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Date: 19990324

Dossier: 98-1822-GST-I

ENTRE :

SHARON WALDRON,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Sarchuk, C.C.I.

[1] Le 12 janvier 1998, l'appelante a demandé le remboursement d'un montant de 2 700,97 $ au titre de la taxe sur les produits et services (TPS) pour une habitation neuve. Le ministre du Revenu national (le ministre) a refusé le remboursement, ce qui a donné lieu à l'appel en l'instance. L'appelante était représentée par son mari, Michael Waldron.

[2] Au début du procès, les parties ont déposé auprès de la Cour l'exposé des faits admis suivants :

[TRADUCTION]

1. Sharon Waldron a acheté la maison et la propriété situées au 721, chemin Mill Nord, à Boissevain (Manitoba) en 1994;

2. Sharon Waldron est l'épouse de Michael Waldron et, pendant toutes les périodes pertinentes, c'est lui qui a eu personnellement connaissance de l'achat de la maison, des rénovations majeures qui y ont été effectuées et de la demande ultérieure de remboursement de la TPS;

3. Des rénovations mineures ont été apportées à la maison en 1995 suivies de rénovations majeures à l'été de 1995;

4. Michael et Sharon Waldron ( « les appelants » ) étaient également propriétaires du 529, rue Broadway, qui se trouvait aussi dans la ville de Boissevain (Manitoba), à la même époque où ils étaient propriétaires du 721, chemin Mill Nord. La maison située à cette dernière adresse n'était pas habitable et les appelants ont continué de résider dans la maison située au 529, rue Broadway, jusqu'à ce qu'elle soit vendue, la date de prise de possession étant le 2 septembre 1995;

5. En raison de la vente de la maison du 529, rue Broadway, les appelants se sont installés au 721, chemin Mill Nord, le 2 septembre 1995;

6. Certaines des rénovations majeures étaient terminées au moment où ils ont emménagé dans la maison. Il s'agissait notamment des rénovations suivantes :

a) la cuisine était en grande partie terminée;

b) les planchers avaient été sablés et finis;

c) les murs extérieurs avaient été éventrés et de l'isolant ainsi que de nouvelles cloisons sèches avaient été posés;

d) le système électrique et le système de plomberie avaient été remplacés;

7. Même si de nombreuses rénovations avaient été effectuées à la date de prise de possession, il restait encore des rénovations majeures à apporter :

a) le toit fuyait à de nombreux endroits de sorte qu'il fallait remplacer tous les bardeaux;

b) 33 fenêtres de la maison devaient être remplacées avant l'hiver;

c) au cours des deux années suivantes, les portes intérieures ont été installées ainsi que toutes les moulures;

d) les murs du sous-sol ont été montés et finis;

e) la galerie d'en avant était finie et elle n'a été réparée qu'à l'été de 1998;

f) le garage n'a toujours pas été reconstruit;

8. L'appelant a appris qu'il était possible d'obtenir un remboursement de la TPS pour les maisons existantes ayant fait l'objet de rénovations majeures, outre le remboursement pour la construction d'une maison neuve;

9. En janvier 1995, l'appelant a communiqué avec Linda Saunderson, une employée du ministère du Revenu s'occupant des questions de TPS à Brandon (Manitoba);

10. Linda Saunderson a conseillé à l'appelant d'attendre que toutes les rénovations soient terminées parce que le remboursement s'appliquait à tout, même à l'aménagement paysager;

11. Linda Saunderson a également avisé l'appelant qu'il avait deux ans à compter de la date à laquelle les travaux étaient achevés en grande partie pour demander le remboursement;

12. Le 24 avril 1996, Michael Waldron a de nouveau téléphoné à Linda Saunderson pour confirmer le délai accordé pour présenter la demande de remboursement. Il a alors été informé que le délai était de deux ans à compter de la date à laquelle les travaux sont achevés en grande partie;

13. L'appelant comptait attendre que la galerie d'en avant soit complètement réparée et le garage reconstruit pour présenter la demande de remboursement, mais, vers la fin de 1997, la décision a été prise de présenter la demande;

14. La demande de remboursement de 2 700,97 $ a été signée par l'appelante, Sharon Waldron, le 1er janvier 1998;

15. La demande a été rejetée au motif qu'elle n'avait pas été présentée dans les deux ans après le jour où l'appelante avait occupé pour la première fois la maison du 721, chemin Mill Nord;

16. Il est admis que Linda Saunderson a affirmé aux appelants à deux reprises que le délai pour présenter la demande de remboursement était de deux ans à compter de la date à laquelle les travaux sont achevés en grande partie; elle ne les a en aucun temps avisé que le délai était de deux ans suivant soit le jour où les travaux sont achevés en grande partie ou le jour où ils ont occupé pour la première fois la maison, la première de ces éventualités étant retenue.

