Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

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Date: 19980409

Dossier: 97-2772-IT-I

ENTRE :

DAVID KAYE,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Bowman, C.C.I.

[1] Il s’agit de l’appel interjeté à l’encontre d’une cotisation établie pour l’année d’imposition 1994. M. Kaye est un officier de lutte aérienne. Il exerce une profession dangereuse, difficile et extrêmement importante qui est de piloter des bombardiers à eau pour lutter contre les feux de forêt. Il travaille de façon saisonnière d’avril à octobre environ. Il habite à Hudson Bay, une ville de quelque 2 400 habitants située à trois heures de voiture environ au nord de Saskatoon.

[2] Il collectionne aussi des antiquités depuis 1984 au moins. La question à trancher est la déductibilité des pertes subies relativement à ce qu’il prétend être une entreprise d’achat et de vente d’antiquités et d’objets de collection, appelée « Kaye Kollectibles » .

[3] Le ministère du Revenu national a refusé la déduction pour le motif qu’il n’avait, pour reprendre l’expression que tous ceux et celles qui sont un tant soit peu familiers avec l’impôt connaissent, « aucune attente raisonnable de profit » . Il a également prétendu que les dépenses dont la déduction est demandée n’avaient pas été prouvées, qu’elles n’avaient pas été faites dans le but de tirer un revenu, qu’elles étaient des frais personnels ou de subsistance et qu’elles n’étaient pas raisonnables. En bout de ligne, l’avocat a admis que la principale question à trancher était de savoir s’il y avait une attente raisonnable de profit en 1994.

[4] Je ne trouve pas particulièrement utile, dans les cas de ce genre, l’utilisation de l’expression rituelle, et je préfère formuler ainsi la question : « Y a-t-il une entreprise véritable? » C’est une question plus générale qui, je crois, revêt plus de sens et qui, du moins en ce qui me concerne, mène à une série de questions et de réponses plus concluantes. Il ne fait pas de doute qu’elle englobe la question du caractère raisonnable de l’attente de profit du contribuable, mais elle va aussi plus loin. Comment peut-on dire qu’un entrepreneur faisant le forage de puits d’exploration a une attente raisonnable de profit et qu’il exploite une entreprise quand on connaît le très faible taux de succès de ce genre d’entreprise? Pourtant, personne ne conteste le fait que les compagnies du genre exploitent une entreprise. C’est le caractère commercial de l’entreprise, révélé par sa structure, qui en fait une entreprise. L’intention subjective de faire de l’argent entre certes en ligne de compte, mais ce n’est pas le facteur déterminant, bien que l’absence d’une telle intention puisse nuire à l’assertion qu’une activité est une entreprise.

[5] On ne peut considérer le caractère raisonnable de l’attente de profit de façon isolée. Il faut se demander : « Est-ce qu’une personne raisonnable qui examine une activité en particulier et applique des normes courantes de gestion d’entreprise affirmerait qu’il s’agit bien d’une entreprise? » Pour répondre à la question, la personne raisonnable fictive examinerait entre autres choses la structure du capital, les connaissances du participant et le temps consacré à l’activité. Elle évaluerait également si la personne qui prétend exploiter une entreprise a procédé de façon ordonnée et méthodique, de la manière dont une personne en affaires procéderait normalement.

[6] Cela mène à une autre considération — , soit la question du caractère raisonnable. L’article 67 de la Loi de l’impôt sur le revenu traite en particulier du caractère raisonnable des dépenses, mais la notion n’est pas coulée dans le béton. L’article 67 s’applique dans le contexte d’une entreprise et suppose l’existence d’une entreprise. C’est également un des volets de la question visant à déterminer si une activité particulière est une entreprise. Par exemple, on ne peut dire, en l’absence de raisons contraignantes, qu’une personne dépenserait 1 000 000 $ si tout ce dont elle pouvait raisonnablement s’attendre de tirer est un revenu de 1 000 $.

[7] En fin de compte, les choses se résument à évaluer, en faisant preuve de sens pratique, l’ensemble des facteurs, en accordant à chacun l’importance qui convient dans le contexte global. Bien entendu, on ne doit pas faire fi de la vision et de l’imagination de l’entrepreneur, mais ce sont là deux aspects qui sont difficiles à évaluer à prime abord. En d’autres termes, si vous voulez qu’on vous traite comme un homme d’affaires, agissez en homme d’affaires.

[8] J’en viens maintenant à l’activité de M. Kaye. Essentiellement, en 1994, il a cherché à faire d’un passe-temps de collectionneur une entreprise de vente d’objets de collection et d’antiquités. Il m’a fait l’effet d’un témoin honnête et crédible, qui dit les choses sans détour. Nombre des décisions relatives aux dépenses dont il demande la déduction semblent avoir été prises par sa femme, qui était une comptable. Elle n’a pas témoigné.

