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Date: 19980923

Dossier: 96-4838-IT-G

ENTRE :

LEWISPORTE HOLDINGS LIMITED,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Teskey, C.C.I.

[1] L'appelante interjette appel de la nouvelle cotisation d'impôt sur le revenu établie à son égard pour l'année d'imposition 1985.

Question en litige

[2] L'unique question en litige est de savoir si les paiements d'intérêt sur un emprunt contracté avec la Banque de Nouvelle-Écosse peuvent être déduits du revenu.

Faits

[3] En raison de changements de nom, les structures des sociétés en l'espèce prêtent énormément à confusion et je tenterai dans les présents motifs d'apporter des éclaircissements à ce sujet.

[4] L'appelante a été constituée en société en 1947 sous le nom de Lewisporte Wholesalers Limited. Elle a changé de nom en 1985 et s'appelle maintenant Lewisporte Holdings Limited.

[5] Horwood Lumber Company Limited a été constituée en société en 1902. Le 23 décembre 1974, elle a changé de nom, devenant Del Holdings Limited; je l'appellerai ci-après « OLDCO » .

[6] En 1973, une société a été constituée sous le nom de Del Holdings Limited, laquelle société a changé de nom pour devenir Horwood Lumber (1974) Limited le 23 décembre 1974; je l'appellerai ci-après « NEWCO »

[7] Noral Blair ( « M. Blair » ), président de l'appelante, a témoigné au procès. J'accepte son témoignage entièrement et sans aucune réserve.

[8] L'appelante exploitait une importante entreprise de gros dont le siège social se trouvait à Lewisporte (Terre-Neuve), ainsi que des compagnies liées établies à Corner Brook et à Bishop's Falls. Cette entreprise exerçait ses activités sur tout le territoire de Terre-Neuve, à l'exception de la presqu'île Avalon.

[9] Au mois d'août 1973, MM. Duncan Sharpe et Edward Sharpe (les « frères Sharpe » ) détenaient une option d'acheter la totalité des actions de OLDCO.

[10] OLDCO avait une entreprise de bois de sciage sur la rue Water à St. John's.

[11] Au mois d'août 1993, les frères Sharpe sont entrés en contact avec M. Blair pour voir si l'appelante se joindrait à eux pour acheter les actions de OLDCO.

[12] L'appelante a garanti le financement provisoire de 230 000 $ accordé par la Banque de Nouvelle-Écosse (la « banque » ) et elle a acquis 35 p. 100 des actions de NEWCO qui, au même moment, a acheté toutes les actions de OLDCO. L'entente prévoyait notamment que, si NEWCO était incapable d'obtenir du financement à long terme avant le 30 novembre 1973 sans la garantie de l'appelante, Lewisporte et M. Blair acquerraient 50 p. 100 des actions de NEWCO.

[13] À la fin du mois d'août 1973, au moment où l'opération a été conclue, NEWCO a acheté la totalité des actions de OLDCO. Les frères Sharpe détenaient 50 000 actions de NEWCO, l'appelante en détenait 25 000, qu'elle a données en gage à la banque, et M. Blair en détenait 10 000.

[14] En 1974, l'appelante a reçu d'autres actions de NEWCO, de sorte qu'elle et M. Blair détenaient alors 50 p. 100 de NEWCO.

[15] L'organisation du capital social de NEWCO est la suivante :



[16] L'appelante a garanti le remboursement d'autres prêts totalisant 350 000 $ consentis par la banque.

[17] En juillet 1975, l'appelante a porté à 300 000 $ sa garantie quant au prêt d'exploitation de NEWCO, le total de ses garanties s'établissant alors à 475 000 $.

[18] En plus des garanties de l'appelante, la banque a exigé de OLDCO qu'elle lui accorde une garantie sous forme d'obligation portant sur tous ses biens immeubles ainsi que sur ses propriétés à bail.

[19] Le montant total des garanties données par l'appelante à la banque en 1977 est resté à 475 000 $.