[3] Les dispositions pertinentes de la Loi sur la taxe d'accise (la Loi) se trouvent au paragraphe 256(3). À l'époque où la demande a été présentée, il était libellé de la façon suivante :

256(3) Les remboursements prévus au présent article ne sont versés que si le particulier en fait la demande dans les deux ans suivant le premier en date des jours suivants :

a) le jour qui tombe deux ans après la jour où l'immeuble est occupé pour la première fois de la manière prévue au sous-alinéa (2)d)(i);

a.1) le jour du transfert de la propriété visé au sous-alinéa (2)d)(ii);

b) le jour où la construction ou les rénovations majeures de l'immeuble sont achevées en grande partie.

Toutefois, il convient de noter que l'article ci-dessus a été modifié par L.C. 1997, ch. 10, par. 66(3) et qu'il s'applique aux remboursements pour un immeuble d'habitation relativement auquel une demande est présentée au ministre le 23 avril 1996 ou après, sauf si :

a) l'immeuble a été occupé à titre résidentiel et d'hébergement après le début de sa construction ou des rénovations dont il fait l'objet et avant le 23 avril 1996;

b) la construction ou les rénovations majeures de l'immeuble étaient achevées en grande partie avant le 23 avril 1996;

c) le demandeur a transféré la propriété de l'immeuble avant le 23 avril 1996 à l'acquéreur d'une fourniture par vente de celui-ci.

Si l'une des trois exceptions décrites ci-dessus est valable, les anciennes dispositions s'appliquent alors. Elles sont ainsi libellées :

256(3) Le remboursement n'est versé que si le particulier en fait la demande dans les deux ans suivant le premier en date des jours suivants :

a) le jour où l'immeuble est occupé pour la première fois, ou le jour du transfert de la propriété, selon l'alinéa 2d);

b) le jour où la construction ou les rénovations majeures de l'immeuble sont achevées en grande partie.

Compte tenu des faits admis, les anciennes dispositions s'appliquent.

[4] Le ministre est d'avis qu'étant donné que la demande n'a pas été présentée dans la période prescrite aux termes du paragraphe 256(3) de la Loi, la demande de l'appelante a été rejetée comme il se devait. Plus particulièrement, il soutient que l'appelante n'est pas admissible au remboursement parce que la période de deux ans est expirée étant donné, comme il a été admis, qu'elle a emménagé dans la maison non complètement rénovée en septembre 1995.

[5] L'appelante est d'avis que le ministre est préclus de modifier sa position et qu'il est lié par la déclaration de faits d'une fonctionnaire de Revenu Canada. Cette déclaration est décrite au paragraphe 16 de l'exposé des faits admis qui est libellé comme suit :

[TRADUCTION]

16. [...]que Linda Saunderson a affirmé aux appelants à deux reprises que le délai pour présenter la demande de remboursement était de deux ans à compter de la date à laquelle les travaux sont achevés en grande partie; elle ne les a en aucun temps avisé que le délai était de deux ans suivant soit le jour où les travaux sont achevés en grande partie ou le jour où ils ont occupé pour la première fois la maison, la première de ces éventualités étant retenue.

[Les caractères gras sont de moi.]

[6] En ce qui concerne la question de la préclusion, la Cour suprême du Canada, dans l'arrêt Canadian Superior Oil Ltd. c. Paddon-Hughes Development Co. Ltd.[1], a adopté les principes de droit suivants :

[TRADUCTION]

Les facteurs essentiels pour fonder une fin de non-recevoir [ou préclusion] sont, je pense, les suivants :

(1) Une affirmation, ou une conduite y équivalant, qui a pour but d'inciter la personne à qui elle est faite à adopter une certaine ligne de conduite.

(2) Une action ou une omission résultant de l'affirmation, en paroles ou en actes, de la part de la personne à qui l'affirmation est faite.

