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Date: 19980922

Dossier: 97-1997-IT-I

ENTRE :

WILLIAM J. HENNING,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

LA JUGE LAMARRE, C.C.I.

[1] L'appelant interjette appel d'une cotisation de 9 215,85 $ en date du 12 juin 1996 établie en vertu de l'article 227.1 de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi » ).

Faits

[2] L'appelant est avocat et, depuis 46 ans, exerce à Edmonton dans le domaine général du droit commercial et du droit successoral. Il a siégé au conseil d'administration de nombreuses sociétés.

[3] Au cours de l'été 1992, un ami et client, Bernie Budney, qu'il connaissait depuis 1980, lui avait demandé de l'aider dans l'acquisition de certains actifs de garage et d'atelier de pneus. En même temps, M. Budney avait demandé à l'appelant de participer dans une société par actions appelée Affordable Tire & Auto Repair Ltd. (la « société Affordable » ).

[4] La société Affordable a été constituée en vertu de la Business Corporations Act (Alberta)(la « BCAA » ), le 9 décembre 1992. Les statuts constitutifs ont été établis par Douglas C. Hodgson, stagiaire en droit qui travaillait alors pour le cabinet d'avocats de l'appelant, et l'adresse du cabinet d'avocats était indiquée comme siège social de la société Affordable. Au moment de la constitution de la société, il n'y avait qu'un administrateur, Mme Janet Lennox, qui était la conjointe de M. Budney.

[5] D'après M. Budney, il avait demandé à l'appelant de l'aider à financer l'exploitation de la société Affordable. Apparemment, l'appelant était d'accord, pourvu que M. Budney puisse obtenir le titre afférent aux locaux de l'atelier de pneus, de manière que la société Affordable soit en mesure d'accorder à l'Alberta Treasury Branch ( « ATB » ) une hypothèque de second rang sur ces actifs afin d'obtenir une ligne de crédit qui, elle, serait garantie par l'appelant. L'appelant demandait que, si ces conditions étaient remplies, la société Affordable soit réorganisée de façon à ce que l'appelant participe comme actionnaire et administrateur de la société Affordable.

[6] En contrepartie de la garantie de l'appelant et de son aide en matière de gestion, la société de l'appelant, Femco Financial Corporation Ltd. ( « Femco » ) devait recevoir des honoraires de gestion de 2 500 $ par mois.

[7] Le 27 avril 1993, l'ATB avait accepté d'accorder à la société Affordable une ligne de crédit d'exploitation de 75 000 $ à certaines conditions, dont l'une était que l'appelant et une des sociétés qu'il contrôlait garantissent le prêt. Des documents juridiques étaient également exigés. L'offre de l'ATB a été signée par M. Budney et l'appelant. Puis, le 30 avril 1993, des statuts de modification ont été signés par l'appelant comme président de la société Affordable; ce document modifiait la structure du capital-actions. En outre, un avis de changement d'administrateurs nommant l'appelant et M. Budney administrateurs de la société Affordable a été signé par l'appelant, en tant que président, à la même date. Ces documents ont été déposés auprès du registrateur des sociétés le 27 juillet 1993.

[8] Le 19 juillet 1993, Douglas Hodgson a envoyé une note à l'appelant accompagnée de certains documents devant être signés par ce dernier en prévision de l'octroi de la ligne de crédit. Ces documents incluaient une souscription d'actions par l'appelant et l'avis de changement d'administrateurs.

[9] Le 20 décembre 1993, une lettre relative au projet de réorganisation de la société Affordable a été envoyée à cette société par John Whitmore, du bureau de l'appelant. Y étaient joints certains documents devant être signés et retournés par M. Budney aux fins de l'établissement de la déclaration annuelle pour 1993 devant être déposée auprès du registrateur des sociétés. Ces documents comprenaient la résolution par laquelle les actionnaires ajoutaient l'appelant et M. Budney au nombre des administrateurs.

