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Date: 20000501

Dossier: 98-2260-IT-G

ENTRE :

MELVYN L. SOLMON,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Sarchuk, C.C.I.

[1] M. Melvyn L. Solmon interjette appel contre des cotisations d'impôt visant ses années d'imposition 1994, 1995 et 1996. Dans le calcul de son revenu pour les années d'imposition en question, l'appelant a déduit des frais judiciaires de 21 000 $, de 43 317 $ et de 38 648 $ respectivement. Le ministre du Revenu national (le ministre) a établi à l'égard des années d'imposition en litige des nouvelles cotisations refusant la déduction des frais judiciaires.

[2] En établissant les cotisations, le ministre a tenu pour acquis ce qui suit :

[TRADUCTION]

a) l'entreprise de l'appelant est la pratique du droit;

b) l'appelant a engagé des frais de justice de 21 000 $ en 1994, de 43 317 $ en 1995 et de 38 648 $ en 1996 dans le but de faire trancher en justice plusieurs questions concernant son obligation alimentaire existante;

c) l'appelant n'a pas engagé les frais de justice en vue de tirer un revenu d'une entreprise ou d'un bien.

[3] L'appelant est un avocat dont la pratique est consacrée essentiellement aux litiges commerciaux. Il a épousé Richelle Gordon (Richelle) en juin 1975 et deux enfants sont nés du mariage : Kerah et Tasha (aujourd'hui âgées de 20 et 15 ans respectivement). En février 1987, les époux se sont séparés; une procédure matrimoniale a été entamée et le protonotaire Cork a rendu une ordonnance alimentaire provisoire en juillet 1987[1]. L'appelant et Richelle ont obtenu leur divorce en avril 1988. Selon l'appelant, dès le départ, leur différend a été très acrimonieux et chaque point — la garde des enfants, le droit de visite, la pension alimentaire, le mode de paiement, etc. — a été, et à certains égards continue d'être, vivement contesté. Le 5 juillet 1989, à la suite d'un procès de 12 jours, le juge Sutherland a rendu un jugement comprenant une ordonnance alimentaire[2].

[4] L'appelant dit que conformément à l'ordonnance du juge Sutherland, il devait verser notamment une pension alimentaire à son ex-épouse Richelle qui, à son tour, devait faire certains paiements en se servant de l'argent ainsi reçu. L'appelant affirme qu'elle n'a pas fait certains paiements auxquels elle était tenue, comme par exemple les paiements hypothécaires à l'égard du foyer conjugal[3] et les versements dans le fonds en fiducie pour les études des enfants. L'appelant dit aussi que son ex-épouse a illégitimement demandé des versements d'aliments auxquels elle n'avait pas droit et, plus particulièrement, il soutient que Richelle a présenté au tribunal un budget qui a été accepté, et qu'elle a ensuite traité l'obligation alimentaire de l'appelant envers les enfants comme n'étant pas fixe.

[5] Selon l'appelant, les frais judiciaires engagés concernaient ses efforts en vue de contraindre Richelle à respecter les “ droits ” que lui conféraient les diverses ordonnances des tribunaux ontariens. Il a classé les frais judiciaires de la façon suivante :

a) Revendication relative aux versements hypothécaires : L'ordonnance alimentaire provisoire du protonotaire Cork aussi bien que l'ordonnance du juge Sutherland exigeaient que les frais de détention, dont les versements hypothécaires, associés au foyer conjugal soient payés par Richelle. Selon l'appelant, Richelle a cessé de faire les paiements requis le premier novembre 1988. Il a tenté d'obtenir que soit respectée l'obligation de verser ces sommes dans le cadre de la procédure matrimoniale, mais le juge a refusé de le faire parce que la question concernait aussi le créancier hypothécaire, lequel n'était pas partie à l'instance. L'appelant a par la suite engagé une action distincte, et a réussi à obtenir une ordonnance contraignant Richelle à lui verser l'arriéré hypothécaire s'élevant à 18 301,63 $ qu'il avait payé en novembre 1991 (essentiellement, un deuxième paiement, effectué pour qu'il n'y ait pas de manquement aux obligations découlant de l'hypothèque)[4]. L'appelant concède que ces sommes n'ont pas encore été perçues et que les deux parties ont interjeté appel contre la décision du juge Boland.

