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Date: 20000630

Dossier: 98-1411-IT-G

ENTRE :

IAN STRACHAN,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

La juge Lamarre, C.C.I.

[1] L'appel porte sur une cotisation établie par le ministre du Revenu national (le “ Ministre ”) en vertu du paragraphe 15(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la “ Loi ”) pour l'année d'imposition 1992 de l'appelant. Dans ladite cotisation, le Ministre a ajouté une somme de 114 640 $ au revenu de l'appelant à titre d'avantage lui ayant été conféré en sa qualité d'actionnaire au cours de l'année. Cette somme représente les frais juridiques payés à une étude d'avocats des États-Unis par la Northside Development Corporation (“ Northside ”), société dont l'appelant était l'unique actionnaire lors de l'année en cause.

Faits

[2] Les faits admis par les parties sont récapitulés aux paragraphes 2 à 12 des observations écrites de l'intimée :

2. Tout au long de la période considérée, l'appelant était l'unique actionnaire ainsi que l'employé de la Northside Development Corporation (“ Northside ”).

3. Le 25 avril 1990 ou vers cette date, l'appelant, Norman Mutrey et Clifford Jones ont entrepris des démarches afin que l'entreprise C.N.I. Forest Products Limited (“ CNI ”) soit constituée en société.

4. Le 27 avril 1990 ou vers cette date, l'appelant, Norman Mutrey, Clifford Jones et CNI ont conclu une entente avec Omex International Incorporated (“ Omex ”).

5. Des différends ont ensuite surgi relativement à l'entente en question, et Omex a entamé une procédure d'arbitrage en Virginie, aux États-Unis, à l'encontre de l'appelant et de CNI. Le dossier a fait l'objet d'une audience d'arbitrage, et une sentence défavorable à l'appelant et à CNI a été rendue.

6. Par suite d'une demande en ce sens d'Omex, cette sentence arbitrale a été reconnue par les tribunaux de Terre-Neuve, et la Cour suprême de Terre-Neuve a rendu, le 7 juillet 1993, une ordonnance prévoyant le versement par l'appelant et CNI d'un montant de 516 600,88 $, avec intérêts et dépens.

7. Northside n'a jamais été partie à la procédure susmentionnée et n'y a jamais participé directement.

8. C'est l'étude d'avocats Birch, Stewart, Kolasch et Birch (“ BSKB ”) qui défendait l'appelant dans le cadre de la procédure susmentionnée, en Virginie. À cette occasion, l'appelant a engagé à titre personnel des frais juridiques d'au moins 114 640 $ payables à BSKB.

9. Au cours de l'année d'imposition 1992, Northside a versé 114 640 $ à BSKB au titre des frais juridiques de l'appelant.

10. Durant la période pertinente, Northside exploitait son entreprise dans un hangar situé à Northside, dans la région de Goose Bay (le “ hangar ”).

11. L'appelant qui, du 1er novembre 1990 au 30 mars 1993, détenait le droit de tenure à bail grevant le hangar, a loué ce dernier à Northside durant la période pertinente.

12. Le droit de tenure à bail grevant le hangar a été transféré à Northside le 30 mars 1993.

[3] Selon l'intimée, Northside exerçait ses activités dans le hangar sans être touchée par la procédure d'Omex International Incorporated (“ Omex ”) ni par les ordonnances susmentionnées contre l'appelant — une affirmation avec laquelle l'appelant est en désaccord. L'intimée prétend que le paiement des frais juridiques à l'étude d'avocats américaine par Northside s'est traduit par un avantage pour l'appelant. Par conséquent, ce dernier était tenu d'inclure dans le calcul de son revenu, à titre d'avantage imposable, le montant des frais juridiques payés par Northside.

[4] De son côté, l'appelant soutient qu'il a engagé les frais juridiques en question dans l'intérêt de Northside, et que, si les activités de cette dernière n'avaient pas été mises en péril du fait de la procédure entamée par Omex, il n'aurait pour sa part jamais présenté de défense aux États-Unis.

[5] L'unique question à trancher ici est de savoir si, en payant les frais juridiques de l'appelant, Northside lui a conféré un avantage de 114 640 $ en sa qualité d'actionnaire, ou encore d'employé.