[20] Le 14 mars 1977, NEWCO et OLDCO ont accordé à l'appelante une garantie sous forme d'obligation, laquelle garantie couvrait un montant de principal de 2 millions de dollars.

[21] Du fait de cette obligation, l'appelante obtenait une garantie portant sur plusieurs maisons que OLDCO construisait, sur l'entreprise de bois de sciage et sur un établissement de vente au détail situé au centre-ville de St. John's. À l'époque, OLDCO éprouvait des difficultés financières et devait à l'appelante environ 1,7 million de dollars.

[22] Le 10 décembre 1977, l'appelante a porté sa garantie en faveur de la banque à 600 000 $ et l'appelante a reconnu que la garantie qu'elle avait obtenue de NEWCO venait en second rang après la créance de la banque.

[23] En 1977 et de nouveau en 1988, l'appelante a renoncé à l'intérêt qui lui était dû par NEWCO étant donné que celle-ci éprouvait des difficultés financières.

[24] En 1979, l'appelante a cessé d'accorder du crédit à NEWCO.

[25] Le 27 mars 1980, le conseil d'administration de l'appelante a examiné une proposition de P. M. Robinson and Associates Limited ( « Robinson » ) concernant l'aménagement des propriétés de OLDCO au centre-ville de St. John's.

[26] La proposition nécessitait l'acquisition de propriétés attenantes à l'emplacement de l'entreprise de bois de sciage ainsi que le recours aux services d'architectes et d'autres conseillers en aménagement.

[27] La proposition a été acceptée par l'appelante en partie parce que l'estimation préliminaire fixait la valeur des sites appartenant à OLDCO à 3,5 millions de dollars. L'appelante a accepté la recommandation d'acheter de sept à dix propriétés clés, par suite de quoi il allait rester 14 à 17 propriétés qui pourraient soit être achetées plus tard, soit être exclues du projet d'aménagement.

[28] En 1980, la firme Cabot Developers s'est dite intéressée par les propriétés de Horwood, mais elle a finalement construit un hôtel (Delta) et un immeuble de bureaux situés à plusieurs rues des propriétés de OLDCO sur la rue New Gower.

[29] La proposition de Robinson a été discutée en profondeur avec les frères Sharpe, et des ententes ont été conclues entre Lewisporte d'une part et OLDCO et NEWCO d'autre part.

[30] Le 1er avril 1980, Lewisporte, OLDCO et M. Blair ont conclu une entente avec Robinson. Aux termes de cette entente, Robinson devenait l'agent exclusif pour l'acquisition et la commercialisation des propriétés, et l'appelante et M. Blair convenaient de fournir des fonds suffisants pour pouvoir effectuer l'achat des propriétés attenantes. Conformément à l'entente, Robinson s'est occupée d'obtenir toutes les autorisations requises pour le projet d'aménagement commercial de grande envergure.

[31] Lewisporte a avancé de temps à autre tous les fonds nécessaires à l'achat du titre franc sur les propriétés attenantes. Le titre de ces propriétés a été accordé à différentes sociétés inactives dont disposait le procureur de l'appelante, Ronald Noseworthy ( « M. Noseworthy » ). Les sociétés inactives détenaient le titre en tant que mandataires de NEWCO, suivant les instructions de Lewisporte.

[32] Six propriétés attenantes ont été acquises de cette façon et les titres y afférents ont été enregistrés au nom de J. R. Collectibles Limited, City Service Centre Limited, West End Deli Limited et Galco Limited.

[33] Deux autres acquisitions ont été faites au nom de Galco Limited.

[34] L'appelante a aussi fourni 575 000 $ aux fins de l'acquisition de la propriété franche d'une partie du site de OLDCO qui avait été auparavant détenu à bail.

