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Date: 19990203

Dossier: 97-1560-UI

ENTRE :

FRANÇOIS PARENT,

appelant,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

Motifs du jugement

Le juge Archambault, C.C.I.

[1] Monsieur François Parent en appelle d'une décision du ministre du Revenu national (ministre) selon laquelle monsieur Parent n'occupait pas un emploi assurable chez Daniel Parent, François Parent et Gilles Savard, une entreprise exploitant sous la raison sociale Déboisement du Nord Enr. (Société DN), du 9 août 1996 au 26 octobre 1996 (période pertinente). Selon le ministre, les services de monsieur François Parent n'avaient pas été rendus en vertu d'un contrat de louage de services (contrat de travail). Le ministre a aussi rendu, le 9 juin 1997, une autre décision, selon laquelle monsieur Parent avait occupé un emploi assurable pour monsieur Daniel Parent, exploitant une entreprise sous la raison sociale Déboisement du Nord Enr., durant la période du 29 juillet 1996 au 8 août 1996. Monsieur Parent ne conteste pas cette dernière décision. Pour rendre la décision faisant l'objet de l'appel, le ministre a tenu pour acquis les faits énoncés au paragraphe 8 de la Réponse à l'avis d'appel, qui se lisent ainsi :

a) le 18 avril 1996, Daniel Parent déposait une déclaration d'immatriculation de personne physique exploitant une entreprise individuelle et agissant sous le nom de Déboisement du Nord; [admis]

b) le 26 juillet 1996, Déboisement du Nord Enr. obtient un contrat de l'Hydro-Québec pour le déboisement de lignes de transport au lac St-Jean; [admis]

c) Daniel Parent, à cause d'un manque de liquidités, décide de s'associer avec l'appelant et Gilles Savard pour exécuter le contrat; [admis]

d) le 9 août 1996, Daniel Parent, Gilles Savard et l'appelant déposaient une déclaration d'immatriculation de société, étant les trois associés et agissant sous le nom de Déboisement du Nord; [admis]

e) le chiffre d'affaires du payeur a été de 99 718,65 $ avec un bénéfice net de 14 832,79 $; [admis]

f) l'appelant a reçu un tiers du bénéfice net comme les deux autres sociétaires; [admis]

g) durant la période en litige, l'appelant agissait comme l'unique contremaître du payeur, étant le seul associé sur place, les deux autres étant dans la région de la ville de Québec;

h) le payeur remboursait à l'appelant ses dépenses d'essence, de logement et de nourriture, ce qu'il ne faisait pas pour les autres employés;

i) l'appelant exploitait sa propre entreprise.

Faits

[2] Monsieur Daniel Parent, le frère de monsieur François Parent, détient toutes les actions d'une société par actions, Services d'arbres de la Capitale Inc. (Services d'arbres). Cette société exploite depuis 1991 une entreprise d'émondage et d'élagage d'arbres. On retrouve Hydro-Québec parmi ses principaux clients. Services d'arbres émonde et élague les arbres se trouvant le long des lignes du réseau de distribution d'énergie électrique d'Hydro-Québec, soit les lignes que l'on retrouve le long des rues et des routes.

[3] Au cours de l'année 1996, les affaires de Services d'arbres vont au ralenti. Il n'y a pas beaucoup de contrats pour l'entretien du réseau de distribution d'Hydro-Québec. Toutefois, cette dernière fait des appels d'offres pour le débroussaillage le long de ses lignes de transport qui traversent les champs et les forêts. Un tel contrat (contrat de débroussaillage) est offert dans la région de Roberval, au lac St-Jean, mais Hydro-Québec exige que les entreprises qui soumissionnent aient leur siège social dans la région. Services d'arbres a son siège social dans la région de Québec. Pour contourner cette difficulté, monsieur Daniel Parent dépose le 18 avril 1996 auprès de l'inspecteur général des institutions financières une déclaration d'immatriculation pour une personne physique exploitant une entreprise individuelle. Il désigne son entreprise par la dénomination Déboisement du Nord Enr. et indique comme domicile élu une adresse située à Anse-St-Jean (Chicoutimi).

