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Date: 19990817

Dossier: 98-547-IT-I

ENTRE :

PIERRE BERGERON,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Archambault, C.C.I.

[1] Monsieur Pierre Bergeron interjette appel d'une cotisation d'impôt sur le revenu établie en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu (Loi) à l'égard de l'année d'imposition 1996. Le ministre du Revenu national (ministre) a refusé la déduction d'une somme de 9 182 $ au titre de frais judiciaires que monsieur Bergeron a engagée pour contester une requête en augmentation de pension alimentaire présentée par son ex-épouse pour le bénéfice de leur enfant Mélanie. Il n'y a pas de litige entre les parties quant aux faits pertinents. À part les admissions faites par M. Bergeron, aucune preuve n'a d'ailleurs été présentée lors de l'audience.

[2] Le litige porte plutôt sur une question de droit. Le ministre soutient que les dépenses n'ont pas été engagées en vue de tirer un revenu d'une entreprise ou d'un bien tel que l'exige l'alinéa 18(1)a) de la Loi. Monsieur Bergeron prétend qu'il est tout à fait inéquitable que le ministre lui refuse la déduction de ses frais judiciaires puisqu'ils ont été engagés dans le but d'empêcher une augmentation de la pension alimentaire à payer, augmentation qui aurait diminué d'autant son revenu en vertu de l'article 60 de la Loi. Comme il a eu gain de cause partiel, son revenu s'en est trouvé plus élevé que s'il n'avait pas contesté la requête de son ex-épouse.

Analyse

[3] Pour déterminer dans quelle mesure un contribuable peut déduire des frais judiciaires en vertu de la Loi, il est important de déterminer d'abord à quelles fins ces frais ont été engagés. Ici, des services juridiques ont été fournis à l'égard de la contestation d'une requête en augmentation d'une pension alimentaire pour subvenir aux besoins d'un enfant. Il s'agit donc d'une obligation essentiellement personnelle de monsieur Bergeron. Ensuite, il faut déterminer s'il existe une disposition législative permettant la déduction de tels frais judiciaires. Avant de trouver la réponse à cette question, il est nécessaire d'abord d'analyser la structure de la Loi.

i) Cadre législatif

[4] La partie I de la Loi, qui traite de l'impôt sur le revenu, est divisée en 11 sections dont les 2 premières sont la section A traitant de l'assujettissement à l'impôt et la section B portant sur le calcul du revenu. Au début de la section B, on retrouve les règles fondamentales de ce calcul, dont notamment celles énoncées à l'article 3 et à l'alinéa 4(1)a) qui édictent :

3. Revenu pour l'année d'imposition — Pour déterminer le revenu d'un contribuable pour une année d'imposition, pour l'application de la présente partie, les calculs suivants sont à effectuer :

a) le calcul du total des sommes qui constituent chacune le revenu du contribuable pour l'année (autre qu'un gain en capital imposable résultant de la disposition d'un bien) dont la source se situe au Canada ou à l'étranger, y compris, sans que soit limitée la portée générale de ce qui précède, le revenu tiré de chaque charge, emploi, entreprise et bien;

b) le calcul de l'excédent éventuel du montant visé au sous-alinéa (i) sur le montant visé au sous-alinéa (ii) :

(i) le total des montants suivants :

(A) ses gains en capital imposables pour l'année tirés de la disposition de biens, autres que des biens meubles déterminés,

(B) son gain net imposable pour l'année tiré de la disposition de biens meubles déterminés,

(ii) l'excédent éventuel de ses pertes en capital déductibles pour l'année, résultant de la disposition de biens autres que des biens meubles déterminés sur les pertes déductibles au titre d'un placement d'entreprise pour l'année, subies par le contribuable;

c) le calcul de l'excédent éventuel du total établi selon l'alinéa a) plus le montant établi selon l'alinéa b) sur le total des déductions permises par la sous-section e dans le calcul du revenu du contribuable pour l'année (sauf dans la mesure où il a été tenu compte de ces déductions dans le calcul du total visé à l'alinéa a));

d) le calcul de l'excédent éventuel de l'excédent calculé selon l'alinéa c) sur le total des pertes subies par le contribuable pour l'année qui résultent d'une charge, d'un emploi, d'une entreprise ou d'un bien et des pertes déductibles au titre d'un placement d'entreprise subies par le contribuable pour l'année;

Pour l'application de la présente partie, les règles suivantes s'appliquent :

e) si un montant est calculé selon l'alinéa d) à l'égard du contribuable pour l'année, le revenu du contribuable pour l'année correspond à ce montant;

f) sinon, le revenu du contribuable pour l'année est réputé égal à zéro.

4. (1) Revenu ou perte provenant d'une source déterminée ou de sources situées dans un endroit déterminé — Les règles suivantes s'appliquent à la présente loi :

a) le revenu ou la perte d'un contribuable pour une année d'imposition provenant d'une charge, d'un emploi, d'une entreprise, de biens ou d'une autre source, ou de sources situées dans un endroit déterminé, s'entend du revenu ou de la perte, selon le cas, du contribuable, calculés conformément à la présente loi, à supposer que ce contribuable n'ait eu, durant l'année d'imposition, aucun revenu ni perte, sauf ce qui provenait de cette source, ni aucun revenu ou perte, sauf ce qui provenait de ces sources, selon le cas, et qu'il n'ait eu droit à aucune déduction dans le calcul de son revenu pour l'année d'imposition à l'exception des déductions qu'il est raisonnable de considérer comme entièrement applicables à cette source ou à ces sources, selon le cas, et à l'exception de la partie de toutes autres déductions qu'il est raisonnable de considérer comme applicable à cette source ou à ces sources;

[Je souligne.]

[5] Ensuite la section B est divisée en onze sous-sections dont les cinq premières sont les suivantes :

sous-section a “ Revenu ou perte provenant d'une charge ou d'un emploi ” (sous-section a)

sous-section b “ Revenu ou perte provenant d'une entreprise ou d'un bien ” (sous-section b)

sous-section c “ Gains en capital imposables et pertes en capital déductibles ”

sous-section d “ Autres sources de revenu ” (sous-section d)

sous-section e “ Déductions dans le calcul du revenu ” (sous-section e)

[6] Récemment, dans l'affaire Fortino v. R., [1997] 2 C.T.C. 2184, aux paragraphes 39 et 40, ma collègue la juge Lamarre faisait les commentaires suivants sur cette structure de la Loi et sur l'importance que revêt le fait de l'imposition selon la source de revenu :

39 In contrast, segregation of income by source is the essence of the structure of the Canadian income tax system. Section 3 of the Act states the basic rules to be applied in determining a taxpayer's income for a given year and identifies, in paragraph (a), the five principal sources from which income can be generated: office, employment, business, property and capital gains. Other sources of income are also identified in subdivision d of Division B of Part I, entitled “Other Sources of Income”. These “other sources” relate to certain types of income which cannot conveniently be identified as originating from the five sources enumerated in paragraph 3(a) of the Act.