[10] D'après l'appelant, malgré le dépôt de l'avis de sa nomination au poste d'administrateur de la société Affordable, il n'a pas en fait été nommé administrateur, car les conditions préalables à une telle nomination n'ont jamais été remplies. M. Budney a témoigné dans le même sens. Il a dit que, comme il n'avait pu remplir les conditions pour que l'appelant consente à faire fonction d'administrateur, l'appelant n'a jamais été administrateur ou actionnaire de la société Affordable.

[11] La société Affordable n'a jamais en fait obtenu la ligne de crédit de l'ATB. D'après M. Budney, cela peut s'expliquer par le fait qu'il avait omis de transférer des actifs supplémentaires à la société Affordable et que cette dernière ne s'était pas acquittée de certaines obligations préexistantes. Donc, l'appelant n'a jamais été appelé à garantir une ligne de crédit pour la société Affordable.

[12] M. Budney a témoigné que la société Affordable exploitait son entreprise sans la ligne de crédit. Il a dit qu'elle avait déjà entrepris ses activités vers le début de 1993. L'appelant ne prenait pas part aux activités de l'entreprise. Il n'a pas été invité à une seule assemblée des administrateurs. M. Budney négociait tout seul avec l'ATB et d'autres créanciers. Il n'y a eu entre M. Budney et l'appelant aucune communication après l'échec de la tentative d'obtenir le crédit d'exploitation. Ni l'appelant ni sa société, Femco, n'ont reçu d'honoraires de gestion de la société Affordable.

[13] Le 14 juin 1994, l'appelant a signé la déclaration annuelle pour 1993, qui a ensuite été déposée auprès du registrateur des sociétés. Cette déclaration disait que l'appelant détenait 50 p. 100 des actions de la société Affordable. Lors de son interrogatoire principal, l'appelant a témoigné que, en juin 1994, il n'avait pas vu M. Budney depuis un certain temps et avait supposé que M. Budney n'avait plus besoin de lui. Lorsqu'on a présenté la déclaration annuelle pour 1993 à l'appelant, une année s'était écoulée, et la société Affordable n'était toujours pas en mesure d'accorder une hypothèque de second rang. L'appelant a donc demandé à son clerc de le retirer de la société Affordable. Une note distincte concernant une conversation entre l'appelant et un employé de son cabinet contient cette mention : [TRADUCTION] « signera les documents d'organisation, mais veut se retirer de cette société » . En contre-interrogatoire, l'appelant a dit qu'il avait signé la déclaration pour 1993 comme avocat seulement, afin que la société ne soit pas radiée. Il a toutefois reconnu que, en juin 1994, lorsqu'il avait signé la déclaration pour 1993, il aurait encore tenu son engagement, si M. Budney s'était présenté avec un titre libre sur l'entreprise.

[14] Le 24 août 1994, le Trésor de l'Alberta (administration de l'impôt et du revenu) avait écrit à l'appelant pour l'aviser que la société Affordable n'avait pas produit de déclaration pour l'année d'imposition se terminant le 9 décembre 1993 conformément à l'Alberta Corporate Tax Act et que, comme administrateur, il pourrait être l'objet de poursuites si la déclaration n'était pas produite. Dans une lettre à Revenu Canada en date du 25 juillet 1995, l'appelant disait qu'il n'avait appris qu'il était mentionné comme administrateur que lorsqu'il avait reçu l'avis du Trésor de l'Alberta en date du 24 août 1994. Il a dit qu'il s'était alors empressé de donner pour instructions au service du droit des sociétés de son cabinet de déposer un avis de révocation de sa nomination au poste d'administrateur.

[15] L'appelant a donné sa démission du poste d'administrateur de la société Affordable le 4 octobre 1994, et l'avis de changement d'administrateurs a été déposé auprès du registrateur des sociétés le 4 novembre 1994.

[16] La société Affordable n'a pas manqué à l'obligation de remettre à Revenu Canada les sommes retenues sur le salaire de ses employés, sauf pour septembre 1994, qui a été le dernier mois d'exploitation de la société. M. Budney a témoigné qu'il avait dû fermer l'entreprise à cause des conditions financières difficiles. Le montant total impayé, y compris les pénalités et les intérêts, à la date de la cotisation était de 9 215,85 $, soit le montant en litige.

