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Date: 19990409

Dossiers: 98-117-GST-I; 98-118-GST-I; 98-119-GST-I; 98-120-GST-I

ENTRE :

GRAHAM FERGUSON, GRACE FERGUSON, MURRAY SMITH, BRUCE ROSS,

appelants,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Hamlyn, C.C.I.

[1] Ces quatre appels distincts interjetés à l'encontre de cotisations de taxe sur les produits et services ( « TPS » ) ont été entendus ensemble sur preuve commune. Les appelants font appel de cotisations de taxe pour les périodes allant du 1er mai 1992 au 31 juillet 1992, du 1er août 1992 au 31 octobre 1992 et du 1er novembre 1992 au 31 janvier 1993.

[2] Le ministre du Revenu national (le « ministre » ) a établi des cotisations à l'égard des appelants en leur qualité d'administrateurs de la société 592416 Ontario Inc. ( « 592416 » ), faisant affaire sous le nom de O'Tooles Roadhouse Restaurant ( « O'Tooles » ), par des avis de cotisation envoyés par la poste le 10 juin 1996[1]. Les cotisations se rapportaient au fait que la société avait omis de verser 40 149,03 $ de TPS, ainsi que des pénalités et intérêts. Le tableau suivant présente une ventilation de la cotisation du ministre :

Fin de période

Taxe nette

Intérêt

Pénalité

Total

31 juillet 1992

13 144,52 $

3 858,03 $

3 858,58 $

20 861,13 $

31 octobre 1992

14 051,12 $

3 698,46 $

3 687,11 $

21 436,69 $

31 janvier 1993

12 953,39 $

3 100,73 $

3 104,71 $

19 158,83 $

TOTAL

40 149,03 $

10 657,22 $

10 650,40 $

61 456,65 $

[3] Dans la cotisation qu'il a établie à l'égard des appelants, le ministre se fondait sur les hypothèses de fait suivantes :

[TRADUCTION]

a) l[es] appelant[s] étai[en]t, durant toutes les périodes pertinentes, administrateur[s] de la société;

b) la société a omis de verser la somme de 40 149,03 $ au titre de la TPS au receveur général pour les périodes allant du 1er mai 1992 au 31 juillet 1992, du 1er août 1992 au 31 octobre 1992 et du 1er novembre 1992 au 31 janvier 1993;

c) la société a omis de payer les pénalités et intérêts relatifs à la TPS non versée;

d) la société a fait l'objet d'une cotisation le 26 mai 1994;

e) la société a été dissoute le 11 juin 1994;

f) un certificat précisant la somme de 48 984,68 $ a été enregistré à la Cour fédérale du Canada relativement à la responsabilité de la société à l'égard de la TPS, des pénalités et des intérêts non payés. Le bref consécutif, délivré le 2 septembre 1994 par la Cour fédérale du Canada, a été enregistré auprès du shérif du comté de Peterborough (Ontario). Il y a eu défaut d'exécution — nulla bona;

g) l[es] appelant[s] n'[ont] pas agi avec autant de soin, de diligence et de compétence, pour prévenir le manquement de la société à l'obligation de verser la somme de 40 149,03 $ au titre de la TPS, que ne l'aurai[en]t fait [des] personne[s] raisonnablement prudente[s] dans les mêmes circonstances.

LA PREUVE

[4] Un exposé conjoint des faits partiel a été déposé. Les passages pertinents se lisent comme suit :

[TRADUCTION]

Les appelants et l'intimée conviennent de ce qui suit :

1. La 592416 Ontario Inc. (la « 592416 » ) a été constituée le 18 juillet 1984.

2. Alan Wine est l'avocat qui a constitué la 592416 et qui en a été le premier administrateur.

3. La 592416 exploitait un restaurant franchisé, appelé O'Tooles Roadhouse, à Peterborough (Ontario).

4. La 592416 a omis de verser de la TPS au receveur général pour les périodes allant du 1er mai 1992 au 31 juillet 1992, du 1er août 1992 au 31 octobre 1992 et du 1er novembre 1992 au 31 janvier 1993, soit le montant de 40 149,03 $.