[35] Le projet d'aménagement prévoyait la construction de quatre tours de bureaux distinctes, chacune de 12 étages et ayant une superficie de 15 000 pieds carrés environ par étage et comprenant un hôtel de 300 chambres, un atrium comportant 80 000 pieds carrés destinés à des boutiques et un stationnement intérieur (voir la pièce A-2). Le coût estimé était de 130 millions de dollars, le terrain valant, croyait-on, 10 millions de dollars. En d'autres termes, si le projet d'aménagement était vendu à un tiers promoteur, les terrains regroupés rapporteraient, prévoyait-on, 10 millions de dollars ou, si l'appelante participait à une coentreprise avec un promoteur, la somme de 10 millions de dollars lui serait créditée pour l'apport des terrains.

[36] Le 1er avril 1981, l'appelante a augmenté de 2,6 millions de dollars la garantie qu'elle donnait à la banque relativement à NEWCO, portant ainsi à 3 millions de dollars sa garantie en faveur de la banque.

[37] L'état financier de NEWCO pour l'exercice se terminant le 31 décembre 1980 indiquait qu'elle devait à la banque 771 467 $, soit 750 000 $ au titre d'un prêt et 21 467 $ au titre d'un découvert bancaire. Il ressort des notes jointes à l'état financier que la banque jouissait des garanties suivantes : a) une cession des comptes clients, b) une cession des stocks, et c) une garantie de 600 000 $ donnée par Lewisporte.

[38] Puisque la valeur des stocks s'élevait à 858 759 $ et celle des comptes clients, à 724 404 $, pour un total de 1,6 million de dollars, la banque disposait de garanties plus que suffisantes.

[39] L'état financier de NEWCO pour l'exercice se terminant le 31 décembre 1981 montrait également que les stocks et les comptes clients couvraient amplement toute dette envers la banque.

[40] L'appelante a acquiescé à l'augmentation importante de sa garantie en faveur de la banque (qui passait de 600 000 $ à 3 millions de dollars) en avril 1981 en raison de l'entente conclue entre elle, NEWCO et OLDCO, puisque cela allait leur permettre de continuer à promouvoir le projet d'aménagement qui était en cours.

[41] En janvier 1982, l'appelante a versé des honoraires d'architectes de 20 000 $ et effectué des dépenses de 3 538,16 $ pour la présentation du design.

[42] En mars 1982, la banque a réalisé l'obligation à charge flottante de 1981 de NEWCO qui lui avait été accordée, et l'obligation de 1977 que NEWCO et OLDCO avaient accordée à l'appelante, qui l'avait hypothéquée en faveur de la banque.

[43] NEWCO a subi des pertes nettes de 798 019 $ en 1982 et de 318 365 $ en 1983.

[44] Conformément à son obligation résultant de la garantie de 3 millions de dollars, le 28 avril 1983, l'appelante a versé à la banque 2,1 millions de dollars. L'appelante a reçu en retour les deux obligations mentionnées au paragraphe 42. Le paiement de la garantie faisait partie du projet d'aménagement aux termes duquel l'entreprise de bois de sciage devait être éliminée graduellement, d'une manière structurée et les propriétés devaient faire l'objet d'un aménagement d'envergure, l'appelante devant financer l'acquisition de biens en propriété franche et de propriétés attenantes et prendre des mesures connexes.

[45] Pour payer à la banque le montant de 2,1 millions de dollars et pour pouvoir aller de l'avant avec le projet, l'appelante a emprunté 4,175 millions de dollars à la banque le 28 avril 1983.

[46] En 1985, l'appelante a demandé une déduction d'intérêt à titre de dépense relative aux fonds ayant servi au paiement de la garantie en échange duquel elle avait reçu les deux obligations détenues par la banque qui portaient sur les biens visés par le projet d'aménagement. Le paiement à la banque a permis à l'appelante d'obtenir le plein contrôle de tous les actifs de OLDCO et de NEWCO. Seuls les frères Sharpe pouvaient peut-être encore faire valoir un droit, mais, sur le plan pratique, ces derniers étaient sur la touche.