b) Revendications relatives au paiement d'impôts et au paiement en trop d'impôts : L'ordonnance provisoire du protonotaire Cork stipulait que le montant de la pension alimentaire provisoire à verser par l'appelant devait [TRADUCTION] “ exclure tout impôt y afférent ”. Cet impôt devait être payé par l'appelant au plus tard le 30 avril de chaque année à l'égard de l'année précédente [TRADUCTION] “ pourvu que l'épouse remette à son mari sa déclaration de revenus au plus tard le 23 avril, à défaut de quoi le mari disposera de sept jours après réception d'une déclaration de revenus appropriée pour payer ledit impôt ”. Dans son ordonnance, le juge Sutherland a précisé que tous les impôts, les intérêts et les pénalités payables à Revenu Canada conformément à l'ordonnance du protonotaire Cork demeureraient l'obligation de l'appelant. Le juge Sutherland a aussi ordonné que la pension alimentaire pour les enfants que devait verser l'appelant ne comprenait pas les impôts, et qu'à compter d'avril 1992, une copie de la déclaration de revenus de la mère devait être fournie à l'appelant avant le 15 avril de chaque année. En 1992, les parties ne pouvant s'entendre, le juge Walsh de la Cour de l'Ontario (Division générale) a ordonné un renvoi devant Evelyn McGivney pour qu'elle fasse enquête et produise un rapport sur les obligations respectives des parties à l'égard des impôts, des intérêts et des pénalités impayés de Richelle pour les années 1987 à 1991 inclusivement, et sur la majoration appropriée de la pension alimentaire pour l'avenir. L'appelant soutient que l'arbitre n'a pas tenu compte de paiements qu'il avait déjà faits, ce qui a donné lieu à un paiement en trop de plus de 20 000 $. Il affirme en outre que Richelle était tenue de lui donner des renseignements afin de permettre à ses comptables de déterminer le montant des impôts qu'il aurait à payer. Il allègue qu'elle n'a pas fourni les renseignements nécessaires et/ou qu'elle a fourni des renseignements incomplets, par suite de quoi l'appelant a payé un montant trop élevé au titre de l'impôt sur le revenu dû par Richelle à l'égard de la pension alimentaire. Il allègue qu'il ressort de renseignements récemment obtenus qu'il a dépassé de plus de 90 000 $ la somme qu'il était oblige de payer au titre des impôts de Richelle. Le rapport de Mme McGivney, daté le 24 septembre 1992, exigeait de l'appelant qu'il verse plus de 56 000 $ à Richelle. L'appelant dit que plusieurs jours après l'achèvement du rapport et à la suite d'une discussion avec les avocats et le juge Walsh dans son cabinet, il a accepté de payer le montant stipulé dans le rapport sans préjudice de son droit de s'opposer à sa confirmation. Si j'ai bien compris l'appelant, la question n'a pas encore été réglée.

c) Revendication relative au remboursement d'intérêts par Revenu Canada : L'appelant allègue que le défaut de Richelle de lui fournir, aux dates fixées, ses déclarations de revenus et d'autres renseignements pertinents a eu pour conséquence qu'il a produit en retard les déclarations de revenus de Richelle et a payé en retard les impôts dont il était responsable à sa place, de sorte que des pénalités ont été imposées et des intérêts exigées que l'appelant a fini par payer. En 1989, l'appelant a demandé l'examen des cotisations de Revenu Canada au motif que le défaut de Richelle de lui fournir les déclarations et les avis de cotisation pertinents, contrairement aux ordonnances des tribunaux, l'avait mis dans l'impossibilité de produire dans les délais les déclarations de revenus et de payer en temps voulu les impôts dus pour elle. En décembre 1992, l'appelant a été avisé que Revenu Canada avait considéré de nouveau sa demande en raison de nouvelles dispositions législatives et confirmait que [TRADUCTION] “ les frais d'intérêt seront annulés ”[5]. Revenue Canada a aussi avisé l'appelant qu'un relevé de compte indiquant le montant à être remboursé ou devant être utilisé pour réduire tout solde dû allait bientôt être envoyé. Il semble qu'il l'ait été, mais à Richelle, et bien qu'en fin de compte l'appelant ait obtenu une copie du relevé de compte, l'argent avait été versé ou crédité à Richelle, qui a refusé depuis d'en rendre compte à l'appelant. Ce dernier estime que ces sommes lui reviennent et, par conséquent, cette question est encore devant les tribunaux, qui s'en trouvent saisis par le biais de demandes, aussi bien de la part de l'appelant que de son ex-conjointe, en vue d'obtenir des ordonnances modifiant le jugement rendu par le juge Sutherland en juillet 1989.