40 The fundamental concept of the Act is that income from each source must be separately calculated according to the rules applicable to that particular source. The source concept would have been borrowed from the United Kingdom's tax system under which income is taxable if it falls into one of the Schedules of the Income and Corporation Taxes Act, 1970 (Eng.), c.10. However, while under the English schedular system, a receipt is not taxable as income unless it comes within one of the named schedules, which are mutually exclusive, the named sources in section 3 of the Act are not exhaustive and literally income could arise from any other unnamed source. Indeed, paragraph 3(a) of the Act contains an “omnibus clause” couched in the following terms: “without restricting the generality of the foregoing, ...”.

[Je souligne.]

[7] La Loi contient plusieurs dispositions permettant la déduction de frais juridiques ou judiciaires dans le calcul du revenu. Il y a notamment l'alinéa 8(1)b) qui permet la déduction de frais judiciaires ou extrajudiciaires engagés par un employé pour recouvrer le salaire qui lui est dû ou pour établir un droit à celui-ci. L'alinéa 60o.1) de la Loi permet la déduction des frais judiciaires ou extrajudiciaires engagés pour recouvrer une allocation de retraite ou une prestation prévue par une caisse de pension ou pour établir un droit à celles-ci. Il y a aussi l'alinéa 60o) à l'égard des frais engagés pour préparer, interjeter ou poursuivre un appel d'une cotisation d'impôt sur le revenu. Aux termes de l'alinéa 62(3)f) de la Loi, sont compris dans les frais de déménagement - qui peuvent faire l'objet d'une déduction en vertu de l'article 62 - les frais à l'égard des services juridiques relatifs à l'achat d'une nouvelle résidence. Comme on peut le constater, toutes ces déductions se retrouvent dans la sous-section e, sauf pour la première, qui est prévue à la sous-section a.

[8] Toutefois, il n'existe aucune disposition similaire permettant la déduction des frais judiciaires engagés dans le but de contester une requête en augmentation de pension alimentaire. Ainsi, la réponse simple et courte aux prétentions de monsieur Bergeron, qui réclame la déduction de tels frais, est qu'il n'y a aucune disposition dans la Loi l'autorisant à déduire de telles dépenses dans le calcul de son revenu.

[9] Je ne crois pas toutefois que cette réponse soit suffisante dans ces circonstances. Tout d'abord, elle ne suffit pas pour expliquer à monsieur Bergeron pourquoi son appel doit être rejeté. Il faut noter en effet qu'il n'y a non plus aucune disposition précise permettant la déduction de frais judiciaires engagés pour recouvrer une pension alimentaire, et pourtant le ministre reconnaît dans son bulletin d'interprétation IT-99R5 qu'une telle déduction est permise. De plus, une analyse plus poussée s'impose parce que je ne crois pas que le motif avancé par le ministre pour justifier son refus d'admettre la déduction des frais judiciaires de monsieur Bergeron soit bien fondé en droit.

[10] À mon avis les dispositions de l'article 18 n'ont rien à voir avec la déduction de frais juridiques engagés pour obtenir ou contester le versement d'une pension alimentaire : cet article n'est pertinent que pour le calcul du revenu tiré d'une entreprise ou d'un bien et non pour le calcul d'un revenu de pension alimentaire, qui représente un revenu tiré d'une autre source.

ii) Position du ministre et la jurisprudence qui l'appuie.

[11] Avant d'expliciter ma pensée sur ces points, il est utile de revenir sur la position que le ministre a adoptée dans cette affaire et d'analyser les décisions sur lesquelles est fondée cette position, soit celle selon laquelle ce sont aux articles 9 et suivants de la sous-section b que l'on retrouve les règles autorisant ou non la déduction des frais juridiques engagés pour obtenir ou contester le versement d'une pension alimentaire.

[12] Tout d'abord, la position adoptée en l'espèce par le ministre correspond à celle qu'il a énoncée au bulletin IT-99R5 du 11 décembre 1998 portant sur les frais juridiques et comptables. Au paragraphe 21 de ce bulletin, il explique ainsi pourquoi le payeur ne peut rien déduire :

21. Pour le payeur, les frais juridiques engagés pour la négociation ou la contestation d'une demande de pension alimentaire ne sont pas déductibles, étant donné qu'ils constituent des frais personnels ou de subsistance. De même, les frais juridiques engagés pour mettre fin à une pension alimentaire ou en réduire le montant ne sont pas déductibles, étant donné que le succès d'une telle démarche ne produit pas un revenu d'une entreprise ou d'un bien. Les frais juridiques engagés pour obtenir le droit de garde ou le droit de visite d'un enfant ne sont pas déductibles non plus.

[Je souligne.]

[13] Cette position du ministre est conforme à celle adoptée par cette cour, notamment dans Bayer v. M.N.R.,[1991] 2 C.T.C. 2304, décision rendue par la juge Lamarre Proulx. Dans cette affaire, le contribuable, qui réclamait la déduction de ses frais juridiques en vertu de l'alinéa 18(1)a) de la Loi, a adopté le raisonnement suivant :

5 The appellant puts forward that his income calculated in accordance with the provisions of Division B of the Act is increased by the fact that the deduction to which he had the right pursuant to paragraph 60(b) of the Act is reduced and that therefore the legal expenses incurred should be allowed pursuant to paragraph 18(1)(a) of the Act.

La juge Lamarre Proulx a rejeté ce raisonnement en se prononçant ainsi :

16 The moneys expended by the appellant for the legal fees incurred had as an effect to increase the taxpayer's income as calculated under Division B of the Act but this increase did not come from an income producing property but from a reduction of an obligation that he had which was not an income producing property. In these circumstances, the expenses in question were not within the meaning of those contemplated by paragraph 18(1)(a) of the Act. It is not moneys expended for any property that may be deducted by virtue of paragraph 18(1)(a) of the Act, it is moneys expended for a property that, in itself, produces income.

