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Date: 19990315

Dossier: 97-897-UI; 97-101-CPP

ENTRE :

ERIN MILLS COIFFURES LTD. S/N NINO D'ARENA HAIR DESIGN,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

Motifs du jugement

Le juge suppléant Porter, C.C.I.

[1] Les appels en l'instance ont été entendus à Toronto (Ontario) le 13 novembre 1998 et, avec le consentement des parties, ils ont été entendus sur preuve commune.

[2] L'appelante interjette appel de la décision par laquelle, le 26 mars 1997, le ministre du Revenu national (le « ministre » ) a confirmé les évaluations, établies à son égard le 1er février 1996. Elles réclamaient le paiement, pour 1994, de cotisations de 1 163,02 $ au Régime de pensions du Canada et de 1 812,34 $ au Régime d'assurance-chômage et, pour 1995, de cotisations de 671,58 $ au Régime de pensions du Canada et de 974,26 $ au Régime d'assurance-chômage, plus les intérêts et les pénalités applicables. La raison donnée était la suivante :

[TRADUCTION]

[...] C'est parce que la travailleuse en cause dans les évaluations (Vicky Nguyen) était employée aux termes d'un contrat de louage de services et qu'elle était par conséquent une employée de Erin Mills Coiffure Ltd. s/n Nino D'Arena Hair Design.

La décision aurait été rendue conformément aux paragraphes 27(2) du Régime de pensions du Canada (le « Régime » ) et 61(2) de la Loi sur l'assurance-chômage (la « Loi » ), et elle était fondée sur les alinéas 6(1)a) du Régime et 3(1)a) de la Loi.

[3] Les faits établis révèlent que, pendant les années en question, la travailleuse était manucure dans l'un des salons de beauté de l'appelante. La Cour est appelée à déterminer si la travailleuse y était employée aux termes d'un contrat de louage de services ou aux termes d'un contrat d'entreprise. Si elle a été engagée aux termes d'un contrat de louage de services, l'emploi en question est un emploi assurable au sens du Régime et de la Loi, et des cotisations sont payables. Si, par contre, elle a été engagée aux termes d'un contrat d'entreprise, il ne s'agit pas d'un emploi assurable et l'appelante n'est pas tenue de payer des cotisations.

Le droit

[4] La façon dont la Cour doit procéder pour déterminer si une entente donnée est un contrat de louage de services donnant lieu à une relation employeur-employé ou un contrat d'entreprise mettant en cause un entrepreneur autonome a été clairement énoncée par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Wiebe Door Services Ltd. v. M.N.R., 87 DTC 5025. La Cour a expliqué plus en détail le critère applicable dans l'arrêt Moose Jaw Kinsmen Flying Fins Inc. v. M.N.R., 88 DTC 6099. Dans la foulée de ces affaires, nombre de décisions de la Cour canadienne de l'impôt, dont certaines ont été citées par l'avocate, montrent de quelle façon les lignes directrices énoncées par la Cour d'appel fédérale ont été appliquées. Dans l'arrêt Moose Jaw Kinsmen Flying Fins Inc., précité, la Cour d'appel fédérale a dit ceci :

[Analyse]

La cause décisive concernant cette question dans le contexte de la loi est la décision de la Cour dans l'affaire Wiebe Door Services Ltd. c. Le ministre du Revenu national, 87 D.T.C. 5025. Parlant au nom de la Cour, le juge MacGuigan a analysé des causes canadiennes, britanniques et américaines et, en particulier, il a mentionné les quatre critères pour rendre une telle décision qui sont énoncés par lord Wright dans l'affaire La ville de Montréal c. Montreal Locomotive Works Ltd., [1974] 1 D.L.R. 161, aux pages 169 et 170. Il a conclu à la page 5028 que :

Dans ce contexte, les quatre critères établis par lord Wright constituent une règle générale, et même universelle, qui nous oblige à [TRADUCTION] « examiner l'ensemble des divers éléments qui composent la relation entre les parties » . Quand il s'est servi de cette règle pour déterminer la nature du lien existant dans l'affaire Montreal Locomotive Works, lord Wright a combiné et intégré les quatre critères afin d'interpréter l'ensemble de la transaction.

