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Date: 19990122

Dossier: 96-541-IT-G

ENTRE :

BRUCE N. SHEPP,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Appel entendu le 20 avril 1998 à Edmonton (Alberta) par l’honorable juge Lucie Lamarre

Motifs du jugement

Le juge Lamarre, C.C.I.

[1] L'appelant interjette appel à l'encontre d'une cotisation établie à son égard en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu (la “ Loi ”) pour l'année d'imposition 1989. Dans la cotisation en question, le ministre du Revenu national (le “ ministre ”) a ajouté un montant de 756 095 $ aux gains en capital déclarés par l'appelant et il a haussé de 504 063 $ son revenu imposable pour l'année en cause pour le motif que l'appelant avait disposé d'une participation financière dans B.N. Shepp and Associates Ltd. (“ Exploitante Ltée ”) et que, de ce fait, le produit de disposition était réputé être égal à la juste valeur marchande du bien dont il avait disposé, conformément au sous-alinéa 69(1)b)(ii) de la Loi. Le ministre a supposé que cette juste valeur marchande était de 756 095 $.

Faits

[2] Les parties ont déposé un exposé conjoint des faits, dont les paragraphes pertinents sont libellés dans les termes suivants :

[TRADUCTION]

[...]

L'appelant est un particulier qui réside au Canada pour l'application de la Loi.

L'appelant est actuaire agréé, titre que lui a décerné la Society of Actuaries au mois de mai 1974.

Le 28 novembre 1975 ou vers cette date, l'appelant a constitué en société la B.N. Shepp and Associates Ltd. (“ Exploitante Ltée ”) pour exploiter une entreprise d'expert-conseil en actuariat. De 1975 à 1979, l'appelant et son épouse, Carol-Lynn Shepp, détenaient toutes les actions émises d'Exploitante Ltée. Pendant toutes les périodes pertinentes, l'appelant contrôlait Exploitante Ltée.

L'exercice d'Exploitante Ltée commençait le 1er décembre et se terminait le 30 novembre.

En 1979, le capital-actions autorisé d'Exploitante Ltée a été modifié et une catégorie d'actions privilégiées spéciales a été créée. Également en 1979, l'appelant et Carol-Lynn Shepp ont échangé toutes leurs actions ordinaires d'Exploitante Ltée contre 100 actions privilégiées spéciales dont le montant de rachat total était de 275 000 $ (2 750 $ l'action), conformément à l'article 86 de la Loi. Après cet échange d'actions, Exploitante Ltée a émis de nouvelles actions ordinaires à l'appelant (79), à son épouse Carol-Lynn Shepp (1), à Eric Manchester, un employé clé (15) et à William Keech, un employé clé (5).

Exploitante Ltée a été initialement constituée sous le régime de la Companies Act de l'Alberta. Le 5 octobre 1985, Exploitante Ltée a été maintenue sous le régime de la Business Corporations Act de l'Alberta.

Immédiatement avant le 16 décembre 1987, le capital-actions autorisé d'Exploitante Ltée était composé d'une catégorie d'actions ordinaires et d'une catégorie d'actions privilégiées spéciales qui avaient été émises de la façon suivante :

Nombre d'actions Nombre d'actions

ordinaires privilégiées spéciales

Appelant 79 99

Carol-Lynn Shepp 1 1

William Keech 5 0

(employé clé)

TOTAL 85 100

Quelque temps avant le 16 décembre 1987, les 15 actions ordinaires détenues par Eric Manchester ont été rachetées par Exploitante Ltée.

Dans le cadre de l'adoption de l'article 110.6 de la Loi portant sur la déduction pour gains en capital, le paragraphe 73(5) (qui permettait le transfert d'actions de corporations exploitant une petite entreprise à des enfants et des petits-enfants) a été abrogé aux fins des dispositions survenues après le 31 décembre 1987.

[...]

9. Le 16 décembre 1987, l'appelant a créé la fiducie familiale no 1 de Bruce N. Shepp (la “ fiducie ”). Pendant toutes les périodes pertinentes, les fiduciaires de la fiducie étaient l'appelant et Carol-Lynn Shepp. Pendant toutes les périodes pertinentes, l'appelant et Carol-Lynn Shepp, d'une part, et la fiducie, d'autre part, avaient entre eux un lien de dépendance.

L'unique bénéficiaire de la fiducie était Jeff Shepp, un étudiant âgé de 15 ans à la date de la création de la fiducie.

Le 16 décembre 1987, une résolution spéciale a été adoptée par les actionnaires d'Exploitante Ltée en vue de modifier les termes de son capital-actions autorisé de la façon suivante :

17 actions ordinaires d'Exploitante Ltée enregistrées au nom de l'appelant ont été désignées comme des actions ordinaires de catégorie B;

le reste des actions ordinaires émises et les actions ordinaires non émises d'Exploitante Ltée ont été désignées comme des actions ordinaires de catégorie A;

les droits, privilèges, restrictions et conditions rattachés aux actions ordinaires de catégorie A et aux actions ordinaires de catégorie B ont été modifiés :

pour que les détenteurs d'actions ordinaires de catégorie A et d'actions ordinaires de catégorie B partagent également les biens d'Exploitante Ltée en cas de dissolution, liquidation ou autre distribution des biens dans le cadre d'une liquidation des affaires d'Exploitante Ltée;

pour permettre le paiement de dividendes aux détenteurs d'actions ordinaires de catégorie A, à l'exclusion des détenteurs d'actions ordinaires de catégorie B;

pour permettre le paiement de dividendes aux détenteurs d'actions ordinaires de catégorie B et le paiement de dividendes aux détenteurs d'actions ordinaires de catégorie A;

pour permettre aux détenteurs d'actions ordinaires de catégorie A de voter lors des assemblées des actionnaires;

pour interdire aux détenteurs d'actions ordinaires de catégorie B de voter lors des assemblées des actionnaires, sous réserve de toute disposition contraire de la Business Corporations Act de l'Alberta.

Ces modalités étaient appuyées par les paragraphes 3.2 et 3.5 de la résolution spéciale et des statuts de modification, qui prévoyaient ce qui suit :

Les détenteurs des actions ordinaires de catégorie A ont droit aux dividendes que déclare la société :

à l'exclusion des détenteurs des actions ordinaires de catégorie B ou

avec les détenteurs d'actions ordinaires de catégorie B.

Sous réserve des dispositions de la Business Corporations Act de l'Alberta, les détenteurs d'actions ordinaires de catégorie B n'ont pas le droit de recevoir un avis de convocation aux assemblées des actionnaires de la société, ni d'assister à ces assemblées ou d'y voter.

Le 17 décembre 1987, l'appelant a échangé ses 79 actions ordinaires d'Exploitante Ltée contre 62 actions ordinaires de catégorie A et 17 actions ordinaires de catégorie B, conformément à l'article 86 de la Loi.

Le 17 décembre 1987, l'appelant a transféré ses 17 actions de catégorie B à la fiducie et, conformément au paragraphe 73(5) de la Loi de l'impôt sur le revenu, il a fait un choix conjointement avec la fiducie au coût de base rajusté de 1 $ l'action de catégorie B et déclaré que la juste valeur marchande des actions était de 200 000 $ au total.

Les revenus bruts d'Exploitante Ltée dans les années indiquées ci-après sont les suivants :

1985 1 104 411 $

1986 1 313 126 $

1987 1 712 197 $

1988 2 018 853 $

1989 1 519 322 $ (neuf mois prenant fin le 31 août 1989)

L'appelant a reçu d'Exploitante Ltée les salaires suivants dans les années indiquées ci-après :

382 977 $

504 753 $

445 535 $

Entre 1979 et 1985, Exploitante Ltée a versé des dividendes sur les actions privilégiées spéciales. Aucun dividende n'a été payé sur ces actions pour 1986, jusqu'au 31 août 1989.

Entre 1979 et 1985, Exploitante Ltée a versé les dividendes suivants sur les actions ordinaires dans les années indiquées :

74 970 $

1983 136 000 $

1988 5 000 $

Pour l'exercice clos le 30 novembre 1988, les bénéfices non répartis d'Exploitante Ltée s'élevaient à 1 027 169 $. Pour la période se terminant le 31 août 1989, ils s'élevaient à 79 965 $.

Le 30 juin 1989, Exploitante Ltée a racheté ses 5 actions ordinaires de catégorie A détenues par William Keech pour une contrepartie totale de 23 287 $, déterminée à l'aide d'une formule prévue dans le contrat qu'Exploitante Ltée et William Keech ont conclu le 12 octobre 1978.

À la fin du mois de juillet 1989, l'appelant avait conclu avec MLH & A Inc. (“ MLH ”) un contrat aux termes duquel MLH devait acquérir toutes les actions émises d'Exploitante Ltée. Le 14 août 1989, une offre écrite a été faite par MLH pour l'achat d'Exploitante Ltée, laquelle offre a été avalisée par l'appelant. Pendant toutes les périodes pertinentes, l'appelant et MLH traitaient l'une avec l'autre sans lien de dépendance.

Le 28 août 1989, le capital-actions autorisé d'Exploitante Ltée a été modifié ainsi :

le nombre d'actions ordinaires de catégorie B autorisées n'était plus limité;

les actions ordinaires de catégorie A et les actions ordinaires de catégorie B émises ont été fractionnées, à raison de 1 000 actions pour une;

les détenteurs d'actions ordinaires de catégorie B ont été autorisés à convertir leurs actions ordinaires de catégorie B en actions ordinaires de catégorie A, à raison d'une action pour une ainsi qu'il est prévu à l'article 3.7 des statuts de modification :

3.7 Tout détenteur d'actions ordinaires de catégorie B a le droit, en tout temps ou de temps à autre à son gré, d'échanger un certain nombre de ses actions ordinaires de catégorie B désignées par lui à cette fin contre un nombre égal d'actions ordinaires de catégorie A.