[14] Au paragraphe 18 du bulletin IT-99R5, le ministre confirme que les frais juridiques engagés pour mettre à exécution un droit déjà existant à une pension alimentaire ou pour contester une demande en réduction de pension alimentaire sont déductibles. Le ministre n'indique pas explicitement sur quelle disposition de la Loi il se fonde pour admettre une telle déduction. Par contre, il cite la décision rendue par le juge Cattanach dans R. v. Burgess, [1981] CTC 258 et celle de la Cour d'appel fédérale dans Attorney General of Canada v. Sembinelli, [1994] 2 C.T.C. 378. Dans Burgess, le ministre se fondait sur l'alinéa 18(1)a) de la Loi pour refuser la déduction au contribuable. Même si ce juge a accueilli l'appel du ministre en se fondant sur l'alinéa 18(1)b) de la Loi, il semble avoir reconnu le bien-fondé de l'argument basé sur l'alinéa 18(1)a) de la Loi. Voici comment il s'est exprimé à ce propos :

16 The question is, as I view it, whether the legal expenses paid by the defendant were expended by her for the purpose of obtaining income which was hers as of right. Put yet another way, were the legal fees expended by her for the purpose of collecting income to which she was entitled. If this be so then the expense are [sic] properly deductible.

17 There is no doubt that the defendant was entitled to the payments but the question is by virtue of that [sic] circumstance did that entitlement arise. That entitlement is the right under which the defendant receives the payment and that right is “property” within the broad definition in section 248 previously quoted.

[15] Dans la décision Bayer (précitée), la juge Lamarre Proulx nous fournit aussi cette explication sur la position du ministre :

9 Respecting the statement made in the respondent's brochure that legal fees may be deducted when they are expended to obtain a court order for maintenance payments, it would seem to come from the decision of the Tax Appeal Board in Jean Boos v. M.N.R. (1961), 27 Tax A.B.C. 283; 61 D.T.C. 520 where Mr. Chairman Snyder found that the legal expenses incurred for the purpose of obtaining such a court order were deductible. Mr. Chairman Snyder does not quote his authorities but says at page 286 (D.T.C. 521-22):

There are a number of recent decisions by the Exchequer Court and by this Board to the effect that under certain circumstances legal fees expended by a taxpayer appellant may be deducted as permitted by the last-quoted section of the Income Tax Act.

He also says: “In the present appeal, counsel for the Minister did not contest the appellant's claim to have these legal fees deducted.”

10 Though Mr. Chairman Snyder has not referred to the Supreme Court of Canada, I believe that the decision reached by that court in Gladys (Geraldine) Evans v. M.N.R., [1960] S.C.R. 391, [1960] C.T.C. 69, 60 D.T.C. 1047 would have been the leading case at that time in this matter. This decision determined that a taxpayer had the right to deduct the legal fees incurred to obtain a judgment requiring the trustee to pay her the income arising from a share of an estate. I quote from this case at page 76 (D.T.C. 1050):

...the legal expenses paid by the appellant were expended by her for the purpose of obtaining payment of income; they were expenses of collecting income to which she was entitled but the payment of which she could not otherwise obtain. So viewed, it could scarcely be doubted that the expenses were properly deductible in computing the appellant's taxable income. This, in my opinion, is the right view of the matter and is not altered by the circumstances that it was mistakenly claimed by Mrs. Andersen that the appellant was not entitled to any income at all.

[16] Au paragraphe 17 du bulletin IT-99R5, le ministre affirme que les frais juridiques engagés en vue d'établir un droit à une pension alimentaire ne sont pas déductibles puisqu'il s'agit de frais relatifs au capital ou de frais personnels ou de subsistance. Il ajoute : [d]e même les frais juridiques engagés en vue de faire augmenter ces paiements ne sont pas non plus déductibles. Cette position est de façon évidente fondée sur la décision rendue dans l'affaire Burgess (précitée).

[17] Toutefois, cette cour a adopté, dans plusieurs décisions récentes, une position plus généreuse que celle énoncée au paragraphe 17 du bulletin d'interprétation IT-99R5. Ma collègue la juge Lamarre, dans St-Laurent v. R., 1998 CarswellNat 2366, a conclu que les frais engagés pour obtenir une ordonnance portant une augmentation de pension alimentaire étaient des frais déductibles parce qu'ils ne constituaient pas des frais relatifs au capital. Voici ce qu'elle écrit au paragraphe 10 de ses motifs : In my view, no asset was created or defended by the judgment obtained as a consequence of the motion to vary corollary relief.

[18] Deux autres décisions récentes de cette cour confirment qu'une ordonnance établissant un droit à une pension alimentaire ne fait pas naître un nouveau droit mais reconnaît plutôt un droit préexistant, et que conséquemment les frais judiciaires engagés pour obtenir une ordonnance alimentaire ne constituent pas une dépense en capital : voir en particulier Donald v. R., 1998 CarswellNat 1932, au paragraphe 7 (décision du juge Bonner) et Nissim v. R., 1998 CarswellNat 1488, au paragraphe 32 (décision du juge Bowman). De plus, selon le juge Bonner dans Donald, la décision rendue dans l'affaire Burgess (précitée) devrait être considérée comme mal fondée.

iii) Nécessité de réévaluer le bien-fondé de la position du ministre et de la jurisprudence sur lequel il s'appuie

[19] Il ressort de ces décisions que les frais judiciaires engagés par l'ex-épouse de monsieur Bergeron pour obtenir une augmentation de sa pension alimentaire seraient déductibles alors que ceux engagés par monsieur Bergeron pour contester une telle requête ne le seraient pas. Il m'apparaît tout à fait inéquitable que les deux conjoints ne soient pas traités fiscalement de la même façon[1]. Il est déjà très onéreux que d'avoir à engager des frais juridiques pour obtenir ou contester une pension alimentaire; si en plus l'une des parties peut les déduire alors que l'autre ne le peut pas, cela peut créer dans certaines circonstances un déséquilibre injuste dans leurs rapports de force. On doit alors s'interroger si la position du ministre et celle adoptée dans certaines décisions des tribunaux sont bien-fondées.