[47] En 1983, l'appelante a reçu par l'intermédiaire d'un agent immobilier dénommé Furlong une offre écrite de 3,2 millions de dollars pour les propriétés visées par le projet d'aménagement. L'offre étant dérisoire, elle a été refusée car on poursuivait activement le projet d'aménagement des propriétés, lesquelles, estimait-on, valaient autour de 10 millions de dollars.

[48] En 1985, OLDCO n'exerçait pas d'activités dans le domaine du bois de sciage, mais elle exploitait avec NEWCO une entreprise de location des immeubles situés sur les biens-fonds visés par le projet d'aménagement. OLDCO détenait aussi, à Norwood et à Gander, des biens-fonds qui devaient être gérés. OLDCO et NEWCO existent toujours et détiennent le titre sur un important projet d'aménagement dont la valeur en 1981 se situait, croyait-on, à quelque 10 millions de dollars.

[49] En raison des obligations de NEWCO et de OLDCO qu'elle détient l'appelante a le plein contrôle des biens-fonds visés par le projet d'aménagement. Il y a un lien direct entre l'argent qui a été emprunté à la banque puis remboursé immédiatement à la banque pour acquitter la garantie. Ces fonds ont permis à l'appelante d'obtenir le plein contrôle de tous les biens-fonds appartenant à OLDCO et à NEWCO. Les administrateurs et les actionnaires de l'appelante estimaient que les biens-fonds visés par le projet d'aménagement auraient à eux seuls une valeur de 10 millions de dollars lorsque le projet de construction de Petroleum Plaza, d'une valeur de 130 millions de dollars, se concrétisait.

[50] Si l'appelante a emprunté 4,175 millions de dollars à la banque le 28 avril 1983, c'était exclusivement pour obtenir le plein contrôle de tous les actifs de OLDCO et de NEWCO en vue de tirer un revenu de ces actifs.

Les règles de droit

[51] L'appel met en cause l'application de l'alinéa 20(1)c) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi » ), dont les parties qui sont pertinentes en l'espèce sont ainsi libellées :

20 (1) Nonobstant les dispositions des alinéas 18(1)a), b) et h), lors du calcul du revenu tiré par un contribuable d'une entreprise ou d'un bien pour une année d'imposition, peuvent être déduites celles des sommes suivantes qui se rapportent entièrement à cette source de revenus ou la partie des sommes suivantes qui peut raisonnablement être considérée comme s'y rapportant :

[...]

c) une somme payée dans l'année ou payable pour l'année (suivant la méthode habituellement utilisée par le contribuable dans le calcul de son revenu), en exécution d'une obligation légale de verser des intérêts sur

(i) de l'argent emprunté et utilisé en vue de tirer un revenu d'une entreprise ou d'un bien (autre que l'argent emprunté et utilisé pour acquérir un bien dont le revenu serait exonéré d'impôt ou pour prendre une police d'assurance-vie),

[...]

ou une somme raisonnable à cet égard, le moins élevé des deux montants étant à retenir [...]

[52] L'arrêt définitif sur la déductibilité des intérêts est celui rendu par la Cour suprême du Canada dans Bronfman Trust c. La Reine, [1987] 1 R.C.S. 32. La fiducie Bronfman avait emprunté un montant de 2,2 millions de dollars qu'elle avait remis à la bénéficiaire de la fiducie, Phyllis Barbara Bronfman. La fiducie a ensuite cherché à déduire l'intérêt payé sur l'emprunt de 2,2 millions de dollars, faisant valoir qu'en empruntant ce montant, elle avait préservé le capital de la fiducie. La Cour suprême a statué que l'intérêt n'était pas déductible : le montant de 2,2 millions de dollars n'avait pas été utilisé en vue de gagner un revenu, il avait plutôt été versé à Mme Bronfman.

