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Date: 19980805

Dossier: 97-2560-IT-I

ENTRE :

MARISE NISSIM,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Bowman, C.C.I.

[1] Ces appels sont interjetés à l'encontre de cotisations pour 1991, 1992, 1993, 1994 et 1995.

[2] Il y a deux points en litige, soit :

a) la déductibilité de frais juridiques engagés par l'appelante dans les années 1993, 1994 et 1995;

b) la déductibilité de certaines dépenses d'entreprise indiquées par l'appelante pour 1991 et 1992.

[3] Dans les années en question, l'appelante travaillait comme collaboratrice indépendante pour le Financial Concept Group.

[4] L'appelante a produit en retard ses déclarations de revenus pour 1991 et 1992 et a fait l'objet d'une cotisation arbitraire en vertu du paragraphe 152(7) de la Loi de l'impôt sur le revenu. Dans la cotisation, on a admis 1 649 $ et 2 002 $ au titre des frais. Il s'agissait simplement de montants estimatifs (10 p. 100 et 20 p. 100, respectivement, de son revenu brut provenant du Financial Concept Group). Au procès, l'intimée a concédé que l'appelante avait droit à 4 042 $ et à 4 241 $ au titre des frais pour 1991 et 1992. Cela représentait des dépenses supplémentaires concernant des droits de permis, des frais d'automobile et des frais de bureau à domicile.

[5] De plus, le ministre a consenti à supprimer 4 000 $ et 5 000 $ du revenu de l'appelante pour 1991 et 1992. Ces sommes avaient été arbitrairement incluses comme revenus que le ministre présumait que l'appelante avait reçus de Tax Associates of Canada. L'appelante a déclaré dans son témoignage qu'elle n'avait rien reçu de cette entreprise, et le ministre reconnaît maintenant que ces montants n'auraient pas dû être inclus.

[6] Pour ce qui est des dépenses de l'appelante, je suis persuadé que l'appelante a droit à une déduction beaucoup plus importante que celle qui lui a été accordée.

[7] Le travail que l'appelante accomplissait auprès du Financial Concept Group n'était rémunéré que par voie de commissions. Le Financial Concept Group est une filiale de la Midland Walwyn. L'appelante voyageait un peu partout en Ontario, tenant des séminaires de planification financière et encourageant des clients à investir auprès de la Midland Walwyn. L'appelante devait payer l'ensemble de ses propres dépenses.

[8] Pour 1991 et 1992, l'appelante avait indiqué comme dépenses 12 912,86 $ et 13 609,79 $, respectivement. Ces montants correspondent à ce qui suit :

DÉPENSES POUR 1991

Frais comptables et juridiques et

frais de consultation 0,00 $

Publicité et promotion 800,00 $

Frais d'automobile 4 455,00 $

Amortissement 1 809,52 $

Permis 375,00 $

Dépenses de bureau 1 436,80 $

Dépenses salariales 0,00 $

Frais de bureau indirects 4 036,54 $

DÉPENSES POUR 1992

Frais comptables et juridiques et

frais de consultation 0,00 $

Publicité et promotion 800,00 $

Frais d'automobile 5 028,08 $

Amortissement 1 942,72 $

Permis 375,00 $

Dépenses de bureau 1 316,79 $

Dépenses salariales 0,00 $

Frais de bureau indirects 4 147,20 $

[9] De plus, pour 1991, l'appelante avait reporté prospectivement 3 584,97 $ comme frais de bureau indirects d'une année antérieure. Il n'y aucun élément de preuve quant à la composition de cette somme particulière, et je ne peux donc accorder à l'appelante aucune mesure de redressement à cet égard, mais je présume que, lorsque le ministre établira la nouvelle cotisation, il vérifiera l'exactitude de la somme puisqu'il n'a pas pris cela en compte dans la dernière cotisation.

[10] Pour ce qui est des autres dépenses indiquées, je conclus ce qui suit.

Publicité et promotion

[11] L'appelante a présenté un tableau détaillé de frais de représentation totalisant 791 $ pour 1991. Le montant de 632 $ représente 80 p. 100 de cette somme. Je suis convaincu que ce montant est admissible. L'entreprise de l'appelante exige beaucoup de représentation et de nombreux déplacements, et le montant de 632 $ qui a été indiqué est à mon avis raisonnable.

[12] Pour 1992, le montant de 800 $ indiqué par l'appelante n'était qu'une approximation. Bien que je n'insiste pas sur des reçus, il me faut quelque chose sur quoi me fonder, et des approximations ont si peu de poids que je ne peux rien admettre à cet égard pour 1992.