[4] Monsieur Daniel Parent obtient d'Hydro-Québec le contrat de débroussaillage. Les activités débutent le 29 juillet 1996. Monsieur Daniel Parent engage comme contremaître monsieur François Parent. Ce dernier aurait travaillé de façon régulière pour Services d'arbres depuis 1991. Son salaire hebdomadaire s'élève à 500 $. De plus, il aurait droit à dix pour cent des profits réalisés par monsieur Daniel Parent dans ce projet.

[5] Monsieur Daniel Parent engage aussi d'autres employés de Services d'arbres venant de la région de Québec pour travailler au lac St-Jean. Ces employés sont rémunérés sur une base horaire. Malheureusement, les travaux ne progressent pas aussi vite que prévu. Il faut mentionner qu'il s'agit là d'une nouvelle activité pour monsieur Daniel Parent. Le débroussaillage n'est pas tout à fait la même chose que l'émondage et l'élagage des arbres.

[6] De plus, monsieur Parent fait face à de sérieuses difficultés financières et songe à mettre fin au contrat de débroussaillage : soit qu'il trouve du nouveau financement ou qu'il abandonne le projet. Au bout d'environ deux semaines, il demande à ses employés de revenir à Québec.

[7] Monsieur Gilles Savard, un policier enquêteur et un ami de longue date de messieurs François et Daniel Parent, offre à ce dernier de s'associer avec lui pour la réalisation de ce projet, et de fournir le financement nécessaire pour l'exécution du contrat de débroussaillage. Il croit en la rentabilité du projet et espère en tirer un profit. Il obtient de son beau-frère un prêt de 20 000 $ qu'il investit dans Société DN.

[8] Comme il n'a aucune connaissance de l'arboriculture et qu'il veut mettre toutes les chances de son côté, monsieur Savard exige que monsieur François Parent continue à agir comme contremaître et qu'il participe dans les profits. La société de personnes devra donc comprendre monsieur François Parent et les profits seront partagés en trois parts égales. Le 9 août 1996, monsieur Gilles Savard dépose auprès de l'inspecteur général des institutions financières une déclaration d'immatriculation de la Société DN dans laquelle on indique comme associés de cette société en nom collectif messieurs Gilles Savard, Daniel Parent et François Parent.

[9] Monsieur François Parent prétend qu'il était retourné au lac St-Jean lorsque monsieur Savard a déposé cette déclaration d'immatriculation. C'est donc par téléphone qu'il aurait été informé qu'il participait dans Société DN. Le comptable de monsieur Daniel Parent connaît très bien la situation de monsieur François Parent. Il sait que ce dernier occupe des emplois saisonniers chez Services d'arbres et qu'il compte sur les prestations d'assurance-chômage lorsqu'il est sans emploi. Après avoir communiqué avec un agent de la Commission d'assurance-chômage, ce comptable informe monsieur François Parent au début du mois d'août 1996 que son statut d'associé au sein de Société DN ne l'empêchera pas d'être admissible aux prestations d'assurance-chômage. Monsieur François Parent a indiqué avoir été rassuré par cette opinion et ne pas y avoir repensé jusqu'à au moment où quelqu'un de la Commission d'assurance-chômage lui a indiqué qu'il n'avait pas occupé un emploi assurable chez Société DN parce qu'il en était un associé.

[10] Pour établir qu'il existait un lien de subordination entre lui et messieurs Daniel Parent et Gilles Savard, monsieur François Parent leur a demandé de témoigner à l'audience. Le témoignage de monsieur Savard a révélé que ce dernier s'était impliqué dans l'administration de Société DN. Il a affirmé avoir été en contact régulier avec monsieur François Parent. Cette implication s'expliquait du fait qu'il voulait être sûr que le projet réussirait, qu'il pourrait rembourser son emprunt de 20 000 $ et toucher ses profits.

[11] Lorsque monsieur Daniel Parent a témoigné, je lui ai demandé s'il avait déjà versé à son frère, avant ou après le contrat de débroussaillage, des bonus calculés par rapport aux bénéfices réalisés dans l'exécution d'un projet dans le cadre duquel son frère, monsieur François Parent, avait agi comme contremaître. Il ne se rappelait pas avoir versé de tels bonus à monsieur François Parent.