[20] J'ai mentionné plus haut que monsieur Bergeron ne pouvait pas déduire ses frais juridiques parce qu'il n'y avait pas de disposition précise permettant une telle déduction. Toutefois cela ne signifie pas nécessairement qu'un contribuable ne peut alors jamais déduire de telles dépenses. Par exemple, un contribuable exploitant une entreprise ou détenant un bien dont il tire un revenu a le droit de déduire toutes les dépenses engagées dans le but de tirer un revenu de cette entreprise ou de ce bien, y compris des frais judiciaires ou extrajudiciaires.

[21] Le fondement de cette règle est que le revenu tiré d'une entreprise ou d'un bien représente un revenu net suivant le paragraphe 9(1) de la Loi[2]. Ainsi, un entrepreneur qui engagerait des frais judiciaires pour obtenir une diminution du loyer pour l'espace occupé par son entreprise pourrait normalement les déduire dans le calcul de son revenu d'entreprise. En effet, cette dépense est considérée comme une dépense courante d'entreprise à laquelle la prohibition énoncée à l'alinéa 18(1)a) de la Loi ne s'applique pas.

[22] Ici, le ministre soutient que l'exception prévue à l'alinéa 18(1)a) de la Loi ne permet pas la déduction des frais juridiques de M. Bergeron puisqu'il ne s'agit pas de dépenses engagées en vue de tirer un revenu d'une entreprise ou d'un bien et il ajoute que ces dépenses constituent des frais personnels ou de subsistance au sens de l'alinéa 18(1)h) de la Loi.

[23] Il m'apparaît tout à fait surprenant que le ministre permette la déduction de frais judiciaires engagés par la personne qui désire recouvrer une pension alimentaire alors qu'il en refuse la déduction à la personne qui conteste une requête en pension alimentaire, et ce, au motif qu'il s'agit pour cette dernière d'une dépense personnelle ou de subsistance. Lorsqu'un conjoint exerce son droit de recouvrer une pension alimentaire, il le fait pour assurer sa subsistance. L'essence d'une pension alimentaire est qu'elle permet de subvenir aux besoins de la personne qui la reçoit ou de l'enfant dont cette personne a la charge. Le fait que la pension soit réputée être un revenu selon l'alinéa 56(1)b) de la Loi ne change pas cette réalité. Je ne vois donc aucune distinction entre les deux cas.

[24] Si la sous-section b s'appliquait dans ces circonstances et que l'on conclue que la prohibition énoncée à l'alinéa 18(1)a) de la Loi ne s'applique pas, l'alinéa 18(1)h) de la Loi devrait alors s'appliquer et empêcher la déduction de frais juridiques engagés pour recouvrer l'argent nécessaire pour assurer la subsistance. Pour échapper à la non-déductibilité prescrite à l'alinéa 18(1)h) de la Loi, il faudrait une disposition précise, comme on en retrouve au paragraphe 20(1) de la Loi.

[25] Mais revenons à la question de savoir si la sous-section b s'applique ici. Il est vrai que la pension alimentaire constitue un revenu en raison de l'alinéa 56(1)b) de la Loi et que le droit à une pension alimentaire est un bien au sens du paragraphe 248(1) de la Loi. Certains se fondent sur ces deux propositions pour conclure que la pension alimentaire constitue un revenu tiré d'un bien et que les frais juridiques engagés pour obtenir le recouvrement d'une pension alimentaire sont déductibles selon l'alinéa 18(1)a) de la Loi. Je pense en particulier aux décisions rendues dans Boos, Burgess, Bayer et Sembinelli (toutes précitées).

[26] Sauf le respect que je dois aux tenants de l'opinion contraire, je crois qu'il faut considérer à nouveau le bien-fondé de ces décisions et déterminer s'il est juste en droit d'appliquer les articles 9 et suivants de la sous-section b pour décider de la déductibilité de frais juridiques engagés pour obtenir ou contester le versement d'une pension alimentaire. Revoyons les décisions qui appuient la position du ministre pour déterminer dans quelles circonstances elles ont été rendues.

[27] Dans Boos, qui est, à ma connaissance, la plus ancienne décision sur cette question, le président Snyder a écrit :

9 [...] Section 12(1) of the Income Tax Act provides as follows:

In computing income, no deduction shall be made in respect of

(a) an outlay or expense except to the extent that it was made or incurred by the taxpayer for the purpose of gaining or producing income from property or a business of the taxpayer.

10 The point was readily disposed of as to whether the legal expenses might be deducted from the income received. There are a number of recent decisions by the Exchequer Court and by this Board to the effect that under certain circumstances legal fees expended by a taxpayer appellant may be deducted as permitted by the last-quoted section of the Income Tax Act. In the present appeal counsel for the Minister did not contest the appellant's claim to have these legal fees deducted.

[Je souligne.]

[28] À la lecture de cette analyse, trois commentaires s'imposent. D'abord, tel qu'il a été énoncé par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Symes (précité), ce n'est pas en vertu de l'alinéa 18(1)a) [12(1)a) dans la Loi de 1952] que des dépenses sont déductibles mais en vertu du paragraphe 9(1) de la Loi. De plus, aucune autorité n'a été citée à l'appui de l'affirmation selon laquelle plusieurs décisions antérieures auraient réglé la question de la déductibilité des frais juridiques engagés pour l'obtention d'une pension alimentaire. J'ai été incapable de trouver des décisions antérieures de la Cour de l'Échiquier ou de la Commission portant sur cette question. Finalement, on constate que le président Snyder n'a pas eu à décider du bien-fondé d'une telle interprétation puisque le procureur du ministre ne l'avait pas contestée.

[29] Dans l'affaire Burgess, le contribuable et le ministre se sont fondés tous les deux sur l'alinéa 18(1)a) de la Loi, celui-là pour réclamer et celui-ci pour refuser la déduction des frais juridiques. Par conséquent, n'a pas été débattue la question de savoir s'il était approprié de se fonder sur les dispositions de la sous-section b pour permettre la déduction de frais engagés pour recouvrer un revenu qui était imposable en vertu de la sous-section d. De plus, il faut aussi se rappeler que le juge Cattanach a refusé la déduction en concluant qu'il s'agissait d'une dépense en capital.