[6] Dans son témoignage, l'appelant a indiqué que Northside avait été constituée en société en 1989 dans le but de soumissionner pour l'obtention d'un contrat du ministère de la Défense nationale prévoyant la construction à Goose Bay, au Labrador, d'une usine de production d'azote et d'oxygène sous forme gazeuse et liquide à l'intention des alliés du Canada qui effectuent des opérations à partir de la base aérienne de Goose Bay.

[7] Dans sa demande de propositions concernant ce projet, le gouvernement posait des questions sur la viabilité financière des soumissionnaires. Une petite société comme Northside devait absolument démontrer qu'elle disposait de la totalité des fonds requis pour mener le contrat à bien. Dans ce but, Northside a mené des négociations avec la Banque de développement du Canada (la “ BDC ”), qui a convenu d'accorder concurremment des prêts à Northside et à l'appelant, le hangar tenant lieu de garantie. Le hangar était loué au départ par la Newfoundland and Labrador Housing Corporation (“ NLHC ”) à North Limited (société appartenant à l'épouse de l'appelant) aux termes d'un bail d'une durée de 50 ans daté du 4 novembre 1985. À la demande de la BDC, North Limited a cédé ce bail à l'appelant par voie de cession datée du 1er novembre 1990, de sorte que ce dernier détenait à titre personnel le droit de tenure à bail grevant le hangar. Les fonds ont été mis à la disposition de Northside et de l'appelant en novembre et en décembre 1990.

[8] Le 15 janvier 1991, Northside a obtenu un premier contrat de cinq ans du gouvernement du Canada, par l'intermédiaire du ministre des Approvisionnements et Services. Peu après, l'appelant a réalisé que Northside devrait construire une deuxième usine pour satisfaire aux exigences de production. Une première demande de propositions en vue de réviser le contrat a été lancée par Approvisionnements et Services Canada le 5 février 1991. À l'automne 1991, l'appelant a communiqué avec la BDC afin d'obtenir une aide financière additionnelle, puis, le 30 mars 1992, Northside a rempli une demande de prêt afin d'obtenir de la BDC une somme supplémentaire de 1 601 862 $ (pièce R-1, onglet 17).

[9] Approvisionnements et Services Canada a fait une autre demande de propositions le 19 juin 1992 dans le but de réviser le contrat et, le 29 octobre 1992, la BDC a accordé un prêt supplémentaire de 1 million de dollars à Northside et à l'appelant après avoir obtenu la garantie solidaire de ces derniers. Le solde de l'emprunt précédent obtenu de la BDC par Northside se chiffrait alors à 688 317 $, et celui de l'emprunt obtenu par l'appelant pour le contrat militaire, à 188 747 $.

[10] Entre autres choses, une hypothèque sur le bail de 50 ans déjà mentionné entre la NLHC et l'appelant à l'égard du hangar a été accordée à la BDC à titre de garantie, et la BDC a exigé que ce hangar ne fasse l'objet d'aucune autre sûreté qui aurait priorité, à moins que celle-ci ne fût en faveur de la BDC. Toutes les actions émises par Northside et en possession de l'appelant ont également été hypothéquées en faveur de la BDC.

[11] Le 24 novembre 1992, un contrat modifié a été conclu entre le gouvernement du Canada, par l'intermédiaire du ministre des Approvisionnements et Services, et Northside concernant la fourniture d'azote et d'oxygène sous forme gazeuse et liquide, et, ainsi que cela est indiqué dans une lettre de la BDC portant la date du 17 mai 1993 (pièce R-1, onglet 21), cette dernière a alors versé la somme prêtée, soit 1 000 000 $.

[12] En 1991, Northside a versé 25 000 $ à l'appelant pour l'utilisation du droit de tenure à bail grevant le hangar. Aucun paiement au titre de ce bail n'a été effectué par la suite, parce que Northside était aux prises avec des problèmes financiers reliés à la production dans la première usine. Le bail a fini par être cédé à Northside le 31 mars 1993.