Après l'adoption de la résolution spéciale du 28 août 1989, les actions émises d'Exploitante Ltée étaient les suivantes :

Actions ordinaires Actions ordinaires Actions privilégiées

de catégorie A de catégorie B spéciales

Appelant 62 000 -- 99

Carol-Lynn Shepp 1 000 -- 1

La fiducie -- 17 000 --

Le 28 août 1989, la fiducie a exercé son droit d'échanger 4 800 actions ordinaires de catégorie B d'Exploitante Ltée contre 4 800 actions ordinaires de catégorie A d'Exploitante Ltée.

Le 6 avril 1989, l'appelant a constitué en société la 400367 Alberta Ltd. (la “ nouvelle compagnie ”). Le 28 août 1989, les statuts constitutifs de la nouvelle compagnie ont été modifiés pour qu'un nombre illimité d'actions privilégiées de premier rang puissent être émises en séries. Les actions privilégiées de premier rang étaient rachetables au choix de la nouvelle compagnie, elles étaient encaissables au choix des actionnaires et donnaient droit à des dividendes non cumulatifs dont le taux ne devait pas dépasser 8 p. 100 par année.

Le 28 août 1989, l'appelant a transféré 99 actions privilégiées spéciales d'Exploitante Ltée à la nouvelle compagnie contre 99 actions privilégiées de premier rang I dont le coût total de rachat était de 272 250 $ et pour lequel le capital versé total était de 99 $. L'appelant et la nouvelle compagnie ont fait un choix en vertu du paragraphe 85(1) de la Loi concernant ce transfert pour un produit de disposition de 99 $ et ont produit un formulaire T2057 auprès de Revenu Canada en temps opportun.

Le 28 août 1989, l'appelant a transféré 49 592 actions ordinaires de catégorie A d'Exploitante Ltée à la nouvelle compagnie contre 49 592 actions privilégiées de premier rang II de la nouvelle compagnie dont la valeur de rachat totale était de 2 461 746,88 $ et pour lesquelles le capital versé total était de 49,60 $. L'appelant et la nouvelle compagnie ont fait un choix en vertu du paragraphe 85(1) de la Loi concernant ce transfert pour un produit de disposition de 49,60 $. L'appelant et la nouvelle compagnie ont produit un formulaire T2057 auprès de Revenu Canada en temps opportun.

Le 28 août 1989, la fiducie a transféré 4 800 actions ordinaires de catégorie A d'Exploitante Ltée à la nouvelle compagnie contre 4 800 actions privilégiées de premier rang II de la nouvelle compagnie dont la valeur de rachat totale était de 238 272 $ et pour lesquelles le capital versé total était de 4,80 $. La fiducie et la nouvelle compagnie ont fait un choix en vertu du paragraphe 85(1) de la Loi concernant ce transfert pour un produit de disposition de 4,80 $. La fiducie et la nouvelle compagnie ont produit un formulaire T2057 auprès de Revenu Canada en temps opportun.

Le 29 août 1989, Exploitante Ltée a racheté ses 99 actions privilégiées spéciales détenues par la nouvelle compagnie pour une contrepartie totale de 272 250 $. La nouvelle compagnie a déclaré la différence entre la valeur de rachat et le capital versé des actions privilégiées spéciales comme un dividende réputé et a appliqué les dispositions du paragraphe 55(2) en faisant la distinction entre, d'une part, un dividende imposable de 168 290 $ et, d'autre part, un gain en capital de 103 960 $. Également le 29 août 1989, Exploitante Ltée a racheté 1 action privilégiée spéciale de Carol-Lynn Shepp.

Le 29 août 1989, Exploitante Ltée a déclaré un dividende de 9,90 $ l'action sur chacune de ses actions ordinaires de catégorie A. Le dividende total de 671 220 $ a été attribué aux actionnaires d'Exploitante Ltée de la façon suivante :

Appelant 122 839,20 $

Carol-Lynn Shepp 9 900 $

Nouvelle compagnie 538 480,80 $

TOTAL 671 220 $

L'appelant et Carol-Lynn Shepp ont déclaré les dividendes reçus d'Exploitante Ltée dans leurs déclarations de revenus des particuliers de 1989. La nouvelle compagnie a déclaré le dividende imposable de 538 480,80 $ dans sa déclaration de revenus des sociétés de 1989 et elle a fait un choix en vertu de l'alinéa 55(5)f) pour traiter le dividende comme un certain nombre de dividendes distincts, bien que le dividende total ait été payé à même le revenu sauf d'Exploitante Ltée.

Le 30 août 1989, la fiducie a vendu 12 200 actions ordinaires de catégorie B d'Exploitante Ltée à l'appelant pour un produit de disposition de 41,25 $ l'action ou un total de 503 250 $. Le coût de base rajusté déclaré des 12 200 actions ordinaires de catégorie B était de 12,20 $ au total. En conséquence, la fiducie a déclaré, dans sa déclaration T3 de 1989, un gain en capital de 503 238 $, ce qui a donné lieu à un gain en capital imposable de 335 492 $. Conformément aux paragraphes 104(21), 104(21.1) et 104(21.2), la fiducie a attribué des gains en capital imposables de 335 492 $ à son unique bénéficiaire, Jeff Shepp, et elle a déduit le gain en capital attribué dans le calcul de son revenu imposable.

Dans sa déclaration de revenus des particuliers de 1989, Jeff Shepp a déclaré un gain en capital imposable de 335 492 $ qui lui avait été attribué par la fiducie. Il a également demandé une déduction totale pour gains en capital de 333 333 $ conformément au paragraphe 110.6(2.1).

Le 30 août 1989, Carol-Lynn Shepp a vendu 1 000 actions ordinaires de catégorie A d'Exploitante Ltée à l'appelant pour un produit de disposition de 41,25 $ l'action ou 41 250 $ au total. Le coût de base rajusté déclaré des 1 000 actions ordinaires de catégorie A était de 1 $ au total. Dans sa déclaration de revenus des particuliers de 1989, elle a déclaré un gain en capital de 41 249 $, ce qui a donné lieu à un gain en capital imposable de 27 501 $. Elle a aussi demandé une déduction pour gains en capital de 27 501 $ conformément au paragraphe 110.6(2.1).

Le 30 août 1989, l'appelant a converti les 12 200 actions ordinaires de catégorie B d'Exploitante Ltée qu'il avait acquis de la fiducie en 12 200 actions ordinaires de catégorie A.

Le 30 août 1989, l'appelant a vendu à MLH les 25 608 actions ordinaires de catégorie A d'Exploitante Ltée qu'il détenait 41,25 $ l'action ou 1 056 322,50 $ au total. Cette contrepartie a été payée de la façon suivante :

Comptant ou chèque certifié à la signature 1 047 750 $

50 actions de MLH 8 572,50

Total 1 056 322,50 $

Le 30 août 1989, l'appelant a conclu un contrat de travail de cinq ans avec MLH et Exploitante Ltée, qui était maintenant une filiale à cent pour cent de MLH. Entre autres choses, ce contrat prévoyait que l'appelant toucherait 125 000 $ par année, et il contenait une clause de non concurrence.

Dans sa déclaration de revenus des particuliers de 1989, l'appelant a déclaré un gain en capital de 503 237 $ relativement à la disposition de ses actions d'Exploitante Ltée en faveur de MLH. Cela a donné lieu à un gain en capital imposable de 335 491,86 $. L'appelant a également demandé une déduction pour gains en capital de 322 567 $ conformément au paragraphe 110.6(2.1).

Le 30 août 1989, la nouvelle compagnie a vendu à MLH 54 392 actions ordinaires de catégorie A d'Exploitante Ltée 41,25 $ l'action ou 2 243 677,50 $ au total. Cette contrepartie a été payée de la façon suivante :

Comptant ou chèque certifié à la signature 552 250 $

Billet à ordre à rembourser en versements

mensuels de 29 166,67 $, plus les intérêts au taux

préférentiel plus 1 % 1 400 000 $

1 700 actions de MLH 291 427,50 $

TOTAL 2 243 677,50 $

Dans un avis de cotisation daté du 27 juin 1990, le ministre a établi que l'impôt à payer par l'appelant correspondait dans une large mesure à celui indiqué dans sa déclaration de revenus des particuliers.

Dans un avis de nouvelle cotisation daté du 23 juin 1993 (la “ nouvelle cotisation ”), le ministre du Revenu national (le “ ministre ”) a établi une nouvelle cotisation à l'égard de l'appelant pour l'année d'imposition 1989 en tenant compte du fait que l'appelant avait disposé d'une participation financière, à savoir une partie de ses actions ordinaires de catégorie A, en faveur de la fiducie. Se fondant sur le sous-alinéa 69(1)b)(ii) de la Loi, le ministre a établi une cotisation à l'égard de l'appelant relativement au produit de disposition réputé avoir été reçu par lui, égal à la juste valeur marchande de la participation dont il avait ainsi disposé. Cela a donc eu pour effet d'accroître les gains en capital déclarés par l'appelant de 756 095 $ et son revenu imposable déclaré, de 504 063 $. Les impôts provincial et fédéral de l'appelant ont donc augmenté de 229 685,29 $ et un arriéré d'intérêt de 104 094,28 $ a été imposé. La portion fédérale de la nouvelle cotisation s'élève approximativement à 154 000 $.

Du fait de la nouvelle cotisation établie à l'égard de l'appelant le 23 juin 1993 et dans des avis de nouvelle cotisation établis à l'égard de Carol-Lynn Shepp, de la fiducie, de Jeff Shepp et de la nouvelle compagnie les 26 juillet 1993, 23 juillet 1993, 4 octobre 1993 et 9 août 1993 respectivement, l'intimée a établi de nouvelles cotisations en tenant compte de ce qui suit :

Carol-Lynn Shepp

Carol-Lynn Shepp était “ réputée avoir disposé d'une partie d'une participation financière ayant donné lieu à un produit de disposition total de 12 195 $ conformément au sous-alinéa 69(1)b)(ii) de la Loi ”, ce qui a entraîné une augmentation de 12 195 $ de ses gains en capital. L'augmentation correspondante des gains en capital imposables a été annulée par l'augmentation de sa déduction pour gains en capital.

