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Date: 20000228

Dossiers: 98-757-UI; 98-110-CPP

ENTRE :

IT/NET CONSULTANTS INC.,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

Motifs du jugement

Le juge O'Connor, C.C.I.

[1] Les présents appels ont été entendus à Ottawa (Ontario) le 25 février 2000. Alex Beraskow, le représentant et directeur général de la société appelante (“ IT/NET ”), et Rudolf Nowak, le travailleur concerné par les appels (“ M. Nowak ”), ont témoigné. Plusieurs pièces ont été déposées.

[2] Les faits et la question qui en découle sont énoncés dans les paragraphes de la réponse à l'avis d'appel et les extraits de l'avis d'appel et du contrat conclu entre IT/NET et M. Nowak qui suivent. Les passages tirés de la réponse se rapportent à l'appel interjeté en matière d'assurance-emploi et ils sont essentiellement identiques à ceux qui se rapportent à l'appel interjeté relativement au Régime de pensions du Canada, si ce n'est que, dans ce dernier cas, on renvoie aux cotisations au RPC et au Régime de pensions du Canada.

Réponse

[TRADUCTION]

Dans des avis d'évaluation datés du 1er avril 1998, le ministre a réclamé à l'appelante 2 032,04 $ pour l'année 1996 et 2 714,39 $ pour l'année 1997, avec intérêt et pénalités y relatifs, pour avoir omis de remettre des cotisations d'assurance-chômage ou d'assurance-emploi relativement à Rudolf Nowak (le “ travailleur ”).

Une évaluation a été établie à l'égard de l'appelante au motif que celle-ci a omis, d'une part, de prélever des cotisations d'assurance-chômage ou d'assurance-emploi sur la rémunération versée au travailleur pendant qu'il travaillait pour elle du 15 avril 1996 au 28 janvier 1997 et du 29 janvier au 2 septembre 1997 et, d'autre part, de remettre ces cotisations, en application de la Loi sur l'assurance-chômage (la “ Loi ”) et de la Loi sur l'assurance-emploi (la “ Loi modifiée ”).

À la demande de l'appelante, l'intimé a examiné de nouveau les évaluations et les a modifiées dans une lettre datée du 10 juin 1998. Il a confirmé la partie de l'évaluation se rapportant à la période du 15 avril 1996 au 28 janvier 1997, et il a annulé la partie se rapportant à la période du 29 janvier au 2 septembre 1997.

Il s'agit de déterminer si l'appelante était tenue de déduire des cotisations d'assurance-chômage ou d'assurance-emploi de la rétribution du travailleur relativement à la période du 15 avril 1996 au 28 janvier 1997, et si l'évaluation doit être ratifiée, modifiée ou annulée.

Pour rendre sa décision, l'intimé s'est fondé sur les hypothèses de fait suivantes :

L'appelante est une entreprise qui offre des services d'expert-conseil en gestion et en technologie et qui offre des services de conseil, de conception de système, de services en réseau et d'intégration globale de logiciels;

le ministère de la Défense nationale (“ MDN ”) est un client de l'appelante;

le travailleur a été engagé par l'appelante pour offrir au MDN des services de soutien informatique;

le travailleur devait offrir les services en question dans les locaux du MDN;

le 2 avril 1996, le travailleur et l'appelante ont signé un contrat (le “ contrat ”);

suivant le contrat, les services devaient être fournis à compter du 15 avril 1996;

suivant le contrat, l'appelante pouvait désigner l'endroit où le travailleur effectuerait le travail;

suivant le contrat, les heures supplémentaires devaient être préalablement approuvées par l'appelante;

suivant le contrat, l'appelante pourrait devoir effectuer des déductions au titre du Régime de pensions du Canada et de l'assurance-chômage sur les directives de Revenu Canada;

suivant le contrat, l'appelante pouvait résilier celui-ci en tout temps à condition d'aviser le travailleur par écrit d'un motif valable;

suivant le contrat, le travailleur devait s'abstenir, pour une période de six mois après la résiliation du contrat, d'offrir un emploi ou un travail en sous-traitance à un employé, un sous-traitant ou un associé de l'appelante;

suivant le contrat, le travailleur devait s'abstenir de divulguer tout renseignement obtenu pendant qu'il travaillait pour l'appelante;