[13] Durant toute cette période, l'appelant était partie à une procédure d'arbitrage dans l'État de Virginie, aux États-Unis. L'entente faisant l'objet de cette procédure avait été conclue le 27 avril 1990 entre Omex (société de Virginie), l'appelant, deux autres particuliers et C.N.I. Forest Products Ltd. (“ CNI ”), une société de Terre-Neuve. L'entente portait sur des opérations de coupe et d'exportation de bois dans les forêts de la région de Goose Bay, au Labrador. Elle prévoyait que tout différend, revendication ou litige de quelque nature que ce soit, rattaché directement ou indirectement à ses stipulations, serait assujetti aux lois de l'État de Virginie et réglé par arbitrage sous l'égide de l'American Arbitration Association. L'entente prévoyait également que tout tribunal ayant compétence à l'égard de l'une ou de plusieurs des parties ou de leurs actifs pourrait rendre jugement à propos de la sentence du tribunal d'arbitrage.

[14] Des différends survinrent relativement à cette entente, ce qui amena Omex à présenter à l'American Arbitration Association une demande d'arbitrage datée du 25 mars 1991. Le différend fit l'objet d'une audience devant des arbitres en Virginie, et la sentence d'origine fut rendue en faveur d'Omex et en défaveur de l'appelant et de CNI le 8 septembre 1992. Les montants adjugés s'élevaient à 224 966 $ US et à 62 094 $ CAN, plus les intérêts.

[15] L'appelant fit appel de cette sentence, laquelle fut suivie de plusieurs sentences d'interprétation modifiées, qui n'eurent pas pour effet de changer la décision rendue à l'origine. Omex demanda finalement, le 9 juin 1993, à la section de première instance de la Cour suprême de Terre-Neuve d'homologuer la sentence arbitrale et de la rendre exécutoire à l'encontre de l'appelant. En conséquence, le tribunal de Terre-Neuve rendit une ordonnance reconnaissant la sentence arbitrale. Omex fit rendre par la suite une ordonnance d'exécution pour la saisie et la vente des biens de l'appelant. Le 14 octobre 1993, l'ordonnance d'exécution fut signifiée à Northside et à l'épouse de l'appelant.

[16] Tous ces faits sont confirmés dans la lettre envoyée le 20 septembre 1996 par l'ancien avocat de l'appelant au comptable de ce dernier (pièce R-1, onglet 7). Voici ce que déclare l'ancien avocat de l'appelant dans cette lettre :

[TRADUCTION]

M. Strachan et Northside ont toujours su que, si la procédure d'arbitrage en Virginie devait aboutir à une sentence défavorable à M. Strachan, un jugement exécutoire dans la province serait rendu contre lui, ce qui pourrait mettre en péril le hangar et, par ricochet, causer de graves problèmes à Northside. Lorsque le différend est survenu au départ avec Omex dans le cadre de l'entente, on s'est demandé si M. Strachan devait ou non prendre part à la procédure d'arbitrage, s'il avait déjà reconnu la compétence de l'État de Virginie du fait qu'il avait signé l'entente, dans quelle mesure une sentence arbitrale rendue en Virginie pourrait se transformer en jugement de nos tribunaux qui serait exécutoire ici à l'encontre de M. Strachan, et si ce dernier pourrait présenter un plaidoyer à propos du bien-fondé du différend devant les tribunaux de Terre-Neuve s'il ne l'avait pas fait lors de l'audience d'arbitrage en Virginie. Il est rapidement apparu qu'il fallait, dans son propre intérêt et dans celui de Northside (en raison du hangar), que M. Strachan prenne part à la procédure d'arbitrage en Virginie et qu'il y présente une défense. C'est pourquoi des conseillers juridiques ont été engagés en Virginie pour représenter M. Strachan lors de l'audience d'arbitrage.

Il est également apparu que toute tentative de M. Strachan de transférer son droit de tenure à bail grevant le hangar à Northside, à quelque moment que ce soit après que la procédure d'arbitrage eut été entamée ou que le différend fut survenu, pourrait être présentée par Omex comme une manoeuvre frauduleuse visant à soustraire le hangar à l'ordonnance d'exécution d'Omex. Il a donc été décidé que M. Strachan et Northside devaient déployer tous les efforts possibles pour se défendre contre les prétentions d'Omex lors de la procédure d'arbitrage en Virginie.

[17] D'après l'appelant, si le droit de tenure à bail grevant le hangar n'avait pas été à son nom et que le hangar n'eût pas été essentiel à l'exécution du contrat militaire obtenu par Northside, il n'aurait pas été jugé utile de contester le recours d'Omex. L'appelant a déclaré que le recours d'Omex avait fait l'objet d'une contestation vigoureuse dans le but de préserver un actif nécessaire à l'existence même de Northside.