5. La 592416 a omis de payer des pénalités et intérêts relatifs à la TPS non versée.

6. La 592416 a fait l'objet d'une cotisation le 26 mai 1994.

7. La 592416 a été dissoute le 11 juin 1994.

8. Un certificat précisant la somme de 48 984,68 $ a été enregistré à la Cour fédérale du Canada relativement à la responsabilité de la 592416 à l'égard de la TPS, des pénalités et des intérêts non payés. Le bref consécutif, délivré le 2 septembre 1994 par la Cour fédérale du Canada, a été enregistré auprès du shérif du comté de Peterborough (Ontario). Il y a eu défaut d'exécution — nulla bona (aucun bien).

LES TÉMOIGNAGES PRÉSENTÉS AU PROCÈS

[5] Les appelants ont appelé cinq témoins, c'est-à-dire que chacun des appelants a témoigné, ainsi que Kevin Ross, l'ancien directeur général du O'Tooles.

[6] Kevin Ross dirigeait les activités quotidiennes du O'Tooles. Professionnellement, il avait beaucoup d'expérience et une solide formation dans le domaine du tourisme d'accueil. Il avait notamment fait des études postsecondaires spécialisées et travaillé dans le secteur de l'hôtellerie et de la restauration.

[7] Kevin Ross avait invité des membres de sa famille et des amis à investir dans des actions de la 592416. Les quatre appelants étaient devenus des actionnaires minoritaires de la 592416, par des investissements relativement petits. Des fonds plus importants étaient venus d'autres actionnaires-investisseurs.

[8] Kevin Ross soutenait que lui et les quatre appelants n'étaient pas administrateurs de la 592416, malgré le fait que, de temps à autre, ils avaient bel et bien eu des réunions pour discuter des progrès du restaurant. Tous les témoins ont dit que les appelants n'avaient aucun rôle quotidien dans le restaurant.

[9] Dans le cadre de la structure organisationnelle du O'Tooles, la 592416 avait embauché un aide-comptable professionnel à plein temps et faisait en outre appel à un comptable agréé, comme conseiller.

[10] Un service de la banque du O'Tooles s'occupait de la paye de l'entreprise, y compris pour ce qui était de certaines déductions en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu.

[11] Les versements de TPS, préparés par l'aide-comptable, étaient effectués directement par Kevin Ross. Kevin Ross a également témoigné qu'aucun des appelants n'était au courant des pratiques et procédures relatives aux versements.

[12] Le O'Tooles avait fini par connaître des difficultés financières. Le locateur avait fermé les locaux du restaurant et, suivant les instructions du vice-président, finance, du franchiseur, Kevin Ross avait omis de verser la TPS.

[13] Les appelants n'étaient au courant d'aucun problème jusqu'à la fermeture du O'Tooles.

[14] Dans la cotisation qu'il a établie à l'égard des appelants, le ministre se fondait sur la pièce R-1, section 7, comme preuve que les appelants étaient administrateurs de la 592416.

[15] La pièce R-1, section 7, se lit comme suit :

[TRADUCTION]

RÉSOLUTION DU CONSEIL D'ADMINISTRATION

DE LA

592416 ONTARIO INC.

___________________________________________

ATTENDU QUE les administrateurs reconnaissent que les dix-neuf mille deux cents (19 200) actions ordinaires du capital-actions de la société souscrites par Brian Schachter ont été souscrites en fiducie pour une société devant être constituée et que ladite société a été constituée le 24 août 1984, soit la COUNSELTRON INTERNATIONAL LTD.