Jeff Shepp et la fiducie

Le 28 août 1989, la fiducie est réputée avoir acquis dans Exploitante Ltée une participation financière dont la juste valeur marchande s'élevait à au moins 768 290 $ conformément à l'alinéa 69(1)c) de la Loi, de sorte que le coût de base rajusté des 17 000 actions ordinaires de catégorie B d'Exploitante Ltée détenues par la fiducie a été fixé à 768 307 $. Cela a eu pour effet d'éliminer les gains en capital déclarés par la fiducie dans sa déclaration T3 de 1989 et d'éliminer le gain en capital attribué par la fiducie à Jeff Shepp et déclaré dans sa déclaration de revenus des particuliers de 1989.

La nouvelle compagnie

Parce que la fiducie était réputée avoir acquis dans Exploitante Ltée une participation financière dont la juste valeur marchande était de 768 290 $ le 28 août 1989, le coût de base rajusté des actions d'Exploitante Ltée (qui, d'après ce que l'intimée indique à tort dans l'avis de ratification, ont été transférées à la nouvelle compagnie par la fiducie) a été révisé, passant de 47 $ à 216 976 $ conformément à l'alinéa 85(1)c.1) de la Loi. En conséquence, le gain en capital déclaré par la nouvelle compagnie a été diminué de 216 929 $.

L'appelant a déposé un avis d'opposition à la nouvelle cotisation le 13 juillet 1993.

Dans un avis de ratification daté du 23 novembre 1995, l'intimée a ratifié la nouvelle cotisation.

[3] En outre, l'appelant a appelé à témoigner M. Bradley Tetz, c.a. Celui-ci a parlé de la structure d'Exploitante Ltée, de la série d'opérations ayant mené à la vente d'Exploitante Ltée à MLH & A Inc. (“ MLH ”) et des objectifs visés sur le plan fiscal.

[4] M. Tetz et l'appelant ont tous deux déclaré dans leur témoignage que la fiducie a été créée en 1987 afin qu'une partie de la croissance d'Exploitante Ltée revienne au fils de l'appelant, Jeff Shepp. Cependant, comme Jeff Shepp était mineur, l'appelant a été informé qu'une fiducie était le meilleur moyen d'arriver à cette fin. La fiducie a donc été établie de façon à détenir 17 actions ordinaires d'Exploitante Ltée jusqu'à ce que les fiduciaires décident de distribuer les biens de la fiducie au bénéficiaire. Entre-temps, l'appelant a jugé nécessaire d'émettre des actions ordinaires de catégorie B à la fiducie et, ainsi, de lui permettre de voter uniquement sur les questions revêtant une grande importance pour la société aux termes des dispositions de la Business Corporations Act de l'Alberta, mais non sur les questions courantes. Le comptable a également recommandé de prévoir une certaine marge de manoeuvre en assujettissant les actions à une disposition relative au versement discrétionnaire de dividendes qui permettrait de payer des dividendes sur les actions ordinaires de catégorie A à l'exclusion, si la chose est possible, des actions ordinaires de catégorie B.

[5] M. Tetz a surtout été mêlé de près aux opérations effectuées par Exploitante Ltée à compter du 14 août 1987, lorsque MLH a offert par écrit (“ lettre d'intention ”) d'acheter Exploitante Ltée, ce à quoi l'appelant a donné son aval. À l'époque, Exploitante Ltée n'était pas une corporation exploitant une petite entreprise puisque ses biens de placement représentaient plus de dix pour cent de tous ses biens (les états financiers d'Exploitante Ltée font état d'un million de dollars en argent environ). Par conséquent, les actionnaires qui vendaient leurs actions d'Exploitante Ltée ne pouvaient se prévaloir de l'exemption pour gains en capital.

[6] En outre, Exploitante Ltée avait un énorme excédent de caisse qui pouvait être distribué, libre d'impôt, à même son revenu sauf, à 400367 Alberta Ltd. (la “ nouvelle compagnie ”), une société de portefeuille liée à Exploitante Ltée.

[7] M. Tetz a déclaré dans son témoignage qu'entre la date de la lettre d'intention et la date à laquelle la transaction avec MLH a été conclue il fallait atteindre deux objectifs pour accroître au maximum les avantages fiscaux de la transaction en respectant la Loi. D'une part, Exploitante Ltée devait être purifiée pour devenir une corporation exploitant une petite entreprise de façon que les actionnaires puissent se prévaloir de l'exemption pour gains en capital au moment où ils vendraient leurs actions. D'autre part, une partie considérable du revenu sauf devait être versée libre d'impôt sous forme de dividendes à la nouvelle compagnie. C'est pourquoi l'appelant, Carol-Lynn Shepp et la fiducie ont transféré une partie de leurs actions d'Exploitante Ltée à la nouvelle compagnie.

[8] Ainsi que l'a confirmé M. Tetz, la lettre d'intention permettait expressément certains rajustements pour qu'Exploitante Ltée puisse atteindre ces deux objectifs avant de conclure la transaction. En effet, il y était question de bénéfices non répartis visés qui devaient être obtenus en réduisant les bénéfices non répartis comme tel (environ 1 000 000 $ le 14 août 1989) au moyen d'un rachat d'actions, de dividendes ou de primes.

[9] De fait, MLH a acheté 3 300 000 $ les actions d'Exploitante Ltée et ce qui restait après la purification de celle-ci. Les dividendes totaux payés aux actionnaires de catégorie A dans le cadre de la purification se sont élevés à 671 220 $. Il ne valait pas la peine de payer des dividendes aux actionnaires de catégorie B puisque la fiducie aurait été imposée au taux marginal le plus élevé et, si les dividendes avaient été déclarés au nom du bénéficiaire, Jeff Shepp, ils auraient été attribués de nouveau à l'appelant en vertu des règles d'attribution.

[10] On a également décidé qu'en plus des 4 800 actions ordinaires transférées à la nouvelle compagnie par la fiducie, l'appelant acquerrait toutes les actions ordinaires détenues par Carol-Lynn Shepp et la fiducie et les revendrait ensuite en bloc à MLH. On a décidé d'agir ainsi pour deux raisons : premièrement, il serait plus simple d'avoir une seule date pour conclure la transaction avec MLH et, deuxièmement, l'appelant devait être payé en partie en actions de MLH, qui ne voulait pas d'actionnaires inactifs. Toutes les actions ordinaires de catégorie B ont été converties en actions ordinaires de catégorie A avant la vente à MLH. M. Tetz a expliqué que cela faisait partie de la vente à MLH pour purifier la structure du capital-actions.

Fondement de la cotisation

[11] Le fondement de la cotisation est résumé dans les termes suivants dans le Résumé de la plaidoirie de l'intimée :

[TRADUCTION]

Le 18 août (sic) 1989, les statuts de B.N. Shepp and Associates Ltd. (“ Exploitante Ltée ”) ont été modifiés pour permettre aux détenteurs d'actions de catégorie B de convertir leurs actions en actions de catégorie A, à raison d'une action contre une. À l'époque, et en autant que les actions de catégorie B restaient émises et en circulation, les droits et privilèges dont elles étaient assorties étaient moindres que ceux qui étaient rattachés aux actions de catégorie A.

Du fait de la modification des statuts, la valeur de toutes les actions de catégorie A de l'appelant a été considérée comme ayant été diminuée d'un montant égal à une augmentation proportionnelle de la valeur des actions de catégorie B. L'augmentation et la diminution simultanées de la valeur des actions de catégorie B et de celles de catégorie A ont été considérées comme découlant essentiellement de la disposition d'une participation financière par l'appelant en faveur du détenteur des actions de catégorie B (la “ fiducie ”). Cette disposition a été considérée comme une donation d'un bien par l'appelant à l'actionnaire de catégorie B.

L'appelant avait un lien de dépendance avec la fiducie. Ayant conclu qu'il y avait eu donation d'un bien par l'appelant à la fiducie, le ministre a établi une cotisation à l'égard de l'appelant en tenant compte du fait que le produit de disposition était réputé être égal à la juste valeur marchande du bien dont il avait disposé.

Sous-alinéa 69(1)b)(ii) de la Loi de l'impôt sur le revenu

Le ministre a supposé que la juste valeur marchande du produit était de 756 095 $ pour le motif suivant :

les 27 et 28 août 1989, la valeur totale d'Exploitante Ltée, si l'on exclut la valeur des actions privilégiées et des actifs excédentaires qui devaient être distribués à MLH & A Inc. (“ MLH ”), était de 3 803 310 $;

immédiatement avant le 28 août 1989, la valeur totale de toutes les actions de catégorie B émises et en circulation était de 40 000 $, ou de 2 353 $ l'action;

immédiatement avant le 28 août 1989, la valeur totale des 63 actions de catégorie A émises et en circulation (62 détenues par l'appelant et une par Carol-Lynn Shepp) était de 3 763 310 $, ou de 59 735 $ l'action;

immédiatement après la résolution spéciale du 28 août 1989, qui prévoyait le fractionnement des actions de catégorie A et de catégorie B, à raison de 1 000 actions contre une, et permettait la conversion des actions de catégorie B en actions de catégorie A, à raison d'une action contre une, chaque action de catégorie A et de catégorie B valait 47,54 $ (environ 47 540 $ avant le fractionnement);

immédiatement après la résolution spéciale du 28 août 1989, les 63 000 actions de catégorie A (62 000 détenues par l'appelant et 1 000, détenues par Carol-Lynn Shepp) valaient 2 995 020 $;

la juste valeur marchande de la participation financière dont l'appelant et Carol-Lynn Shepp ont disposé était égale à la diminution de la valeur totale des actions de catégorie A entre le 27 et le 28 août 1989, soit 768 290 $ (3 763 310 $ - 2 995 020 $) [...]

Témoignage d'experts

[12] L'appelant et l'intimée ont chacun appelé un expert en évaluation d'entreprises à témoigner sur la valeur d'Exploitante Ltée avant et après la résolution spéciale du 28 août 1989 (la “ résolution spéciale ”).