[12] Après avoir terminé l'exécution du contrat de débroussaillage, Société DN n'a plus exploité d'entreprise. Monsieur Daniel Parent a expliqué qu'Hydro-Québec avait abandonné son exigence que les entrepreneurs aient leur siège social dans la région où les travaux devaient être exécutés.

[13] Monsieur François Parent a été le dernier témoin à témoigner. Il a indiqué qu'il a continué de recevoir de Société DN, après le 8 août 1996, un salaire de 500 $. Il a aussi affirmé avoir travaillé avant 1991 pour une autre société, appartenant à son frère et à un autre actionnaire, et avoir reçu des bonus représentant un certain pourcentage des bénéfices tirés de travaux dans le cadre desquels il avait agi comme contremaître. Il a soutenu que son frère devait certainement avoir oublié ce fait.

[14] Monsieur François Parent a aussi indiqué qu'il avait eu des difficultés financières et qu'il avait fait faillite en 1995. Il a produit un jugement de la Cour supérieure en matière de faillite en date du 29 janvier 1996 le libérant conditionnellement de la façon suivante :

[...]

LIBÈRE le débiteur conditionnellement à ce qu’il verse entre les mains du syndic, pour être distribué entre les créanciers, une somme additionnelle de 2,500.00$ payable par anticipation ou sur une période ne dépassant pas deux (2) ans;

Sur preuve de ce paiement, le débiteur sera libérésous réserve toutefois des droits des créanciers et des obligations du débiteur prévus par l’article 178 de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité; [...]

[Je souligne.]

Monsieur Parent a affirmé avoir acquitté cette dette de 2 500 $ avec des revenus gagnés lors de la crise du verglas en janvier 1998.

[15] Avant de terminer cet exposé des faits, je tiens à mentionner que j'ai trouvé que monsieur François Parent a manqué de franchise à l'audience. Au début du procès, je lui ai demandé s'il avait déjà comparu devant cette Cour ou devant tout autre tribunal et j'ai enchaîné en lui expliquant la démarche que nous allions suivre. Après avoir observé comment il s'y prenait pour produire sa preuve documentaire, je l'ai complimenté sur sa façon de faire et la procureure du ministre a renchéri en affirmant qu'il le faisait mieux que bien des avocats.

[16] Lorsque monsieur François Parent a interrogé ses deux témoins, il a souvent posé des questions suggestives malgré les objections de la procureure du ministre. J'ai alors expliqué à monsieur François Parent ce que signifiait poser des questions suggestives et je lui ai souligné qu'il importait d'éviter de poser de telles questions à l'égard de faits importants, et ce, afin d'assurer à ses témoins une plus grande crédibilité. Malgré plusieurs rappels de ma part, monsieur François Parent a continué à poser de nombreuses questions suggestives.

[17] À aucun de ces moments, monsieur François Parent n'a eu la franchise de reconnaître l'état de ses connaissances et de son expérience en droit. Toutefois, à la fin de sa preuve, lors de son contre-interrogatoire par la procureure du ministre et à la suite de questions que je lui ai adressées, monsieur François Parent a reconnu avoir pratiqué comme avocat pendant six années. En guise d'explication, monsieur François Parent a prétendu ne pas l'avoir signalé auparavant parce qu'il aurait été gêné du fait qu'il ne pratiquait plus comme avocat et qu'il travaillait maintenant comme contremaître. Si j'avais su qu'il avait été avocat, je n'aurais certainement pas toléré autant de questions suggestives de la part de monsieur Parent.

Prétentions de monsieur François Parent

[18] Monsieur François Parent soutient que le travail de contremaître qu'il a fourni à Société DN après le 8 août 1996 dans l'exécution du contrat de débroussaillage était exactement le même que celui qu'il avait fourni à monsieur Daniel Parent du 28 juillet 1996 au 8 août 1996. Il était aussi semblable à celui qu'il a fourni à Services d'arbres avant comme après le contrat de débroussaillage. Selon lui, la part d'un tiers dans les bénéfices qu'on lui a donnée représentait une augmentation du bonus de dix pour cent auquel il aurait eu droit si la société n'avait pas été formée. Il soutient que son frère Daniel et monsieur Gilles Savard ont exercé un contrôle sur son travail. De plus, il insiste sur le fait qu'il n'a pris part à aucune décision touchant l'administration de la société ni n'a participé à la gestion de son entreprise.

