Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

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Date: 19991207

Dossier: 1999-54-IT-I

ENTRE :

KATHLEEN SHIELS,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Bowie, C.C.I.

[1] Il s'agit d'appels des décisions du ministre du Revenu national par lesquelles il refusait d'accorder à l'appelante le crédit d'impôt pour personnes handicappées prévu à l'article 118.3 de la Loi de l'impôt sur le revenu (la Loi) pour chacune des années d'imposition 1995 et 1996.

[2] En 1995, l'appelante a été impliquée dans un grave accident d'automobile. Elle a peu après été de nouveau impliquée dans deux autres accidents d'automobile. Ces trois accidents ont causé, en 1995 et en 1996, plusieurs blessures graves dont l'action combinée a eu un effet désastreux sur sa capacité d'accomplir ce qui constitue des activités courantes de la vie quotidienne, au sens ordinaire de cette expression. Le droit des particuliers de demander le crédit d'impôt pour personnes handicappées est toutefois considérablement limité par le libellé très restrictif des articles 118.3 et 118.4 de la Loi. Les paragraphes 118.3(1) et 118.4(1) se lisent comme suit :

118.3(1) Le produit de la multiplication de 4 118 $ par le taux de base pour l'année est déductible dans le calcul de l'impôt payable par un particulier en vertu de la présente partie pour une année d'imposition, si les conditions suivantes sont réunies :

a) le particulier a une déficience mentale ou physique grave et prolongée;

a.1) les effets de la déficience sont tels que la capacité du particulier d'accomplir une activité courante de la vie quotidienne est limitée de façon marquée;

a.2) un médecin en titre ou, s'il s'agit d'une déficience visuelle, un médecin en titre ou un optométriste atteste, sur formulaire prescrit, que le particulier a une déficience mentale ou physique grave et prolongée dont les effets sont tels que sa capacité d'accomplir une activité courante de la vie quotidienne est limitée de façon marquée;

b) le particulier présente au ministre l'attestation visée à l'alinéa a.2) pour une année d'imposition;

c) aucun montant représentant soit une rémunération versée à un préposé aux soins du particulier, soit des frais de séjour du particulier dans une maison de santé ou de repose, n'est inclus par le particulier ou par une autre personne dans le calcul d'une déduction en application de l'article 118.2 pour l'année (autrement que par application de l'alinéa 118.2(2)b.1)).

118.4(1) Pour l'application du paragraphe 6(16), des articles 118.2 et 118.3 et du présent paragraphe :

a) une déficience est prolongée si elle dure au moins 12 mois d'affilée ou s'il est raisonnable de s'attendre à ce qu'elle dure au moins 12 mois d'affilée;

b) la capacité d'un particulier d'accomplir une activité courante de la vie quotidienne est limitée de façon marquée seulement si, même avec des soins thérapeutiques et l'aide des appareils et des médicaments indiqués, il est toujours ou presque toujours aveugle ou incapable d'accomplir une activité courante de la vie quotidienne sans y consacrer un temps excessif;

c) sont des activités courantes de la vie quotidienne pour un particulier :

(i) la perception, la réflexion et la mémoire,

(ii) le fait de s'alimenter et de s'habiller,

(iii) le fait de parler de façon à se faire comprendre, dans un endroit calme, par une personne de sa connaissance,

(iv) le fait d'entendre de façon à comprendre, dans un endroit calme, une personne de sa connaissance,

(v) les fonctions d'évacuation intestinale ou vésicale,

(vi) le fait de marcher;

d) il est entendu qu'aucune autre activité, y compris le travail, les travaux ménagers et les activités sociales ou récréatives, n'est considérée comme une activité courante de la vie quotidienne.

Dans le champ d'application limité de ces dispositions, la prétention de l'appelante est essentiellement fondée sur sa capacité ou plus exactement, selon elle, sur son incapacité de marcher.

[3] Mme Shiels a eu son premier accident d'automobile le 10 mars 1995, alors qu'elle était enceinte de 28 semaines. Elle a alors subi une blessure au cou qui a provoqué de nombreux maux de tête. Elle a dû séjourner à l'hôpital à deux reprises et, au début du mois d'avril, son enfant est né prématurément, l'accouchement ayant été provoqué après que l'on eut détecté de l'hypertension, laquelle était attribuable à la grossesse et à l'accident d'automobile.

[4] Après la naissance de son enfant, l'appelante a eu deux autres accidents d'automobile, soit en mai et en août 1995. Plusieurs symptômes se sont alors manifestés, dont des altérations de l'acuité visuelle, des pertes de mémoire, des vertiges et des acouphènes. L'appelante a par ailleurs eu des douleurs chroniques aiguës. Tous ces symptômes mis ensemble, ainsi que les difficultés qu'ils ont occasionnées à l'appelante du fait qu'elle prenait soin d'un nouveau-né, ont occasionné des douleurs aiguës et une déficience importante durant les derniers mois de 1995 et tout au long de l'année 1996. L'appelante fonde toutefois son droit au crédit d'impôt pour personnes handicappées précisément sur les symptômes de vertige aigus qui se sont manifestés tout au long de cette période.

[5] Selon le diagnostic que le Dr Gillian M. Gibson a posé en août 1996, Mme Shiels avait des spasmes de convergence oculaire et de graves troubles vestibulaires, qui se manifestaient par des vertiges et des déséquilibres, résultant d'une série de coups de fouets cervicaux. Lors de l'audition du présent appel, en novembre 1999, les symptômes se manifestaient beaucoup moins fréquemment, quoique la chirurgie demeurait le traitement indiqué.