Frais d'automobile

[13] L'appelante a présenté un tableau détaillé, basé sur des reçus, indiquant des frais d'automobile de 5 869,48 $ pour 1991 et de 5 437,97 $ pour 1992. Elle a dit qu'elle avait déduit 90 p. 100 de ses frais de voiture. En fait, elle en a déduit environ 75 p. 100 pour 1991 et 92 p. 100 pour 1992.

[14] Je ne vois aucune raison de ne pas être d'accord sur son estimation de 75 p. 100. Je considère que c'est raisonnable vu la quantité de déplacements qu'elle doit effectuer dans son travail. Elle a donc droit à 4 401 $ pour 1991 et à 4 075 $ pour 1992.

Amortissement

[15] Aucun montant n'avait été admis à cet égard dans les cotisations arbitraires établies pour 1991 et 1992 en vertu du paragraphe 152(7). Les tableaux relatifs à la déduction pour amortissement que l'appelante a présentés sont détaillés, et l'appelante a dit que ces tableaux se fondaient sur ses registres et sur des reçus. J'accepte son témoignage. L'appelante devrait avoir droit aux montants indiqués au titre de la déduction pour amortissement, soit 1 809,52 $ pour 1991 et 1 942,72 $ pour 1992.

Permis

[16] L'intimée reconnaît que le montant de 375 $ pour chaque année représente une dépense admissible.

Dépenses de bureau

[17] Pour 1991, l'appelante a prouvé l'existence de frais de bureau de 2 493,41 $ en produisant des reçus ainsi qu'un tableau. En fait, elle n'avait déduit que 1 436,80 $. Je pense qu'elle a droit pour 1991 à une déduction de 2 493,41 $. Je suis également convaincu que le montant de 1 316,79 $ indiqué pour 1992 est admissible. L'appelante a omis, peut-être par inadvertance, de présenter un tableau pour 1992, mais, selon la prépondérance des probabilités, je suis convaincu que le montant indiqué est exact et qu'elle devrait être autorisée à le déduire. L'appelante m'est apparue comme étant un témoin méticuleux, prudent et honnête.

Frais de bureau indirects

[18] Pour 1991, l'appelante avait indiqué 4 036,54 $. Il s'agissait d'une partie des frais d'entretien de sa maison, où elle avait un bureau. Elle a dit qu'elle avait déduit 25 p. 100 de ses dépenses concernant l'entretien, le chauffage et l'électricité, l'impôt foncier, les intérêts hypothécaires et les assurances. En fait, elle a prouvé l'existence de frais totalisant 20 970,02 $, et 25 p. 100 de ce montant, cela donnerait 5 242,51 $. Le montant de 4 036 $ représente 19,24 p. 100. Le bureau de l'appelante occupe une partie importante du rez-de-chaussée de sa maison, soit un bungalow à demi-niveaux. Cette répartition est tout à fait raisonnable. Pour 1992, elle avait indiqué 4 147,20 $. Bien qu'elle n'ait pas présenté de tableau semblable, on peut évidemment conclure que les dépenses seraient à peu près les mêmes, et je pense que l'appelante devrait avoir droit au montant déduit.

[19] Il est à noter que l'appelante a déduit des dépenses d'entreprise semblables pour 1993, 1994 et 1995 et que ces dépenses ont été admises sans aucune contestation de la part du ministre.

[20] Je pense que le problème de l'appelante tenait au fait qu'elle avait produit en retard ses déclarations de revenu pour 1991 et 1992 et que le ministre, ayant établi des cotisations arbitraires pour ces années-là, n'était pas disposé à considérer les déclarations de revenu de l'appelante telles qu'elles avaient été produites.

1993, 1994 et 1995

[21] Le point en litige concernant ces années-là est la déductibilité de frais judiciaires. Les frais déduits étaient de 3 983 $, de 13 914,26 $ et de 8 500 $, respectivement.

[22] Me fondant sur la crédibilité évidente de l'appelante, je suis convaincu que les sommes déduites ont été engagées et effectivement payées. Une part importante des sommes déduites pour 1994 et 1995 avait été payée par le Régime d'aide juridique de l'Ontario, et l'appelante doit cet argent au régime, qui a fait enregistrer un privilège sur la maison de l'appelante au titre de cette dette.

[23] Il était argué que l'appelante n'avait pas payé ces sommes. Je ne puis accepter cette prétention. L'appelante était tenue de payer les frais judiciaires. Le Régime d'aide juridique de l'Ontario les a payés pour elle et continue à en exiger le remboursement de l'appelante. La situation n'est pas très différente de ce qu'il en serait si l'appelante avait emprunté à la banque l'argent nécessaire pour payer les frais.