[53] Le juge en chef Dickson dit ceci aux pages 45 et 46, sous la rubrique UTILISATIONS ADMISSIBLES ET INADMISSIBLES DES FONDS EMPRUNTÉS :

Il est peut-être superflu de souligner dès le départ que, à défaut d'une disposition telle que l'al. 20(1)c), qui autorise expressément que les intérêts payés soient dans certaines circonstances déduits du revenu, le contribuable ne peut en règle générale bénéficier d'aucune déduction de ce genre. Les intérêts sur les emprunts contractés pour augmenter les immobilisations ou le fonds de roulement relèveraient de l'interdiction de déduire tout « paiement à titre de capital » , prévue à l'al. 18(1)b): Canada Safeway Ltd. v. Minister of National Revenue, [1957] R.C.S. 717 [57 DTC 1239], aux pp. 722 et 723 des motifs du juge en chef Kerwin et à la p. 727 des motifs du juge Rand.

Je partage l'avis du juge Marceau quant au but de la disposition permettant la déduction d'intérêts. Le législateur a conçu le sous-al. 20(1)c)(i) et lui a donné effet nonobstant l'al. 18(1)b) pour favoriser l'accumulation de capitaux productifs de revenus imposables. Ce ne sont pas tous les intérêts qui sont déductibles. L'intérêt sur l'argent emprunté pour produire un revenu exempt d'impôt ne l'est pas. L'intérêt sur l'argent emprunté pour acheter des polices d'assurance-vie ne l'est pas. L'intérêt sur les emprunts utilisés à des fins non productives de revenu, telles que la consommation personnelle ou la réalisation de gains en capital, ne l'est pas non plus. La déduction prévue par la loi exige donc qu'on détermine si l'argent emprunté a été utilisé en vue de tirer un revenu imposable d'une entreprise ou d'un bien, ce qui constitue une utilisation admissible, ou s'il a été affecté à quelqu'une des possibles utilisations inadmissibles. Il incombe au contribuable d'établir que les fonds empruntés ont été utilisés à une fin identifiable ouvrant droit à la déduction. Par conséquent, si le contribuable mélange des fonds utilisés à différentes fins, dont une partie seulement est admissible, il peut ne pas pouvoir réclamer la déduction: voir, par exemple, Mills c. Ministre du Revenu national, 85 DTC 632 (C.C.I.); No. 616 v. Minister of National Revenue, 59 DTC 247 (C.A.I.).

La disposition prévoyant la déduction des intérêts exige non seulement la détermination de l'usage auquel ont été affectés les fonds empruntés, mais aussi la détermination de la « fin » . L'admissibilité à la déduction est soumise à la condition que l'argent emprunté soit utilisé pour produire un revenu. Cependant, il est bien établi par la jurisprudence que le point pertinent n'est pas la fin de l'emprunt lui-même. Ce qui est pertinent est plutôt la fin qu'a visée le contribuable en utilisant l'argent emprunté d'une manière particulière: Auld v. Minister of National Revenue, 62 D.T.C. 27 (C.A.I.). Il s'ensuit donc que l'examen de la situation doit être centré sur l'usage que le contribuable a fait des fonds empruntés.

À mon avis, la distinction entre les utilisations admissibles et les utilisations inadmissibles de fonds empruntés s'applique aussi bien aux contribuables qui sont des sociétés ou des fiducies qu'à ceux qui sont des personnes physiques. Certes, il est moins probable que les sociétés ou les fiducies soient motivées par la consommation personnelle, mais il existe néanmoins plusieurs façons inadmissibles dont des personnes morales peuvent utiliser de l'argent emprunté. Une fiducie peut, par exemple, se porter acquéreur de biens en vue de la réalisation d'un gain en capital. Ou, comme c'est le cas en l'espèce, elle peut verser une partie du capital à un bénéficiaire de la fiducie. Cela étant, avec égards, je ne puis accepter la suggestion de la Cour d'appel fédérale, à la majorité, que presque n'importe quel usage qu'une fiducie, par opposition à un particulier, fait de fonds empruntés suffira pour remplir les conditions d'admissibilité prévue par la loi quant à la déduction des intérêts. Il faut en toute justice que les mêmes principes de droit s'appliquent à tous les contribuables, indépendamment de leur qualité de personne physique ou de personne morale, à moins que la Loi ne dise expressément le contraire.