Expert de l'appelant

[13] Pour déterminer la valeur des actions ordinaires de catégorie A et de catégorie B avant et après la résolution spéciale, l'expert de l'appelant, M. Gordon Smith, a considéré que les deux catégories d'actions étaient identiques à tous égards, si ce n'est que les actions ordinaires de catégorie B n'étaient assorties d'aucun droit de vote et pouvaient être exclues de la déclaration de dividendes.

[14] De l'avis de M. Smith, il n'y avait pas lieu de se baser sur un marché hypothétique pour déterminer la juste valeur marchande des actions; il a supposé que, les 27 et 28 août 1989, soit aux dates d'évaluation, une vente avait effectivement eu lieu. De fait, a affirmé M. Smith, la date pertinente aux fins de l'évaluation des actions est le 14 août 1989, c'est-à-dire la date à laquelle la lettre d'intention a été signée. D'après l'évaluation de M. Smith, l'entente conclue avec MLH le 14 août 1989 a effectivement cristallisé la valeur de toutes les actions à la date de la résolution spéciale ou à une date antérieure car il était impossible pour une partie de se dégager de l'entente une fois que la résolution spéciale était adoptée. De fait, la résolution relative au droit de conversion constituait simplement un moyen de permettre la vente à MLH. Elle n'avait pas pour objet de créer des écarts de valeur entre les différentes actions. Le dividende de 671 220 $ a été déclaré pour que l'objectif énoncé dans la lettre d'intention soit atteint.

[15] Selon M. Smith, la valeur des actions ordinaires de catégorie B avant le 28 août 1989 était égale à la part proportionnelle du produit de la vente faite à MLH que représentaient ces actions, c'est-à-dire un montant total de 701 250 $ (17 000 actions ordinaires de catégorie B fois 41,25 $ — le prix offert par MLH pour chaque action). Quant à la valeur des actions ordinaires de catégorie B immédiatement après le 27 août 1989, il est d'avis qu'elle était égale à un montant proportionnel du produit de la vente (701 250 $) plus une part des montants de la distribution qui devaient être payés par Exploitante Ltée à titre de dividendes, c'est-à-dire un montant additionnel total de 47 250 $ (la part de la fiducie des dividendes totaux de 671 220 $ déclarés le 28 août 1989). Par conséquent, M. Smith est d'avis que la résolution spéciale n'a assorti les actions ordinaires de catégorie B que du droit de participer au prorata au partage des montants de distribution.

[16] M. Smith a reconnu que l'on pouvait faire valoir qu'avant que MLH manifeste son intention d'acquérir les actions d'Exploitante Ltée les actions ordinaires de catégorie B valaient moins que les actions ordinaires de catégorie A, principalement parce qu'elles pouvaient être exclues d'une déclaration de dividendes. Cependant, M. Smith a indiqué que, tant que William Keech (un employé et actionnaire d'Exploitante Ltée) continuait de détenir des actions de catégorie A, il était raisonnable de supposer que les actions de catégorie B avaient une valeur égale à celle des actions de catégorie A. D'après M. Smith, l'appelant n'aurait vraisemblablement pas permis le paiement de dividendes sur les actions de catégorie A en excluant les actions de catégorie B car, en procédant autrement, M. Keech aurait reçu 5/68 des dividendes plutôt que 5/85, ce qui n'aurait pas été à l'avantage de l'appelant.

[17] De fait, Exploitante Ltée a racheté les actions de M. Keech le 30 juin 1989 pour 23 287 $. Ce montant a été fixé en fonction de la valeur des actions ordinaires (déterminée selon une formule prévue dans une entente conclue entre Exploitante Ltée et M. Keech le 12 octobre 1978), divisée par 85 actions ordinaires en circulation (dont des actions ordinaires de catégorie A et de catégorie B) et non seulement par les 68 actions ordinaires de catégorie A émises.

[18] De plus, M. Smith a indiqué que les recours en cas d'abus qui s'offrent aux actionnaires minoritaires aux termes de la Business Corporations Act de l'Alberta auraient permis de prévenir tout abus par les actionnaires de catégorie A. Cependant, a-t-il dit, une fois le contrat avec MLH conclu, la question d'abus ne se posait plus.

[19] En outre, le contrat conclu avec MLH limitait le montant des dividendes qu'Exploitante Ltée pouvait déclarer (qui, en fin de compte, se sont élevés à 13 356 $ et ont été déclarés le 23 août 1989 à titre de dividendes en capital, et à 671 220 $, déclarés le 29 août 1989). Par conséquent, bien qu'Exploitante Ltée puisse déclarer des dividendes en excluant les actions ordinaires de catégorie B, le montant de ces dividendes ne pouvait dépasser celui qui a été mentionné ci-dessus. Toute valeur résiduelle d'Exploitante Ltée serait partagée au prorata entre les actionnaires ordinaires, sans égard au pouvoir de limiter les dividendes dans le cas des actions de catégorie B. M. Smith a fait remarquer que, malgré qu'elle eût le pouvoir de payer des dividendes en excluant les actions de catégorie B, Exploitante Ltée n'en a pas payé entre la date où ces actions de catégorie B ont été émises en 1987, et le 23 août 1989. Donc, les actionnaires de catégorie B ont continué de profiter de la croissance d'Exploitante Ltée.

[20] En outre, le seul fait que les actions de catégorie B n'étaient assorties d'aucun droit de vote ne signifiait pas qu'elles valaient moins que les actions de catégorie A. D'après M. Smith, même si les actions ordinaires de catégorie A étaient assorties d'un droit de vote, il y avait un détenteur d'actions de catégorie A qui était dans une position de contrôle et qui pouvait, dans tous les cas, influer sur les décisions prises lors du vote. En d'autres termes, l'actionnaire de catégorie A minoritaire n'était pas plus avantagé que les actionnaires de catégorie B.

[21] Enfin, M. Smith a indiqué qu'il était insensé d'attribuer une valeur négligeable aux actions ordinaires de catégorie B. Il a déclaré que les actionnaires de catégorie B avaient le pouvoir d'empêcher la vente à MLH. S'ils avaient choisi de ne pas accepter l'offre de MLH, ils auraient continué à détenir leur part proportionnelle d'Exploitante Ltée.

Expert de l'intimée

[22] L'expert de l'intimée, M. Gerald Martin, a fondé son opinion sur un marché hypothétique puisqu'aucune vente d'actions ordinaires de catégorie A et de catégorie B n'est survenue les 27 et 28 août 1989, les dates d'évaluation.

[23] D'après M. Martin, l'offre présentée par MLH dans la lettre d'intention visait toutes les actions d'Exploitante Ltée. En conséquence, cette offre et la valeur des actifs excédentaires ne pouvaient servir qu'à établir la valeur totale d'Exploitante Ltée. L'offre n'attribuait aucune valeur à chacune des deux catégories d'actions ordinaires.

[24] M. Martin a déterminé la juste valeur marchande en se fondant sur un marché hypothétique composé de tous les acheteurs possibles, qui sont informés et prudents, qui n'ont pas de lien de dépendance, qui agissent dans leur propre intérêt et qui ne sont aucunement contraints d'effectuer la transaction.

[25] M. Martin a ensuite calculé la juste valeur marchande des actions ordinaires de catégorie B d'Exploitante Ltée au 27 août 1989 en fonction des droits, privilèges, restrictions et conditions assortis à celles-ci. De l'avis de M. Martin, les actions ordinaires de catégorie B avaient peu d'intérêt pour un acheteur car a) elles n'étaient assorties d'aucun droit de vote, b) il n'y avait aucune possibilité raisonnable qu'elles donnent lieu au versement de dividendes, c) il était peu probable qu'Exploitante Ltée soit liquidée, et d) elles ne pouvaient être transférées sans le consentement des administrateurs, lequel pouvait être refusé sans raison. D'après M. Martin, si la vente prévue d'Exploitante Ltée à MLH n'avait pas eu lieu, personne n'aurait, semble-t-il, été intéressé à acheter les actions ordinaires de catégorie B.

[26] De l'avis de M. Martin, le seul droit que donnaient les actions ordinaires de catégorie B qui eût quelque valeur était le droit à une part des éléments d'actif en cas de dissolution d'Exploitante Ltée. Cependant, les actions de catégorie B ne donnaient pas le droit de forcer une dissolution ni aucun droit possible d'avoir part à la croissance d'Exploitante Ltée, qui se traduirait par une hausse de ses bénéfices non répartis. De fait, d'après M. Martin, le droit des actionnaires de catégorie B à une part égale par action de la valeur d'Exploitante Ltée si celle-ci était liquidée relève davantage de la conjecture et serait fort difficile à évaluer. La difficulté tient à l'impossibilité de déterminer avec exactitude la valeur de liquidation résiduelle d'Exploitante Ltée si l'appelant décidait de la liquider. Les actionnaires de catégorie A, qui élisaient les administrateurs, auraient le droit de limiter aux actions ordinaires de catégorie A tous les dividendes déclarés après le paiement de dividendes privilégiés. Par conséquent, les actionnaires de catégorie A retireraient vraisemblablement les éléments d'actif excédentaires — dont la valeur est presque égale aux bénéfices non répartis — avant toute liquidation volontaire pour laquelle ils opteraient, et utiliseraient ces fonds pour racheter les actions privilégiées et payer un dividende de 671 220 $ sur les actions ordinaires de catégorie A, ce qu'ils ont effectivement fait le 29 août 1989.

[27] M. Martin a qualifié les actions ordinaires de catégorie B d'“ actions spéciales ” et il s'est reporté à l'ouvrage de Ian R. Campbell intitulé Canada Valuation Service (Toronto: De Boo, août 1989), à la page 7-163, pour ce qui est de la façon d'évaluer de telles actions :

[TRADUCTION]

Finalement, la juste valeur marchande de telles actions est fonction des droits, privilèges, restrictions et conditions dont elles sont assorties, en plus des lois pertinentes et de la common law pour ce qui est des difficultés auxquelles un acheteur hypothétique se heurterait s'il voulait modifier ces droits, privilèges, restrictions et conditions. Dans la jurisprudence canadienne, la tendance semble indiquer qu'en général la juste valeur marchande d'actions spéciales créées à des fins de planification fiduciaire ne peut être plus élevée que la valeur de réalisation de telles actions en cas de liquidation ou de dissolution.

