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Date: 19981127

Dossier: 97-3415-IT-I

ENTRE :

MARK CROWSHAW,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge suppléant Somers, C.C.I.

[1] Il s'agit d'un appel interjeté sous le régime de la procédure informelle pour les années d'imposition 1994 et 1995. La question est de savoir si les dépenses déduites sont des dépenses que l'appelant avait engagées et, dans l'affirmative, s'il les avait engagées en vue de tirer un revenu d'une entreprise ou d'un bien.

[2] En établissant la nouvelle cotisation à l'égard de l'appelant, le ministre du Revenu national (le « ministre » ) s'est fondé sur les hypothèses de fait suivantes, qui ont été admises ou niées par l'appelant ou qu'il a dit ignorer :

[TRADUCTION]

a) tous les faits ci-dessus énoncés et admis;

b) durant toute la période pertinente, l'appelant était un employé à temps plein de Bell Canada; (admis)

c) pour les années d'imposition 1994 et 1995, l'appelant a déclaré des recettes de vente et des dépenses résultant de la prétendue entreprise d'illustration technique et d'art et de design publicitaires (l' « entreprise » ), comme l'indiquent la pièce « A » et la pièce « B » ci-jointes; (ignoré)

d) pour les années d'imposition 1994 et 1995, l'appelant n'a pas tenu de registres appropriés concernant l'entreprise et n'a pas fourni de preuve de la plupart des dépenses qu'il avait déduites et qui figurent dans la pièce « A » et la pièce « B » ci-jointes; (ignoré)

e) pour les années d'imposition 1994 et 1994 [sic], l'appelant n'a déclaré à l'égard de l'entreprise que des ventes minimes, de 645 $ et de 694 $ respectivement, faites à des clients non identifiés; (nié)

f) les dépenses déduites par l'appelant pour l'année d'imposition 1995 incluaient le coût d'un téléphone cellulaire, de matériel vidéo, d'articles de réparation pour la maison et d'autres articles de maison, de repas pour lui-même, de stationnement pour lui-même et d'autres articles personnels, pour un montant total de 1 552 $, comme l'indique la pièce « B » ci-jointe; (admis)

g) les dépenses déduites ne sont pas des dépenses que l'appelant a effectuées ou engagées ou, s'il les a effectuées ou engagées, il ne l'a pas fait en vue de gagner un revenu; (nié)

h) l'appelant n'avait pas d'attente raisonnable de profit à l'égard de l'entreprise durant les années d'imposition 1994 et 1995; (nié)

i) les dépenses déduites à l'égard de l'entreprise étaient des frais personnels ou de subsistance de l'appelant. » (nié)

[3] L'appelant, qui était un employé à temps plein de Bell Canada durant les périodes en question, avait décidé d'exploiter une entreprise d'illustration technique et d'art et de design publicitaires. Il avait suivi des cours en vue de se préparer pour ce type d'entreprise.

[4] Dans la création de son entreprise, il avait consulté un comptable, qui avait enregistré son entreprise. D'après l'appelant, il entendait se lancer dans une entreprise commerciale; il ne s'agissait pas de s'adonner à un passe-temps. À la fin de l'année, il avait donné les reçus au comptable pour prouver les dépenses.

[5] L'appelant n'avait pas de plan en ce qui concerne la rentabilité de l'entreprise. Il n'y avait aucune projection quant aux dépenses devant être engagées dans chaque année. L'appelant a dit qu'il était satisfait de gagner 500 $ par année pour peu qu'il puisse s'assurer d'une certaine crédibilité auprès du public. S'il réussissait, il était prêt à quitter son emploi chez Bell Canada — lequel lui rapportait 26 000 $ à 27 000 $ par année — pour se consacrer entièrement à son entreprise.

[6] Comme l'indique la pièce A jointe à la réponse à l'avis d'appel, l'appelant avait indiqué un profit brut de 453,91 $ et des dépenses totalisant 2 542,06 $, soit une perte nette de 2 088,15 $, pour l'année d'imposition 1994. Il n'a fourni aucun reçu, journal ou relevé bancaire pour confirmer le montant des ventes; il a seulement fourni deux copies de reçus de ventes pour prouver les ventes. Aucun reçu n'a été présenté à l'appui des dépenses. L'appelant avait indiqué 2 000 $ au titre de salaires. Il n'y avait pas de preuve de paiement ou reçu approprié, et les dépenses ne correspondent à aucun reçu de vente.

[7] Comme l'indique la pièce B jointe à la réponse à l'avis d'appel, l'appelant avait indiqué pour l'année d'imposition 1995 un profit brut de 375,18 $ et des dépenses de 3 167,39 $, pour une perte nette de 2 792,21 $. Le genre de dépenses pour l'année d'imposition 1995 était différent du genre de dépenses pour 1994. En effet, l'appelant n'avait pas indiqué de frais salariaux pour 1995, et ses frais d'automobile s'élevaient à 1 594,53 $.