Arguments de l'appelant

[17] L'appelant soutient d'abord qu'il n'a jamais été, en fait ou en droit, administrateur de la société Affordable. D'après lui, il n'a jamais été élu ou nommé administrateur. Cela ne peut se faire que par un vote des actionnaires, et M. Budney a témoigné que c'était lui l'actionnaire avec droit de vote et qu'il n'avait jamais nommé l'appelant administrateur. De plus, l'appelant soutient que, même s'il a été élu ou nommé par M. Budney, il ne l'a pas été conformément au paragraphe 100(5) de la BCAA et que, suivant le paragraphe 100(6) du BCAA, il est donc réputé ne pas avoir été élu ou nommé administrateur. Les paragraphes 100(5) et 100(6) de la BCAA se lisent comme suit :

[TRADUCTION]

100(5) Une personne qui est élue ou nommée administrateur n'est administrateur que si :

a) dans le cas où elle était présente à l'assemblée lorsqu'elle a été élue ou nommée, elle n'a pas refusé de faire fonction d'administrateur;

b) dans le cas où elle n'était pas présente à l'assemblée lorsqu'elle a été élue ou nommée, elle a

(i) soit consenti par écrit, avant son élection ou sa nomination ou dans les 10 jours suivants, à faire fonction d'administrateur,

(ii) soit fait fonction d'administrateur en vertu de son élection ou de sa nomination.

(6) Pour l'application du paragraphe (5), une personne qui est élue ou nommée administrateur et qui manque à l'exigence posée par l'alinéa (5)a) en refusant de faire fonction d'administrateur, ou qui ne consent pas à faire fonction d'administrateur ou ne fait pas fonction d'administrateur, manquant ainsi aux exigences de l'alinéa (5)b), est réputée ne pas avoir été élue ou nommée administrateur.

[18] D'après l'appelant, il était d'accord pour devenir administrateur de la société Affordable seulement si certaines conditions préalables étaient remplies. Comme aucune des conditions n'a été remplie, il n'était pas tenu d'être administrateur. De plus, durant toute la période pertinente, il n'a pas agi autrement qu'en sa qualité d'avocat de la société Affordable.

[19] L'appelant soutient subsidiairement que, s'il devait être considéré comme administrateur de la société Affordable, il a résigné ses fonctions d'administrateur le 4 octobre 1994, soit avant la date à laquelle celle-ci était tenue de remettre les retenues à la source faisant l'objet de la cotisation sur laquelle porte l'appel (aux termes de l'article 108 du Règlement de l'impôt sur le revenu, la date limite pour remettre les retenues à la source pour septembre 1994 était le 15 octobre 1994). L'appelant soutient qu'il ne peut donc être tenu pour responsable des retenues à la source non remises.

[20] L'appelant soutient également, à titre subsidiaire, que, s'il devait être considéré comme administrateur de la société Affordable, il a agi avec le degré de soin, de diligence et d'habileté pour prévenir l'omission de la société Affordable de remettre les retenues à la source qu'une personne raisonnablement prudente aurait exercé dans des circonstances comparables. Donc, suivant le paragraphe 227.1(3) de la Loi, il ne devrait pas être tenu pour personnellement responsable.

Arguments de l'intimée

[21] L'intimée soutient que l'appelant savait qu'il était administrateur dès qu'il l'est devenu, selon ce qui ressort de la documentation déposée en preuve, et jusqu'à ce qu'il résigne ses fonctions d'administrateur. L'intimée soutient en outre que, comme avocat principal exerçant à Edmonton, l'appelant était bien au courant des obligations d'un administrateur d'une société. Il avait signé des documents le désignant comme administrateur et actionnaire de la société Affordable et savait parfaitement ce qu'il faisait. Par conséquent, l'appelant devrait être tenu pour solidairement responsable avec la société Affordable de tout manquement de cette dernière.