[30] Quant à ma collègue la juge Lamarre Proulx dans la décision Bayer, elle s'est appuyée principalement sur les décisions Boos et Evans (précitées). J'ai déjà commenté la première. Quant à la deuxième, je ne crois pas que l'on puisse appliquer en l'espèce le raisonnement adopté par la Cour suprême du Canada parce que dans cette affaire il s'agissait de calculer un revenu tiré d'un bien, et plus particulièrement celui provenant d'une fiducie qui est inclus dans le calcul du revenu tiré d'un bien selon l'alinéa 12(1)m) de la Loi. Ici le revenu de pension alimentaire n'est pas inclus en vertu du paragraphe 12(1) de la sous-section b mais en vertu de l'alinéa 56(1)b) de la sous-section d. La Cour suprême du Canada n'a donc pas eu à trancher la question que je soulève ici.

[31] Que ce soit devant la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Sembinelli ou devant mes collègues dans les affaires St-Laurent, Donald et Nissim, l'application des dispositions de la sous-section b n'a pas été contestée et n'a donc fait l'objet d'aucun débat. La question reste alors entière.

iv) motifs pour ne pas appliquer la sous-section b

[32] À mon avis, il y a plusieurs motifs qui militent contre l'application des articles 9 et suivants de la sous-section b pour décider de la déductibilité de frais juridiques engagés pour obtenir ou contester le versement d'une pension alimentaire. D'abord, je ne crois pas que la pension alimentaire constitue un revenu tiré d'un bien. De plus, le droit à la pension n'est pas un bien dont un tire un revenu au sens des dispositions de la sous-section b. Finalement, ce ne sont pas les dispositions de la sous-section b qui s'appliquent pour calculer ce revenu, mais plutôt celles des sous-sections d et e.

[33] Reprenons chacun de ces points. Même s'il est juste de conclure que le droit à une pension alimentaire constitue un bien au sens du paragraphe 248(1) de la Loi (ce paragraphe fournit une définition très large du mot “ bien ”), cela ne signifie pas nécessairement que la somme reçue comme pension alimentaire représente un revenu tiré d'un bien au sens de l'article 9 de la Loi.

[34] Pour interpréter la portée de l'expression revenu tiré d'un bien, il est utile de rappeler la règle de base en matière d'interprétation des lois que l'on trouve énoncée dans Driedger, Construction of Statutes (2e édition, 1983), à la page 87 :

[TRADUCTION] :

[...] il faut interpréter les termes d'une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s'harmonise avec l'esprit de la loi, l'objet de la loi et l'intention du législateur.

[35] Dans R.B. Curran v. M.N.R., [1959] S.C.R. 850, [1959] C.T.C. 416, à la page 421, la Cour suprême du Canada propose la démarche suivante pour déterminer ce qui constitue un revenu :

The word must receive its ordinary meaning bearing in mind the distinction between capital and income and the ordinary concepts and usages of mankind.

[36] Dans Principles of Canadian Income Tax Law, de Hogg et Magee, section 9.2, les auteurs font les commentaires suivants sur la notion du revenu :

However, there is a theory that has been influential in the drafting and interpreting of the Act. The theory is that income is a yield from a productive source. That “source” theory takes as its metaphor the fruit and the tree. The tree is “capital” while the fruit is “income”. Increases in the value of the tree, even if realized by sale, are still capital (the source of income); only the fruit is income.

It has been suggested that the source theory of income arose in the United Kingdom at a time when the economy was primarily agricultural and it was natural to think of income in those terms. Another factor was probably the distinction between capital and income that the courts had developed for the law of trusts, where it was necessary to distinguish between the rights of a life tenant (or income beneficiary) and those of a remainderman (or capital beneficiary). The idea that income was the yield from a productive source, and that the source itself was capital, became part of the Anglo-Canadian way of thinking about income. Accordingly, the Income Tax Acts of the United Kingdom and Canada, while taxing income from employment, business or property, did not at first attempt to tax capital gains, gifts, inheritances or windfalls and many other miscellaneous receipts.

[Je souligne.]

[37] Dans son livre Fundamentals of Canadian Income Tax, le professeur Krishna s'interroge sur la notion du revenu utilisée dans la Loi. Comme cette expression n'est pas définie, il se réfère aux définitions de différents dictionnaires. Voici ce qu'il écrit au paragraphe 258 :

We start with the first question: what is income? The characterization of a receipt as being on account of “income” is always the first step in determining the taxable base. Webster's Dictionary defines income as:

. . . a gain which proceeds from labour, business, property, or capital of any kind, as the produce of a farm, the rent of houses, proceeds of professional business, the profits of commerce, or of occupation, or the interest of money or stock in funds.

The Oxford Dictionary describes income as “periodical (usually annual) receipts from one's business, lands, work, investments, etc.”. Thus, income is seen as a recurring gain derived from labour or capital. These definitions, which are a useful starting point, provide an intuitive response that income represents an increment (“incoming”) to wealth over a period of time. This intuitive view influenced the early thinking on the nature of income. In Eisner v. Macomber, for example, the U.S. Supreme Court said that “income may be defined as the gain derived from labour, from capital, or from both combined”.

[Je souligne.]

[38] On retrouve un sens similaire dans le Petit Robert :

1 Ce qui revient (à qqn, à une collectivité) comme rémunération du travail ou fruit du capital. gain, produit, profit, rapport. “ celui-là sera toujours riche qui ne dépense pas son revenu ” (Balzac). Arrondir ses revenus.

[39] À mon avis, le sens donné par ces auteurs et ces définitions tirés de dictionnaires doit être celui que l'on doit retenir pour ce qui est de la notion de revenu que l'on retrouve notamment aux articles 3, 9 et 18 de la Loi. Le loyer, l'intérêt, le dividende et la redevance - toutes des expressions employées à la sous-section b - correspondent clairement à cette définition du revenu. Chacun des éléments de cette énumération représente une rémunération versée pour l'usage d'un bien, qu'il s'agisse d'un meuble ou immeuble, de l'argent prêté ou investi dans le capital-actions d'une société, ou d'un bien intellectuel comme un brevet. Pour la personne qui reçoit un de ces éléments, il s'agit d'un gain ou d'un rendement provenant d'un capital.

[40] L'exemple de la redevance versée pour l'usage d'un brevet est celui qui ressemble le plus à notre cas. En effet, il s'agit dans ces deux cas de biens incorporels. Dans le cas de la redevance, il s'agit de la rémunération versée par une personne pour l'utilisation d'un bien intellectuel (le brevet). Pour l'inventeur, c'est le rendement ou le gain provenant de son bien (incorporel).