[19] Monsieur François Parent a aussi soulevé la question de l'application de l'article 2226 du Code civil du Québec (C.c.Q.) qui édicte qu'un failli cesse d'être membre d'une société.

Analyse

[20] La première question à trancher est celle de savoir si monsieur François Parent était un des associés de Société DN. Tout d'abord mentionnons que monsieur François Parent a admis dès le début de l'audition de son appel qu'il s'était associé avec messieurs Daniel Parent et Gilles Savard. Rappelons que monsieur François Parent a déjà été avocat et qu'il devait savoir ce qu'il faisait en admettant ce fait. De toute façon, l'ensemble de la preuve révèle que monsieur François Parent était un des associés de Société DN.

[21] L'article 2186 du C.c.Q. définit un contrat de société de la façon suivante :

ART. 2186. Le contrat de société est celui par lequel les parties conviennent, dans un esprit de collaboration, d'exercer une activité, incluant celle d'exploiter une entreprise, d'y contribuer par la mise en commun de biens, de connaissances ou d'activités et de partager entre elles les bénéfices pécuniaires qui en résultent.

Il n'est pas nécessaire que ce contrat soit constaté par écrit. Il peut être verbal. L'existence d'un tel contrat est confirmée en l'espèce par la déclaration d'immatriculation, signée par monsieur Gilles Savard, dans laquelle on indique que Société DN est une société en nom collectif et que les trois associés sont messieurs Daniel Parent, François Parent et Gilles Savard. Il y a donc une preuve prima facie de l'existence d'une société composée de ces trois personnes[1].

[22] Monsieur François Parent affirme qu'il n'a jamais rencontré en même temps monsieur Gilles Savard et son frère Daniel pour former cette société. Toutefois, monsieur François Parent a reconnu avoir été informé qu'il obtiendrait une participation d'un tiers dans les bénéfices, et il a dit qu'il en était heureux. Le fait que monsieur François Parent participe dans les bénéfices de Société DN est certainement un autre indice de sa participation dans cette société.

[23] Le fait que monsieur François Parent a été informé par le comptable que son statut d'associé ne l'empêchait pas d'être admissible aux prestations d'assurance-chômage confirme aussi, à mon avis, qu'il savait qu'il était un des associés de Société DN et, vu les assurances que lui a données le comptable, cela semblait bien lui convenir. Si la déclaration d'immatriculation avait été erronée du fait qu'il y était désigné comme l'un des trois associés, il aurait certainement entrepris des démarches pour la corriger. Or, rien dans la preuve ne révèle que monsieur François Parent a entrepris de telles démarches.

[24] De plus, Société DN possédait du matériel roulant et des débroussailleuses. Une provision pour amortissement apparaît dans son état des revenus et pertes pour l'exercice financier 1996. Lorsque j'ai demandé à monsieur François Parent s'il avait eu une part du produit de la disposition des biens de la société, il a été incapable de répondre. En tout cas, il n'a pas nié en avoir reçu une part et il n'a pas prétendu ne pas y avoir droit.

[25] Le fait que messieurs Gilles Savard et Daniel Parent savaient qu'en cas de pertes monsieur François Parent n'aurait pu contribuer financièrement à leur paiement ne constitue pas un empêchement à l'existence d'un contrat de société entre eux et monsieur François Parent. Même s'il n'existe aucune preuve établissant que cela s'est fait, il leur était loisible de convenir entre eux que monsieur François Parent ne contribuerait pas au paiement des pertes de la société. Toutefois, une telle entente n'aurait pas été opposable aux tiers suivant l'article 2203 du C.c.Q.[2] De plus, l'apport de monsieur François Parent à la société pouvait se limiter à des activités, comme le prévoit l'article 2186 du C.c.Q.