Analyse

[22] Pour ce qui est du premier argument de l'appelant, je suis d'avis que l'appelant a été élu et nommé administrateur de la société Affordable le 29 avril 1993, comme l'indique explicitement l'avis de changement d'administrateurs déposé auprès du registrateur des sociétés le 27 juillet 1993. L'appelant ne m'a pas convaincue que, lorsqu'il a signé ce document en tant que président de la société Affordable, il ne l'a fait qu'en sa qualité d'avocat de cette société. En fait, il avait chargé un avocat de son cabinet de dresser tous les documents nécessaires à la réorganisation de la société Affordable (voir la lettre en date du 20 décembre 1993, pièce A-1, onglet 5).

[23] Même s'il était vrai qu'aucun de ces documents n'a été signé, je suis loin d'être convaincue que l'appelant n'a pas fait fonction d'administrateur de la société Affordable à partir du moment où il a consenti à déposer auprès du registrateur des sociétés, conformément à l'ATB, tous les documents le désignant comme administrateur de la société Affordable. Bien que l'appelant ait dit qu'il n'avait pas participé aux négociations avec l'ATB, il y a participé indirectement en acceptant de se conformer aux exigences de l'ATB, y compris celle selon laquelle il devait être désigné comme administrateur de la société Affordable.

[24] De plus, je ne vois pas pourquoi l'appelant aurait accepté, le 14 juin 1994, de signer la déclaration annuelle pour 1993, qui indiquait qu'il détenait 50 p. 100 des actions de la société Affordable et qu'un avis de changement d'administrateurs avait été déposé. À cette époque, la société Affordable exploitait son entreprise depuis presque un an et demi. Bien qu'il ait été au courant du fait que la société Affordable fonctionnait sans ligne de crédit, l'appelant a dit que, si toutes les conditions exigées par l'ATB avaient été remplies, il aurait tenu son engagement envers M. Budney.

[25] Enfin, l'appelant n'a entrepris le processus de démission que lorsque, en août 1994, le Trésor de l'Alberta l'a informé qu'il pouvait être tenu pour responsable de l'omission de la société Affordable de produire une déclaration de revenus. J'ai du mal à croire que l'appelant ignorait qu'il était désigné comme administrateur de la société Affordable dans le registre des sociétés. Je conclus plutôt qu'il se considérait bel et bien comme administrateur de la société Affordable avant de donner sa démission, quoiqu'un document de juin 1994 indique qu'il voulait se retirer de la société (voir le compte rendu de conversation en date du 14 juin 1994 (pièce A-1, onglet 8), d'où il ressort que l'appelant avait dit qu'il signerait les documents d'organisation mais qu'il voulait « se retirer de cette société » ).

[26] En ce qui a trait au premier argument de l'appelant, je conclus donc que ce dernier n'a pas démontré, selon la prépondérance des probabilités, qu'il n'a pas fait fonction d'administrateur en vertu de son élection ou de sa nomination. Je crois en conséquence qu'il a été administrateur de la société Affordable au sens de la BCAA à partir du 29 avril 1993 jusqu'au 4 octobre 1994, date de sa démission.

[27] Le deuxième argument de l'appelant veut qu'il eût déjà démissionné lorsque l'obligation de remettre les retenues à la source pour le mois de septembre 1994 est née. Il soutient également que, de toute façon, il a exercé le degré de soin, de diligence et d'habileté pour prévenir le manquement qu'une personne raisonnablement prudente aurait exercé dans des circonstances comparables.

[28] L'obligation d'effectuer des retenues est énoncée au paragraphe 153(1) de la Loi, qui se lit en partie comme suit :

153(1) Retenue. Toute personne qui verse au cours d'une année d'imposition l'un des montants suivants :

a) un traitement, un salaire ou autre rémunération;

[...]

doit en déduire ou en retenir la somme fixée selon les modalités réglementaires et doit, au moment fixé par règlement, remettre cette somme au receveur général au titre de l'impôt du bénéficiaire ou du dépositaire pour l'année en vertu de la présente partie ou de la partie XI.3. [...]