[54] Puis aux pages 53 et 54, le juge en chef Dickson dit :

[...] Bien entendu, il est loisible au contribuable de dépenser de l'argent d'une manière dont on ne peut attendre qu'elle produise un revenu imposable, mais s'il prend ce parti, il ne peut pas s'attendre à ce que le fisc lui accorde un traitement avantageux. À mon avis, le texte de la Loi exige que les fonds empruntés aient été affectés à une utilisation admissible précise, car, à l'évidence, le but restreint qu'elle vise est d'encourager les contribuables à améliorer leurs possibilités de produire des revenus. Voilà, selon moi, qui vient empêcher qu'une déduction soit permise à l'égard de l'intérêt payé sur des fonds empruntés qui servent indirectement à conserver des biens productifs de revenu, mais qui ne sont pas utilisés directement « en vue de tirer un revenu ... d'un bien » .

Même s'il est des circonstances exceptionnelles dans lesquelles, selon une appréciation réaliste des opérations d'un contribuable, il pourrait convenir, en raison d'un effet indirect sur sa capacité de gagner des revenus, de lui permettre de déduire l'intérêt sur les fonds empruntés pour un usage inadmissible, je suis convaincu que de telles circonstances n'existent pas en l'espèce. Il me semble qu'à tout le moins, le contribuable doit convaincre la Cour que la fin réelle qu'il visait en utilisant les fonds était de gagner un revenu. À l'inverse de ce qui semble être le cas dans l'affaire Trans-Prairie, les faits en l'espèce sont loin de faire cette démonstration. D'ailleurs, il n'est pas simplement anecdotique que les biens, qui ont été conservés pendant une brève période, ont eu un rendement bien en deçà du loyer de l'argent emprunté. En 1970, l'intérêt sur les 2 200 000 $ d'emprunts dépassait les 110 000 $, tandis qu'une tranche moyenne de 2 200 000 $ de biens de la fiducie (le montant du capital « conservé » ) rapportait moins de 10 000 $. La contribuable ne peut alléguer aucune attente raisonnable que le rendement de l'ensemble du portefeuille de la fiducie, ou même d'un élément particulier de ce portefeuille, soit supérieur à l'intérêt payable sur un montant équivalent de la dette. Le fait que l'emprunt a pu servir à empêcher des pertes en capital ne peut aider la contribuable à obtenir une déduction prévue uniquement à l'égard de l'utilisation d'argent emprunté en vue de produire un revenu.

[55] Le juge en chef Dickson confirme également à la page 55 que :

[...] les tribunaux doivent tenir compte de ce que le contribuable a réellement fait et non pas de ce qu'il aurait pu faire [...]

[56] Il dit également, à la page 55, qu'il y a lieu de qualifier les opérations des contribuables selon leur véritable caractère commercial et pratique.

[57] Dans l'arrêt 74712 Alberta Ltd. c. M.R.N., [1997] 2 C.F. 471, la Cour d'appel fédérale s'est penchée sur un cas où on avait emprunté de l'argent pour effectuer le paiement en vertu d'une garantie. La question était de savoir si les intérêts payés sur un emprunt de 1,7 million de dollars utilisé par 74712 pour honorer la garantie qu'elle avait donnée à l'égard des dettes contractées par sa société mère, Trennd Investments (1979) Ltd., envers la Banque Canadienne Impériale de Commerce (CIBC), étaient déductibles. L'appelante faisait partie d'un groupe de sociétés appartenant en grande partie à John Corbett Anderson, sociétés dont Trennd Investments est devenue la société mère par suite d'une restructuration effectuée en 1979. En 1980, à la suite de la restructuration en question, les dispositions financières prises par les diverses filiales de la société mère ont été consolidées au moyen de facilités de crédit qui nécessitaient des garanties mutuelles de la part des sociétés faisant partie du groupe Trennd Investments, y compris l'appelante. En 1981, la CIBC a demandé le paiement en vertu des garanties qui lui avaient été données et l'appelante a emprunté 1,7 million de dollars pour s'acquitter de ses obligations en qualité de garante des dettes de sa société mère.