[26] Le fait que monsieur Parent n'ait pas participé aux décisions de la société n'indique pas nécessairement qu'il n'était pas un associé. L'article 2216 du C.c.Q.[3] prévoit que tout associé a le droit de participer aux décisions collectives et que le contrat de société ne peut empêcher l'exercice de ce droit. Rien dans la preuve ne révèle que monsieur François Parent ne pouvait pas participer aux décisions de la société. Le fait de ne pas y participer ne signifie pas nécessairement qu'il n'avait pas le droit de le faire. On doit distinguer entre le droit de pouvoir participer aux décisions et le fait de ne pas exercer ce droit. De plus, un associé peut déléguer la gestion de la société à un de ses coassociés. Les articles 2212 et 2213 du C.c.Q. prévoient :

ART. 2212. Les associés peuvent faire entre eux toute convention qu'ils jugent appropriée quant à leurs pouvoirs respectifs dans la gestion des affaires de la société.

ART. 2213. Les associés peuvent nommer l'un ou plusieurs d'entre eux, ou même un tiers, pour gérer les affaires de la société.

[27] Monsieur François Parent prétend qu'il ne pouvait être un associé de Société DN parce qu'il était un failli non libéré. La première question à trancher à cet égard est de savoir quand il a été libéré en vertu de la décision du 29 janvier 1996 de la Cour supérieure. La libération conditionnelle d’un failli pose un problème quant à savoir à quel moment celui-ci obtient effectivement la libération de ses dettes. L’effet d’une libération conditionnelle a été discuté par Me Anne Michaud dans son article « La libération de dettes en matière de faillite » , (1979-80) 14 R.J.T. 269, à la page 275 :

On peut par ailleurs se demander quel est l’effet général d’une telle ordonnance de libération conditionnelle sur le statut du failli. Nous connaissons en droit deux types de conditions, suspensives ou résolutoires. Si la libération conditionnelle a un caractère suspensif, le débiteur demeure en faillite jusqu’à l’accomplissement des conditions prescrites; si, au contraire, elle est à caractère résolutoire, la libération est immédiate mais le débiteur reprend le statut de failli s’il ne se conforme pas au jugement. Cette question du caractère de la libération conditionnelle semble n’avoir jamais été discutée à fond en jurisprudence ou en doctrine au Canada et les tribunaux sont divisés, certains optant pour une qualification suspensive, d’autres pour une qualification résolutoire.

[28] Maître Michaud examine ensuite les deux courants jurisprudentiels et le langage utilisé par les tribunaux dans leurs ordonnances selon qu'ils choisissent l’une ou l’autre possibilité. Essentiellement, Me Michaud conclut qu’une libération conditionnelle ne peut être suspensive car la libération suspensive est un type distinct de libération, spécialement prévu par l’alinéa 172(2)b) de la Loi sur la faillite. Elle écrit à la page 276 :

Par conséquent, lorsque le tribunal émet une simple ordonnance conditionnelle, la libération du débiteur est immédiate et le débiteur perd son statut de failli. Au contraire, lorsque le tribunal fixe un délai ou une échéance à la libération en plus d’y adjoindre des conditions, la libération se trouve suspendue non par le seul effet des conditions mais selon la volonté expresse du tribunal et conformément à son pouvoir d’émettre ainsi une double ordonnance.

[Je souligne.]

[29] Ici le langage du jugement semble être clair : « sur preuve de ce paiement [de 2 500 $] le débiteur sera libéré ... » . [Voir le paragraphe [14] ci-dessus]. Donc, en l’espèce, monsieur François Parent maintient son statut de failli jusqu’en janvier 1998, quand il a effectué le paiement de 2 500 $. Ainsi, il s’ensuit qu'il était encore failli au moment de la formation de la Société DN.

[30] Étant failli, monsieur François Parent avait-il la capacité de devenir un associé? Il invoque l’article 2226 du C.c.Q. qui prévoit qu’un failli cesse d’être membre d’une société. Selon lui, même si la déclaration d'immatriculation de la société indique qu’il était associé, il ne pouvait l’être légalement puisque l’article 2226 du C.c.Q. l’interdit.

