Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date: 19981022

Dossier: 97-2451-IT-I

ENTRE :

LUCIEN LEBEL,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Tardif, C.C.I.

[1] Il s'agit d'un appel pour les années d'imposition 1993 et 1994. Les cotisations à l'origine du présent appel ont été justifiées par les allégués suivants :

10. Pour établir ces nouvelles cotisations datées du 15 janvier 1997, le Ministre a tenu notamment pour acquis les faits suivants :

a) suite à un examen de registres spécifiquement liés à la vente de crabe au quai de Port-Cartier, le Ministre décela la quote-part de ventes non déclarées de l'appelant totalisant une somme de 3 041 $ à l'égard de l'année d'imposition 1993;

b) à l'égard de la vente de hareng, le vérificateur a retrouvé des factures de ventes de l'appelant à la « Poissonnerie du Havre inc. » et à la « Poissonnerie Jean-Guy Laprise inc. » quant à l'année d'imposition 1994;

i) « Poissonnerie du Havre inc. » 4 135 $

ii) « Poissonnerie Jean-Guy Laprise » 1 714 $;

c) en omettant de déclarer les revenus mentionnés à l'alinéa précédent, l'appelant a fait sciemment, ou dans des circonstances qui justifient l'imputation d'une faute lourde, un faux énoncé ou une omission dans les déclarations de revenus produites pour les années d'imposition 1993 et 1994, ou a participé, consenti ou acquiescé à ce faux énoncé ou cette omission, d'où il résulte que l'impôt qu'il aurait été tenu de payer d'après les renseignements fournis dans les déclarations de revenus déposées pour ces années-là était inférieur au montant d'impôt à payer pour ces années là;

d) pour l'année d'imposition 1994, l'appelant a réclamé au titre « Entretien et réparations » une somme de 11 272 $ à l'égard de deux de ses résidences, le vérificateur du Ministre en se fondant sur les années d'imposition 1992 et 1993 refusa 90 % de ladite somme (10 146 $) comme dépenses d'entreprise;

e) l'appelant déclara une somme de 6 772 $ au titre de frais de véhicules pour l'année d'imposition 1994, mais n'a réclamé qu'une somme de 5 079 $, soit 75 % de la dépense totale, le vérificateur du Ministre, convaincu que la situation demeura inchangée par rapport aux années d'imposition 1992 et 1993, n'accorda que 50 % de la dépense totale (3 386 $);

f) la dépense pour amortissement à l'égard des véhicules passa de 1 125 $ à 750 $ pour l'année d'imposition 1994 en se fondant sur les explications touchant les dépenses de véhicules de l'alinéa précédent;

g) l'appelant réclama une somme de 30 000 $ payable à son épouse, au titre de frais de gestion pour l'année d'imposition 1994, le vérificateur du Ministre refusa la dépense pour les motifs suivants :

i) l'épouse de l'appelante n'a aucun autre client et ne possède pas d'expérience et formation en comptabilité,

ii) l'épouse de l'appelant ne pouvait énumérer le travail qu'elle avait prétendument effectué,

iii) les sociétés, acheteuses du produit de la pêche de l'appelant, établissent les rapports de débarquement, préparent les paies et déduisent la D.A.S.,

iv) le lien de dépendance avec l'appelant,

v) la période de travail annuel de l'appelant s'échelonne du 1er avril au 30 septembre.

vi) l'épouse de l'appelant ne travaillait qu'une heure par jour aux affaires de son mari.

[2] Au soutien de l'appel, l'appelant et son comptable, M. Mario Rail, ont témoigné. Il ressort de ces deux témoignages que l'appelant s'en était complètement remis aux conseils de son comptable quant à la façon de faire ses déclarations de revenus et ce, plus spécifiquement, quant aux dépenses d'opération admissibles.

[3] La preuve de l'appelant a démontré que certains revenus n'avaient pas été déclarés; il s'agissait d'un montant de 3 041 $ pour l'année d'imposition 1993 et de 5 849 $ pour l'année d'imposition 1994.