À la page 5029, il déclare :

Je considère le critère de lord Wright non pas comme une règle comprenant quatre critères, comme beaucoup l'ont interprété, mais comme un seul critère qui est composé de quatre parties intégrantes et qu'il faut appliquer en insistant toujours sur ce que lord Wright a appelé [TRADUCTION] « l'ensemble des éléments qui entraient dans le cadre des opérations » et ce même si je reconnais l'utilité des quatre critères subordonnés.

À la page 5030, il poursuit :

Il est toujours important de déterminer quelle relation globale les parties entretiennent entre elles.

Il fait également observer : « Quand il doit régler un tel problème, le juge de première instance ne peut se soustraire à l'obligation de peser avec soin tous les facteurs pertinents » .

[...] comme le juge MacGuigan, nous considérons les critères comme des subordonnés utiles pour peser tous les faits relatifs à l'entreprise de la requérante. C'est maintenant l'approche appropriée et préférable pour la très bonne raison que dans une cause donnée, et celle-ci peut très bien en être une, un ou plusieurs des critères peuvent être peu ou pas applicables. Pour rendre une décision, il faut donc considérer l'ensemble de la preuve en tenant compte des critères qui peuvent être appliqués et donner à toute la preuve le poids que les circonstances peuvent exiger.

[5] On peut résumer ainsi les critères en question :

le degré, ou l'absence, de contrôle exercé par le prétendu employeur;

la propriété des instruments de travail;

les chances de bénéfice et les risques de perte;

l'intégration des travaux effectués par le prétendu employé dans l'entreprise du prétendu employeur.

[6] Je relève aussi les propos tenus par le juge MacGuigan dans l'arrêt Wiebe, précité, où il a approuvé la position adoptée par les tribunaux anglais :

C'est probablement le juge Cooke, dans Market Investigations, Ltd. v. Minister of Social Security, [1968] 3 All E.R. 732 (Q.B.D.), qui, parmi ceux qui ont examiné le problème, en a fait la meilleure synthèse (aux pages 738 et 739):

[TRADUCTION] Les remarques de lord Wright, du lord juge Denning et des juges de la Cour suprême des États-Unis laissent à entendre que le critère fondamental à appliquer est celui-ci: « La personne qui s'est engagée à accomplir ces tâches les accomplit-elle en tant que personne dans les affaires à son compte » . Si la réponse à cette question est affirmative, alors il s'agit d'un contrat d'entreprise. Si la réponse est négative, alors il s'agit d'un contrat de service personnel. Aucune liste exhaustive des éléments qui sont pertinents pour trancher cette question n'a été dressée, peut-être n'est-il pas possible de le faire; on ne peut non plus établir de règles rigides quant à l'importance relative qu'il faudrait attacher à ces divers éléments dans un cas particulier. Tout ce qu'on peut dire, c'est qu'il faudra toujours tenir compte du contrôle même s'il ne peut plus être considéré comme le seul facteur déterminant; et que des facteurs qui peuvent avoir une certaine importance sont des questions comme celles de savoir si celui qui accomplit la tâche fournit son propre outillage, s'il engage lui-même ses aides, quelle est l'étendue de ses risques financiers, jusqu'à quel point il est responsable des mises de fonds et de la gestion, et jusqu'à quel point il peut tirer profit d'une gestion saine dans l'accomplissement de sa tâche. L'utilisation du critère général peut être plus facile dans un cas où la personne qui s'engage à rendre le service le fait dans le cadre d'une affaire déjà établie; mais ce facteur n'est pas déterminant. Une personne qui s'engage à rendre des services à une autre personne peut bien être un entrepreneur indépendant même si elle n'a pas conclu de contrat dans le cadre d'une entreprise qu'elle dirige actuellement.