[31] À mon avis, cet argument est mal fondé. Les sociétés de personnes sont régies par le Code civil du Québec qui prévoit toutes les modalités s'y appliquant, depuis leur formation jusqu’à leur dissolution. Je suis d’avis que l’article 2226 du C.c.Q. n’a pas le sens que monsieur François Parent veut lui prêter. En effet, avant la réforme du Code civil, les sociétés de personnes étaient dissolues automatiquement lorsqu’un des associés devenait failli. À cet égard, les auteurs H. Roch et R. Paré ont écrit[4] :

Notre article ne distinguant pas, toute interdiction d’un associé quelle qu’en soit la cause, dissoudra la société, l’interdiction changeant la position juridique de l’associé. On admet, toutefois, que les parties peuvent convenir dans le contrat social, que la société continuera malgré l’interdiction de l’une d’elles. [...]

Relativement à la faillite, la raison en est que l’associé en faillite n’offre plus alors à ses coassociés les garanties de responsabilité et de bonne administration qu’ils ont compté trouver chez lui, et qu’ils ne peuvent plus compter avoir contre lui un recours efficace pour les obligations qu’il peut devoir à la société.

[32] Le nouvel article 2226 du C.c.Q. modifie cet ancien état du droit. Dorénavant, les sociétés pourront subsister malgré la faillite d’un associé. Seul ce dernier perdra son statut d’associé. Quoiqu’il n’existe, à ma connaissance, aucune décision récente traitant de cet article et, en particulier, de la faillite d’un associé, son but a été confirmé par les commentaires du ministre[5]. Or, en l’espèce, les associés ont formé Société DN alors que monsieur François Parent était déjà failli.

[33] Par ailleurs, le libellé de cet article indique qu’un failli perd son statut d’associé au moment de sa faillite mais l'article ne l’empêche pas de devenir associé. De plus, autant dans le Code civil du Québec que dans la Loi sur la faillite et l'insolvabilité, rien ne prévoit qu’un failli ne peut devenir associé d'une société de personnes[6].

[34] La société de personnes étant un contrat, les règles du Code civil du Québec régissant les contrats s’appliquent[7]. Donc, la seule qualité requise pour devenir un associé d’une société en nom collectif est la capacité de contracter[8]. Le Code civil du Québec ne prévoit nulle part qu’un failli est incapable de contracter. Il prévoit par contre qu'un failli est inhabile à être un administrateur d'une personne morale (art. 327 C.c.Q.). Il importe alors de se référer à la Loi sur la faillite et l'insolvabilité. D'après une revue des capacités et incapacités du failli énoncées dans la Loi sur la faillite et l'insolvabilité, il semble que le failli garde sa capacité de contracter sous quelques réserves. Dans son article « The ‘Status’ of a Bankrupt » , (1975) 10 C.B.R. 105, H. R. Poultney énumère les capacités et les incapacités du failli. Il écrit aux pages 106 et 107 :

These are disabilities or incapacities which other citizens of the state do not have. The Bankruptcy Act provides that :

1. A bankrupt may not engage in trade or business without disclosing, to all persons with whom he transacts business, that he is a bankrupt.

2. A bankrupt may not obtain credit of $500 or more without disclosing that he is bankrupt, except for the supply of necessaries for himself and his family.

3. A bankrupt ceases to have capacity to dispose of or otherwise deal with his property subject to certain limited exceptions. His property vests in his trustee, on trust for distribution to his creditors. He ceases to have capacity to maintain certain causes of action, such as claims for damages to his property which was vested in his trustee. He does however retain the right to sue for injuries to his person or feelings, since this is not a property interest which vests in his trustee. A bankrupt does retain the capacity to deal with any property he acquires after bankruptcy and before the intervention of the trustee of his estate.

4. A bankrupt cannot be appointed a proxy by one of his creditors to vote at any meeting of his creditors.

5. A bankrupt does not have the legal capacity to make a second assignment in bankruptcy while he is undischarged.

6. A bankrupt may become disentitled by order of the court, to receive mail addressed to him.

7. A bankrupt ceases to be able to make a proposal under the Bankruptcy Act except with the prior approval of the inspectors of his estate.

Il souligne également que diverses autres lois peuvent prévoir certaines inhabilités d’un failli. À titre d’exemple, un failli ne peut être administrateur d’une société par actions[9]. Néanmoins, il n’existe pas de disposition analogue pour un associé. Le failli garde sa capacité de contracter sous réserve d’informer l’autre partie contractante de son statut conformément à l’article 199 de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité.