TRANSFERT D'ACTIONS

IL EST RÉSOLU QUE le transfert suivant d'actions du capital-actions de la société sera effectué, soit un transfert qui est par les présentes approuvé :

CÉDANT

CESSIONNAIRE

Nbre ET CATÉGORIE D'ACTIONS

BRIAN SCHACHTER

COUNSELTRON INTERNATIONAL LTD.

19 200 actions ordinaires

La résolution susmentionnée est par les présentes adoptée par tous les administrateurs de la société conformément à la Business Corporations Act, 1982, comme en font foi les signatures respectives apposées aux présentes par lesdits administrateurs.

DATÉ le 13e jour de septembre 1984.

[signature]         [signature]

BRIAN SCHACHTER JEFFERY MILLER

[signature]         [signature]

RALPH CARSTENS MURRY SMITH

[signature]         [signature]

KEVIN ROSS BRUCE ROSS

[signature]         [signature]

GRAHAM FERGUSON GRACE FERGUSON

[16] Tous les appelants ainsi que Kevin Ross ont confirmé que c'était leurs signatures qui figuraient dans le document, mais aucun d'eux ne se souvenait du document ou ne se rappelait l'avoir signé. Ils ont témoigné que, fort probablement, l'avocat représentant la société leur avait dit de signer le document et ils l'avaient fait.

[17] Kevin Ross a également dit à la Cour qu'il avait fait des recherches avant le procès quant à savoir où était passé le registre des procès-verbaux de la société et que le propriétaire des locaux du restaurant l'avait informé que le registre avait probablement été jeté à l'époque où les locaux avaient été fermés.

[18] Les quatre appelants ont témoigné de façon semblable sur la question de savoir s'ils étaient administrateurs de la compagnie et sur la question de l'étendue de leur expérience commerciale. Ils ont tous témoigné qu'ils n'avaient aucune expérience ou formation commerciale ou juridique, qu'ils n'avaient aucune connaissance des questions de TPS, qu'ils n'avaient aucun rôle à cet égard, qu'ils n'étaient pas administrateurs de la 592416 et qu'ils n'avaient sciemment rien signé à titre d'administrateurs. Ils ont bel et bien admis les signatures qu'ils avaient apposées à la pièce R-1, section 7, mais ils ont témoigné que, malgré le fait qu'ils semblent avoir apposé leurs signatures respectives au document en tant qu'administrateurs, ils ne savaient pas ou ne croyaient pas qu'ils étaient administrateurs et, bien qu'ayant signé le document qui a été déposé sous la cote R-1, section 7, ils n'avaient jamais consenti à être administrateurs ou à agir comme administrateurs. Ils ont en outre témoigné qu'ils avaient découvert que le restaurant était en difficulté seulement lorsque l'un d'eux, soit Grace Ferguson, avait remarqué l'absence de véhicules dans le terrain de stationnement et avait vu un avis sur la porte du restaurant indiquant que celui-ci était fermé à cause de problèmes de permis de vente d'alcool.

[19] Tous les appelants ont dit que, tout au long de l'existence du O'Tooles, ils n'avaient pas reçu d'avis juridiques indépendants.

[20] Un des appelants, Brian Ross, avait bel et bien une plus grande connaissance de ce qui se passait au O'Tooles, car il était apparenté à Kevin Ross et recevait davantage d'informations. Il avait bel et bien participé à certaines des réunions des actionnaires-investisseurs.

[21] Brian Ross a dit qu'il se fiait entièrement à Kevin Ross et à l'aide-comptable qui avait été embauché, pour ce qui était des affaires du restaurant et de la gestion de celui-ci.

[22] Il a dit à la Cour qu'il ne se souvenait d'aucune réunion au cours de laquelle des discussions ou encore des états financiers ou autres documents auraient indiqué ou révélé que des taxes n'étaient pas payées.

[23] L'intimée a appelé deux témoins : l'avocat qui avait agi pour la 592416 aux fins de la constitution de celle-ci, soit un témoin dont la déposition a été limitée en raison du secret professionnel, et le fonctionnaire de Revenu Canada qui avait joué un rôle à l'égard des avis de cotisation et qui avait envoyé ceux-ci par la poste.

