Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

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Date: 19990303

Dossier: 97-3241-IT-I

ENTRE :

LORNA WIGGAN,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

(Rendus oralement à l'audience à Toronto (Ontario), le 9 octobre 1998)

Le juge McArthur, C.C.I.

[1] L'intimée a refusé les pertes d'entreprise déclarées pour les années d'imposition 1993, 1994 et 1995 aux montants respectifs de 6 322 $, 5 684 $ et 4 317 $, principalement au motif que l'appelante n'avait pas d'attente raisonnable de profit. L'intimée a par la suite refusé une perte de location au montant de 1 084 $ déclarée pour 1995. L'appelante a interjeté appel pour tous ces montants.

[2] L'appelante est professeur de mathématique et travaille dans le milieu de l'éducation, principalement chez l'Ontario Board of Education, depuis plus de 35 ans. En 1979, elle a rédigé un manuel intitulé “ Math Base One ” destiné aux élèves lents adolescents. En 1989, elle a rédigé une deuxième édition de ce manuel dont les ventes ont connu un certain succès compte tenu du marché limité. L'appelante a également effectué d'autres activités connexes, dont de la recherche en vue d'un programme d'études et de la consultation en mathématique. Elle travaillait durant les fins de semaine et au cours des deux mois d'été et considérait ce travail comme faisant partie de ses activités d'affaires, indépendantes de son revenu d'emploi.

[3] Malgré un contre-interrogatoire soigné, il a été difficile de discerner précisément ce que l'appelante avait entrepris pour faire progresser son entreprise au cours des années en question. J'ai examiné les résultats d'exploitation joints à la déclaration de revenus de l'appelante pour chaque année en appel. Elle ne possédait pas de plan d'entreprise, quoiqu'il semble qu'elle en ait un maintenant pour les années 1998 et 1999. Elle ne possédait ni pièce justificative ni reçu, ni aucune preuve concrète appuyant la nécessité de dépenser plus de 3 000 $ pour des frais de véhicule ou 2 437 $ pour des congrès et des colloques au cours de l'année d'imposition 1993. En fait, elle ne se rappelait pas à quel congrès elle avait participé, mais a suggéré que cela aurait pu être aux États-Unis. Elle ne pouvait que deviner le montant des frais bancaires; de plus, aucune preuve n'a été présentée quant aux autres dépenses déclarées.

[4] La preuve de l'appelante était composée principalement de déclarations de nature générale. Voici un exemple de certaines de ses réponses aux questions posées au cours du contre-interrogatoire :

[TRADUCTION]

1. Au sujet des frais bancaires : “ Je suppose que les frais d'intérêt concernaient généralement des choses comme l'essence pour l'automobile et les achats par carte de crédit ”.

2. Au sujet des frais de véhicule : “ Voyager fait partie intégrante de mon entreprise et de mon travail. Je ne note pas le millage ”.

3. Au sujet des congrès et des colloques : “ Les congrès coûtent cher ”.

4. Au sujet de la dépréciation : “ Probablement mon ordinateur ”.

5. Au sujet du téléphone : “ Des appels interurbains ”.

Il suffit de dire qu'il a été difficile de mettre de l'ordre dans les dépenses. Les pertes de revenu de l'appelante pour les six années d'imposition antérieures sont les suivantes :

1987 : Revenu 958 $, perte 5 914 $;

1988 : Revenu 2 393 $, perte 6 202 $;

1989 : Revenu 1 104 $, perte 7 709 $;

1990 : Revenu 3 687 $, perte 5 073 $;

1991 : Revenu 3 544 $, perte 4 421 $;

1992 : Revenu 2 526 $, perte 4 838 $.

Quant aux années en question, les pertes étaient de :

1993 : Revenu 2 766 $, perte 6,322 $;

1994 : Revenu 216 $, perte 5 684 $;

1995 : Revenu 378 $, perte 4 317 $;

Il semble que le revenu professionnel moyen de l'appelante au cours des trois années en question était d'environ 60 000 $.

[5] L'intimée a conclu que l'appelante n'avait pas d'attente raisonnable de profit et a cité les critères mentionnés dans Moldowan v. The Queen[1]. Par la suite, l'intimée a précisé que les dépenses étaient des frais personnels ou de subsistance et qu'elles n'étaient pas raisonnables au sens de l'article 67 de la Loi de l'impôt sur le revenu.

[6] En dépit des aspects négatifs de cette cause et du manque de précisions, l'appelante était crédible. Elle doit être félicitée pour son travail académique dans le domaine de l'enseignement de la mathématique. Elle a rédigé deux manuels qui étaient prometteurs du point de vue financier. Elle s'est tenue à jour grâce à des colloques et des congrès, quoique les détails de ces derniers ne soient pas clairs. Elle a écrit plusieurs articles sur ce sujet, quoique, encore une fois, la preuve portant sur la commercialisation de ces derniers et sur leur nature était très générale. Son entreprise a souffert pendant la récession économique des années 90, mais génère en ce moment un modeste profit.