[18] En fin de compte, l'appelant a cédé le bail du hangar le 31 mars 1993, ce à quoi la BDC ne s'est pas opposée à l'époque. Lors de l'interrogatoire préalable, à l'automne 1993, les représentants d'Omex ont été informés que l'appelant ne possédait pas d'actifs et que toute tentative de prouver le contraire devant les tribunaux de Terre-Neuve s'avérerait longue et coûteuse. Différentes offres financières s'apparentant à des opérations de troc ont été présentées par Omex en échange de l'annulation du jugement rendu contre l'appelant. Aucune n'a été acceptée, et aucune entente n'a été conclue. L'appelant dit n'avoir jamais eu l'intention de payer quoi que ce soit à Omex. S'il avait eu l'argent nécessaire, il l'aurait plutôt investi dans la deuxième usine au lieu d'engager des frais juridiques pour protéger le contrat militaire de Northside.

Arguments des parties

[19] L'avocate de l'intimée prétend que Northside, en acquittant les frais juridiques de l'appelant, qui s'élevaient à 114 640 $, a conféré un avantage à ce dernier en sa qualité d'actionnaire (ou encore d'employé), de sorte que ce montant devait être inclus dans le calcul du revenu de l'appelant pour l'année d'imposition 1992, conformément au paragraphe 15(1) (ou à l'alinéa 6(1)a)) de la Loi.

[20] Voici les passages pertinents du paragraphe 15(1) et de l'alinéa 6(1)a) :

ARTICLE 15 : Avantages à des actionnaires

(1) La valeur de l'avantage qu'une corporation confère au cours d'une année d'imposition à un actionnaire ou à une personne en passe de le devenir doit être incluse dans le calcul du revenu de l'actionnaire pour l'année - sauf dans la mesure où cette valeur est réputée par l'article 84 constituer un dividende [...]

ARTICLE 6 : Éléments à inclure à titre de revenu tiré d'une charge ou d'un emploi

(1) Doivent être inclus dans le calcul du revenu d'un contribuable tiré, pour une année d'imposition, d'une charge ou d'un emploi, ceux des éléments appropriés suivants :

a) Valeur des avantages- la valeur de la pension, du logement et autres avantages de quelque nature que ce soit qu'il a reçus ou dont il a joui dans l'année au titre, dans l'occupation ou en vertu d'une charge ou d'un emploi [...]

Différentes exceptions sont énoncées au paragraphe 15(1) et à l'alinéa 6(1)a); aucune ne s'applique en l'instance.

[21] Selon l'avocate de l'intimée, le terme “ avantage ”, qui n'est défini nulle part dans la Loi, doit être entendu au sens large pour l'application du paragraphe 15(1) et de l'alinéa 6(1)a) (l'avocate a cité l'affaire A. Clemiss c. M.R.N., C.F., 1ère inst., no T-44-88, 16 septembre 1992 ([1992] 2 C.T.C. 232), où l'on cite les jugements La Reine c. Savage,[1983] 2 R.C.S. 428 et The Queen v. Poynton, [1972] C.T.C. 411 (C. S. de l'Ont.); Doyle c. R., C.C.I., no 96-205(IT)I, 6 décembre 1996 ([1997] 1 C.T.C. 2659); T. Pellizzari c. M.R.N., C.C.I., no 84-2487(IT), 5 janvier 1997 ([1987] 1 C.T.C. 2106)).

[22] L'avocate de l'intimée prétend que le paiement des frais juridiques d'un employé ou d'un actionnaire constitue un avantage visé par ces dispositions. Selon elle, il est incontestable que les frais juridiques en question ont été engagés par l'appelant, et lui seul, dans le cadre de sa défense contre le recours d'Omex aux États-Unis. En outre, Northside n'a jamais été partie à la procédure en question et n'a jamais été tenue légalement d'acquitter les frais juridiques de l'appelant.

[23] L'avocate de l'intimée affirme également que le fait que Northside ait pu profiter ou non de la défense assurée par l'appelant n'a aucune pertinence lorsqu'il s'agit de déterminer si un avantage a été conféré à l'appelant. La question de savoir si les mesures prises par l'appelant ont ou non profité à Northside n'est pas en cause dans le présent appel et, même si la réponse à cette question était positive, cela n'empêche pas de conclure que l'appelant a lui aussi reçu un avantage aux termes de la Loi (se reporter à l'affaire Doyle, précitée).