[28] À cet égard, M. Martin ajoute ceci, à la page 18 de son rapport :

[TRADUCTION]

Les deux facteurs les plus importants dans l'évaluation d'actions minoritaires sont le rendement prévu du placement sous forme de dividendes ou d'une participation à la distribution des éléments d'actif en cas de liquidation. Les actionnaires ordinaires de catégorie B de cette compagnie ne peuvent raisonnablement pas s'attendre à recevoir des dividendes ou à prendre part à une distribution des éléments d'actif puisqu'une liquidation est peu vraisemblable dans un avenir prévisible.

[29] M. Martin a conclu que la juste valeur marchande des actions ordinaires de catégorie B au 27 août 1989, immédiatement avant que les statuts d'Exploitante Ltée soient modifiés pour permettre que ces actions soient échangées contre des actions ordinaires de catégorie A, était pour ainsi dire nulle. La seule possibilité, d'après M. Martin, “ paraît être une valeur vexatoire qui serait négligeable et hypothétique et qui ne pourrait pas être déterminée avec exactitude ”.

[30] De l'avis de M. Martin, la résolution spéciale a converti des actions n'ayant aucune valeur en actions dont la valeur était parfaitement proportionnelle. De fait, après l'adoption de la résolution spéciale, un actionnaire de catégorie B prudent aurait immédiatement converti toutes ses actions ordinaires de catégorie B en actions ordinaires de catégorie A.

[31] M. Martin a reconnu que les actionnaires de catégorie A minoritaires ne contrôlaient pas Exploitante Ltée et que la vente de leurs actions, comme c'était le cas des actions ordinaires de catégorie B, devait être approuvée par les administrateurs. Cependant, il est d'avis que, en raison de la vente prévue à MLH ainsi que du lien de parenté entre les actionnaires minoritaires et l'appelant, les actionnaires minoritaires semblent avoir eu une occasion de vendre leurs actions soit à l'appelant soit directement à MLH. Si la vente à MLH n'était pas conclue, les actions ordinaires de catégorie A minoritaires ouvriraient droit à une part égale des dividendes à l'avenir. Par conséquent, M. Martin a considéré que les actions ordinaires de catégorie B ne donneraient lieu à aucun escompte important pour participation minoritaire au 28 août 1989. À la page 14 de son rapport, il a donc calculé la juste valeur marchande des actions ordinaires de catégorie A et de catégorie B au 28 août 1989 en fonction de la partie proportionnelle de la valeur des actions ordinaires en bloc :

[TRADUCTION]

JVM de toutes les actions ordinaires au total 3 860 000 $

Valeur de l'action ordinaire (3 860 000 $ divisé par 80 000) 48,25 $

JVM de 63 000 actions ordinaires de catégorie A à 48,25 $ l'action 3 039 750 $

JVM de 17 000 actions ordinaires de catégorie B à 48,25 $ l'action 820 250 $

[32] La conclusion de M. Martin est énoncée dans les termes suivants à la page 21 de son rapport :

[TRADUCTION]

Compte tenu de ce qui précède, nous sommes d'avis que la juste valeur marchande des actions de B.N. Shepp and Associates Ltd. en particulier était la suivante :

La JVM des 63 000 actions ordinaires de catégorie A au 27 août 1989 était de 3 860 000 $ et, au 28 août 1989, de 3 039 750 $.

La JVM des 17 000 actions ordinaires de catégorie B au 27 août 1989 était nulle et, au 28 août 1989, elle était de 820 250 $.

Questions en litige

[33] Il s'agit de déterminer si la modification des droits rattachés aux actions, effectuée au moyen de la résolution spéciale, afin de permettre la conversion d'actions ordinaires de catégorie B en actions ordinaires de catégorie A d'Exploitante Ltée, constituait une disposition d'une participation financière par les détenteurs d'actions ordinaires de catégorie A (plus précisément l'appelant) et, dans l'affirmative, de déterminer la juste valeur marchande de la participation dont il a été disposé.

Résumé des arguments de l'appelant

[34] L'appelant soutient que les actions ordinaires de catégorie B d'Exploitante Ltée avaient une juste valeur marchande égale à celle des actions ordinaires de catégorie A avant et après l'ajout du droit de conversion du capital-actions autorisé d'Exploitante Ltée le 28 août 1989. Ainsi, même s'il y avait eu disposition d'une participation financière, la valeur de celle-ci serait nulle au moment de la disposition et l'article 69 de la Loi n'aurait pour ainsi dire aucun effet pratique.

[35] L'alinéa 69(1)b) de la Loi est libellé dans les termes suivants :

Article 69 : Contreparties insuffisantes.

Sauf dispositions contraires expresses contenues dans la présente loi,

[...]

lorsqu'un contribuable a disposé d'un bien en faveur

d'une personne avec laquelle il avait un lieu de dépendance sans contrepartie ou moyennant une contrepartie inférieure à la juste valeur marchande de ce bien à la date de la disposition, ou

d'une personne au moyen d'une donation entre vifs,

il est réputé avoir reçu par suite de la disposition une contrepartie égale à cette juste valeur marchande [...]

[36] Ainsi, l'appelant concède-t-il, le noeud de l'appel est la valeur des actions ordinaires de catégorie B avant et après le 28 août 1989. L'avocat de l'appelant a souligné que l'ensemble de la transaction qui a consisté, pour MLH, à acheter toutes les actions d'Exploitante Ltée, doit être prise en considération pour déterminer la valeur des actions. Aux termes de l'entente conclue entre l'appelant et MLH, cette dernière devait acheter à l'appelant toutes les actions en circulation d'Exploitante Ltée. La résolution spéciale adoptée le 28 août 1989 visant à permettre la conversion des actions ordinaires de catégorie B en actions ordinaires de catégorie A faisait partie d'une série de transactions qui ont mené à la vente des actions d'Exploitante Ltée à MLH le 31 août 1989, toutes ces transactions ayant été effectuées dans le but de limiter le fardeau fiscal qui découlerait de cette vente.

[37] D'après l'avocat, il est important de souligner que l'offre d'achat de toutes les actions ordinaires de catégorie A et de catégorie B a été faite avant l'adoption de la résolution spéciale du 28 août 1989. Il soutient que l'appelant et MLH avaient conclu une entente le 14 août 1989, date de la lettre dans laquelle MLH manifeste son intention d'acheter Exploitante Ltée, ce à quoi l'appelant a donné son aval. Cette lettre d'intention était plus qu'une offre : elle était un contrat validement signé qui devait régir le comportement des parties entre le 14 août 1989 et la date de signature des contrats le 31 août 1989. Par conséquent, la résolution spéciale ne devrait pas avoir changé la valeur des actions ordinaires de catégorie A ni celle des actions ordinaires de catégorie B, que l'on avait toujours souhaiter être la même.

[38] En outre, l'avocat de l'appelant a mis en doute la méthodologie utilisée par le ministre pour déterminer la valeur des actions, faisant remarquer que le ministre s'était d'abord fondé sur la transaction conclue avec MLH pour évaluer les actions d'Exploitante Ltée, puis ensuite sur un marché hypothétique pour répartir la valeur entre les actions ordinaires de catégorie A et celles de catégorie B.

Résumé des arguments de l'intimée

[39] Le ministre ne conteste pas que l'appelant avait le droit d'organiser ses affaires de manière à profiter pleinement de l'exemption pour gains en capital et du dividende inter-sociétés à imposition reportée du revenu sauf. Le ministre cherche à savoir si, lorsqu'elle est appliquée aux faits, la loi permet la réalisation de l'objectif fiscal visé. On a reconnu que, la vente des actions d'Exploitante Ltée à MLH ayant été effectuée entre parties sans lien de dépendance, la transaction constituait une référence acceptable pour déterminer la juste valeur marchande d'Exploitante Ltée au 27 et au 28 août 1989. La transaction, a-t-on soutenu, ne constituait cependant pas une référence pour répartir la valeur totale d'Exploitante Ltée entre les catégories d'actions qui existaient aux époques pertinentes.

[40] L'avocat de l'intimée soutient que la résolution spéciale a entraîné une diminution de la valeur de toutes les actions ordinaires de catégorie A de l'appelant égale à l'augmentation proportionnelle de la valeur des actions ordinaires de catégorie B. Ce changement représentait une disposition d'une participation financière sous forme de donation d'un bien par l'appelant au détenteur des actions ordinaires de catégorie B, la fiducie. D'après l'avocat, l'augmentation de la valeur des actions ordinaires de catégorie B que la fiducie détenait n'était pas attribuable aux droits, privilèges ou restrictions dont étaient assorties ces actions. Lorsqu'elles étaient détenues par la fiducie, les actions avaient une valeur négligeable. L'augmentation de la valeur des actions ordinaires de catégorie B n'est due qu'à la résolution spéciale, l'avocat a-t-il fait valoir. Cette résolution a eu pour effet de transférer une partie de la valeur des actions ordinaires de catégorie A aux actions ordinaires de catégorie B. En d'autres termes, la résolution spéciale a eu pour effet de convertir des actions n'ayant aucune valeur en actions ayant une valeur parfaitement proportionnelle. Cette conclusion repose sur le fait qu'il n'y a pas eu de vente les 27 et 28 août 1989 et que, par conséquent, la valeur des actions à ces dates doit être déterminée en fonction d'un marché hypothétique.

Analyse

[41] Je dois déterminer si l'adoption de la résolution spéciale le 28 août 1989 a eu pour effet de diluer la valeur des actions ordinaires de catégorie A de l'appelant ou de dépouiller ces actions d'une partie de leur valeur en faveur des actions ordinaires de catégorie B de la fiducie et, dans l'affirmative, s'il s'agissait d'une disposition d'une participation financière dans ces actions donnant lieu à l'application de l'alinéa 69(1)b) de la Loi.