POINTS EN LITIGE

[24] La question principale est de savoir si les appelants sont tenus de payer la TPS non versée par la 592146 en vertu du paragraphe 323(1) de la Loi. À cet égard, trois questions secondaires doivent être tranchées, soit :

a) les appelants étaient-ils administrateurs de la 592146?

b) si les appelants étaient administrateurs de la 592146, la cotisation du ministre a-t-elle été établie plus de deux ans après que les appelants eurent cessé pour la dernière fois d'être administrateurs, de sorte qu'elle serait frappée de prescription en vertu du paragraphe 323(5) de la Loi?

c) si les appelants étaient administrateurs de la 592146, ont-ils agi avec autant de soin, de diligence et de compétence que l'exige le paragraphe 323(3) de la Loi?

THÈSE DES APPELANTS

[25] Les appelants soutenaient qu'ils étaient des investisseurs passifs dans la société et qu'ils n'avaient jamais été administrateurs de la société.

[26] Ils soutenaient en outre que l'intimée ne leur avait pas signifié d'avis de cotisation dans le délai prévu au paragraphe 323(5) de la Loi et que la cotisation établie par l'intimée à leur égard en vertu du paragraphe 323(1) est donc frappée de prescription.

[27] Subsidiairement, les appelants soutenaient que, s'il est conclu qu'ils étaient administrateurs et que les avis de cotisation ont été envoyés dans le délai susmentionné, ils ont agi avec autant de soin, de diligence et de compétence, pour prévenir le manquement, que l'exige le paragraphe 323(3) de la Loi.

THÈSE DE L'INTIMÉE

[28] Le ministre soutenait qu'il avait à bon droit établi une cotisation à l'égard des appelants en vertu de l'article 323 de la Loi pour le manquement de la société à l'obligation qu'elle avait de verser au receveur général une somme de 40 149,03 $ comme l'exigeait l'article 228 de la Loi et de payer les pénalités et intérêts y afférents. Le ministre faisait valoir que les appelants n'avaient pas agi avec autant de soin, de diligence et de compétence, pour prévenir le manquement de la société à l'obligation de verser le montant, que ne l'auraient fait des personnes raisonnablement prudentes dans les mêmes circonstances.

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

[29] Les dispositions de la Loi qui sont pertinentes aux fins de ces appels sont libellées comme suit :

228(1) La personne tenue de produire une déclaration en application de la présente section doit y calculer sa taxe nette pour la période de déclaration qui y est visée.

(2) La personne doit verser au receveur général [...] le montant positif de sa taxe nette pour la période de déclaration [...]

[...]

323(1) Les administrateurs de la personne morale au moment où elle était tenue de verser une taxe nette comme l'exige le paragraphe 228(2), sont, en cas de défaut par la personne morale, solidairement tenus, avec cette dernière, de payer cette taxe ainsi que les intérêts et pénalités y afférents.

(2) L'administrateur n'encourt de responsabilité selon le paragraphe (1) que si :

a) un certificat précisant la somme pour laquelle la personne morale est responsable a été enregistré à la Cour fédérale en application de l'article 316 et il y a eu défaut d'exécution totale ou partielle à l'égard de cette somme;

[...]

(3) L'administrateur n'encourt pas de responsabilité s'il a agi avec autant de soin, de diligence et de compétence pour prévenir le manquement visé au paragraphe (1) que ne l'aurait fait une personne raisonnablement prudente dans les mêmes circonstances.

(4) Le ministre peut établir une cotisation pour un montant payable par une personne aux termes du présent article. Les articles 296 à 311 s'appliquent, compte tenu des adaptations de circonstance, dès que le ministre envoie l'avis de cotisation applicable.