[7] J'ajouterai à cela les propos du juge Décary qui, s'exprimant pour la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Charbonneau c. Canada (M.R.N.) [1996] A.C.F. no 1337, a dit :

Les critères énoncés par cette Cour [...] ne sont pas les recettes d'une formule magique. Ce sont des points de repère qu'il sera généralement utile de considérer, mais pas au point de mettre en péril l'objectif ultime de l'exercice qui est de rechercher la relation globale que les parties entretiennent entre elles. Ce qu'il s'agit, toujours, de déterminer, une fois acquise l'existence d'un véritable contrat, c'est s'il y a, entre les parties, un lien de subordination tel qu'il s'agisse d'un contrat de travail [...] ou s'il n'y a pas, plutôt, un degré d'autonomie tel qu'il s'agisse d'un contrat d'entreprise ou de service [...]. En d'autres termes, il ne faut pas [...] examiner les arbres de si près qu'on perde de vue la forêt. Les parties doivent s'effacer devant le tout.

[8] Je dois donc, pour trancher la question en litige, tenir compte de ces lignes directrices jurisprudentielles.

Les faits

[9] Les hypothèses de fait sur lesquelles le ministre s'est fondé sont énoncées dans les réponses respectives aux avis d'appel. Elles sont les mêmes dans chaque cas :

[TRADUCTION]

l'entreprise de l'appelante compte 22 salons de beauté ayant chacun leur gérant;

les actionnaires de l'appelante sont les suivants :

Conforti Holdings Ltd. 50 p. 100

Monzer Alsmaman 50 p. 100

la travailleuse a été engagée comme manucure;

d'après les feuilles de paie des années 1994 et 1995 de l'appelante, le statut de la travailleuse était le suivant :

du 1er janvier 1994 au 19 mars 1994

employée (première période)

du 20 mars 1994 au 29 avril 1995

entrepreneur autonome (deuxième période)

du 30 avril 1995 au 4 novembre 1995

employée (troisième période)

c'est pour prendre un congé de maternité que la travailleuse a été licenciée;

le taux de paie de la travailleuse a été fixé à 70 p. 100 du revenu brut qu'elle générait;

les heures de travail de la travailleuse étaient fonction des rendez-vous pris par les clients, mais elles devaient suivre les heures d'ouverture du salon de beauté;

le matériel nécessaire, comme la brosse, le vernis à ongles, le séchoir, étaient fournis par la travailleuse, mais les dépenses étaient remboursées par l'appelante lorsque la travailleuse était considérée comme une employée;

la travailleuse devait fournir les services personnellement;

l'appelante conserve le droit de mettre fin aux services de la travailleuse;

les services de la travailleuse étaient intégrés à l'entreprise de l'appelante;

les conditions de travail de la travailleuse au cours des trois périodes mentionnées à l'alinéa e) étaient les mêmes, si ce n'est que, au cours de la première et de la troisième période, le payeur a remboursé les fournitures à la travailleuse alors qu'au cours de la deuxième période la travailleuse a payé les fournitures;

la travailleuse était employée par l'appelante aux termes d'un contrat de louage de services;

l'appelante n'a fait aucune retenue au titre des cotisations d'assurance-chômage (cotisations au Régime de pensions du Canada) sur la rémunération de la travailleuse.

[10] Par l'entremise de sa représentante, l'appelante a admis les allégations énoncées aux alinéas a) à f) (bien que, dans ce dernier cas, ce ne fut qu'à partir de la deuxième période), g) et h) (sauf que la preuve a révélé qu'aucun remboursement n'a été effectué au cours de la deuxième période), j), l) et n). L'appelante a nié les allégations faites aux alinéas i), k) et m).

[11] La preuve a révélé qu'au cours de la première période la travailleuse avait été engagée à titre d'employée et touchait un salaire de 8 $ l'heure. En mars 1994, elle a indiqué qu'elle voulait travailler comme entrepreneur autonome. Les modalités relatives à la rétribution ont alors été modifiées et, à partir de ce moment-là, la travailleuse a touché 70 p. 100 du revenu brut généré par son travail, et l'appelante, 30 p. 100. Au cours de cette deuxième période, la travailleuse a fourni et utilisé ses propres instruments et matériel, à l'exception de la table, qui était un accessoire fixe de l'établissement. Elle a aussi acheté et payé elle-même toutes ses fournitures. Puis, lorsqu'elle a constaté qu'elle ne faisait pas suffisamment d'argent et qu'elle a voulu redevenir une employée, elle a continué à toucher 70 p. 100 du revenu qu'elle générait, mais elle n'a plus eu à payer elle-même ses outils et son matériel ou ses fournitures, qui, tout au long de la troisième période, ont été payés par l'appelante.