[41] En outre, on doit constater qu'un revenu n'est pas tiré du droit qu'a un locateur de recevoir un loyer, du droit qu'a un actionnaire de recevoir des dividendes, du droit d'un prêteur de recevoir des intérêts ou du droit d'un inventeur de recevoir des redevances; le bien qui génère le revenu est plutôt le meuble ou l'immeuble, le prêt, les actions ou le brevet. En d'autres mots ce n'est pas le droit de propriété ou le droit aux fruits qui est la source productive du revenu mais bien l'objet sur lequel porte ce droit. Il ne faut donc pas confondre le droit de propriété et ce sur quoi porte ce droit. Il faut aussi reconnaître que ce n'est pas parce qu'on a un droit de recevoir des sommes périodiques que ces sommes constituent un revenu tiré d'un bien.

[42] On peut penser à certains droits qui sont des biens mais desquels on ne tire pas un revenu provenant d'un bien visé par la sous-section b. Prenons l'exemple d'un employé qui est bénéficiaire d'un régime d'assurance de sécurité du revenu visé à l'alinéa 6(1)f) de la Loi. Il s'agit d'un régime auquel un employeur a contribué. Dans ces circonstances, les indemnités payables périodiquement pour la perte totale ou partielle du revenu afférent à une charge ou à un emploi doivent être incluses comme revenu d'emploi, et non pas comme revenu tiré d'un bien. Si l'employeur n'a pas contribué à un tel régime, ces indemnités ne sont pas ajoutées au revenu de cet employé et elles n'y sont pas non plus ajoutées comme un revenu tiré d'un bien[3]. Pourtant, il s'agit de sommes payées périodiquement en raison du droit qu'a l'employé de recevoir ces sommes.

[43] Le droit à une pension alimentaire est aussi un droit dont on ne tire pas un revenu. Dans ce cas, il n'y a pas de source productive de revenu comme un travail, un bien ou une combinaison des deux. Le droit porte sur l'obtention des aliments d'un conjoint qui est tenu de les verser en vertu d'une obligation conjugale ou filiale créée, si l'on est domicilié au Québec, par le Code civil du Québec. On ne peut pas affirmer que l'argent que ce conjoint verse représente la rémunération pour l'usage d'un bien (et ce n'est certainement pas la rémunération pour l'usage du droit à une pension alimentaire ni pour un travail d'ailleurs). On ne peut pas affirmer non plus que, pour la personne qui reçoit la pension alimentaire, l'argent représente le rendement provenant d'une source productive de revenu ou le gain provenant d'un capital. Cette personne n'exerce qu'un droit essentiellement personnel non susceptible de cession. Il cesse même d'exister lors du décès de la personne qui le détient. Il ne fait donc pas partie du patrimoine du conjoint.

[44] Les dépenses qu'un contribuable engage dans la fourniture d'aliments à son enfant avant sa séparation ou son divorce ne constituent pas généralement des dépenses déductibles dans le calcul du revenu du contribuable. N'eût été les alinéas 60b) et c) de la Loi, la pension alimentaire versée après une séparation ou un divorce n'aurait pas été non plus déductible dans le calcul du revenu du contribuable. D'ailleurs, en raison de modifications récentes apportées à ces dispositions de la Loi, la pension alimentaire pour enfant ne constitue plus une dépense déductible (ni un revenu pour la personne qui la reçoit) si cette pension est versée en vertu d'une ordonnance d'un tribunal ou d'une entente écrite faite après le mois d'avril 1997.

[45] À mon avis, sans les alinéas 56(1)b) et c) de la Loi, la pension alimentaire reçue par un ex-conjoint ne constituerait pas un revenu, encore moins un revenu tiré d'un bien. C'est aussi l'opinion que semble adopter le juge Cattanach dans Burgess[4]:

14 Alimony and maintenance were not deemed to be income to the recipient nor a deduction to the payer until 1942 when the payer was allowed a tax credit. By the Statutes of 1944–45, c 28, the payer was allowed a straight deduction and the recipient was obliged to take the payments into income and were assessable as such although it is difficult to ascertain the concept under which the payments fit into income in the hands of the recipient or as deductions rather than personal expenditures of the payer.

C'est aussi celle de la Cour suprême des États-Unis dans la décision Howard Gould v. Katherine C. Gould 1 USTC 1033. Voici comment le juge McReynolds a exprimé l'opinion de cette cour :

The use of the word itself in the definition of "income" causes some obscurity, but we are unable to assert that alimony paid to a divorced wife under a decree of court falls fairly within any of the terms employed.

Voici le texte de la disposition d'assujettissement de la loi pertinente :

Section II, A. Subdivision 1. That there shall be levied, assessed, collected and paid annually upon the entire net income arising or accruing from all sources in the preceding calendar year to every citizen of the United States, whether residing at home or abroad, and to every person residing in the United States, though not a citizen thereof, a tax of 1 per centum per annum upon such income except as hereinafter provided;

B. That, subject only to such exemptions and deductions as are hereinafter allowed, the net income of a taxable person shall include grains, profits, and income derived from salaries, wages, or compensation for personal service of whatever kind and in whatever form paid, or from professions, vocations, businesses, trade, commerce, or sales, or dealings in property, whether real or personal, growing out of the ownership or use of or interest in real or personal property, also from interest, rent, dividends, securities, or the transaction of any lawful business carried on for gain or profit, or gains or profits and income derived from any source whatever, including the income from but not the value of property acquired by gift, bequest, devise, or descent :

[Je souligne.]

[46] Non seulement une pension alimentaire n'est pas un revenu tiré d'un bien selon le sens ordinaire de cette expression, mais elle ne l'est pas non plus si l'on tient compte du contexte globale dans lequel l'expression revenu tiré d'un bien est utilisée dans la Loi. En effet, la disposition portant inclusion de la pension alimentaire dans le revenu se trouve au paragraphe 56(1) à la sous-section d intitulée “ Autres sources de revenu ” et non à la sous-section b. Si le législateur avait voulu que la pension alimentaire soit traitée comme un revenu tiré d'un bien, il l'aurait incluse au paragraphe 12(1) de la sous-section b comme il l'a fait à l'alinéa 12(1)m) pour le revenu provenant d'une fiducie. Si tel avait été le cas, dans le calcul du revenu net tiré d'un bien (soit le droit à une pension alimentaire) prévu au paragraphe 9(1), on aurait pu déduire de la pension les frais juridiques, sous réserve de l'application de certaines restrictions comme dans le cas de l'alinéa 18(1)h) de la Loi.