(5) L'établissement d'une telle cotisation pour un montant payable par un administrateur se prescrit par deux ans après qu'il a cessé pour la dernière fois d'être administrateur.

[...]

ANALYSE

LES APPELANTS ÉTAIENT-ILS ADMINISTRATEURS?

[30] Comme je l'ai dit, les appelants soutenaient qu'ils n'étaient pas administrateurs, qu'ils n'exerçaient aucun pouvoir ou contrôle sur les mesures prises par la société et qu'ils ne devraient donc pas être tenus pour responsables du manquement de la société à l'obligation de verser de la TPS.

[31] Il semble qu'il n'y ait aucune documentation d'enregistrée auprès de la province pour attester que le nombre de membres du conseil d'administration avait augmenté, passant d'une seule et unique personne, soit l'administrateur ayant constitué la société, au nombre de personnes mentionnées comme administrateurs dans la pièce R-1, section 7. Les appelants soutiennent que l'absence de documents enregistrés attestant la prétendue augmentation du nombre de membres du conseil d'administration, la Cour doit conclure que la composition du conseil d'administration était demeurée comme elle était au moment de la constitution de la société.

[32] Dans la cotisation qu'il a établie à l'égard des appelants, le ministre est toutefois parti de l'hypothèse que les appelants étaient administrateurs. Cette hypothèse se fondait entre autres sur la pièce R-1, section 7, dans laquelle les appelants ont, par leurs signatures, entériné le membre de phrase qui dit : « La résolution susmentionnée est par les présentes adoptée par tous les administrateurs de la société » .

[33] Il est bien établi que les hypothèses du ministre sont considérées comme véridiques, sauf preuve contraire. C'est aux appelants qu'incombe la charge de réfuter les hypothèses du ministre.

[34] Sauf Kevin Ross, les administrateurs allégués (pièce R-1, section 7) n'ont pas été appelés par les appelants pour témoigner sur l'organisation et la structure de la 592416. En l'absence d'une preuve documentaire ou d'une preuve verbale importante autre que l'explication relative au registre des procès-verbaux, il incombait aux appelants de présenter des éléments de preuve de fond établissant qu'ils n'étaient pas administrateurs. Les appelants auraient pu, par exemple, assigner à comparaître les autres administrateurs allégués, qui, d'après la preuve, étaient également dirigeants de la 592416 (président et secrétaire-trésorier), pour qu'ils témoignent sur ce qui s'était passé et sur la structure organisationnelle de la 592416.

[35] Je conclus que, dans l'ensemble, la preuve était insuffisante pour réfuter l'hypothèse selon laquelle les appelants étaient administrateurs.

LA COTISATION DU MINISTRE A-T-ELLE ÉTÉ ÉTABLIE DANS LE DÉLAI PRÉVU PAR LA LOI?

[36] Le paragraphe (5) de l'article 323 dispose que l'établissement d'une cotisation pour un montant payable par un administrateur se prescrit par deux ans après qu'il a cessé pour la dernière fois d'être administrateur. Les appelants ont soutenu que les cotisations n'avaient pas été établies et signifiées dans le délai prévu par la Loi sur la taxe d'accise (la « Loi » ). La preuve présentée par les appelants n'étaye toutefois pas cette affirmation. Les cotisations ont été reçues par les appelants, et la preuve confirme que les avis de cotisation ont été établis et envoyés par la poste dans les deux ans suivant la dissolution de la société.

LES APPELANTS ONT-ILS AGI AVEC

UNE DILIGENCE RAISONNABLE?