[8] Il n'a pas fourni pour l'année d'imposition 1995 non plus de reçu, de journal ou de relevé bancaire pour confirmer le montant des ventes. Seulement quatre copies de reçus de ventes, établis à intervalles irréguliers, ont été fournies à l'appui du montant des ventes. Les dépenses incluaient des achats de matériel vidéo, d'articles de réparation pour la maison et d'autres articles de maison, des frais de repas personnels pour l'appelant, du stationnement personnel pour l'appelant et un téléphone cellulaire.

[9] L'appelant a tenté d'expliquer certaines dépenses, bien qu'elles n'aient pas été inscrites dans un grand livre. La seule preuve que les dépenses ont été faites est qu'il s'en souvenait. Pour l'année d'imposition 1994, l'appelant avait déclaré des ventes de 645,02 $, alors que les pièces justificatives indiquaient 650 $. Pour 1995, il avait déclaré des ventes de 694,13 $, alors que les pièces justificatives indiquaient 615 $. En 1994, il avait réalisé deux ventes, dont le produit avait été de 650 $. Il a donné le nom des clients et a expliqué la nature du travail accompli. À une autre occasion, il avait eu du travail à faire pour une certaine Mlle Pollard qui habitait à Scarborough, et cela lui avait rapporté 250 $; cependant, il avait dû payer certains frais et il a dit avoir tiré un bénéfice de 50 $ de ce travail.

[10] L'agent des appels de Revenu Canada a dit que certains reçus avaient été fournis par l'appelant; toutefois, il n'y avait aucune pièce justificative pour la plupart des dépenses indiquées. Certaines des dépenses étaient personnelles; il y avait des reçus pour des repas, dont le montant ne dépassait pas 80 $, et ces montants avaient amené l'agent des appels à conclure que ces dépenses n'étaient pas liées à l'entreprise. En dernière analyse, l'agent des appels a conclu que les pertes avaient été refusées parce que l'appelant n'exploitait pas une entreprise viable; en fait, l'appelant a discontinué l'exploitation de son entreprise en 1995.

[11] Dans la nouvelle cotisation qu'il a établie à l'égard de l'appelant, le ministre s'est fondé sur les articles 3, 9 et 67, le paragraphe 248(1) et les alinéas 18(1)a) et 18(1)h) de la Loi de l'impôt sur le revenu, qui se lisent comme suit :

ARTICLE 18 : Exceptions d'ordre général.

(1) Dans le calcul du revenu du contribuable tiré d'une entreprise ou d'un bien, les éléments suivants ne sont pas déductibles :

a) Restriction générale — les dépenses, sauf dans la mesure où elles ont été engagées ou effectuées par le contribuable en vue de tirer un revenu de l'entreprise ou du bien;

[...]

h) Frais personnels ou de subsistance — le montant des frais personnels ou de subsistance du contribuable — à l'exception des frais de déplacement engagés par celui-ci dans le cadre de l'exploitation de son entreprise pendant qu'il était absent de chez lui;

[...]

ARTICLE 67 : Restriction générale relative aux dépenses.

Dans le calcul du revenu, aucune déduction ne peut être faite relativement à une dépense à l'égard de laquelle une somme est déductible par ailleurs en vertu de la présente loi, sauf dans la mesure où cette dépense était raisonnable dans les circonstances.

[12] La première question à traiter est celle de savoir si, aux fins de l'alinéa 18(1)a) de la Loi de l'impôt sur le revenu, l'entreprise pouvait être exploitée avec une attente raisonnable de profit.

[13] Dans l'arrêt Tonn v. R., 96 DTC 6001, le juge Linden de la Cour d'appel fédérale disait ce qui suit :

Je suis maintenant prêt à trancher le litige. Au fil des années, plusieurs facteurs servant à prouver qu'une activité est objectivement raisonnable ont été proposés. Dans l'arrêt Moldowan, ces facteurs ont été énumérés comme suit :

On doit alors tenir compte des critères suivants : l'état des profits et pertes pour les années antérieures, la formation du contribuable et la voie sur laquelle il entend s'engager, la capacité de l'entreprise, en termes de capital, de réaliser un profit après déduction de l'allocation à l'égard du coût en capital. Cette liste n'est évidemment pas exhaustive.

Une autre liste de facteurs a été proposée dans l'arrêt Sipley c. R. :

Le critère objectif comporte un examen de l'état des profits et pertes pour les années antérieures, un examen du plan opérationnel et des circonstances qui ont donné lieu à sa mise en oeuvre, y compris de la voie sur laquelle le contribuable entend s'engager. Le critère comporte également un examen du temps consacré à l'activité, ainsi que des antécédents, de la formation et de l'expérience du contribuable.

Enfin, dans Landry c. R., l'examen des facteurs suivants est proposé :

Outre les critères énumérés par le juge Dickson, ceux dont la jurisprudence a tenu compte, à ce jour, pour déterminer s'il y avait espoir raisonnable de profit, comprennent les suivants : le temps requis pour rentabiliser une activité de ce genre, la présence des ingrédients nécessaires à la réalisation éventuelle de profits, l'état des profits et pertes pour les années postérieures aux années en litige, le nombre d'années consécutives pendant lesquelles des pertes ont été enregistrées, l'accroissement des dépenses et la diminution des revenus au cours des périodes pertinentes, la persistance des facteurs qui causent les pertes, l'absence de planification, et le défaut d'ajustement. [...]