[24] La question importante est de savoir si les frais judiciaires ont été engagés en vue de gagner un revenu ou s'il s'agissait de dépenses en immobilisations ou encore de frais personnels ou de subsistance.

[25] Les dépenses ont été engagées dans le cadre d'une action en divorce pénible, soit une action intentée par l'ex-conjoint de l'appelante, Miko Nissim. Les années 1991 et 1992 ont été difficiles pour l'appelante. Au cours de cette période, son beau-père, à qui elle était très attachée, est décédé, sa mère a eu une grave attaque d'apoplexie, elle-même est tombée enceinte de son deuxième enfant (le premier est né en 1983, et le deuxième en 1993), son époux a intenté une action en divorce et elle a eu des problèmes de santé. Son époux était extrêmement violent et, d'après ce qu'elle a dit dans son témoignage, que j'accepte, le premier avocat qu'elle avait consulté était lui aussi violent dans ses propos et était, semble-t-il, rapace.

[26] Tout au long des années en question, la préoccupation primordiale de l'appelante était le bien-être de ses enfants. L'appelante n'a pas contesté le divorce et, comme son époux était violent et qu'il se souciait manifestement peu des enfants, la garde des enfants, dont l'appelante était seule responsable, n'a pas été un point litigieux.

[27] Le divorce définitif remonte à 1995.

[28] Les nombreuses procédures judiciaires ainsi que les relations de l'appelante avec les nombreux avocats dont elle avait retenu les services avaient toutes pour objet primordial l'exécution de l'obligation qu'avait l'époux de verser des aliments pour les enfants. Je considère comme avéré que l'époux ne s'était pas acquitté de l'obligation qu'il avait de verser des aliments en vertu de l'ordonnance de la cour. L'époux a fini par entreprendre de payer, et les paiements ont été déclarés comme revenus par l'appelante et ont été déduits par l'époux. À mon avis, l'objet des frais juridiques qui ont été engagés était d'obliger l'époux à respecter l'obligation qu'il avait de verser des aliments pour les deux enfants. Donc, les dépenses ont été engagées en vue de gagner un revenu sous forme de paiements d'entretien, lesquels sont évidemment imposables entre les mains de l'appelante en vertu de l'alinéa 56(1)b) ou c) de la Loi de l'impôt sur le revenu.

[29] L'avocat a renvoyé à la décision rendue par le juge Cattanach dans l'affaire The Queen v. Burgess, 81 DTC 5192. Dans cette affaire-là, la Commission de révision de l'impôt (79 DTC 347) avait admis la déduction des frais judiciaires de l'épouse. Ces frais avaient été engagés relativement à la demande de paiements d'entretien présentée à l'époque du divorce. La Commission de révision de l'impôt avait accueilli l'appel, se fondant sur l'affaire Evans v. M.N.R., [1960] R.C.S. 391, dans laquelle la Cour suprême du Canada avait majoritairement statué que les frais judiciaires engagés pour obtenir un revenu annuel de 25 000 $ de la succession du père du contribuable représentaient une dépense déductible. À la page 398, le juge Cartwright disait, pour la majorité :

[TRADUCTION]

À mon avis, la forme sous laquelle l'affaire a été soumise à la Cour n'a pas d'importance; l'appelante a engagé ces frais judiciaires dans le but d'obtenir paiement d'un revenu; il s'agissait de dépenses faites en vue de toucher un revenu auquel elle avait droit, mais dont elle ne pouvait obtenir paiement autrement. Dans cette perspective, on peut difficilement douter que les dépenses fussent déductibles du revenu imposable de l'appelante. Voilà, à mon avis, la conclusion à tirer, peu importe, que la dame Andersen ait prétendu à tort que l'appelante n'avait pas droit à aucun revenu.

[30] Infirmant la décision de la Commission de révision de l'impôt, le juge Cattanach a établi une distinction entre l'arrêt Burgess et l'arrêt Evans; il disait à la page 5197 :

Le revenu de la défenderesse ne tient pas à un droit né du mariage. À mon avis, le droit né du mariage est le droit aux aliments pendant le mariage, et il s'est éteint à la dissolution du mariage. Si les faits le justifient, la Cour qui accorde le divorce peut également accorder, conformément à son pouvoir souverain d'appréciation, un montant raisonnable à titre de pension alimentaire. C'est l'ordonnance de la Cour qui accorde à la défenderesse le droit à une pension alimentaire.

Puisqu'il en est ainsi, les principes établis par l'arrêt Evans ne s'appliquent pas en l'espèce.