[29] Le montant ainsi retenu est réputé être détenu par l'employeur en fiducie pour Sa Majesté la Reine en vertu du paragraphe 227(4), qui se lit comme suit :

227(4) Montant détenu en fiducie. Toute personne qui déduit ou retient un montant en vertu de la présente loi est réputée le détenir en fiducie pour Sa Majesté, séparé de ses propres fonds et en vue de le verser à Sa Majesté selon les modalités et dans le délai prévus par la présente loi. Sa Majesté a un privilège et une sûreté sur les biens et l'actif de la personne indépendamment du fait que celle-ci tienne le montant séparé de ses propres fonds, fasse l'objet d'une mise sous séquestre, d'une faillite ou d'une liquidation ou ait fait une cession.

[30] Le délai pour remettre des montants déduits ou retenus à la source est prescrit à l'article 108 du Règlement de l'impôt sur le revenu. Le paragraphe 108(1), qui s'applique en l'espèce, se lit comme suit :

108. Remises au receveur général.

(1) Sous réserve des paragraphes (1.1) et (1.11), les montants déduits ou retenus aux termes du paragraphe 153(1) de la Loi doivent être remis au receveur général au plus tard le 15e jour du mois qui suit celui au cours duquel ils ont été déduits ou retenus.

[31] Un payeur est passible d'une pénalité en vertu du paragraphe 227(8) de la Loi pour omission de déduire ou de retenir un montant :

227(8) Défaut de retenue à la source. Sous réserve du paragraphe (8.5), toute personne qui ne déduit pas ou ne retient pas un montant au cours d'une année civile conformément au paragraphe 153(1) ou à l'article 215 est passible d'une pénalité :

a) soit de 10 % du montant qui aurait dû être déduit ou retenu;

b) soit de 20 % du montant qui aurait dû être déduit ou retenu au cours de l'année si, au moment du défaut, une pénalité en application du présent paragraphe était payable par la personne sur ce montant et si le défaut a été commis sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde.

[32] L'obligation du payeur par suite de l'omission de remettre un montant est prévue au paragraphe 227(9.4), qui se lit comme suit :

227(9.4) Obligation de payer un montant non remis. La personne qui ne remet pas, de la manière et dans le délai prévus à la présente loi ou à son règlement, un montant déduit ou retenu d'un paiement fait à une autre personne conformément à la présente loi ou à son règlement doit payer, au nom de cette autre personne, à titre d'impôt en vertu de la présente loi, le montant ainsi déduit ou retenu.

[33] Dans un tel cas, des intérêts seront également exigés en vertu du paragraphe 227(9.2), qui se lit comme suit :

227(9.2) Intérêts sur les montants déduits ou retenus mais non remis. La personne qui ne remet pas, de la manière et dans le délai prévus à la présente loi ou à son règlement, un montant déduit ou retenu conformément à la présente loi ou à son règlement doit payer au receveur général des intérêts sur ce montant calculés au taux prescrit pour la période commençant le jour où elle était tenue de remettre ce montant et se terminant le jour où le montant est remis au receveur général.

[34] S'il y a omission de déduire ou de retenir un montant, le ministre peut établir une cotisation à l'égard du payeur en vertu du paragraphe 227(10) et, s'il y a omission de remettre le montant, le ministre peut établir une cotisation à l'égard du payeur en vertu du paragraphe 227(10.1).

[35] En outre, la responsabilité des administrateurs par suite de l'omission de déduire, de retenir ou de remettre un montant est prévue à l'article 227.1, qui se lit en partie comme suit :

227.1(1) Responsabilité des administrateurs pour défaut d'effectuer les retenues. Lorsqu'une société a omis de déduire ou de retenir une somme, tel que prévu au paragraphe 135(3) ou à l'article 153 ou 215, ou a omis de remettre cette somme ou a omis de payer un montant d'impôt en vertu de la partie VII ou VIII pour une année d'imposition, les administrateurs de la société, au moment où celle-ci était tenue de déduire, de retenir, de verser ou de payer la somme, sont solidairement responsables, avec la société, du paiement de cette somme, y compris les intérêts et les pénalités s'y rapportant.