[47] Compte tenu de la structure de la Loi, comment expliquer le fait que l'on puisse déduire aux fins du paragraphe 9(1) des frais judiciaires engagés pour recouvrer une pension alimentaire qui est incluse dans le revenu non pas comme revenu tiré d'un bien mais comme revenu d'une autre source selon la sous-section d? Il m'apparaît tout à fait invraisemblable que le législateur ait voulu un tel résultat.

[48] De plus cela contreviendrait à la règle fondamentale du calcul du revenu énoncée au paragraphe 4(1) de la Loi selon laquelle le contribuable n'a droit à aucune déduction dans le calcul de son revenu pour l'année d'imposition à l'exception des déductions qu'il est raisonnable de considérer comme entièrement applicables à la source de ce revenu. Permettre la déduction, en vertu du paragraphe 9(1) de la Loi, des frais judiciaires engagés pour le recouvrement d'une pension alimentaire équivaudrait à reconnaître qu'une somme réputée être du revenu selon le paragraphe 56(1) de la sous-section d représente aussi un revenu tiré d'un bien au sens du paragraphe 9(1) à la sous-section b, ce qui m'apparaît comme un résultat absurde. Pour que la déduction soit admissible en vertu du paragraphe 9(1), il aurait fallu que la pension alimentaire ait été traitée comme un revenu tiré d'un bien en vertu du paragraphe 12(1) de la Loi.[5]

[49] Comme le législateur a choisi de traiter la pension alimentaire comme un revenu tiré d'une autre source en ajoutant l'alinéa 56(1)b) à la sous-section d, force est de constater qu'il ne la considère pas comme du revenu tiré d'un bien et que les dispositions de la sous-section b ne doivent pas s'appliquer à cette “ autre source de revenu ”[6].

[50] On se rappellera aussi qu'aux termes de l'alinéa 56(1)b) n'est considérée comme du revenu que la pension versée en vertu d'une ordonnance d'un tribunal ou d'un accord écrit. Si la pension était versée aux termes d'un accord verbal, elle ne serait pas incluse dans le revenu du contribuable en vertu de cet alinéa. Si l'on devait adopter l'interprétation selon laquelle la pension alimentaire est un revenu tiré d'un bien, il faudrait alors l'inclure en vertu du paragraphe 9(1) de la Loi. Or, ce résultat irait clairement à l'encontre de l'intention du législateur.

[51] Comme la Cour suprême du Canada, qui, dans l'affaire Symes (précitée), au paragraphe 96, a cité avec approbation les propos que, dans la même affaire, [1991] 2 C.T.C. 1, au paragraphe 49, le juge Décary de la Cour d'appel fédérale a tenus relativement à l'article 63 portant sur les frais de garde, je crois que les dispositions des sous-sections d et e concernant les pensions alimentaires constituent un code complet sur ce sujet.

[52] Il y a lieu de noter aussi que cette approche correspond à celle adoptée par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Schwartz c. Canada, [1996] 1 R.C.S. 254. En particulier, il y a ce commentaire du juge La Forest au paragraphe 53 :

53. Comme je l'ai mentionné précédemment, le législateur a apporté une solution particulière à un problème particulier qui découlait d'un certain nombre de décisions judiciaires concernant l'assujettissement à l'impôt de versements semblables à celui touché par l'appelant. Selon ces décisions, les dommages-intérêts versés par suite d'un congédiement injustifié n'étaient imposables ni à titre de revenu tiré d'une charge ou d'un emploi au sens du par. 5(1), ni à titre d'allocation de retraite. Plusieurs choix s'offraient alors à l'État. Le Ministre aurait pu faire valoir que ces dommages-intérêts étaient imposables à titre de revenu tiré d'une source en application de la disposition générale de l'al. 3a) de la Loi. Il aurait pu également demander que la Loi soit modifiée de façon à rendre ces sommes expressément imposables à titre de revenu tiré d'une charge ou d'un emploi. Cependant, aucune de ces solutions n'a été retenue. La Loi a plutôt été modifiée à deux reprises de sorte que de tels versements devenaient imposables en application de l'art. 56 à titre de revenu tiré d'une “ autre ” source. Il a tout d'abord été prévu que les paiements de cessation d'une charge ou d'un emploi étaient imposables. La Loi a ensuite été modifiée de manière à rendre ces versements imposables à titre d'allocation de retraite. C'est donc en fonction de ces dispositions qu'il convient de déterminer s'il y a assujettissement à l'impôt. Procéder autrement irait à l'encontre de l'intention du législateur du fait que l'on entérinerait une méthode d'analyse incompatible avec des principes d'interprétation fondamentaux.

[Je souligne.]

[53] Je suis conforté dans ma position par un autre indice provenant de l'analyse de la structure de la Loi. J'ai mentionné plus haut que l'alinéa 60o.1) permet la déduction des frais judiciaires engagés en vue de recouvrer une allocation de retraite ou des prestations prévues par une caisse de pensions ou pour établir un droit à celles-ci. Ce paragraphe semble avoir été ajouté[7] à la suite de deux décisions de cette cour selon lesquelles des frais judiciaires engagés dans le but d'obtenir des dommages-intérêts en raison d'un congédiement ne pouvaient pas être déduits en vertu le l'alinéa 8(1)f) de la Loi. Il s'agit des affaires Maruscak v MNR, [1985] 2 CTC 2048 et Macdonald v. M.N.R., [1990] 2 C.T.C. 2269. Un employé qu'on licencie sans lui donner un préavis a droit à des dommages-intérêts tenant lieu du délai qu'on aurait dû lui donner. Ces dommages-intérêts ne constituent pas du salaire ajouté au revenu en vertu de la sous-section a mais une allocation de retraite imposable comme revenu depuis 1981 en vertu du sous-alinéa 56(1)a)(ii) de la sous-section d.

[54] Si l'on compare la pension alimentaire à la prestation (soit aussi une pension) provenant d'une caisse de retraite, on peut constater qu'il s'agit dans les deux cas de sommes versées périodiquement qui sont ajoutées au revenu en vertu de la sous-section d. Si on appliquait l'approche adoptée par le ministre relativement aux frais juridiques engagés pour obtenir une pension alimentaire, seraient alors déductibles ceux engagés pour recouvrer une allocation de retraite ou des prestations prévues par une caisse de pensions. En effet, il s'agirait de dépenses faites dans le but de tirer un revenu (l'allocation ou la prestation prévue par la caisse de pensions) d'un bien (le droit à l'allocation ou à la pension). Les frais juridiques engagés pour établir ce droit ne seraient pas déductibles en raison de l'alinéa 18(1)b) de la Loi.