[4] La preuve a aussi établi que l'appelant était propriétaire de trois immeubles.

[5] L'appelant a soutenu que les trois immeubles dont il était propriétaire étaient utilisés pour ses opérations de pêche. Lorsqu'il a dû expliquer en quoi, comment et dans quelle proportion les immeubles en question avaient contribué aux revenus de son exploitation de pêche, cette contribution des immeubles n'a pas fait l'objet d'une preuve très convaincante. L'appelant a même indiqué que l'emplacement des Îles de Mai était lourd à supporter financièrement, difficile d'accès et peu pratique.

[6] Il est manifeste que cet emplacement a pu être, à une certaine époque, associé aux activités commerciales de la pêche. Cette résidence secondaire des Îles de Mai était sans doute un bien important du patrimoine familial en ce qu'elle représentait la continuité familiale au niveau des opérations de pêche. Par contre, au moment des années en litige, elle n'avait carrément pas l'importance réclamée dans et pour les opérations de pêche pour les années 1993 et 1994.

[7] La très faible contribution de cette résidence a d'ailleurs des conséquences et effets directs sur la pertinence du montant réclamé pour ce qui est des dépenses inhérentes à l'utilisation d'un camion 4 x 4. En effet, l'appelant a indiqué que l'utilisation d'un tel camion était principalement nécessaire pour se rendre à cette résidence. En outre, l'appelant a reconnu qu'il s'agissait là de son moyen de transport pour fins personnelles.

[8] Finalement, l'appelant et son comptable ont témoigné à l'effet que les honoraires au montant de 30 000 $ payés à madame Françoise Lebel, son épouse, étaient justifiés, réalistes et raisonnables.

[9] L'appelant a indiqué que son épouse avait toujours été étroitement associée aux opérations de pêche; elle n'avait jamais rien reçu contrairement à beaucoup de conjointes de pêcheurs qui touchaient un salaire bonifié par des prestations d'assurance-chômage entre les saisons de pêche.

[10] En 1994, les revenus ont fait un bond substantiel à cause du prix intéressant payé pour le crabe. De ce fait, le comptable a sans doute suggéré de verser un salaire à Madame.

[11] Sur les conseils de son comptable, il a alors décidé de payer des honoraires au montant de 30 000 $ à son épouse qui, pour assurer une certaine cohérence, a formé une société de gestion fixant la fin de son année financière au 30 mai de chaque année.

[12] Une telle planification permettait évidemment à l'appelant de réduire ses revenus pour un montant équivalent; d'autre part, le revenu devenait alors imposable entre les mains de madame l'année suivante, puisque l'année fiscale de l'appelant correspondait à l'année civile.

[13] L'épouse de l'appelant a brièvement témoigné à la demande de l'intimée; elle a reconnu avoir toujours été directement et activement associée aux opérations de pêche. Elle a, de plus, admis honnêtement, qu'en 1994, elle avait, dans les faits, exécuté sensiblement le même travail qu'au cours des années antérieures sans pour autant recevoir de rémunérations. Elle aurait pu prétendre que l'augmentation des revenus avait généré un surplus de travail considérable; mais non, elle a témoigné d'une façon très franche, ce qui l'honore.

[14] L'intimée a fait entendre M. Réjean Guay, responsable de la vérification de laquelle a résulté la cotisation; ce dernier a expliqué le cheminement suivi et donné les raisons qui l'avaient incité à recommander l'imposition de pénalités. Lors d'une très courte entrevue, il a directement et expressément demandé à l'appelant s'il avait déclaré la totalité de ses revenus ou s'il avait caché certaines ventes de poissons à d'autres personnes que l'usine. Ayant répondu par la négative, le vérificateur a conclu, dès lors, qu'il s'agissait d'une faute lourde permettant de soutenir que des revenus avaient été sciemment cachés et que de ce fait, il y avait lieu d'imposer des pénalités.