[...]

(3) Idem. Un administrateur n'est pas responsable de l'omission visée au paragraphe (1) lorsqu'il a agi avec le degré de soin, de diligence et d'habileté pour prévenir le manquement qu'une personne raisonnablement prudente aurait exercé dans des circonstances comparables.

[36] Selon un point de vue, l'obligation de remettre l'impôt qui a été retenu se matérialise dès que la retenue est effectuée, bien que soit accordé un délai pour l'envoi du paiement. Ce point de vue est énoncé dans l'article d'Edwin G. Kroft intitulé « The Liability of Directors for Unpaid Canadian Taxes » , publié dans Report of Proceedings of the Thirty-seventh Tax Conference, rapport de la conférence de 1985 (Toronto, Association canadienne d'études fiscales, 1986), 30:1, à 30:20 et 30:21. D'après M. Kroft, [TRADUCTION] « l'article 227.1 vise à faire supporter la perte aux personnes qui l'ont occasionnée ou qui auraient pu l'empêcher » . Ainsi, il peut y avoir manquement à l'obligation de remettre ou de payer à n'importe quel moment durant la période au cours de laquelle le paiement ou la remise pouvait être effectué.

[37] Toutefois, selon un autre point de vue, pour les fins de poursuites au criminel, il ne peut y avoir infraction du fait d'avoir omis de remettre des retenues à la source qu'après l'expiration de la période de 15 jours et le payeur ne peut donc être en défaut avant le seizième jour (voir le jugement The Queen v. John Sakellis, 70 DTC 6202 (C.A. Ont.). On peut dont soutenir qu'un administrateur ayant cessé d'occuper son poste avant la date limite ne devrait pas être tenu pour responsable en vertu du paragraphe 227.1(1) étant donné qu'il n'était pas administrateur à la date à laquelle la remise devait être effectuée. (Voir E. P. Moskowitz, « Directors' Liability Under Income Tax Legislation and Other Related Statutes » , (1990) 38 Rev. fisc. can. 537, aux pages 553 et 554.)

[38] À mon avis, c'est ce dernier point de vue qui est à retenir. Si, comme on l'a statué dans l'affaire Sakellis, le payeur n'est pas en défaut avant le seizième jour, je ne vois pas pourquoi un fardeau plus lourd devrait être imposé à un administrateur. En outre, la Loi, telle qu'elle est rédigée, crée deux obligations distinctes : celle de déduire ou de retenir des sommes et celle de les remettre. En vertu du paragraphe 227(9.4), l'obligation de payer un montant non remis ne naît qu'à la date à laquelle le montant doit être remis suivant la Loi ou d'un règlement (soit, en l'espèce, suivant l'article 108 du Règlement de l'impôt sur le revenu, au plus tard le quinzième jour du mois qui suit celui au cours duquel les montants ont été déduits ou retenus). Les intérêts sur des montants déduits ou retenus mais non remis de la manière et dans le délai prévus par la Loi ou son règlement sont calculés à partir du jour où la personne était ainsi tenue de remettre le montant jusqu'au jour où le montant est effectivement remis au receveur général. Je doute que des intérêts soient exigés du payeur si le paiement au receveur général était fait après que les montants furent retenus à la source mais avant le quinzième jour du mois suivant. Il est plus sensé que le payeur, ainsi que l'administrateur lorsque le payeur est une société, soit tenu pour responsable de l'omission d'effectuer la remise à l'expiration du délai de 15 jours et que les intérêts sur le montant en question soient calculés à partir de la date d'expiration. Donc, si une personne résigne ses fonctions d'administrateur après la date à laquelle les montants ont été retenus à la source mais avant l'expiration du délai prévu pour remettre ces montants, je suis d'avis que cette personne ne devrait pas être tenue pour solidairement responsable avec la société payeuse à l'égard des montants que celle-ci a omis de remettre. Dès que l'administrateur démissionne, il n'a plus le pouvoir de prévenir le manquement de la société à l'obligation de remettre les montants.