[42] Je soulignerais d'abord que, pour établir une cotisation à l'égard de l'appelant, le ministre a tenu pour acquis que la valeur totale des actions ordinaires de catégorie B détenues par la fiducie était de 40 000 $ avant l'adoption de la résolution spéciale. L'expert de l'intimée, M. Martin, a attribué une valeur encore plus faible aux actions ordinaires de catégorie B, concluant qu'au 27 août 1989, elles ne valaient rien.

[43] Je ferais également remarquer qu'en décembre 1987 l'appelant avait fait le choix de transférer 17 actions ordinaires de catégorie B qu'il détenait à la fiducie au prix de base rajusté pour la fiducie de 1 $ l'action, conformément à l'ancien paragraphe 73(5) de la Loi (abrogé par L.C. 1986, par. 36(1), applicable aux dispositions effectuées après 1987). L'ancien 73(5) prévoyait un transfert libre d'impôt à un enfant d'actions d'une corporation exploitant une petite entreprise. Au moment du transfert des actions ordinaires de catégorie B, l'appelant a déclaré que la juste valeur marchande totale des actions était de 200 000 $. Ce chiffre, qui n'a pas été contesté par le ministre à l'époque, a été accepté comme représentant exactement la juste valeur marchande des actions ordinaires de catégorie B au mois de décembre 1987 et a été à juste titre utilisé dans le calcul du montant différé auquel l'appelant avait droit en vertu du paragraphe 73(5).

[44] Je constate également que l'expert de l'intimée a déterminé la valeur des catégories d'actions en fonction des droits, privilèges, conditions et restrictions dont elles étaient assorties. Cependant, il était également d'avis que les mêmes actions ordinaires de catégorie B, assorties des mêmes droits, privilèges, conditions et restrictions, avaient une valeur différente selon qu'elles étaient détenues par l'appelant ou par la fiducie. Une distinction a donc été faite en fonction du détenteur des actions et non pas strictement en fonction des droits dont les actions elles-mêmes étaient assorties.

[45] En outre, M. Bradley Tetz, c.a., a déclaré dans son témoignage qu'une fois la lettre d'intention signée le 14 août 1989 il a eu pour mandat de trouver un moyen de réduire les bénéfices non répartis d'Exploitante Ltée et de les ramener aux “ bénéfices non répartis visés ” dont il était question dans la lettre d'intention. Ce faisant, il a dû respecter les restrictions imposées par l'article 55 de la Loi pour tirer profit du revenu sauf d'Exploitante Ltée. Il a aussi respecté les exigences techniques détaillées auxquelles il fallait satisfaire pour que l'appelant, son épouse Carol-Lynn et la fiducie puissent utiliser leur déduction enrichie pour gains en capital ainsi qu'il était prévu à l'article 110.6 de la Loi. Il y a lieu de noter que le revenu sauf a été réparti également en 1988 et 1989 entre les actions ordinaires de catégorie A et celles de catégorie B. Cette répartition du revenu sauf a été présentée au ministre et n'a pas été modifiée. Le ministre n'a pas jugé opportun à l'époque de refuser la répartition du revenu sauf en faveur des actions ordinaires de catégorie B en raison de l'infime possibilité que ces actions puissent n'être assorties d'aucun droit à des dividendes.

[46] Je remarque également que l'expert de l'intimée, M. Martin, a déterminé la juste valeur marchande des actions ordinaires de catégorie B avant la résolution spéciale en se fondant sur un marché fictif — c'est-à-dire qu'il en a déterminé une juste valeur marchande hypothétique — pour le motif qu'à l'époque les actions n'avaient fait l'objet d'aucune transaction sur le marché libre, c'est-à-dire que la lettre d'intention n'avait pas valeur de contrat. Cependant, pour déterminer la valeur totale d'Exploitante Ltée ainsi que la juste valeur marchande des actions ordinaires de catégorie B après la résolution spéciale, M. Martin a considéré que la vente prévue à MLH était un bon indicateur malgré le fait que la lettre d'intention n'avait pas valeur de contrat.

[47] De même, le fait que les actions ordinaires de catégorie B ne pouvaient être vendues sans l'approbation des administrateurs d'Exploitante Ltée avait un impact négatif sur la valeur qu'il attribuait à ces actions avant la résolution spéciale. M. Martin n'a pas considéré que cela était important pour établir la valeur des actions ordinaires de catégorie B après l'adoption de la résolution spéciale. Il n'a pas appliqué d'escompte minoritaire à ces actions étant donné la vente prévue à MLH et le lien de parenté entre les actionnaires minoritaires et l'appelant. Pour reprendre les termes de M. Martin, “ les actionnaires minoritaires semblent avoir une occasion de vendre leurs actions à Bruce Shepp ou à MLH directement ” (voir le rapport de M. Martin, pièce R-2, page 14).

[48] Il est vrai que l'expert de l'appelant, M. Smith, a évalué les actions avant et après l'adoption de la résolution spéciale en tenant pour acquis que la lettre d'intention avait valeur de contrat. La question de savoir si MLH et l'appelant souhaitaient être liés jusqu'à la signature du document subséquent est une question d'interprétation. Dans l'ouvrage de G.H.L. Fridman intitulé The Law of Contract, 3e éd. (Toronto : Carswell, 1994), à la page 62, l'auteur écrit ce qui suit :

[TRADUCTION]

[...] Pour reprendre les termes du juge Parker dans l'affaire anglaise Von Hatzfeldt-Wildenburg v. Alexander (citée avec approbation au Canada) :

Si les documents ou les lettres dont on dit qu'ils constituent un contrat prévoient la signature d'un contrat subséquent entre les parties, la question de savoir si la signature du contrat subséquent est une condition ou une modalité de l'entente ou si elle est une simple expression de la volonté des parties quant à la manière dont l'opération dont il a déjà été convenu se produira effectivement, est une question d'interprétation. Dans le premier cas, il n'existe aucun contrat exécutoire parce que la condition n'est pas respectée ou parce que la loi ne reconnaît pas le contrat visant à conclure un contrat. Dans le deuxième cas, il existe un contrat obligatoire et le renvoi au document plus officiel peut ne pas être pris en considération.

[...]

La situation est fort différente lorsqu'il y a incertitude quant aux modalités du contrat ou que, bien qu'il n'y ait aucune incertitude quant aux modalités de l'entente convenue entre les parties, ces dernières souhaitent “ que leurs obligations légales soient reportées jusqu'à ce qu'un contrat en bonne et due forme soit approuvé et signé [...] ”. L'entente originale ou préliminaire ne peut constituer un contrat exécutoire. Un tel “ contrat en vue de conclure un contrat ” n'est nullement un contrat.

[49] Une lecture approfondie de la lettre d'intention mène à la conclusion que les parties ne souhaitaient pas que la lettre soit une entente ayant force exécutoire ou imposant une responsabilité à l'une ou l'autre partie. De fait, l'entente exprimée dans la lettre d'intention est assujettie à la condition qu'une entente en bonne et due forme soit signée.

[50] Je ne crois cependant pas que le rapport de M. Smith soit vicié pour autant. À mon avis, les deux experts se sont fondés sur cette lettre d'intention pour exprimer des opinions opposées dans leur rapport respectif. Dans ce contexte, j'estime que l'opinion de M. Smith devrait l'emporter. Je ne crois pas que les actions ordinaires de catégorie A avaient une valeur supérieure à celle des actions ordinaires de catégorie B avant et après la résolution spéciale. Nous sommes en présence ici d'une entreprise en activité dont la valeur tenait uniquement au fonds commercial de son actionnaire majoritaire. Sans l'appelant, ni les actions ordinaires de catégorie A ni celles de catégorie B n'auraient une grande valeur. En fait, MLH était disposée à acheter toutes les actions d'Exploitante Ltée à condition seulement que l'appelant s'engage à travailler pour elle pendant un certain temps et qu'il signe une clause de non concurrence.

[51] Compte tenu de l'offre sérieuse d'achat de toutes les actions d'Exploitante Ltée qu'a effectivement faite MLH, je ne crois pas qu'il soit nécessaire de recourir à un marché hypothétique pour déterminer la juste valeur marchande des actions ordinaires de catégorie B. Même si la lettre d'intention était assujettie à la signature d'un contrat en bonne et due forme, les négociations entre MLH et l'appelant avaient commencé en février 1989 et s'étaient intensifiées en juillet 1989 avec la signature de deux lettres d'intention antérieures par les parties. D'autres lettres ont suivi, exposant les dernières modifications avant la signature de la dernière lettre d'intention. L'appelant a ensuite confié à M. Tetz la tâche de clore la transaction.

[52] Je ne suis pas d'accord avec M. Martin lorsqu'il dit qu'il n'y a pas eu de transaction sur un marché libre. En fait, ainsi que je l'ai mentionné précédemment, il avait lui-même considéré qu'une telle transaction avait eu lieu pour déterminer la valeur totale d'Exploitante Ltée et la valeur des actions ordinaires de catégorie B après la résolution spéciale. L'offre visait toutes les actions d'Exploitante Ltée et le fait qu'aucune répartition n'a été faite entre les actions ordinaires de catégorie A et celles de catégorie B ne devrait pas influer sur l'attribution au prorata du prix d'achat à chaque catégorie d'actions. MLH connaissait l'existence de toutes les actions lorsqu'elle a présenté son offre. Elle n'a pas précisé qu'elle ne voulait pas des actions ordinaires de catégorie B.

[53] La juste valeur marchande est le prix le plus élevé qui puisse être obtenu sur un marché libre entre des parties informées et prudentes qui traitent l'une avec l'autre sur un pied d'égalité et sans contrainte (voir Canada Valuation Service, op. cit., p. 3-15). Cette définition englobe la situation en l'espèce car je suis convaincue que l'offre de MLH est une indication suffisante pour établir la juste valeur marchande des actions ordinaires de catégorie A et celles de catégorie B.