[58] En rejetant l'appel de la contribuable, le juge Linden a refusé de retenir l'argument de l'appelante selon lequel on pouvait établir un lien entre la raison pour laquelle la garantie avait été initialement donnée et une fin admissible poursuivie en vue de gagner un revenu. À la page 484 de la décision, le juge Linden dit :

À mon avis, l'appelante n'a pas réussi à convaincre la Cour que le juge de première instance a commis une erreur en lui refusant la déduction soit parce que la fin réelle de l'emprunt était de conserver des biens productifs de revenu, soit parce que l'on pouvait établir un lien entre la fin réelle de l'emprunt et la raison pour laquelle la garantie avait initialement été donnée. Le juge de première instance a conclu à bon droit que l'emprunt de 1,7 million de dollars avait été contracté dans le but d'honorer la garantie que l'appelante avait donnée, et non pour tirer un revenu d'une entreprise ou d'un bien.

Analyse

[59] Je ne crois pas que l'arrêt 74712 Alberta s'applique la présente espèce puisque j'avais conclu dans cette affaire-là que l'argent emprunté n'avait pas été pris ou utilisé directement en vue de gagner un revenu.

[60] En l'espèce, le montant de 2,1 millions de dollars devait servir à obtenir le plein contrôle et, essentiellement, la propriété exclusive de OLDCO et de NEWCO, ces deux sociétés ayant des actifs productifs de revenu dont la valeur, croyait-on, était de beaucoup supérieure à 2,1 millions de dollars. En effectuant l'opération de cette manière plutôt qu'en demandant à la banque de vendre les actifs, ils ont empêché tout consortium extérieur de faire une offre pour les actifs et ont éliminé toute possibilité de retirer à l'appelante ce qui était considéré comme sa source de revenus.

[61] Puisque j'accepte le témoignage de MM. Blair et Furlong, et puisque OLDCO et NEWCO étaient toujours en exploitation en 1985, ce que l'estimateur de l'intimée considère aujourd'hui comme ayant été la valeur des propriétés est sans importance. L'appelante estimait que les propriétés avaient une certaine valeur et, sur ce fondement, a pris des décisions d'affaires qui ne devraient pas être remises en question maintenant. M. Blair et le conseil d'administration de Lewisporte croyaient que l'exploration du champ pétrolifère Hibernia et sa mise en valeur apporteraient la prospérité à St. John's et que leur projet rapporterait des profits exceptionnellement élevés. Forte de cette conviction, qui n'était pas basée sur une illusion, l'appelante a investi ses propres fonds et ceux des banques.

[62] Le prêt avait pour seul objet de favoriser le projet d'aménagement en obtenant le contrôle de OLDCO et de NEWCO, ce qui donnait le contrôle de toutes les propriétés et, en même temps, la décharge en ce qui concerne la créance de la banque.

[63] L'appel est admis, avec frais, et la cotisation est déférée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation en tenant compte du fait que, pour l'année 1985, l'appelante peut déduire de son revenu les frais d'intérêt payés relativement au prêt consenti par la Banque de Nouvelle-Écosse.

[64] L'appelante demande que les frais soient adjugés sur une base procureur-client. Ayant lu la jurisprudence pertinente à cet égard, je suis convaincu qu'il ne conviendrait pas d'adjuger les frais sur cette base. Cependant, les frais adjugés à l'appelante devraient être généreux car le nombre de documents soumis à la Cour a été très élevé et j'ai moi-même demandé des arguments écrits, ce qui a accru considérablement les frais de l'appelante.

Signé à Ottawa, Canada, ce 23e jour de septembre 1998.

« Gordon Teskey »

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 31e jour de mars 1999.

Erich Klein, réviseur

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