[37] Concernant le critère quant à savoir si un administrateur a fait preuve d'une diligence raisonnable de manière à ne pas encourir de responsabilité en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu[2], le passage suivant de Canadian Business Corporations, de Iacobucci, Pilkington et Prichard, Canada Law Book Limited, 1977, page 287, a été cité avec approbation dans un certain nombre de causes :

[TRADUCTION]

En common law, la norme de soin et d'habileté à laquelle doit satisfaire un administrateur est généralement exprimée comme une norme objective : l'administrateur doit exercer le degré raisonnable de soin et d'habileté que l'on pourrait s'attendre qu'une personne ordinaire aurait exercé dans les circonstances en son propre nom. Toutefois, comme le juge Romer le disait dans l'affaire Re City Equitable Fire Insurance Company262, soit un jugement faisant jurisprudence, la norme en common law est également en partie subjective : un administrateur n'a pas à faire preuve d'un degré d'habileté supérieur à ce que l'on pourrait raisonnablement s'attendre d'une personne ayant les mêmes connaissances et la même expérience.

En common law, le degré de soin et d'habileté exigé d'un administrateur varie selon le type et la taille de la compagnie que sert l'administrateur.

____________

262 [1925] ch. 407, à la p. 428, conf. par [1925] ch. 50 (C.A.).

[38] Cette norme objective-subjective a été confirmée dans la décision rendue par la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Soper v. The Queen, 97 DTC 5407, dans laquelle le juge Robertson disait, à la page 5416 :

La norme de prudence énoncée au paragraphe 227.1(3) de la Loi est fondamentalement souple. Au lieu de traiter les administrateurs comme un groupe homogène de professionnels dont la conduite est régie par une seule norme immuable, cette disposition comporte un élément subjectif qui tient compte des connaissances personnelles et de l'expérience de l'administrateur, ainsi que du contexte de la société visée, notamment son organisation, ses ressources, ses usages et sa conduite. Ainsi, on attend plus des personnes qui possèdent des compétences supérieures à la moyenne (p. ex. les gens d'affaires chevronnés).

La norme de prudence énoncée au paragraphe 227.1(3) de la Loi n'est donc pas purement objective. Elle n'est pas purement subjective non plus. Il ne suffit pas qu'un administrateur affirme qu'il a fait de son mieux, car il invoque ainsi la norme purement subjective. Il est également évident que l'intégrité ne suffit pas. Toutefois, la norme n'est pas une norme professionnelle. Ces situations ne sont pas régies non plus par la norme du droit de la négligence. La Loi contient plutôt des éléments objectifs, qui sont représentés par la notion de la personne raisonnable, et des éléments subjectifs, qui sont inhérents à des considérations individuelles comme la « compétence » et l'idée de « circonstances comparables » . Par conséquent, la norme peut à bon droit être qualifiée de norme « objective subjective » .

[39] Le principe selon lequel la norme de soin établie en matière de responsabilité d'administrateurs est fondamentalement souple a également été commenté dans l'affaire La Reine c. Gary J. Corsano, 29 mars 1999, numéro de greffe A-752-97 (C.A.F.), dans laquelle le juge Desjardins dit, au paragraphe 23 :

Il est vrai que notre Cour a déclaré dans Soper que « la norme de prudence énoncée au paragraphe 227.1(3) de la Loi est fondamentalement souple » 11. Il ressort toutefois clairement de la lecture de ce jugement que c'est l'application de la norme qui est souple, à cause des connaissances, des facteurs et des circonstances variés et différents qu'il faut apprécier pour déterminer si, dans une situation donnée, un administrateur s'est conformé à la norme de prudence prévue dans la Loi. Le paragraphe 227.1(3) n'établit qu'une seule norme applicable à tous les administrateurs, celle de savoir s'ils ont agi avec le degré de prudence, de diligence et d'habileté requis pour prévenir le manquement qu'une personne raisonnablement prudente aurait exercé dans des circonstances comparables.

______________

11 [1998] 1 C.F. 124, à la p. 155.