[24] D'après l'avocate de l'intimée, aucun lien n'existe entre les frais juridiques engagés et la situation de l'appelant par rapport à Northside. Cette dernière n'avait aucun intérêt ni n'avait voix au chapitre dans les rapports entre l'appelant et Omex ou CNI. L'avocate, tout en admettant que les démêlés de l'appelant avec Omex risquaient d'avoir des répercussions négatives sur Northside (en raison du droit de tenure à bail détenu par l'appelant qui grevait le hangar), fait valoir que ces répercussions possibles ne modifient en rien la nature de l'avantage conféré à l'appelant sous forme de paiement de ses frais juridiques. Elle soutient qu'il s'agissait d'un risque que l'appelant a choisi de prendre de son propre chef.

[25] L'avocate souligne aussi que, tout au long de la période pertinente, Northside a poursuivi ses activités dans le hangar, sans être touchée par la procédure ni par le jugement rendu contre l'appelant. L'avocate prétend que l'argument selon lequel il fallait présenter une défense contre le recours pour se prémunir contre les répercussions négatives possibles de ce dernier sur Northside relève de la pure spéculation de la part de l'appelant et n'a aucun fondement réel.

[26] Pour sa part, l'appelant soutient que, s'il n'avait pas présenté de défense aux États-Unis, Northside n'aurait pu remplir ses obligations contractuelles envers le ministère de la Défense nationale. Northside devait absolument contracter un emprunt, ce qu'aurait rendu très difficile la menace de saisie par Omex du droit de tenure à bail grevant le hangar. L'appelant prétend que, grâce aux mesures qu'il a prises, le risque qui guettait les activités de Northside ne s'est pas concrétisé. Au fait, s'il ne s'était pas efforcé pendant deux ans d'éloigner ce risque, cela aurait sonné le glas de Northside, qui n'aurait pu obtenir un emprunt et s'acquitter de ses obligations contractuelles.

Analyse

[27] Pour l'application du paragraphe 15(1), les tribunaux doivent établir si un avantage a été conféré à un contribuable en sa qualité d'actionnaire. Dans le jugement rendu par la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Canada c. Fingold, [1998] 1 C.F. 406, le juge Strayer a fait référence à ce propos aux commentaires du juge Cattanach dans l'affaire M.N.R. v. Pillsbury Holdings Ltd., [1965] 1 R.C. de l'É., page 684, concernant le sens qu'il convient en fait de donner à la disposition équivalente de la Loi en vigueur avant 1972, soit l'alinéa 8(1)c). Le juge Strayer écrit à la page 413 :

Par exemple, dans l'arrêt Minister of National Revenue v. Pillsbury Holdings Ltd., souvent cité au regard de la dichotomie dont fait état la décision du juge de la Cour de l'impôt en l'espèce, le juge Cattanach affirme ce qui suit :

[TRADUCTION] [...] à mon avis, aucun bénéfice ni avantage n'est accordé, au sens de l'alinéa c), lorsqu'une compagnie conclut une transaction véritable avec un actionnaire. Par exemple, il est impossible que le Parlement ait eu l'intention d'assujettir à l'impôt le bénéfice ou l'avantage qui revient à un client d'une compagnie simplement parce que celui-ci est un actionnaire de la compagnie, si le bénéfice ou l'avantage lui revient en tant que client. Le législateur n'a pu avoir l'intention de permettre à la cour de pousser son examen au-delà de la transaction conclue de bonne foi entre une compagnie et un client qui est l'un de ses actionnaires pour essayer d'évaluer le bénéfice ou l'avantage qui revient au client par suite de la transaction.

Par ailleurs, il y a des transactions effectuées entre des corporations et le groupe fort restreint d'actionnaires qui les dominent, qui sont des moyens ou des mesures accordant des bénéfices ou avantages aux actionnaires en tant qu'actionnaires; il est clair que l'alinéa c) s'applique à de telles transactions... C'est une question de fait de déterminer si une transaction qui prétend, à première vue, être une transaction ordinaire est en fait un moyen ou une mesure de ce genre.