[14] Dans l'appel interjeté devant notre cour, l'appelant n'avait dès le départ aucun plan général lui permettant d'établir une attente raisonnable de profit pour l'avenir. Il avait un emploi à temps plein, de sorte que le temps consacré à l'entreprise était plutôt limité. Il était incapable de déterminer les coûts relatifs à chaque vente qu'il avait faite. Dans le cas d'un travail en particulier, il avait réalisé un bénéfice d'environ 50 $. Bien que l'appelant ait eu une certaine formation technique, cela n'était pas en soi suffisant pour qu'il puisse se lancer dans une telle entreprise commerciale sans déterminer s'il pouvait raisonnablement s'attendre à réussir. Il a admis que, au début, il ne connaissait pas le montant des dépenses à effectuer.

[15] Il ressort des pièces et de la réponse à l'avis d'appel que la nature des dépenses différait d'une année à l'autre. Ainsi, pour 1994, l'appelant avait indiqué des frais de publicité et de promotion, des frais d'intérêt exigés par la banque et en particulier des frais salariaux de 2 000 $, et pour 1995, des frais d'automobile, des frais de bureau (téléphone cellulaire), des frais de repas et des frais de représentation ainsi que des frais de déplacement. La prévision des dépenses représente un élément essentiel pour déterminer s'il y avait une attente raisonnable de profit. L'appelant n'a donné aucune indication que la création d'une telle entreprise répondait à un besoin. Ses intentions peuvent avoir été sincères, mais il lui aurait fallu une certaine assurance quant au fait qu'il pourrait réussir. Les recettes générées durant les deux années en question ont été très minimes. L'appelant s'est rendu compte que ses rêves étaient irréalistes puisqu'il a discontinué l'exploitation de son entreprise en 1995.

[16] Aux termes de l'alinéa 18(1)h) de la Loi de l'impôt sur le revenu, l'appelant ne peut déduire ses frais personnels et de subsistance. Il a admis que, pour l'année d'imposition 1995, il avait déduit des dépenses faites pour un téléphone cellulaire, du matériel vidéo, des articles de réparation pour la maison et d'autres articles de maison, des repas pour lui-même et d'autres articles personnels, pour un montant total de 1 552 $. Il utilisait sa voiture aux fins de l'entreprise et à des fins personnelles. L'appelant a prétendu avoir parcouru 6 500 kilomètres au cours de l'année d'imposition pour gagner un revenu, mais il a été plutôt vague quant à savoir comment il pouvait justifier une aussi grande distance parcourue, vu les recettes minimes qui ont été générées.

[17] Comme l'indique l'article 67 de la Loi de l'impôt sur le revenu, le droit d'un contribuable de déduire des dépenses engagées dans l'exploitation de son entreprise est limité. Dans l'arrêt Mohammad v. R., [1997] 3 C.T.C. 321, le juge Robertson de la Cour d'appel fédérale disait :

[...] Cette partie de mon analyse commence en citant l'article 67 de la Loi :

Dans le calcul du revenu, aucune déduction ne peut être faite relativement à une dépense à l'égard de laquelle une somme est déductible par ailleurs en vertu de la présente loi, sauf dans la mesure où cette dépense était raisonnable dans les circonstances.

Il est important de reconnaître que l'article 67 ne traite pas de la question de la déductibilité en soi, mais plutôt du caractère raisonnable d'une dépense qui est déductible par ailleurs en vertu d'autres dispositions de la Loi. Cette disposition a pour effet de restreindre le champ de déductibilité d'une dépense, en la limitant à un montant qui est « raisonnable dans les circonstances » [...]

[18] Dans la même décision, le juge Robertson a ajouté ce qui suit :

Je concède qu'il y aura des cas où l'élément objectif sera difficile à isoler et, par conséquent, où l'expérience pratique doublée d'un bon sens commun devra prévaloir. Cela est vrai des dépenses réputées déraisonnables parce que l'on croit qu'elles sont excessives ou extravagantes [...]

[19] La question des proportions est un facteur à prendre en compte dans l'évaluation du caractère raisonnable. Les pertes nettes pour les années d'imposition 1994 et 1995 ont été de 2 088,15 $ et de 2 792,21 $ respectivement, et les ventes pour ces deux années-là ont été de 645,02 $ et de 694,13 $. Ces montants doivent toutefois être considérés à la lumière du fait que l'appelant n'a pas établi au début de l'exploitation de son entreprise qu'il y avait une attente raisonnable de profit. Dans son témoignage, il avait du mal à expliquer les dépenses en question et a admis qu'il ne pouvait établir les coûts relatifs à chaque travail.

[20] Compte tenu de l'ensemble de la preuve et des divers aspects de l'exploitation de l'entreprise, l'appelant n'a pas établi qu'il avait une entreprise commerciale viable.

[21] L'appel est rejeté.

Signé à Ottawa, Canada, ce 27e jour de novembre 1998.

« J. F. Somers »

J.S.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 30e jour de juin 1999.

Erich Klein, réviseur

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