suivant le contrat, le travailleur devait s'abstenir, pendant qu'il travaillait pour l'appelante et pendant les six mois suivant la résiliation du contrat, de chercher à faire affaire avec les clients de l'appelante;

le travailleur rendait des comptes directement au major Langlois, du MDN;

le travailleur devait travailler de 8 h à 16 h;

le travailleur devait présenter une feuille de présence, sur laquelle étaient consignées les heures de travail, qui devait être approuvée par le major Langlois, du MDN;

le travailleur était supervisé par le major Langlois du MDN;

le travailleur touchait 225 $ par jour;

le travailleur fournissait les services à temps plein et de façon récurrente;

le bureau, le matériel de bureau ainsi que l'ameublement étaient fournis par le MDN;

le travailleur n'engageait aucune dépense dans l'exécution de ses fonctions;

le travailleur était employé par l'appelante aux termes d'un contrat de louage de services.

Avis d'appel

[TRADUCTION]

Nous payions M. Nowak selon un taux journalier au lieu de lui verser un montant forfaitaire. Essentiellement, il était payé pour les heures de travail qu'il effectuait. S'il était malade ou s'il ne se présentait pas au travail [...] il n'était pas payé. Il s'agissait d'une relation contractuelle et non d'une relation employeur-employé. M. Nowak n'avait pas à rendre compte de son temps, si ce n'est aux fins de la facturation [...]

Le travail de dépannage informatique est de nature telle que tout le monde travaille en quelque sorte par quarts de travail. M. Nowak indiquait à notre client, le MDN, quelles étaient les heures au cours desquelles il préférait travailler [...]

Nous ne payions pas ses frais de déplacement — jamais, ni aucune autre dépense accessoire à notre entreprise.

Nous ne contribuions à aucun régime d'avantages sociaux pour le compte de M. Nowak.

Nous n'offrions aucune formation à M. Nowak. Il n'assistait à aucune des réunions au cours desquelles nous discutions des méthodes de travail ou de choses semblables. Nous ne précisions pas non plus comment le travail devait être effectué. M. Nowak utilisait ses propres méthodes et payait ses propres dépenses.

Ne n'exigions pas que M. Nowak consacre tout son temps à IT/NET ou au MDN. [...]

Nous ne fournissions à M. Nowak aucun local, équipement ou ameublement.

M. Nowak n'effectuait aucun travail dans les locaux de IT/NET, notre lieu d'affaires. [...]

Nous n'avons jamais donné d'instructions à M. Nowak au sujet de l'ordre ou de la séquence dans lesquels le travail devait être accompli. Nous ne lui avons jamais fixé de programme de travail, ni d'horaire.

Nous n'avons jamais donné à M. Nowak d'instructions sur le moment, l'endroit et la façon de travailler.

Nous n'avons jamais demandé de rapports écrits ou oraux à M. Nowak. [...]

[...]

1.13 La relation était une relation contractuelle assortie d'une date d'entrée en vigueur et d'une date de conclusion précises. Une fois le contrat exécuté, notre relation de travail était terminée. Il n'y a jamais eu de relation continue, ni une variété infinie de tâches à accomplir.

2. Propriété des outils et de l'équipement

IT/NET ne fournissait aucun outil, équipement, matériel, etc.

Le contrat

[3] Le contrat en question, conclu le 2 avril 1996 (le “ contrat ”) est intitulé “ Contrat d'entreprise type ”, et M. Nowak y est appelé l'“ associé ”. Le contrat prévoit notamment ce qui suit :

[TRADUCTION]

SERVICES

IT/NET engage l'associé pour travailler pour IT/NET pendant une période indéterminée à compter du 15 avril 1996, sous réserve des dispositions relatives à la résiliation énoncées à la clause 3.

L'associé doit exécuter les fonctions décrites à l'annexe “ A ” (l'Énoncé des tâches). Le travail et les services doivent être exécutés aux endroits déterminés par IT/NET.

[...]

PAIEMENT

IT/NET accepte de payer l'associé conformément aux dispositions relatives à la rétribution figurant à l'annexe “ A ” (l'Énoncé des tâches) pour les tâches qui y sont énoncées. Les heures supplémentaires doivent être préalablement approuvées.