[40] Dans l'arrêt Soper, précité, le juge Robertson faisait ensuite une distinction entre ce qu'il appelait les administrateurs « internes » et les administrateurs « externes » : un administrateur interne est un administrateur qui s'occupe de la gestion quotidienne de la société et qui exerce une influence sur la conduite des affaires de la société, ce qui n'est pas le cas d'un administrateur externe. En ce qui a trait à l'analyse de la responsabilité potentielle d'administrateurs, il disait ce qui suit à la page 5417 :

Je tiens tout d'abord à souligner qu'en adoptant cette démarche analytique, je ne donne pas à entendre que la responsabilité est simplement fonction du fait qu'une personne est considérée comme un administrateur interne par opposition à un administrateur externe. Cette qualification constitue plutôt simplement le point de départ de mon analyse.

[41] Puis il poursuivait en disant à la page 5418 :

À mon avis, l'obligation expresse d'agir prend naissance lorsqu'un administrateur obtient des renseignements ou prend conscience de faits qui pourraient l'amener à conclure que les versements posent, ou pourraient vraisemblablement poser, un problème potentiel. En d'autres termes, il incombe vraiment à l'administrateur externe de prendre des mesures s'il sait, ou aurait dû savoir, que la société pourrait avoir un problème avec les versements. La situation typique dans laquelle un administrateur est, ou aurait dû être, au courant de cette éventualité est celle de la société qui a des difficultés financières.

[42] Dans plusieurs affaires dont notre cour a été saisie, il a été conclu que l'administrateur d'une société n'était pas responsable du défaut de versement d'impôt par la société lorsqu'il était dans l'incapacité de contrôler les mesures prises par la personne qui contrôlait la société.

[43] Dans l'affaire Cloutier et al. v. M.N.R., 93 DTC 544 (C.C.I.), soit une décision rendue en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu, le juge Bowman disait à la page 551 :

Cependant, si des administrateurs particuliers qui ne contrôlent ni la compagnie ni le conseil d'administration sont dans l'incapacité d'influer sur l'orientation prise par la compagnie, la loi n'exige pas qu'ils soient tenus responsables des obligations de la compagnie envers le fisc.

[44] Dans l'affaire Champeval et al. v. M.N.R., 90 DTC 1291 (C.C.I.)[3], le contrôle effectif de la société avait été pris par une banque et n'appartenait donc plus au conseil d'administration. Le juge en chef Couture disait ce qui suit à la page 1294 concernant la responsabilité de l'administrateur :

La responsabilité d'un administrateur d'une société établie par le paragraphe 227.1(1) n'est pas une responsabilité absolue. Elle est contingente, c'est-à-dire que l'administrateur en est dégagé lorsqu'il a agi avec le degré de soin, de diligence et d'habileté qu'une personne raisonnable aurait exercé dans des circonstances comparables. Pour pouvoir déterminer si un administrateur a exercé le degré de soin, de diligence ou d'habileté requis en vertu du paragraphe 227.3(3) il faut que cet administrateur ait eu le libre choix de pouvoir l'exercer. S'il n'avait pas ce libre choix de ses décisions à cause de facteurs complètement en dehors de son contrôle, il ne peut être sujet aux dispositions du paragraphe 227.1(1) parce que les dispositions du paragraphe (3) l'exonore (sic) de toute responsabilité personnelle puisque dans les circonstances une personne raisonnable n'aurait pu agir autrement.

[45] Sur la foi de la preuve, j'accepte le fait que le rôle des appelants dans la société était effectivement minime et que l'on ne s'attendait à rien des appelants. Leur participation financière comme actionnaires-investisseurs était limitée. Ils ne s'y connaissaient guère en gestion des affaires, voire pas du tout. La gestion de l'entreprise relevait de personnes d'expérience, et il y avait des spécialistes qui s'occupaient des affaires de l'entreprise.

[46] S'ils avaient voulu, les appelants auraient pu participer à des réunions d'actionnaires-investisseurs, mais, de façon générale, ils ne l'ont pas fait et n'étaient pas au courant des difficultés financières du O'Tooles. De plus, il a été mentionné qu'on ne discutait pas de problèmes financiers aux réunions.