[35] Ainsi, compte tenu de ces commentaires, monsieur François Parent pouvait être membre d'une société en nom collectif, sous réserve d'informer les autres associés de son statut. La preuve a révélé que messieurs Daniel Parent et Gilles Savard savaient que monsieur François Parent avait fait faillite. Par conséquent, malgré son statut de failli non libéré, monsieur François Parent avait la capacité de devenir associé.

[36] Vu la conclusion que monsieur François Parent était un associé de Société DN lorsqu'il a rendu ses services durant la période pertinente, pouvait-il être en même temps un salarié de cette société? En d'autres mots, un contrat de travail peut-il exister entre un associé et sa société? Le Code civil du Québec définit un contrat de travail de la façon suivante :

ART. 2085. Le contrat de travail est celui par lequel une personne, le salarié, s'oblige, pour un temps limité et moyennant rémunération, à effectuer un travail sous la direction ou le contrôle d'une autre personne, l'employeur.

[37] Ici, monsieur François Parent avait convenu de faire l'apport de ses activités à la société. Le travail fourni par lui ne l'a pas été en contrepartie d'une rémunération mais plutôt en échange du droit de recevoir sa part des bénéfices de la société. À mon avis, le montant de 500 $ que monsieur Parent recevait constituait une avance non remboursable des bénéfices que pouvait réaliser Société DN.

[38] De plus, il n'a pas fourni son travail sous la direction ou le contrôle d'une « autre personne » . La société de personnes n'est pas considérée comme possédant une personnalité distincte de celle de ses associés, contrairement aux sociétés par actions[10]. L'entreprise de la société de personnes est celle des associés. Les actifs de la société appartiennent aux associés. C'est donc pour lui-même que monsieur François Parent travaillait. Le travail qu'il a fait n'était donc pas accompli sous la direction ou le contrôle d'une autre personne tel que l'exige l'article 2085 du C.c.Q. Par conséquent, il n'existait pas de contrat de travail entre monsieur Parent et Société DN.

[39] Dans l'affaire Carpentier c. M.R.N., 95-1684(UI), madame la juge Lamarre adopte des conclusions similaires :

Compte tenu des caractéristiques rattachées à un contrat de société tant sous le C.c.B.C. que sous le C.c.Q. et les critères retenus par la jurisprudence pour établir l'existence d'un contrat de louage de services, il m'apparaît évident qu'un associé ne peut être l'employé de sa propre société. Puisque en tant qu'associé, il participe aux prises de décision de la société dans la poursuite de l'objectif commun de la société, qu'il en partage les profits et les pertes, il en est automatiquement le maître et ne peut donc agir en même temps à titre de subalterne pour lui-même et ce, même s'il y a plusieurs associés.

[40] Les juges Teskey dans J. & S. Young Ltd. v. M.N.R., [1990] T.C.J. No. 819, Tardif dans Godin c. M.R.N., 94-1384(UI), et St-Onge dans Pitre c. Canada, [1998] A.C.I. no 743 (nos du greffe 97-1737(UI) et 97-1738(UI)), de même que les auteurs A. Edward Aust et Lyse Charette dans Le contrat d'emploi, 2e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 1993, à la page 27, partagent le même point de vue.

[41] Pour ces motifs, l'appel de monsieur François Parent est rejeté.

Signé à Ottawa, Canada, ce 3e jour de février 1999.

« Pierre Archambault »

J.C.C.I.



[1] Comme A. R. Manzer note dans « A Practical Guide to Canadian Partnership Law » , Aurora: Canada Law Book Inc., à la page 3-5 :

Completion of public filings or reports which indicate the creation of a partnership, and participation in the partnership by the individual, will likely be definitive of the individual’s participation in the partnership.

[2] Cet article se lit comme suit :

ART. 2203. La stipulation qui exclut un associé de la participation aux bénéfices de la société est sans effet.

            Celle qui dispense l'associé de l'obligation de partager les pertes est inopposable aux tiers.

[3] Cet article se lit comme suit :

ART. 2216. Tout associé a le droit de participer aux décisions collectives et le contrat de société ne peut empêcher l'exercice de ce droit.

            À moins de stipulation contraire dans le contrat, ces décisions se prennent à la majorité des voix des associés, sans égard à la valeur de l'intérêt de ceux-ci dans la société, mais celles qui ont trait à la modification du contrat de société se prennent à l'unanimité.