[55] On se serait alors attendu à ce que le législateur, s'il désirait permettre la déduction des frais judiciaires engagés pour établir le droit à l'allocation ou à la prestation de retraite (ceux engagés pour les recouvrer étant déjà déductibles), ait modifié le paragraphe 20(1) à la sous-section b. Or, ce n'est pas ce qu'il a fait. Il a plutôt ajouté l'alinéa 60o.1) à la sous-section e[8].

[56] En agissant ainsi, le législateur confirmait, à mon avis, que le code complet pour calculer l'allocation de retraite et les prestations de retraite, de même que les frais juridiques engagés pour les recouvrer ou pour établir un droit à ces sommes, se retrouve aux sous-sections d et e[9]. De plus, cela signifie que pour pouvoir déduire des frais juridiques engagés pour recouvrer un revenu visé par la sous-section d ou pour établir un droit à un tel revenu, il faut que pareille déduction soit prévue à la sous-section e.

[57] Comme il n'existe dans la Loi aucune disposition permettant la déduction de frais judiciaires ou extrajudiciaires engagés pour recouvrer une pension alimentaire ou pour contester le paiement d'une telle pension, monsieur Bergeron ne peut pas, malheureusement, réclamer cette déduction dans le calcul de son revenu. Pour qu'il puisse y avoir droit, il faudrait que le législateur modifie à nouveau la Loi pour prévoir une telle déduction à l'article 60. J'ajouterais en outre qu'une telle modification serait aussi nécessaire pour permettre la déduction de frais juridiques engagés pour recouvrer une pension alimentaire ou pour établir un droit à une telle pension.

[58] Pour ces motifs, l'appel de monsieur Bergeron est rejeté.

Signé à Ottawa, Canada, ce 17e jour d'août 1999.

“ Pierre Archambault ”

J.C.C.I.



[1] Dans la décision Bayer (précitée), on décrit ainsi la réaction des contribuables devant cet état de fait :

4       The appellant, as many other taxpayers, as these cases come before us from time to time, has difficulty in understanding why a spouse enforcing a right to maintenance may deduct the legal expenses incurred where the paying spouse cannot deduct his or her legal expenses in defending against that action or in suing to reduce the amount of the alimony payments.

[2] Voir la décision de la Cour suprême du Canada dans Symes c. Canada, 1993 CarswellNat 1387, [1993] 4 R.C.S. 695, au paragraphe 38 :

En d'autres termes, le concept de “ bénéfice ” au par. 9(1) est en soi un résultat net qui présuppose des déductions de dépenses d'entreprise. Il est maintenant généralement reconnu que c'est le par. 9(1) qui autorise la déduction des dépenses d'entreprise; le par. 18(1) est limitatif seulement. Voir l'arrêt The Queen c. MerBan Capital Corp., 89 D.T.C. 5404 (C.A.F.).

[3] Dans le Bulletin d'interprétation IT-428 — Régimes d'assurance-salaire, on fournit cette explication :

16. Un régime financé en totalité par les employés est un régime dont toutes les primes sont payées par un ou plusieurs employés. Sous réserve de ce qui est mentionné au numéro 21 ci-dessous, les prestations tirées d'un régime de ce genre sont exonérées d'impôt même si elles sont payées à la suite d'un événement survenu après 1973, parce qu'un régime financé en totalité par les employés n'est pas un régime au sens de l'alinéa 6(1)f).

[4] C'est aussi celle de la Cour suprême des États-Unis dans la décision Howard Gould v. Katherine C. Gould 1 USTC 1033. Voici comment le juge McReynolds a exprimé l'opinion de cette cour :

The use of the word itself in the definition of "income" causes some obscurity, but we are unable to assert that alimony paid to a divorced wife under a decree of court falls fairly within any of the terms employed.

Voici le texte de la disposition d'assujettissement de la loi pertinente :

Section II, A. Subdivision 1.    That there shall be levied, assessed, collected and paid annually upon the entire net income arising or accruing from all sources in the preceding calendar year to every citizen of the United States, whether residing at home or abroad, and to every person residing in the United States, though not a citizen thereof, a tax of 1 per centum per annum upon such income except as hereinafter provided;

   B.    That, subject only to such exemptions and deductions as are hereinafter allowed, the net income of a taxable person shall include grains, profits, and income derived from salaries, wages, or compensation for personal service of whatever kind and in whatever form paid, or from professions, vocations, businesses, trade, commerce, or sales, or dealings in property, whether real or personal, growing out of the ownership or use of or interest in real or personal property, also from interest, rent, dividends, securities, or the transaction of any lawful business carried on for gain or profit, or gains or profits and income derived from any source whatever, including the income from but not the value of property acquired by gift, bequest, devise, or descent :

                                                                             [Je souligne.]

[5] Compte tenu de l'interprétation que j'adopte de la prohibition prévue à l'alinéa 18(1)h), il aurait fallu aussi prévoir au paragraphe 20(1) de la Loi le droit de déduire les frais judiciaires ou extrajudiciaires engagés pour recouvrer une pension alimentaire.

[6] Il faut se rappeler qu'avant la réforme fiscale de 1972, la pension alimentaire était ajoutée au revenu d'un contribuable en vertu de l'alinéa 6 (1)(d) de la Loi de 1952, qui visait aussi les revenus tirés d'un bien, et qu'à compter de 1972 la pension alimentaire se retrouve dans une sous-section différente de celle traitant du revenu tiré d'un bien.

[7] L.C. 1990, ch. 39, par. 12(1), applicable à compter de 1986.

[8] Cet alinéa prévoit d'ailleurs une limite importante au montant déductible pour une année donnée : il ne peut dépasser le montant de l'allocation de retraite ou de la prestation inclus dans le revenu pour cette année. Par contre, le solde des dépenses peut être reporté sur les années subséquentes.

[9] Même si cela n'est pas pertinent pour les fins de l'interprétation de la Loi telle qu'elle était en 1996, je note que le législateur a modifé la notion de revenu exonéré pour les années d'imposition postérieures à 1996 en excluant la pension alimentaire au sens du paragraphe 56.1(4) de la Loi. Un argument contraire à celui que je viens d'énoncer pourrait donc être fait pour interpréter la Loi pour les années subséquentes à 1996.

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