[9] En 1994, il a demandé dans sa déclaration de revenus une déduction pour une perte d’entreprise de 11 810 $. Ses autres revenus incluaient 13 832 $ à titre de revenu d’emploi et 9 449 $ à titre de prestations d’assurance-chômage. Dans la cotisation qui a été établie, ses pertes ont été ramenées à 5 523 $, autrement dit, un montant de 6 287 $ a été refusé. Bien que je n’aie pas été saisi de l’année d’imposition 1995, cette année-là, l’appelant a déclaré des pertes de 21 776 $, lesquelles ont été ramenées à 10 999 $ à la suite d’une vérification, ce qui veut dire qu’un montant de 10 777 $ a été refusé. Le refus s’appuyait non pas sur l’hypothèse qu’il n’y avait pas d’attente raisonnable de profit (quoiqu’on y ait pensé, sans plus), mais simplement sur le fait qu’il n’y avait pas suffisamment de documentation.

[10] Dans chacune de ces années, le revenu brut était de 150 $. Il semble qu’en 1994 deux cartes de hockey ont été vendues. Ce qui a été vendu en 1995 n’est pas clair. En 1996, une perte de 1 535 $ a été déclarée, mais elle a été portée à 16 147 $ dans une demande de rajustement d’une T-1. Il n’est pas clair si quelque article que ce soit a été vendu.

[11] À la suite des oppositions visant les années 1994 et 1995, l’agent des appels a conclu que toutes les dépenses devraient être refusées pour le motif qu’il n’y avait pas d’attente raisonnable de profit, et de nouvelles cotisations ont été établies.

[12] Après que la majeure partie de la preuve eut été présentée, l’avocat a accepté d’abandonner la demande de déduction des autres 6 287 $ et de se limiter à une demande de déduction de 5 523 $. Cette décision découle probablement du fait que bon nombre des dépenses ne pouvaient pas être justifiées. Par exemple, un montant d’environ 3 000 $ a été déclaré à titre de stock d’ouverture bien que l’appelant ait été incapable de préciser ce que comprenait le stock d’ouverture dont une partie, a-t-il soutenu, lui avait été vendu par la femme de son beau-père. J’aurais pensé que, si le stock d’inventaire valait 3 000 $ et que seuls des articles valant au total 150 $ avaient été vendus, le solde plus les achats effectués dans l’année, dont la valeur correspond au moins élevé des deux montants, soit celui de la perte ou celui de la valeur marchande, ou suivant toute autre formule jugée plus appropriée, aurait figuré dans le stock de clôture. L’état des revenus et des dépenses de l’entreprise indique que le coût des marchandises vendues a été calculé de la façon suivante : un stock d’ouverture de 3 000 $, plus des achats de 4 300 $, pour un total de 7 300 $, moins un stock de fermeture de 5 500 $, ce qui donne un coût de la marchandise vendue de 1 800 $. Cela veut dire qu’on a attribué aux ventes de 150 $ (deux cartes de hockey) un coût théorique de 1 800 $.

[13] Je donne cet exemple pour montrer que la méthode utilisée pour calculer le revenu ou les pertes était assez irréaliste. Nombre des autres dépenses semblent avoir été des approximations. Les autres dépenses dont la déduction est demandée sont des chiffres ronds — c’est le cas entre autres des salaires (2 450 $), des frais de voyage (1 500 $) et des frais d’automobile (3 250 $). Il n’y avait pas de compte bancaire distinct pour l’entreprise, et il était impossible de dire, d’après le relevé bancaire déposé en preuve, à quoi avait servi l’argent retiré du compte.

[14] Dans un tout autre ordre d’idées que celui de la question plutôt fondamentale du montant de la perte, le cas échéant, cette façon plutôt désordonnée de tenir les livres est loin de concorder avec l’affirmation selon laquelle une véritable entreprise était exploitée.

[15] Je ne mets pas en doute la bonne foi de M. Kaye, ni ne prétend qu’il n’a pas, à un certain moment donné, eu l’idée de transformer en entreprise ce qui était jusque là un passe-temps. Toutefois, je ne crois pas qu’une entreprise existait en 1994, l’année visée par le présent appel. Pour que l’acquisition et la vente d’articles de collection, comme des vieilles bouteilles de Coca-Cola, puissent prendre la forme d’une entreprise, et pour pouvoir demander la déduction de pertes importantes, il doit y avoir plus d’indices de commercialité qu’il n’y en a en l’occurrence.

[16] Je ne tire aucune conclusion au sujet des années subséquentes. M. Kaye a déclaré qu’en 1997 il a vendu — peut-être pour 3 200 $ de marchandises — sur Internet. Ces années devront être considérées selon les faits qui leur sont propres.

[17] L’appel pour l’année 1994 est rejeté.

Signé à Ottawa, Canada, ce 9e jour d’avril 1998.

« D. G. H. Bowman »

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 5e jour d’août 1998.

Mario Lagacé, réviseur

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