[15] Pour excuser la faute, le comptable a pris sur ses épaules une partie de la responsabilité; étonnamment, le comptable a soutenu énergiquement que les dons de poissons subséquemment vendus par les donataires étaient un revenu qui leur était imputable et non entre les mains de l'appelant donateur du poisson.

[16] L'ensemble de la preuve, les explications de l'appelant et les circonstances relatives à ces paiements ne permettent pas de conclure que l'appelant a volontairement, sciemment caché en 1993 et 1994 les revenus non déclarés.

[17] L'appelant complétait un registre porté à l'attention de son comptable à la suite des vérifications. Ce registre consignait les quantités de poissons partagés entre les pêcheurs de son bateau. L'appelant a expliqué qu'une telle comptabilité était nécessaire pour assurer l'équité dans le partage; en effet un des bénéficiaires du partage avait droit à une commission de 10 %, laquelle ne pouvait lui être totalement remboursée au moyen de poissons. Il ne s'agissait pas de quantités importantes et significatives.

[18] Le procureur de l'intimée a affirmé qu'il s'agissait là probablement de la pointe d'un iceberg. Si tel était le cas, le ministère n'a pas beaucoup investi pour sa mise à jour : une entrevue d'à peine une demi-heure, une visite incertaine et une découverte par hasard par un autre vérificateur, sur des microfilms.

Analyse

[19] Le montant de 30 000 $ versé à titre d'honoraires à l'épouse de l'appelant m'apparaît largement exagéré et absolument pas raisonnable; je suis, par contre, d'avis que les explications soumises justifiaient le paiement d'honoraires raisonnables que je détermine à 15 000 $.

[20] Quant au cheminement suivi par l'intimée quant à l'imputation des dépenses refusées tant au niveau des immeubles qu'au niveau du camion, je suis d'opinion que le Ministère a correctement calculé le tout. La preuve disponible, émanant essentiellement des explications fournies par l'appelant, est à l'effet que son comptable a nettement surévalué l'utilisation des résidences pour la bonne marche des activités de pêche. Il en fut ainsi au niveau du camion.

[21] D'ailleurs ce constat découle de l'appréciation même de l'appelant que l'emplacement aux Îles de Mai n'était pas stratégique; bien au contraire, il a affirmé conserver, à grand frais, cette résidence par respect pour la mémoire de son père et de ses ancêtres. Cela est certes louable mais n'en fait pas pour autant un bien requis, dans la proportion réclamée pour les opérations de pêche.

[22] Les pourcentages et montants attribués par l'intimée tant au niveau des immeubles que pour l'utilisation du camion sont raisonnables et ne justifient en rien l'intervention du Tribunal.

[23] Pour ce qui est des pénalités imposées, je ne crois pas que l'intimée ait relevé le fardeau de la preuve qui lui incombait; en effet la preuve a démontré qu'il s'agissait de montants relativement peu importants et surtout que l'appelant avait la conviction qu'il ne s'agissait pas de revenus lui étant imputables. Cela est d'autant plus vraisemblable que même la personne responsable de ses déclarations pour les années en cause le croyait mordicus. Finalement, je ne crois pas pouvoir ou devoir écarter le contenu ou même une portion de la preuve soumise par l'appelant. L'appelant, son comptable et son épouse ont témoigné franchement et d'une façon vraisemblable.

[24] Pour ces motifs, l'appel est accueilli, en partie, en ce que les pénalités imposées sont annulées pour les années 1993 et 1994 et le montant d'honoraires versés à l'épouse réduit à 15 000 $. Pour ce qui est des autres rubriques, l'appel est rejeté en ce que le ministère a correctement calculé les dépenses au titre entretien et réparations des deux résidences et du camion tant au niveau des frais d'utilisation qu'au niveau de l'amortissement.

Signé à Ottawa, Canada, ce 22e jour d'octobre 1998.

« Alain Tardif »

J.C.C.I.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.