[39] Ma conclusion sur le deuxième argument de l'appelant règle l'affaire en sa faveur. Toutefois, j'analyserai aussi son troisième argument. Est-ce que l'appelant a démontré, selon la prépondérance des probabilités, qu'il avait agi avec le degré de soin, de diligence et d'habileté pour prévenir le manquement?

[40] Dans l'arrêt Neil Soper v. The Queen, [1997] DTC 5407, la Cour d'appel fédérale a passé en revue les critères à appliquer lorsqu'une telle défense de diligence raisonnable est invoquée. Ces critères peuvent être résumés comme suit :

1. La norme de prudence énoncée à l'article 227.1 doit prendre en compte des éléments subjectifs comme les connaissances personnelles et l'expérience de l'administrateur, ainsi que le contexte que constitue sa société, notamment l'organisation, les ressources, les usages et la conduite de cette société. On attend donc plus des personnes qui possèdent des compétences supérieures à la moyenne, ou des gens d'affaires chevronnés.

2. Toutefois, la norme de prudence n'est pas purement subjective. Il ne suffit pas qu'un administrateur affirme qu'il a fait de son mieux. Il est également évident que l'intégrité ne suffit pas.

3. La Loi contient plutôt à la fois des éléments objectifs, qui sont représentés par la notion de la personne raisonnable, et des éléments subjectifs, qui sont inhérents à des considérations individuelles comme la « compétence » et l'idée de « circonstances comparables » . (Voir l'arrêt Soper, précité, aux pages 5416 et 5417.)

En outre, ce sont les administrateurs internes, c'est-à-dire ceux qui participent à la gestion quotidienne de la société et influencent la conduite des affaires commerciales de celle-ci, qui auront le plus de difficulté à prouver la diligence raisonnable.

Pour des administrateurs externes, un devoir positif d'agir naît du moment qu'ils obtiennent des renseignements ou deviennent au courant de faits pouvant amener quelqu'un à conclure qu'il y a ou pourrait raisonnablement y avoir un problème en ce qui concerne les remises.

[41] En l'espèce, la preuve n'a pas révélé que, compte tenu de l'information ou documentation financière dont il disposait, l'appelant aurait dû savoir qu'il y avait ou pouvait y avoir un problème en ce qui concerne les remises. Les retenues à la source et les remises étaient régulièrement effectuées par une compagnie externe qui gérait la paye de la société Affordable. Cette compagnie externe assurait le traitement de la paye, et M. Budney signait tous les mois des chèques pour les sommes totales dues. Il n'y avait aucune raison vraiment pour laquelle l'appelant aurait dû être au courant de problèmes éventuels concernant les remises. D'ailleurs, M. Budney a dit dans son témoignage que ce n'était qu'en septembre qu'il avait appris qu'il ne pourrait plus poursuivre l'entreprise, qui a en fait été fermée à la fin de septembre 1994. Durant toute cette période, l'appelant avait peu de contacts avec M. Budney, qui n'avait pas mis l'appelant au courant de tous ses problèmes financiers. M. Budney exploitait l'entreprise sans la ligne de crédit depuis le début de 1993. L'appelant n'a pas eu à garantir de prêt consenti à la société Affordable.

[42] Je conclus que l'appelant faisait fonction d'administrateur externe, qu'il n'y avait, compte tenu de toutes les circonstances, aucune raison pour laquelle ses soupçons devaient être éveillés quant à l'existence d'un problème éventuel concernant les remises, et que, par conséquent, il n'avait pas le devoir positif d'agir avant la date de sa démission, soit le 4 octobre 1994.

[43] En conséquence, je conclus que l'appelant n'est pas personnellement responsable des montants dus par la société Affordable. L'appel est admis, avec dépens.

Signé à Ottawa, Canada, le 22e jour de septembre 1998.

« Lucie Lamarre »

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 31e jour de mars 1999.

Erich Klein, réviseur

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