(3) Un préjudice causé à cette personne en conséquence de cette action ou omission[2].

[7] La question de la préclusion a été examinée dans un certain nombre d'affaires et le principe qu'on peut généralement en dégager est qu'aucune déclaration portant sur une interprétation de la loi par un fonctionnaire ou un agent de l'État ne peut lier la Couronne pour le motif qu'a admirablement bien exposé le juge Bowman de la C.C.I. dans l'affaire Goldstein v. The Queen[3] :

On dit parfois que la préclusion n'est pas recevable contre la Couronne. Cette affirmation n'est pas exacte et semble provenir d'une mauvaise application du terme préclusion. Le principe de la préclusion lie la Couronne, tout comme d'autres principes de droit. La préclusion du fait du comportement, telle qu'elle s'applique à la Couronne, comprend des déclarations de faits de fonctionnaires de la Couronne sur lesquelles le sujet s'est fondé et en fonction desquelles il a agi, à son détriment. La doctrine n'a aucune application lorsqu'une interprétation particulière d'une loi a été communiquée à un sujet par un fonctionnaire de l'État, que le sujet s'est fondé sur cette interprétation à son détriment et que le gouvernement a ensuite retiré ou modifié l'interprétation. Dans un tel cas, un contribuable cherche parfois à invoquer la doctrine de la préclusion. Ce n'est pas approprié non pas parce que ces déclarations donnent lieu à une préclusion qui ne lie pas la Couronne, mais plutôt parce qu'aucune préclusion ne peut se poser lorsque de telles déclarations ne sont pas conformes au droit. Bien que la préclusion soit maintenant un principe de droit positif, elle prend son origine dans le droit de la preuve et, en tant que telle, se rapporte aux déclarations de faits. Elle n'a aucun rôle à jouer lorsque des questions d'interprétation du droit sont en cause, car la préclusion ne peut déroger au droit.

[8] Compte tenu de ce qui précède, il est évident que la préclusion peut s'appliquer si un fonctionnaire de l'État a fait une déclaration de faits sur laquelle l'appelante en l'espèce s'est fondée et en fonction de laquelle elle a agi, à son détriment[4]. La question à trancher en l'espèce est celle de savoir si les renseignements fournis par Mme Saunderson au mari de l'appelante constituaient une déclaration de faits ou de droit.

[9] La déclaration faite par la fonctionnaire de l'État, Linda Saunderson, portait sur le paragraphe 256(3) de la Loi,tel qu'il était alors libellé; elle n'était pas entièrement exacte, mais l'appelante s'est fondée sur cette déclaration, à son détriment. Plus particulièrement, la déclaration montre que la fonctionnaire n'a pas précisé qu'aux termes de la disposition législative la personne qui demande un remboursement doit présenter sa demande dans les deux années suivant soit la date à laquelle la résidence est occupée pour la première fois soit celle où la propriété est transférée, comme il est précisé au sous-alinéa 2d)(ii) de la Loi. Cela, à mon avis, entre dans la catégorie de l'interprétation du droit, et la question de la préclusion ne se pose donc pas.

[10] Je suis également contraint de faire remarquer que les parties ont convenu de faire valoir leur thèse sur la foi de faits admis. Malheureusement, cette morne récitation de faits ne fournit pas à la Cour le contexte dans lequel les déclarations ont été faites, ce qui aurait pu être utile. Je formule cette observation parce que, comme l'a fait observer le juge Bowman de la C.C.I. dans l'affaire Wong c. M.R.N.[5],les déclarations faites oralement par des fonctionnaires du ministère du Revenu ne sont pas fiables. Elles reposent souvent sur une communication insuffisante des faits ou une formulation imparfaite de la question.

[11] Étant donné que la demande de remboursement ne répond pas aux exigences de la loi, elle doit être rejetée. L'appel est rejeté.

Signé à Ottawa, Canada, ce 24e jour de mars 1999.

« A.A. Sarchuk »

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 12e jour de janvier 2000.

Mario Lagacé, réviseur



[1]           [1970] R.C.S 932.

[2]           Ces principes avaient initialement été formulés dans Greenwood v. Martins Bank, [1933] A.C. 51.

[3]           96 DTC 1029, à la page 1034.

[4]           Voir The Queen v. Langille, 77 DTC 5086.

[5]           [1996] A.C.I. 1237.

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