Les feuilles de présence et factures pour le travail exécuté sont soumises à IT/NET à la fin du mois. Une retenue correspondant à 10 p. 100 de la valeur totale du contrat peut être effectuée : l'associé renonce à ce montant s'il met fin prématurément au contrat ou si son rendement au travail est jugé insatisfaisant. Tous les montants payés par IT/NET doivent être considérés comme un prélèvement jusqu'à ce que IT/NET reçoive paiement du client.

Si elle y est tenue aux termes des politiques de Revenu Canada, IT/NET peut effectuer des retenues à la source au titre du Régime de pensions du Canada et de l'assurance-chômage, mais non au titre de l'impôt sur le revenu. Dans tous les cas, le paiement de l'impôt sur le revenu est la responsabilité exclusive de l'associé.

Toute les dépenses engagées par IT/NET dans l'exécution de ses obligations contractuelles seront prises en charge par l'associé et seront déduites du montant de ses factures.

RÉSILIATION

Le décès de l'associé entraîne la résiliation immédiate du présent contrat.

IT/NET peut résilier le présent contrat en tout temps en avisant l'associé par écrit d'un motif valable.

INTERDICTION

L'associé s'engage à s'abstenir pour une période de six mois suivant l'exécution d'un contrat aux termes de la présente entente, d'offrir ou de faire en sorte que soit offert, directement ou indirectement, pour son compte ou pour le compte d'un employeur futur, un emploi ou un travail en sous-traitance à un employé, un sous-traitant ou un associé de IT/NET, ou de faire une recommandation dans ce sens.

DEVOIR DE CONFIDENTIALITÉ

L'associé s'engage à ne pas divulguer, directement ou indirectement, pendant qu'il est un associé de IT/NET ou à quelque moment que ce soit par la suite :

à une personne, une entreprise ou une société, le nom, l'adresse ou les exigences d'un client de IT/NET;

à une personne, entreprise ou société, un processus, une méthode ou un instrument de IT/NET, ou tout autre renseignement de même nature ou non, acquis du fait de ses services;

à une personne, entreprise ou société, des renseignements financiers sur IT/NET.

NON-CONCURRENCE

L'associé accepte de s'abstenir, pendant la durée de la présente entente et pendant une période de six mois suivant la résiliation de l’entente, de tenter de solliciter du travail pour le compte d'une compagnie ou d'une association ou pour lui-même, auprès de tout client ou client potentiel de IT/NET sans le consentement écrit de IT/NET. La présente clause vise à protéger raisonnablement la clientèle de IT/NET tout en ne limitant pas indûment la capacité de l'associé de continuer à exercer sa profession.

L'annexe “ A ” du contrat se lit en partie comme suit :

[TRADUCTION]

[...]

Client de IT/NET : Ministère de la Défense nationale

Matériel informatique pour le MDN

Personne-ressource

du client : Le major S. Fraser DSIP

Rôle : Expert-conseil en matériel informatique

Rétribution : 225 $ par jour pour une journée

de 7,5 heures

Responsabilités : Voir l'Énoncé des tâches

Date d'entrée en fonction : Le lundi 15 avril 1996

Fin du contrat : Prévue pour le 31 octobre 1996

Personnes-ressources

chez IT/NET : Employée du service de marketing : Suzin Richlark

[...]

[4] Conformément aux clauses du contrat, M. Nowak facturait IT/NET périodiquement et il était payé en conséquence. M. Nowak dressait à l'occasion des feuilles de présence indiquant les heures de travail. Celles-ci étaient approuvées par le général Langlois, du MDN. Suzin Richlark, une employée de IT/NET, examinait les feuilles de présence et M. Nowak était payé en fonction de celles-ci. Il était propriétaire des outils, dont la valeur, a-t-il déclaré, n'était toutefois que de 30 $.

OBSERVATIONS

[5] L'appelante soutient que M. Nowak était engagé aux termes d'un contrat d'entreprise, c'est-à-dire comme entrepreneur autonome, et l'avocate de l'intimé soutient que l'entente était artificielle, que c'était essentiellement un contrat de louage de services et que, par conséquent, l'appelante était tenue de déduire et de remettre des cotisations d'assurance-emploi et des cotisations au Régime de pensions du Canada.

[6] Il est bien connu que les critères fondamentaux qui permettent de trancher la question ont été énoncés dans l'affaire Wiebe Door Services c. Sa Majesté la Reine, [1986] 3 C.F. 553 (87 DTC 5025). Ces critères sont le contrôle, la propriété des instruments de travail, les chances de bénéfice et les risques de pertes et l'intégration des travaux du travailleur aux activités de l'appelante.