[47] Pour l'essentiel, les appelants croyaient avoir été amenés à prendre part à l'investissement comme de petits actionnaires-investisseurs minoritaires.

[48] J'accepte également le témoignage des appelants selon lequel ces derniers n'ont rien fait — à part signer la pièce R-1, section 7 — qui indique à qui que ce soit qu'ils étaient administrateurs.

[49] Donc, je conclus que, bien que n'ayant pas délogé l'hypothèse du ministre selon laquelle ils étaient, du point de vue juridique, des administrateurs de la société, les appelants étaient, au mieux, des administrateurs externes passifs, non consentants, et n'estimaient pas avoir personnellement quelque devoir ou obligation. Un administrateur doit agir avec autant de soin, de diligence et de compétence pour prévenir le manquement que ne l'aurait fait une personne raisonnablement prudente dans les mêmes circonstances. Il s'ensuit toutefois que, pour agir de la sorte, les administrateurs devaient également croire ou comprendre qu'ils étaient administrateurs.

[50] Je conclus, en l'espèce, que les appelants, étant donné leur point de vue personnel selon lequel ils n'étaient pas administrateurs, n'exerçaient aucun pouvoir ou contrôle sur la conduite de la société et que, du point de vue de la société, on ne s'attendait pas qu'ils le fassent. De plus, il n'y a guère d'éléments de preuve autres que la pièce R-1, section 7, qui amènent à conclure que les appelants ont fait preuve d'un aveuglement délibéré quant à leur rôle ou quant à leurs devoirs ou obligations. Je conclus donc qu'ils ne peuvent être tenus responsables du manquement de la société à l'obligation de verser de la TPS.

[51] J'ajouterais que les administrateurs sont tenus de prendre des mesures concrètes que s'ils constatent qu'il peut y avoir un problème en matière de versements. Même si les appelants avaient bel et bien su qu'ils étaient administrateurs, ce qui n'est pas ma conclusion, c'est lorsqu'ils ont pour la première fois appris que l'entreprise avait des difficultés financières que se serait posée la question de leur devoir (voir l'arrêt Soper, précité). Je conclus que la direction de la société avait caché les difficultés financières de l'entreprise. Le témoignage des appelants, que j'accepte, est que ces derniers n'étaient absolument pas au courant que l'entreprise était en difficulté, jusqu'à ce que l'un d'eux remarque que le terrain de stationnement était vide et qu'un avis était affiché sur la porte. À ce stade, l'entreprise avait échoué. Les appelants, même s'ils étaient au courant de leurs responsabilités, étaient alors impuissants à influencer la conduite de la société.

DÉCISION

[52] Les appels sont accueillis et les cotisations sont renvoyées au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation compte tenu du fait que, dans ces circonstances particulières, les appelants répondent au critère du paragraphe 323(3) de la Loi.

Signé à Ottawa, Canada, ce 9e jour d'avril 1999.

« D. Hamlyn »

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 25e jour de janvier 2000.

Benoît Charron, réviseur



[1]           Pièce R-2.

[2]            Il est à noter que les dispositions qui portent sur la responsabilité des administrateurs et la diligence raisonnable en ce qui concerne ceux-ci et qui figurent dans la Loi sur la taxe d'accise sont l'équivalent de celles qui figurent dans la Loi de l'impôt sur le revenu, de sorte que des décisions en matière de diligence raisonnable rendues par la Cour en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu sont également applicables à des causes de responsabilité pour TPS impayée.

[3]           Dans le jugement The Queen v. Champeval et al., 99 DTC 5115, la section de première instance de la Cour fédérale a, lors d'un procès de novo, rejeté l'appel qui avait été interjeté à l'encontre de la décision de la Cour canadienne de l'impôt. Les faits soumis à la section de première instance de la Cour fédérale étaient les mêmes que ceux sur lesquels la Cour canadienne de l'impôt s'était prononcée.

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