[12] Il est clair que, si elle avait les compétences nécessaires pour accomplir son travail et qu'elle n'était pas supervisée au quotidien, la travailleuse était néanmoins l'objet, de façon générale, d'une supervision de la part de l'appelante. Elle devait travailler uniquement pendant les heures d'ouverture du salon qui étaient déterminées par le centre commercial où celui-ci se trouvait. Les heures de la travailleuse étaient essentiellement fixées par d'autres. L'appelante pouvait mettre fin à son emploi en tout temps. La travailleuse aurait pu se faire remplacer par quelqu'un, mais cela valait pour les trois périodes, non pas seulement pour la deuxième période. La travailleuse devait aussi faire tout son travail au salon.

[13] Il est clair que, au cours de la première et de la troisième période, la travailleuse a utilisé les instruments appartenant à l'appelante et que, au cours de la deuxième période, elle a utilisé ses propres instruments. C'est là une différence importante.

[14] Exception faite du coût des instruments qu'elle a dû assumer au cours de la deuxième période, la travailleuse ne risquait pas de subir des pertes ni n'avait de chance de réaliser des bénéfices supplémentaires. Elle pouvait simplement faire plus d'argent en travaillant davantage. Cependant, elle ne payait aucune part des frais généraux des lieux. Elle n'avait aucun paiement minimum à faire. Si elle n'avait aucun client, elle n'avait aucune dépense. Dans ce cas, elle ne faisait simplement pas d'argent ni n'en perdait. Il n'y avait absolument aucun aspect d'un travail accompli à titre d'entrepreneur autonome dans cette entente.

[15] Enfin, si l'on prend en considération le volet intégration de l'entreprise et que l'on pose la question de savoir à qui l'entreprise appartenait, il est parfaitement clair, à mon avis, que l'entreprise était celle de l'appelante en tout temps. La clientèle était celle de l'appelante, et les services fournis par la travailleuse faisaient partie de l'ensemble des services offerts par l'appelante. Les rendez-vous étaient fixés par la réceptionniste, les prix des services étaient fixés par l'appelante, à qui les paiements étaient effectués et qui s'occupait de la totalité de la comptabilité et de la tenue de livres. La travailleuse ne remettait à l'appelante aucune facture pour son travail ni ne facturait la TPS. Elle fournissait ses services exclusivement dans les locaux de l'appelante.

[16] En définitive, il me semble parfaitement clair que la travailleuse en l'instance a exécuté des fonctions faisant partie intégrante de l'entreprise de l'appelante. À différents moments, elle a exécuté ces fonctions conformément à différentes ententes pécuniaires, sans que, à mon avis, son statut d'employée ne soit modifié. Même si c'était ce que l'appelante et la travailleuse croyaient vouloir faire, à mes yeux, elles n'ont pas atteint leur objectif dans les faits. Le vendeur à commission qui peut travailler conformément à des modalités en matière de rétribution qui sont différentes de celles d'un employé payé à l'heure peut dans les faits demeurer un employé qui travaille tout simplement à la pièce, selon un pourcentage, même s'il fournit certains de ses instruments de travail. Je ne vois pas la situation différemment en l'espèce.

Conclusion

[17] En conclusion, je suis d'avis que l'entente conclue entre l'appelante et la travailleuse au cours des trois périodes est demeurée un contrat delouage de services. Les modalités pécuniaires de cette entente ont varié dans chacune des trois périodes, mais, essentiellement, la nature de l'entente est restée la même. Franchement, l'appelante n'a pas établi que la travailleuse jouissait d'un degré d'indépendance suffisant pour que l'entente doive être qualifiée de contrat d'entreprise.

[18] En conséquence, les deux appels sont rejetés, la décision du ministre et les évaluations sont confirmées.

Signé à Calgary (Alberta), ce 15e jours de mars 1999.

« Michael H. Porter »

J.S.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 20e jour de décembre 1999.

Mario Lagacé, réviseur

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