[54] Aucune indication de cette nature n'existait dans l'affaire Winram Estate v. M.N.R., 72 DTC 6187 (C.F. 1re inst.), qui a notamment été mentionnée par l'avocat de l'intimée. Dans cette affaire, le capital souscrit de la compagnie était pour ainsi dire semblable à celui qui est en cause dans la présente affaire. L'appel était à l'encontre d'une cotisation d'impôt sur les biens transmis par décès portant sur neuf actions ordinaires de catégorie A assorties d'un droit de vote et détenues par le défunt. Au décès de ce dernier, le capital souscrit de la compagnie se composait de 990 actions de catégorie B sans droit de vote, lesquelles étaient toutes détenues par la veuve du défunt, et de 10 actions de catégorie A, dont une seule était détenue par la veuve. Les statuts prévoyaient que des dividendes pouvaient être déclarés par voie de résolution ordinaire et que “ les dividendes ainsi déclarés peuvent être égaux pour chaque classe d'actions ou être différents et des dividendes peuvent être déclarés pour une classe d'actions sans l'être pour une autre ”. Pour arriver à la conclusion que la valeur des neuf actions de catégorie A détenues par le défunt équivalait à 9/10 de la valeur de la compagnie et non à 9/1 000, le juge Gibson a déclaré que la veuve du défunt n'aurait pas pu empêcher ce dernier de déclarer des dividendes que la compagnie lui verserait à concurrence des 9/10 des surplus. D'après le juge Gibson, une telle action n'aurait pas constitué l'exercice abusif d'un droit par rapport aux détenteurs d'actions de catégorie B puisque ceux-ci n'avaient aucun droit absolu à une partie des dividendes déclarés, ni n'aurait constitué un manquement aux obligations qui découlent des fonctions fiduciaires du défunt attachées à son poste d'administrateur. Le juge Gibson a également indiqué que la déclaration de dividendes sur les actions de catégorie A avec droit de vote à une réunion des administrateurs dûment convoquée n'aurait pas constitué un exercice abusif des droits des détenteurs majoritaires d'actions de catégorie A par rapport aux droits des détenteurs minoritaires d'actions de catégorie A (bien que le défunt aurait pu verser tous les surplus de la compagnie sous forme de dividendes).

[55] La décision rendue dans l'affaire Winram présuppose que les actions de catégorie B n'avaient aucune valeur et que les détenteurs minoritaires d'actions de catégorie A ne pouvaient pas faire grand-chose pour prévenir la distribution d'un surplus sous forme de dividendes.

[56] J'estime cependant que l'affaire Winram se distingue de la présente affaire en ce qui concerne la valeur des actions de catégorie B. Dans cette affaire, la Cour fédérale devait déterminer la valeur des actions à des fins d'imposition des biens transmis par décès. Aucun acheteur sans lien de dépendance n'avait offert d'acquérir les actions comme c'est le cas en l'espèce. La Cour fédérale a dû implicitement recourir à un marché hypothétique pour établir la valeur des actions, ce qui n'est pas le cas en l'espèce.

[57] En outre, il est faux de dire, ainsi que M. Martin l'a donné à entendre, que les actions ordinaires de catégorie B ne donnaient droit à aucun dividende avant l'adoption de la résolution spéciale. Ainsi que les juges majoritaires de la Cour suprême du Canada l'ont dit dans The Queen v. McClurg, 91 DTC 5001, aux pages 5008 et 5009, “ ce n'est pas parce que les droits aux dividendes dépendent de l'exercice par les administrateurs de leur pouvoir discrétionnaire de répartir le dividende déclaré entre les catégories d'actions qu'il ne s'agit pas d'un “droit” [...] [L]e droit d'un actionnaire est “de recevoir sa part des profits de la société lorsqu'ils sont déclarés sous forme de dividendes relativement aux actions de la catégorie dont son action fait partie”: Bryden, “The Law of Dividends”, dans Jacob S. Ziegel, éd., Studies in Canadian Company Law, à la p. 270. Ce droit n'est nullement amoindri par la présence d'une clause de dividende discrétionnaire.”

[58] En outre, si M. Martin a raison de dire que les actions ordinaires de catégorie B étaient des actions spéciales créées pour que le fils de l'appelant prenne part, par l'intermédiaire de la fiducie, à la croissance d'Exploitante Ltée, il est également juste de dire que ces actions sans droit de vote devaient ouvrir droit au partage à parts égales des éléments d'actif d'Exploitante Ltée en cas de dissolution, de liquidation ou d'autre distribution des éléments d'actif dans le cadre de la liquidation des affaires d'Exploitante Ltée. L'expert de l'intimée, M. Martin, n'a pas pris en considération la valeur de liquidation puisqu'Exploitante Ltée était une entreprise en activité et qu'elle n'était pas sur le point d'être liquidée, comme en fait foi l'offre de MLH. Cependant, il a été généralement établi dans la jurisprudence canadienne que la juste valeur marchande de telles actions peut être établie en fonction de la valeur de réalisation de ces actions en cas de liquidation ou de dissolution (voir Canada Valuation Service, op. cit., page 7-163). Aux dates d'évaluation, les états financiers d'Exploitante Ltée indiquaient des éléments d'actif à court terme d'une grande valeur qui, s'ils avaient été distribués, auraient rapporté aux actionnaires de catégorie B. Le document inclus à l'onglet 40 du livre conjoint des pièces fait état du produit après impôt que recevraient les actionnaires d'Exploitante Ltée basé sur une vente d'actions de différentes valeurs comparativement à une vente des éléments d'actif de différentes valeurs. Si le fonds commercial était vendu 3 000 000 $ ou 3 500 000 $, la fiducie recevrait entre 460 000 $ et 513 000 $ après impôt. M. Martin, qui a exposé ces chiffres à la page 6 de son rapport, a déclaré qu'ils représentent ce que les actionnaires de catégorie B recevraient si le fond commercial était vendu et qu'Exploitante Ltée était subséquemment liquidée puisque l'actionnaire de catégorie B participerait également à la liquidation.

[59] L'avocat de l'appelant a ajouté dans ses plaidoiries écrites que ces montants de 460 000 $ ou de 513 000 $ n'incluaient pas la part de la fiducie des biens de placement existants de 1 000 000 $ (il faut se rappeler que l'offre de MLH n'incluait pas les biens de placement d'une valeur de 1 000 000 $ qui ont été distribués aux actionnaires avant la vente finale), dont la fiducie recevrait 140 000 $. Par conséquent, d'après l'avocat de l'appelant, avec qui je suis d'accord, si les biens de placement étaient liquidés et le fonds commercial vendu entre 3 000 000 $ et 3 500 000 $, la fiducie recevrait 600 000 $ (460 000 $ + 140 000 $) ou 653 000 $ (513 000 $ + 140 000 $). Il n'est donc pas juste à mon avis d'attribuer une valeur nulle aux actions de catégorie B pour le motif qu'il était peu probable qu'Exploitante Ltée soit liquidée.

[60] Je conclus par conséquent que la résolution spéciale n'a pas modifié considérablement la valeur des actions ordinaires de catégorie B et qu'aucune valeur considérable n'a été transférée de l'appelant à la fiducie lorsque la résolution spéciale a été adoptée. Cela suffit pour trancher l'appel en faveur de l'appelant.

[61] Je ferai cependant quelques remarques sur la question de savoir si la dilution de la valeur d'actions ou le fait de se départir d'une partie de celles-ci constitue une disposition d'un bien qui serait visée par l'alinéa 69(1)b) de la Loi.

[62] Comme l'appelant n'a pas invoqué ce point expressément dans ses plaidoiries écrites, je me contenterai de dire que je m'interroge sur l'opportunité d'inclure dans le terme “ disposition de biens ” la disposition d'une participation financière.

[63] À l'article 54 de la Loi, le terme disposition est défini principalement comme étant l'opération qui donne droit au contribuable au produit de disposition de biens. Je ne vois pas comment on pourrait soutenir qu'un contribuable qui n'a pas disposé de ses actions a disposé de biens pour un produit de disposition alors que la valeur de ces actions peut fluctuer pendant qu'il les détient. Il me semble que, si c'était là l'intention du législateur, elle devrait être clairement énoncée dans la définition de “ produit de disposition ” comme cela a été fait dans les cas où le produit de disposition est réputé exister même s'il n'y a aucune disposition de biens comme telle (voir, par exemple, les situations où un contribuable a droit à une indemnité pour la destruction de biens, ou a reçu une indemnité en vertu d'une police d'assurance du fait de la destruction de biens, ainsi qu'il est énoncé à l'article 54 de la Loi.)

[64] Il se peut que la thèse de l'intimée repose sur le bulletin d'interprétation IT-448, “ Dispositions — Modification des conditions des titres ” daté du 6 juin 1980, qui analyse les facteurs que le ministère du Revenu national prend en considération pour déterminer si une disposition a eu lieu lorsque des modifications sont apportées aux droits, privilèges, modalités, conditions, restrictions ou limites afférents à des actions ou autres titres. D'après ce bulletin, les modifications apportées aux conditions des actions seront considérées comme une disposition si elles sont suffisamment importantes. Certains auteurs ont soutenu que la position de Revenu Canada relativement aux modifications apportées aux conditions des actions ou des dettes obligataires ne peut être défendue sur le plan du droit.

[65] Se reportant à l'arrêt The Queen v. Compagnie Immobilière BCN Ltée, 79 DTC 5068, où la Cour suprême du Canada a déclaré, à la page 5073, que le terme “ disposé ” de l'ancien paragraphe 20(5) de la Loi (dans le contexte de la Loi pour ce qui est de la déduction pour amortissement) devrait être interprété dans son sens le plus large, Brian Arnold et David Ward, dans leur article “ Dispositions - A Critique of Revenue Canada's Interpretation ” (1980), 28 Canadian Tax Journal 559, ont dit ceci à la page 561 :

[TRADUCTION]

Même en retenant cette interprétation large du terme “ disposition ”, la condition fondamentale est qu'il doit y avoir cessation, dessaisissement, aliénation ou transfert des attributs de la propriété rattachés au bien. En d'autres termes, le droit du contribuable sur le bien doit être substantiellement sinon complètement éteint, peu importe que ce droit soit acquis ou non par une autre personne.