ANALYSE ET DÉCISION

[7] À mon avis, le contrôle était infime, tout au plus. M. Nowak ne travaillait pas dans les locaux de l'appelante; il travaillait exclusivement au MDN. Le seul contrôle effectué par IT/NET prenait la forme de l'intervention de Suzin Richlark, qui vérifiait les feuilles de présence de M. Nowak et les clauses restrictives prévues au contrat. M. Nowak ne se rendait jamais chez IT/NET (sauf pour aller y chercher ses chèques). En outre, le directeur général de IT/NET n'avait jamais ne serait-ce que rencontré M. Nowak, qu’il a finalement rencontré peu de temps avant l'audition de l'appel. Bref, le contrôle était si minime qu'il mène à la conclusion que le contrat est bien tel qu'on l'a appelé, soit un contrat d'entreprise et non un contrat de louage de services. Il existe une jurisprudence volumineuse (citée dans l'affaire Fleetway, mentionnée ci-après) selon laquelle, lorsque les faits sont neutres, l'entente ou le contrat l'emporte.

[8] M. Nowak était propriétaire des instruments de travail qu'il utilisait. Certes, leur valeur était minime, mais il reste qu'ils étaient les instruments de M. Nowak et non ceux de IT/NET. Le critère de la propriété des instruments de travail mène lui aussi à la conclusion que le contrat était un contrat d'entreprise et non un contrat de louage de services.

[9] M. Nowak ne touchait pas un salaire régulier; il était payé en fonction des factures qu'il présentait. Certaines des factures indiquent que M. Nowak était inscrit aux fins de la TPS. La preuve a indiqué cependant que IT/NET avait pris en charge le coût de cette inscription. Il y a une forte indication que l'entente dans son ensemble était structurée intentionnellement de façon que M. Nowak fût un entrepreneur autonome. À mon avis, le fait qu'une entente est structurée de façon à profiter au maximum aux parties du point de vue des cotisations d'assurance-emploi et des cotisations au Régime de pensions du Canada ne clôt pas le débat. Les parties sont libres de structurer leur entente de la façon qui répond le mieux à leurs besoins.

[10] M. Nowak n'avait aucune chance de réaliser des bénéfices ni aucun risque de subir des pertes. En d'autres termes, ce critère porte à conclure qu'il s'agissait d'un contrat de louage de services.

[11] Quant au critère d'intégration, les faits pointent à mon avis dans les deux directions. Il est clair que M. Nowak faisait partie des activités génératrices de revenus de IT/NET. En s'acquittant de ses tâches, il contribuait à accroître les profits de celle-ci. Par ailleurs, le fait que M. Nowak n'avait ni bureau, ni lieu d'affaires, ni établissement dans les locaux de IT/NET et qu'il ne prenait aucune part aux activités quotidiennes de celle-ci, c'est-à-dire qu'il n'était pas employé quotidiennement et payé régulièrement, mène à la conclusion contraire, à savoir qu'il n'y avait pas d'intégration.

[12] L'avocate de l'intimé a cité la décision rendue par le juge Lamarre Proulx, C.C.I., dans l'affaire Fleetway Consulting Services Inc. c. Canada, 1998 A.C.I. no 249, où la situation factuelle était remarquablement semblable à celle qui existe dans le présent appel et où il a été statué que le travailleur était un employé (et non un entrepreneur). Je ne suis pas lié par cette décision; quoi qu'il en soit, elle se distingue à de nombreux égards de la présente affaire, plus particulièrement quant au degré de contrôle et à la propriété des instruments de travail.

[13] Je conclus donc, compte tenu de la prépondérance des probabilités, que M. Nowak a été engagé aux termes d'un contrat d'entreprise, et c'est exactement ainsi que l'on a appelé le contrat en cause. Compte tenu des critères, plus particulièrement le contrôle minime, la propriété des instruments de travail et le fait que le critère de l'intégration pointe dans les deux sens, je conclus que M. Nowak a été engagé aux termes d'un contrat d'entreprise. En conséquence, les appels sont accueillis, sans frais.

Signé à Ottawa, Canada, ce 28e jour de février 2000.

“ T. P. O'Connor ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 13e jour d'octobre 2000.

Philippe Ducharme, réviseur

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