Dans cet extrait, le juge Cattanach cherchait à déterminer si un avantage avait été conféré. Le concept de la “ fin commerciale ” est pertinent pour déterminer si l'actionnaire bénéficiait de quelque chose que tout autre client de la société aurait pu obtenir ou si un avantage spécial lui était conféré en sa qualité d'actionnaire. Pour répondre à cette question, il y a lieu de se demander si l'avantage est conféré dans le cadre d'une opération commerciale normale ou autrement. Mais cela ne signifie pas que l'existence d'une fin commerciale initiale détermine nécessairement la nature de l'avantage précis qui est réellement conféré à l'actionnaire en question.

[28] Dans l'affaire L. Youngman c. La Reine, C.A.F., no A-698-86, 23 avril 1990 ([1990] 2 C.T.C. 10), la cour devait établir la valeur d'un avantage prétendument reçu par un actionnaire. Il est indiqué à la page 8 (CTC : à la page 14) de la décision qu' “ un actionnaire ne reçoit aucun avantage aux termes de l'alinéa 15(1)c) si, dans les mêmes circonstances, il aurait reçu le même avantage d'une société dont il n'est pas actionnaire ”. En première instance (L. Youngman c. La Reine, C.F. 1re inst., no T-7481-82, 5 novembre 1986 ([1986] 2 C.T.C. 475)), le juge McNair, afin d'établir si un avantage était conféré à un actionnaire, s'est fondé sur ce qui suit, aux pages 10 et 11 (C.T.C.: à la page 480) :

Il est clair que les facteurs opposés de l'objectif commercial et de l'usage personnel jouent un rôle significatif dans la détermination de la question de fait de savoir si une opération particulière de la société constitue une opération commerciale conclue de bonne foi au sens d'une chose susceptible d'échoir normalement à une personne étrangère à la société dans le cours ordinaire des affaires ou s'il s'agissait d'un arrangement interne destiné surtout à profiter à un actionnaire.

[29] Dans l'affaire C. A. Crosbie Estate v. M.N.R., [1966] C.T.C. 648 (C. de l'É.), le tribunal avait à déterminer si un avantage devait être considéré comme faisant partie de la succession d'un contribuable décédé aux fins de l'impôt sur les biens transmis par décès. Peu avant le décès du contribuable en question, une société qu'il contrôlait avait accordé des options d'achat d'actions à deux employés, dont l'un lui était uni par les liens du sang, en remerciement des services qu'ils avaient rendus et qu'ils rendraient à la société. Le président Jackett a mentionné un aspect de l'affaire sur lequel il convenait de se pencher plus particulièrement, soit la question de savoir si l'avantage avait été conféré au bénéficiaire en sa qualité d'employé de la société ou parce qu'il était uni au contribuable décédé par les liens du sang. À son avis, le fait que l'employé était incidemment lié au défunt ne justifiait pas à lui seul que les dispositions de la Loi de l'impôt sur les biens transmis par décès en vigueur à l'époque s'appliquent aux paiements effectués par une société à un employé pour services rendus, à condition que la relation employeur-employé entre la société contrôlée et le particulier uni à la personne décédée par les liens du sang ne serve pas de prétexte pour faire à ce particulier un don correspondant à la totalité ou à une partie de l'avantage en question (affaire Crosbie Estate précitée, pp. 656-657).

[30] Dans l'affaire en l'instance, il m'apparaît évident que Northside a payé les frais juridiques pour des raisons commerciales légitimes (l'intimée admet d'ailleurs que les démêlés avec Omex auraient pu avoir des répercussions négatives sur Northside). Selon le témoignage de l'appelant, confirmé indirectement par la lettre de son ancien avocat, si ces frais n'avaient pas été engagés, l'exécution du contrat du ministère de la Défense nationale aurait pu être compromise. Le seul actif de l'appelant qui était menacé du fait des poursuites engagées par Omex était le droit de tenure à bail grevant le hangar.

[31] La preuve a démontré que, au moment où l'appelant a conclu une entente avec Omex, on n'avait pas encore de sérieuses raisons d'espérer que Northside décrocherait un contrat militaire. Lorsque l'appel de propositions concernant ce contrat a été lancé, l'appelant faisait déjà affaire avec Omex, et le différend avec cette dernière est survenu à un moment où l'appelant et Northside déployaient beaucoup d'efforts afin d'obtenir les fonds sans lesquels ils ne pouvaient soumissionner pour le contrat militaire. Il est clair que la BDC n'aurait pas prêté de fonds si le hangar avait été saisi par Omex. Ce fait ressort des contrats de prêt, aux termes desquels le droit de tenure à bail grevant le hangar était accepté à titre de garantie à la condition expresse que ce bien ne soit grevé d'aucune sûreté ayant priorité.