Ils écrivent ensuite à la page 569 :

[TRADUCTION]

[...] Il ressort clairement de la jurisprudence portant sur le terme “ disposition ” que la disposition de biens doit faire intervenir l'aliénation ou l'extinction du bien. Il n'existe aucune notion d'aliénation ou d'extinction dans le concept de Revenu Canada selon lequel il y a disposition lorsqu'un changement important est apporté à la participation économique du détenteur dans le bien [...]

À la page 576, ils concluent dans les termes suivants :

[TRADUCTION]

[...] La notion de disposition est la description dans la loi de la condition de réalisation à des fins fiscales. Ainsi qu'il a été mentionné précédemment, il est un principe fondamental du droit fiscal selon lequel le revenu doit être “ réalisé ” avant d'être assujetti à l'impôt. Si la valeur du bien s'accroît, le montant de cette augmentation n'est assujetti à l'impôt que lorsqu'il est réalisé au moyen d'une vente ou d'une autre opération semblable.

[66] Dans l'arrêt Friesen v. The Queen, 95 DTC 5551, la Cour suprême du Canada parle du principe de réalisation selon lequel les gains et les pertes doivent être réalisés pour être inclus dans le calcul du revenu aux fins de l'impôt. La Cour écrit ceci aux pages 5569 et 5570 :

Dans Timing and Income Taxation: The Principles of Income Measurement for Tax Purposes (1983), le professeur B. J. Arnold fait la remarque suivante, à la p. 333:

L'un des principes de base de l'impôt sur le revenu est que l'augmentation ou la diminution de la valeur d'un bien n'entre dans le calcul du revenu que lorsque cette augmentation ou diminution a été réalisée, habituellement au moyen d'une vente.

L'importance de ce principe ressort du fait que, toutes les fois que la Loi de l'impôt sur le revenu permet des aliénations réputées avoir été faites à la juste valeur marchande sans réalisation véritable, elle le fait de façon stricte et très limitée: par exemple, lorsqu'un contribuable cesse de résider au Canada (art. 48 (maintenant abrogé)), à la suite de son décès (art. 70), ou à la suite d'un changement de contrôle (art. 111). Des exceptions au principe de réalisation sont donc clairement prévues et explicitement codifiées, contrairement à l'exception qu'invoque l'appelant. En général, la Loi ne reconnaît pas les gains ou les pertes “non réalisées” ou qui n'existent que “sur papier”: Krishna, op. cit., aux pp. 278 et 279.

En fait, dans l'arrêt The Queen v. Kieboom, 92 DTC 6382 (C.A.F.), invoqué par l'avocat de l'intimée pour soutenir que l'appelant avait disposé d'une participation économique pour un produit de disposition réputé égal à la juste valeur marchande, la Cour d'appel fédérale était appelée à déterminer, entre autres choses, si le contribuable était réputé avoir disposé d'une participation économique à titre gratuit à ses enfants conformément à l'alinéa 245(2)c) (abrogé en 1988) et au paragraphe 69(1) de la Loi. Dans ce dernier cas, le contribuable, qui avait auparavant détenu 90 pour cent des actions ordinaires d'une société, avait mis en place une série d'opérations commerciales dans le cadre desquelles son épouse avait acheté, pour une contrepartie symbolique, des actions supplémentaires suffisantes pour que la valeur de ses actions corresponde à celle des actions du contribuable. Par la suite, des actions additionnelles ont été émises à chacun des enfants mineurs du contribuable, encore là pour une contrepartie symbolique. Il a d'abord été soutenu que le contribuable avait conféré un avantage à ses enfants en vertu de l'ancien alinéa 245(2)c), puis que le contribuable avait transféré des biens à son épouse en lui donnant une partie de la participation qu'il détenait dans sa compagnie, entraînant ainsi l'application des dispositions d'attribution du paragraphe 74(1).

[67] En ce qui concerne le premier argument, il a été statué qu'aux termes du paragraphe 69(1) et de l'alinéa 245(2)c) considérés ensemble, les transferts de participation que M. et Mme Kieboom avaient tous les deux faits à leurs enfants étaient réputés être des donations à une juste valeur marchande. Il a été statué qu'aux termes de l'ancien alinéa 245(2)c), l'avantage conféré par un contribuable sous forme d'une transaction de quelque nature que ce soit était qualifié de disposition réputée à titre gratuit, laquelle disposition était réputée avoir été effectuée à une juste valeur marchande aux termes du sous-alinéa 69(1)b)(ii). L'ancien alinéa 245(2)c) est libellé dans les termes suivants :

Paiements ou transports indirects. Lorsqu'une ou plusieurs ventes, échanges, déclarations de fiducie ou autres opérations de quelque nature que ce soit ont pour résultat qu'une personne confère un avantage à un contribuable, cette personne est réputée avoir fait au contribuable un paiement égal au montant de l'avantage conféré, nonobstant la forme ou les effets juridiques des opérations ou le fait qu'une ou plusieurs autres personnes y aient été également parties; et, qu'il y ait eu ou non une intention d'éviter ou d'éluder des impôts prévus par la présente loi, le paiement doit, selon les circonstances, être

[...]

réputé être une disposition à titre gratuit.

L'alinéa 245(2)c) ayant été abrogé, il faut souligner qu'il n'existe plus dans la Loi de disposition réputée dans des circonstances semblables. Par conséquent, l'alinéa 69(1)b), qui présuppose qu'une disposition a eu lieu, ne s'applique pas si aucune disposition n'a eu lieu ou qu'aucune disposition n'est réputée avoir eu lieu aux termes d'une autre disposition de la Loi.

[68] Quant au deuxième argument, il est vrai que la Cour d'appel fédérale a déclaré que le terme “ bien ” devait être interprété dans un sens large et qu'elle considérait que le contribuable avait transféré le bien à son épouse en lui donnant une partie de sa participation dans la compagnie. Cependant, cette décision a été prise dans le contexte du paragraphe 74(1), qui vise les transferts qui sont effectués “ directement ou indirectement ” ou “ par tout autre moyen que ce soit ”.

[69] Certains auteurs estiment que la Cour d'appel fédérale a élargi à tort le sens de “ disposition de biens ”. Douglas S. Ewens, c.r., et Michael J. Flatters, dans l'article qu'ils ont rédigé et qui s'intitule “Toward A More Coherent Theory of Dispositions”, (1995), 43 Canadian Tax Journal 1377, donnent un bon aperçu de la question aux pages 1407 à 1411 :

[TRADUCTION]

La pertinence des dispositions dans le contexte de la Loi se rapporte aux transactions qui mettent en cause un “ bien ” d'un contribuable. En d'autres termes, toutes les situations dans lesquelles une disposition est pertinente aux fins du calcul du revenu d'un contribuable aux termes de la Loi mettent en cause des dispositions de biens.

Le concept de bien a une portée remarquable dans la Loi. Au paragraphe 248(1) de la Loi, “ bien ” s'entend de

biens de toute nature, meubles ou immeubles, corporels ou incorporels, y compris, sans préjudice de la portée générale de ce qui précède :

les droits de quelque nature qu'ils soient, les actions ou parts;

à moins d'une intention contraire évidente, l'argent;

les avoirs forestiers;

les travaux en cours d'une entreprise qui est une profession libérale. (Les italiques sont de nous.)

L'alinéa a) de cette définition assujettit à la théorie du “ bien ” relative au “ groupe de droits ” tous les types de biens [...]

Aux fins de la Loi, sauf disposition contraire expresse, la disposition de biens doit emporter l'extinction de tout l'avoir ou de la totalité du droit du contribuable sur cet avoir, même dans le cas où le bien est divisible. Autrement, toute renonciation à un droit sur le bien serait une disposition car elle entraîne la suspension ou l'extinction de ce droit particulier [...]

Par conséquent, pour que le concept de “ disposition de biens ” ait du sens et pour maintenir la distinction entre la réalisation de montants fixes et la réalisation de montants éventuels aux termes de la Loi de l'impôt sur le revenu, il est nécessaire de reconnaître que le concept de “ disposition de biens ” n'englobe pas tout événement ou transaction afférent à un bien [...] Nous sommes d'avis que le problème que posent les décisions de la Cour d'appel fédérale dans les arrêts Stursberg [93 DTC 5271], Kieboom et Wiebe [87 DTC 5068], et le point de vue de Revenu Canada relativement aux dispositions dans le contexte de la modification des modalités ou des conditions d'une dette ou d'actions, tient au principe selon lequel tous les biens sont divisibles et toute exploitation de biens peut entraîner la disposition de tels biens. À notre avis, seuls les transactions ou événements qui entraînent l'extinction de tout l'avoir ou de la totalité du droit d'une personne peuvent à juste titre être considérés comme une disposition de biens aux fins de la Loi de l'impôt sur le revenu.

[70] Compte tenu de ces remarques, je crois que l'on peut soutenir qu'il n'y a aucune disposition de biens lorsque la valeur des actions aurait pu fluctuer pendant qu'elles étaient détenues par le propriétaire à l'avantage de la personne qui a un lien de dépendance avec celui-ci. C'est certainement un argument qui pourrait être présenté et qui exigerait une analyse plus approfondie dans un cas où aucun tiers n'aurait fait d'offre, la question de la juste valeur marchande des actions pouvant alors se poser.

[71] L'appel est admis avec frais et la cotisation est déférée au ministre pour nouvel examen et nouvelle cotisation en tenant compte du fait que l'appelant n'était pas tenu d'ajouter un montant de 756 095 $ au gain en capital déclaré dans l'année d'imposition 1989.

Signé à Ottawa, Canada, ce 22e jour de janvier 1999.

“ Lucie Lamarre ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 15e jour de septembre 1999.

Mario Lagacé, réviseur

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