdomadaire de 275 $.

[10] Pendant qu'il était en chômage en 1995, l'appelant a emprunté de l'argent à des amis et à sa famille, et notamment à son père, pour subvenir à ses besoins.

[11] Mme Perreault a examiné l'avis d'opposition déposé par l'appelant. Dans son rapport sur le règlement, elle a tenu compte des facteurs suivants en recommandant que le règlement soit confirmé :

Rétribution versée:

Le travailleur était rémunéré à raison de 250$ par semaine pour 40h de travail, ce qui représente un taux horaire de 6.25$. Le salaire versé était raisonnable compte tenu de la nature du travail exercé par le travailleur.

Modalités d’emploi:

Le travailleur agissait strictement à titre de vendeur pour le payeur. Il a un horaire fixe de travail qui concorde avec les heures d’ouverture et il est sous le contrôle direct du payeur. Il est, outre le propriétaire, le seul employé du payeur. Les parties ont admis que le magasin pouvait être opérer par une seule personne à cause du peu d’achalandage et que le propriétaire était, sauf exception, au commerce 6 jours sur 6.

Durée du travail:

Le travailleur est à l’emploi du payeur depuis l’année 1986. Pendant la période en litige, le travailleur travaillait pendant environ un an et était congédié pendant un an. Rien dans le chiffre d’affaires de l’entreprise ne justifie les mises à pied du travailleur.

Nature et importance du travail:

Le payeur a affirmé avoir embauché le travailleur à cause de son âge et de son besoin de se reposer alors que l’on constate que les mises-à-pied sont effectuées pendant des périodes souvent très achalandées. Le travailleur n’est jamais remplacé et le payeur réussit à opérer sans employé pendant de très longues périodes et cela même lorsque les activités sont à leur plus haut niveau. L’emploi du travailleur au service du payeur n’était pas justifié et s’il l’était les mises-à-pied ne le sont pas.

Conséquemment, nous croyons que le payeur et le travailleur n’aurait pas conclu entre eux un tel contrat de travail s’ils n’avaient pas eu un lien de dépendance. L’emploi est donc exclu des emplois assurables en vertu de l’alinéa 3(2)(c)(i) de la Loi.

[12] À mon avis, l'appel devrait être accueilli. Il ressort de la preuve et des plaidoiries qu'en rendant son règlement, le ministre a tenu compte de facteurs non pertinents ou de facteurs qui étaient en fait inexacts. Il s'agit notamment des facteurs suivants : l'appelant n'avait pas pu trouver d'emploi ailleurs depuis 1986 et il habitait dans un logement appartenant à son père sans payer de loyer. Il n'existe absolument aucun élément de preuve montrant que l'appelant qui, en 1986 travaillait dans un autre magasin de chaussures, n'aurait pas pu trouver de travail ailleurs pendant les périodes ici en cause. Selon certains éléments de preuve, l'appelant n'habitait pas gratuitement dans un logement appartenant à son père. Rien ne donne à entendre que l'appelant gagnait un salaire supérieur à 250 $ par semaine.

[13] En outre, l'intimé n'a pas tenu compte de toutes les circonstances pertinentes. Le salaire que l'appelant gagnait chez son père était semblable à celui qu'il gagnait lorsqu'il travaillait pour un employeur qui exploitait le même genre d'entreprise. Les heures de travail de l'appelant étaient raisonnables compte tenu du salaire qu'il gagnait. Rien ne montre que le salaire que le père versait à l'appelant était différent du salaire que ce dernier aurait gagné pour faire un travail similaire chez un employeur avec qui il n'avait pas de lien de dépendance. À l'audience, j'ai exprimé mon mécontentement au sujet d'une partie du témoignage présenté par M. Santo Guaragna, mais selon la prépondérance des probabilités, il existait de véritables raisons permettant de mettre l'appelant à pied. Il se peut bien que le chiffre d'affaires ait été élevé au moment où l'appelant a été mis à pied, mais sur une base annuelle, le chiffre d'affaires est passé de 142 000 $ en 1993 à 133 000 $ en 1994, bien qu'il ait été de 138 000 $ en 1995. Je crois pouvoir prendre connaissance d'office du fait qu'à ce moment-là, la situation économique était dure pour de nombreux détaillants et le ministre a commis une erreur en omettant de tenir compte de ce fait. Dans son règlement, le ministre semble s'être laissé fortement influencer par la relation qui existait entre le payeur et l'appelant et il n'a pas tenu compte de faits militant en faveur de l'appelant; il n'a pas exercé son pouvoir discrétionnaire d'une façon appropriée et, compte tenu de la preuve, l'appelant devrait être réputé n'avoir aucun lien de dépendance avec le payeur.

[14] Par conséquent, l'appel est accueilli et le règlement de la question par le ministre est infirmé.

Signé à Ottawa, Canada, ce 22e jour de décembre 1997.

« Gerald J. Rip »

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 19e jour de janvier 1998.

Mario Lagacé, réviseur



1            Les actes de procédure étaient rédigés en français; l'appelant a présenté son témoignage en anglais. Les présents motifs sont donc rédigés en anglais.

2            M. Guaragna a cessé d'exploiter l'entreprise en 1997.

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