Dans la cause Evans, l'appelante avait un droit acquis au revenu; elle a subi des frais juridiques pour obtenir paiement de ce revenu qu'on refusait de lui payer. L'action intentée portait sur ce revenu.

En l'espèce, le droit de la défenderesse aux aliments, né du mariage, s'est éteint avec le divorce. Son droit à une pension alimentaire subséquente est né de l'ordonnance de la Cour. L'action intentée était une action en divorce et, accessoirement, une action alimentaire.

En conséquence, les frais juridiques dont s'agit (sic) représentent une dépense en immobilisations visant à constituer un droit, et non une dépense effectuée dans le but de forcer le paiement d'un revenu qui est le produit d'un droit préexistant.

[31] Dans la présente espèce, les frais judiciaires ont été engagés avant la dissolution du mariage et visaient à obliger l'époux à respecter l'obligation qu'il avait de faire des paiements d'entretien. Pour ce motif, je pense que la présente espèce est régie par l'arrêt Evans plutôt que par l'arrêt Burgess.

[32] Outre cette distinction, j'ajouterais qu'à mon avis, sauf tout le respect que j'ai pour les jugements du juge Cattanach, la distinction que ce dernier a établie en 1981 peut ne pas être conforme aux réalités économiques et sociales de 1998. Nous connaissons tous trop bien le phénomène des époux qui ne s'acquittent pas de l'obligation d'entretien qu'ils ont envers leur épouse et leurs enfants. Le fait de refuser aux épouses le droit de déduire les frais engagés pour obliger leur époux à payer sa juste part de l'entretien des enfants et d'imposer les épouses sur les paiements d'entretien qu'elles peuvent obtenir de leur époux me semble contraire au bon sens et aux principes ordinaires de justice. Quelle que puisse être la valeur de la distinction entre les frais engagés pour assurer le respect d'un droit existant à un revenu et les frais engagés pour établir un tel droit, je ne pense pas que les tribunaux doivent s'efforcer de trouver des raisons juridiques de refuser que ces dépenses très nécessaires soient déduites. Il importe de reconnaître que le droit concernant les dépenses d'exploitation et les dépenses en immobilisations a évolué depuis le siècle dernier et que des distinctions pouvant avoir eu du poids en 1898 peuvent être moins importantes en 1998. Dans l'arrêt M.N.R. v. Algoma Central Railway, 68 DTC 5096, la Cour suprême du Canada disait, à la page 5097 :

[TRADUCTION]

Le législateur n'a pas défini les expressions “ somme déboursée ” ou “ paiement à titre de capital ”. Comme il n'y a pas de critère législatif, l'application ou la non-application de ces expressions à des dépenses particulières doit dépendre des faits propres à chaque cas. Nous ne pensons pas qu'un seul et unique critère s'applique aux fins de cette détermination et souscrivons au point de vue exprimé par lord Pearce dans une décision récente du Conseil privé, soit B.P. Australia Ltd. v. Commissioner of Taxation of the Commonwealth of Australia, (1966) A.C. 224. Au sujet de la question de savoir si une dépense était une dépense en immobilisations ou une dépense d'exploitation, il disait, à la page 264 :

[TRADUCTION]

La solution du problème ne réside pas dans l'application d'un critère ou d'une définition rigides. Elle découle des nombreux aspects de l'ensemble des circonstances, dont certaines amènent à conclure dans un sens, et certaines, dans un autre. Il se peut qu'un facteur ressorte de façon tellement évidente qu'il domine d'autres indices plus vagues qui indiquent une solution contraire. C'est une appréciation logique de tous les éléments directeurs qui permettra d'obtenir la réponse finale.

[33] On ne peut lire l'arrêt de la Cour suprême du Canada Symes v. The Queen, 94 DTC 6001 (qui n'a par ailleurs rien à voir avec la présente espèce), sans être frappé par le fait que la cour y reconnaît l'évolution des réalités et exigences de la vie moderne et qu'elle y est sensible.

[34] Les appels sont admis, et les cotisations sont déférées au ministre du Revenu national, compte tenu de ce qui suit :

a) les dépenses d'entreprise pour 1991 et 1992 sont déductibles dans la mesure spécifiée dans les motifs du jugement, et les montants de 4 000 $ et de 5 000 $ doivent être supprimés du revenu de l'appelante pour ces années-là, respectivement;

b) les frais juridiques indiqués pour 1993, 1994 et 1995 sont déductibles.

[35] L'appelante a droit à ses frais, le cas échéant.

Signé à Ottawa, Canada, ce 5e jour d'août 1998.

“ D. G. H. Bowman ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 29e jour de janvier 1999.

Mario Lagacé, réviseur

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