[7] J'en arrive à la conclusion de fait suivante : l'appelante a engagé des dépenses afin de tirer un profit de ses écrits et de ses recherches. Les livres et les autres matériels ne se sont pas produits tout seuls, et l'appelante a en fait eu des dépenses. Le problème consiste à établir lesquelles des dépenses étaient raisonnables en vertu de l'article 67 de la Loi. Je peux comprendre pourquoi Revenu Canada a adopté la position en cause. Or, j'ai eu l'avantage d'entendre la preuve de l'appelante durant plus de deux heures. Dans Tonn v. The Queen[2], le juge Linden a déclaré :

À mon avis, lorsque le ministère désire contester le caractère raisonnable des transactions d'un contribuable, il peut tout simplement, dans le plupart des cas, invoquer l'article 67, qui énonce qu'une dépense peut être déduite uniquement dans la mesure où elle est raisonnable dans les circonstances. Il n'est pas tenu d'appliquer le critère plus rigide de l'arrêt Moldowan. En fait, dans bien des cas, le recours à l'article 67 conviendra peut-être mieux. C'est ce qu'a fait remarquer le juge Bowman, de la Cour canadienne de l'impôt, à plusieurs reprises.

Dans Cipollone v. The Queen[3], le juge Bowman avait déclaré que :

[...] Le problème réside non pas dans l'absence d'expectative raisonnable de profit, [...] mais plutôt dans la tentative de déduire des dépenses déraisonnables [...]

Le juge Linden a poursuivi :

La façon dont le juge Bowman a examiné le problème dans cette décision semble très logique et pourrait être appliquée à l'avenir dans des litiges semblables à cette affaire.

Je crois que cette approche devrait être suivie en l'espèce. L'appelante avait une attente raisonnable de profit, mais elle a tenté de déduire des dépenses déraisonnables.

[8] Étant donné la généralité de la preuve, le problème consiste à établir quelles dépenses doivent être refusées, puisqu'il n'y a ni reçu, ni pièce justificative, ni livre, ni journal. Les dépenses suivantes déclarées à titre de frais bancaires (intérêts) et de frais de véhicule ne sont pas admises pour chacune des trois années :

1993 : 3 603 $;

1994 : 3 693 $;

1995 : 1 531 $;

Les autres dépenses sont admises.

[9] En conclusion, en ce qui concerne les pertes d'entreprise, l'appelante a le droit de déduire les dépenses suivantes :

1993 : Déclarées 6 322 $; admises 2 719 $;

1994 : Déclarées 5 684 $; admises 1 999 $;

1995 : Déclarées 4 317 $; admises 2 786 $;

[10] Quant au bien locatif, en 1972, l'appelante a acheté un condominium auquel elle fait référence sous le nom de “ la rue Scarlet ”. En 1995, elle a acheté une maison de ville, connue sous le nom de “la rue Dixon ”, pour laquelle elle a déboursé 230 000 $. Pour ce faire, en juin 1995, elle a obtenu une première hypothèque au montant d'environ 86 000 $ en donnant en garantie la rue Scarlet qui, avant cette transaction, n'était pas hypothéquée. Elle a ensuite réuni environ 116 000 $ en capital pour la rue Dixon. Elle a quitté la rue Scarlet pour emménager sur la rue Dixon et a commencé à louer la rue Scarlet à 1 100 $ par mois pour un bail de deux ans. Elle déclare une perte de location de 1 084 $ provenant d'une déclaration qui comprenait 2 856 $ d'intérêts sur l'hypothèque de 86 000 $ sur la rue Scarlet.

[11] Je n'éprouve aucune difficulté à conclure que l'appelante avait une attente raisonnable de profit en louant la rue Scarlet. Cependant, les intérêts payés sur la première hypothèque de 86 000 $ ne servaient pas à gagner un revenu, mais à acheter la rue Dixon, qui est son lieu principal de résidence. Les autres dépenses sont déductibles, à l'exception des frais juridiques déboursés pour l'hypothèque de la rue Scarlet. En conclusion, la perte de location pour la rue Scarlet est refusée. Les pertes d'entreprise déclarées pour 1993, 1994 et 1995 sont admises en partie, tel que je l'ai indiqué ci-dessus, et la perte de location pour la rue Scarlet est refusée.

Signé à Ottawa, Canada, ce 3e jour de mars 1999.

“ C.H. McArthur ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 4e jour d’octobre 1999.

Stephen Balogh, réviseur



[1]     77 DTC 5213 (C.S.C.).

[2]     96 DTC 6001 à 6009.

[3]     [1995] 1 C.T.C. 2598.

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