[32] Je prête foi aux propos de l'appelant lorsqu'il déclare avoir engagé les frais juridiques en question aux États-Unis dans le but de gagner du temps, afin que Northside puisse obtenir le financement nécessaire à la construction d'une nouvelle usine qui lui permettrait de remplir ses obligations en matière de production. Selon moi, l'objet premier, de même que la véritable raison commerciale, du paiement de ces frais juridiques par Northside était de protéger un actif très important, sans lequel Northside n'aurait pu exercer ses activités. Bien que ce soit l'appelant lui-même qui ait fait l'objet des poursuites intentées par Omex, j'estime que le paiement des frais juridiques par Northside était motivé par une fin commerciale évidente plutôt que par des considérations personnelles. Le poids de la preuve vient étayer selon moi la conclusion voulant que nous soyons en présence d'une véritable opération dès le départ. Que l'appelant n'ait pas voulu présenter de défense à titre personnel contre Omex, mais qu'il l'ait fait dans le but de protéger le hangar et de préserver ainsi les intérêts de Northside est également confirmé, à mon avis, par le fait que l'appelant n'a jamais payé le montant adjugé à Omex dans la sentence. Dès que le droit de tenure à bail grevant le hangar a été cédé à Northside et que tous les fonds requis pour la construction de la deuxième usine ont été obtenus, l'appelant n'a plus engagé aucuns frais juridiques pour assurer sa défense.

[33] À la lumière des commentaires formulés par le juge Cattanach dans l'affaire Pillsbury Holdings Ltd., je pense qu'il n'est pas déraisonnable de considérer la transaction entre Northside et l'appelant comme une véritable opération conclue avec ce dernier en qualité de détenteur du droit de tenure à bail, et non en qualité d'actionnaire ou d'employé de Northside. Il est éminemment concevable que Northside ait payé les frais juridiques de l'appelant, non parce que ce dernier était actionnaire, mais parce qu'il était le détenteur du droit de tenure à bail grevant le hangar et que ce dernier était essentiel à la poursuite des activités de Northside. Sur ce point, je suis en désaccord avec l'avocate de l'intimée lorsqu'elle soutient qu'il n'existait aucun rapport entre les frais juridiques engagés et les activités commerciales de Northside.

[34] Les affaires citées par l'avocate de l'intimée ne sont pas pertinentes ici. Il ne s'agit pas en l'instance d'une affaire où les frais juridiques ont été payés par l'employeur du fait que l'appelant était l'un de ses employés ou de ses actionnaires. Ces frais juridiques ont été payés par Northside en vue de préserver un actif qui servait de garantie pour un prêt accordé par la BDC et à l'égard duquel Northside et l'appelant étaient solidairement responsables. Dans ce contexte, je ne partage pas l'opinion de l'avocate de l'intimée voulant que Northside n'ait eu aucun intérêt dans les démêlés de l'appelant avec Omex. À mon avis, il est clair que tel était au contraire le cas.

[35] Le fait que Northside n'ait pas été partie à la procédure judiciaire intentée par Omex ne modifie pas ma conclusion. Ainsi que l'indiquait le président Jackett dans l'affaire C. A. Crosbie Estate (précitée), à la page 655 :

[TRADUCTION]

... Néanmoins, tout dépendant des circonstances, certains débours en sus des sommes dont le paiement est obligatoire peuvent représenter une bonne affaire lorsque l'on considère ce que l'homme d'affaires y a gagné ou y gagnera.

[36] Donc, bien qu'il ait existé des liens étroits entre l'appelant et Northside, je conclus que les frais juridiques ont été payés par Northside dans le cours normal de ses activités, et non aux termes d'un accord interne visant principalement à accorder un avantage à un actionnaire ou à un employé.

[37] L'appel est admis avec dépens.

Signé à Montréal (Québec), ce 30e jour de juin 2000.

“ Lucie Lamarre ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 17e jour de janvier 2001.

Mario Lagacé, réviseur

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