[4] H. Roch et R. Paré, Traité de droit civil du Québec, t. 13, Montréal, Wilson et Lafleur, 1952, à la page 458.

[5] À propos de l’article du Projet de loi 125 correspondant au texte adopté, le ministère de la Justice avait fait les commentaires suivants :

Cet article regroupe des causes qui entraînent la perte de la qualité d'associé et que l'on retrouve, pour l'essentiel, au premier alinéa de l'article 1892 (5, 6, 6a, 7) C.C.B.C. et au troisième alinéa du même article. Il leur ajoute les cas de cession ou de rachat de la part d'un associé, de retrait d'un associé sur autorisation judiciaire ou d'expulsion d'un associé de la société que prévoient les articles 2210 et 2229.

Contrairement au droit antérieur, l'article ne fait pas, des causes visées, des causes automatiques de dissolution même de la société. Il rejoint ainsi, en généralisant la portée, la solution exceptionnelle de l'article 1894 C.C.B.C. qui permettait aux associés de convenir de la continuation de la société malgré le décès d'un associé.

Cette approche nouvelle vise à éviter les pertes tout à fait inutiles, bien souvent, que pouvait entraîner la dissolution de la société pour ces causes et à dispenser les associés restants de constituer une nouvelle société pour continuer les affaires de l'ancienne. Elle favorise également la poursuite des activités des sociétés.

[6] Dans l'affaire André Cliche c. Ghislain Michaud, [1983] C.A. 479, à la page 481, le juge Turgeon confirme que la « Loi sur la faillite permet au failli de continuer à travailler pour gagner sa vie [...] Il a aussi le droit d'emprunter pour fonder un commerce ou acheter les instruments nécessaires pour exercer son métier ou sa profession » .

[7] Article 1377 du C.c.Q.

[8] Article 1385 du C.c.Q. prévoit qu’un contrat se forme par l’échange de consentement entre des personnes capables de contracter.

[9] Alinéa 108(1)c) de la Loi sur les sociétés par actions, L.R.C. (1985), ch. C-44; article 123.73 de la Loi sur les compagnies, L.R.Q. ch. C-38.

[10] À l'article 2188 du C.c.Q., le législateur québécois ne reconnaît la personnalité juridique qu'aux sociétés par actions. Dans Ville de Québec c. La Compagnie d’immeubles Allard Ltée, [1996] R.J.Q. 1566, la Cour d’appel du Québec a étudié la nature d’un contrat de société. Monsieur le juge Brossard écrit à la page 1581 :

Historiquement, les sociétés n'étaient pas considérées comme des personnes morales et ne pouvaient détenir directement des biens. Cette vision n'a changé qu'au XIXe siècle en France alors que d'autres pays de droit civil maintenaient la vision qui avait prévalu jusque-là. La position française fut adoptée suite à l'application de la théorie de la fiction. Une partie de la doctrine et de la jurisprudence québécoises y adhérèrent sans tenir compte des différences entre certains articles correspondants du C.C. et du C.C. Suite à l'examen du Code civil du Bas Canada, je me dois, pour ma part, et avec égards pour l'opinion contraire, d'indiquer mon désaccord. Je ne crois pas que le Code québécois accorde implicitement la personnalité aux sociétés. Au contraire, tel qu'explicité plus haut, il me semble que ses dispositions confirment plutôt l'absence de personnalité de la société et son incapacité à détenir des biens.

                                                                                             [Je souligne.]

Une conclusion similaire est adoptée par le juge Bernard de la Cour supérieure du Québec dans Lévesque c. Mutuelle-vie des fonctionnaires du Québec, [1996] R.J.Q. 1701. Le juge Bernard est d’avis que si le législateur avait voulu attribuer une personnalité juridique aux sociétés, il l’aurait fait de façon explicite, comme pour les compagnies. Enfin, dans Caisse populaire Laurier c. 2959-6673 Québec inc., [1996] A.Q. no 4658 (QL), le juge Barakett de la Cour supérieure a suivi le même raisonnement de la Cour d’appel du Québec dans l’affaire Ville de Québec, précitée.

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