[6] Voici comment se manifestait la difficulté de marcher de l'appelante. Lorsqu'elle marchait, elle avait souvent des étourdissements soudains qui lui faisaient aussitôt perdre connaissance et entraînaient sa chute au sol. Ces pertes de connaissance se sont manifestées à maintes reprises en 1995 et en 1996, si fréquemment en fait que son partenaire et elle ont dû enlever presque tous les meubles se trouvant dans leur appartement et mettre des matelas sur les planchers de façon à minimiser les blessures qu'elle risquait par ailleurs de subir par suite de ces chutes soudaines. Elle tombait par terre lorsqu'elle faisait ses emplettes ou qu'elle marchait dans la rue avec son nouveau-né. Par suite de ces chutes, elle a eu de nombreuses fractures à la cheville, au poignet, au genou et au nez. Bien que les symptômes aient diminué d'intensité avec le temps, l'appelante ne pouvait en 1995 et 1996 marcher où que ce soit sans craindre de tomber. Lorsqu'elle s'aventurait à l'extérieur, elle devait être accompagnée par un ami ou un parent et ne pouvait porter elle-même son bébé, de crainte de faire une chute et de causer des blessures à son enfant et à elle-même.

[7] Selon le Dr Lynn Doyle, dont le rapport sur l'appelante est daté du 7 mai 1999, une chirurgie serait nécessaire pour traiter un syndrome du défilé ostéo-claviculaire du côté gauche. Une telle opération permettrait d'éliminer les symptômes causés par l'effet combiné des accidents d'automobile. Par suite de ces accidents, l'appelante a notamment eu des pertes de mémoire, et sa capacité à effectuer de simples opérations mathématiques a diminué. Sans doute ces symptômes l'inquiétaient-ils, tout comme son vertige et ses pertes de connaissance. Elle ne maintient toutefois pas, ce sur quoi elle a tout à fait raison, que ces difficultés entraînent une incapacité au niveau de la perception, de la réflexion et de la mémoire ou, en tout cas, pas dans la mesure nécessaire pour satisfaire aux rigoureuses exigences de l'article 118.4 de la Loi. Le même raisonnement pourrait s'appliquer en ce qui a trait à la mesure dans laquelle ses blessures ont nui à sa capacité de parler et d'entendre.

[8] Comme je l'ai mentionné plus haut, l'appelante fonde sa réclamation sur le sous-alinéa 118.4(1)c)(vi), où il est question de l'incapacité de marcher. Je suis conscient de la directive énoncée dans des jugements tels que Johnston v. The Queen, 98 DTC 6169, et Friis v. The Queen, 98 DTC 6419, selon laquelle les dispositions de la Loi portant sur le crédit d'impôt pour personnes handicappées devraient être interprétées d'une façon qui fait une place privilégiée à la compassion. Malgré cela, on ne peut à mon avis décrire les symptômes de l'appelante en les assimilant à une incapacité de marcher. Il est vrai qu'elle a eu des évanouissements au cours de la période en cause, et que le fait de marcher était pour cette raison devenu une activité dangereuse pour elle, et qu'elle devait par conséquent faire montre d'une grande prudence dans ses déplacements à pied. Mais il serait inexact de dire qu'elle était “ toujours ou presque toujours ” incapable de marcher.

[9] Parmi les éléments de preuve qui ont été produits lors de l'audition des appels, on retrouve deux certificats pour le crédit pour personnes handicapées. Le premier a été signé par le médecin de l'appelante le 31 janvier 1997, le second date du 24 mai 1997. Sur les deux certificats, on a répondu par l'affirmative à la question suivante : “ Votre patient peut-il marcher, à l'aide d'un appareil si nécessaire? (Par exemple, au moins 50 mètres sur un terrain plat.) ” Les symptômes éprouvés par l'appelante sont décrits de façon très succincte sur les certificats. Ces descriptions concordent avec le témoignage que l'appelante a fait au cours de l'audition des appels. Le fait que son médecin ait coché “ oui ” sur le certificat ne règle pas entièrement la question. Si la preuve devait me convaincre que la réponse du médecin résultait d'une mauvaise interprétation de la question au regard de la disposition de l'article 118.4, je n'aurais alors aucune hésitation à conclure que le médecin aurait dû répondre “ non ” à la question. Ce n'est toutefois pas le cas en l'espèce. Ici, l'appelante a au cours de la période en cause éprouvé des vertiges, accompagnés d'évanouissements périodiques, de sorte qu'il était dangereux pour elle de marcher et, sans aucun doute, de se livrer à certaines autres activités. Cela ne signifie cependant pas qu'elle était incapable de marcher. Son handicap se rapportait non pas à la marche, mais uniquement à des pertes de connaissance périodiques, soit une déficience qui n'est pas visée à l'article 18.4.

[10] Je crois le témoignage de l'appelante, et je suis tout à fait convaincu que ses blessures étaient graves et que les activités courantes de la vie quotidienne lui paraissaient effectivement très difficiles, en raison notamment du fait qu'elle avait à s'occuper d'un nouveau-né. Toute la sympathie que je puis éprouver pour l'appelante n'enlève cependant pas au libellé utilisé par le législateur aux articles 118.3 et 118.4 de la Loi son caractère très restrictif. Je n'ai par conséquent d'autre choix que de rejeter les appels.

Signé à Ottawa, Canada, ce 7 e jour de décembre 1999.

“ E. A. Bowie ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 10e jour d'août 2000.

Benoît Charron, réviseur

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