d) Paiement en trop de la pension alimentaire : L'appelant dit avoir aussi engagé des frais judiciaires à l'égard de ses efforts pour récupérer les sommes payées à Richelle à titre de pension alimentaire auxquelles elle n'avait pas droit, à l'égard de revendications relatives au défaut de celle-ci de verser, comme cela était requis, de l'argent dans le fonds en fiducie constitué pour les études des enfants, et à l'égard de revendications concernant la mauvaise utilisation générale, par son ex-conjointe, de fonds versés expressément pour les dépenses personnelles des enfants.

e) Réputation: Lorsque l'appelant a soulevé les points susmentionnés par voie de plusieurs requêtes visant à modifier les ordonnances du juge Sutherland, Richelle a présenté une requête visant à obtenir que son ex-conjoint soit reconnu coupable d'outrage au tribunal et, selon l'appelant, elle a déposé des affidavits contenant plusieurs fausses déclarations par lesquelles elle attaquait sa réputation professionnelle et son intégrité. En conséquence de cela, dit-il, il lui a été nécessaire de retenir les services d'un avocat et de réunir et soumettre des preuves substantielles pour démontrer que les accusations étaient sans fondement.

La position de l'appelant

[6] L'appelant affirme que les frais judiciaires en litige ont été engagés en vue de lui permettre de tirer un revenu d'un bien conformément à l'alinéa 18(1)a) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la “ Loi ”) et, dans ce contexte, il s'appuie particulièrement sur la définition du mot “ biens ” telle qu'elle est énoncée au paragraphe 248(1) de la Loi[6]. Les biens en cause, dit-il, sont l'ensemble de droits découlant des diverses ordonnances de la Cour de l'Ontario rendues dans le cadre des procédures judiciaires entre lui et son ex-conjointe. En guise d'exemple, il fait valoir que le “ droit ” à ce que les paiements hypothécaires soient effectués est un bien aux fins de la Loi :

[TRADUCTION]

Puisque l'ordonnance du tribunal impose à mon épouse l'obligation de payer les frais de détention et la garantie, la contrepartie de cela est mon droit, en qualité de codébiteur notamment à l'égard de l'hypothèque, de m'assurer que, lorsque je fournis à mon ex-conjointe l'argent nécessaire, elle effectue le paiement.

D'autres “ droits ” revendiqués par l'appelant sont le droit de recevoir de son ex-conjointe les renseignements appropriés, le droit de s'assurer que les impôts exigibles sont payés, le droit à ce qu'une partie de la pension alimentaire soit consacrée au fonds en fiducie pour les études des enfants, et le droit à ce que [TRADUCTION] “ en ce qui concerne la pension alimentaire des enfants il n'y ait pas d'obligation indéterminée, mais qu'un budget soit établi ”. L'appelant soutient que c'était son droit de faire respecter ses “ droits ” et qu'en conséquence, [TRADUCTION] “ lorsque je les fais respecter et récupère mon argent, je soutiens qu'il s'agit là d'un revenu qui résulte de ce que j'ai fait respecter des " droits " créés par les ordonnances ” et par conséquent, les dépenses engagées sont déductibles.

[7] Subsidiairement, l'appelant prétend qu'il a engagé les frais judiciaires pour tirer un revenu d'une entreprise puisque

[TRADUCTION]

[...] Mon revenu dépend du temps que je consacre à ma pratique. Plus je dispose de temps, plus je pratique le droit, plus il y a de dossiers en cours, plus mon revenu augmente et, naturellement, plus je paie des impôts.

L'appelant fait valoir qu'il convenait de considérer que toute dépense engagée qui lui permettait de continuer sa pratique et d'en tirer davantage de revenus sur lesquels il payait des impôts devrait être déductible de façon à rapprocher ses revenus et ses dépenses[7]. Dans ce contexte, il a avancé l'argument suivant :

[TRADUCTION]

[...] s'il doit y avoir rapprochement, si l'on veut connaître la situation réelle quant au revenu net d'un contribuable comme moi, la réalité est que, si j'ai payé des frais judiciaires pour me rendre disponible, pour pouvoir gagner un revenu, alors ces frais subis en vue de me libérer peuvent légitimement être déduits.

La position de l'intimée

[8] L'intimée soutient que l'appelant n'a engagé aucune dépense en vue de tirer un revenu d'une entreprise ou d'un bien au sens de l'article 18 de la Loi. L'intimée soutient aussi que si une partie des frais judiciaires a été engagée pour préserver la réputation de l'appelant, la déduction de ces frais est prohibée par l'alinéa 18(1)b) de la Loi[8].

Conclusion

[9] Je ne puis accepter l'argument de l'appelant selon lequel les dépenses en litige ont été engagées pour tirer un revenu d'un bien. Le paragraphe 9(1) est la disposition de la Loi applicable à la déductibilité des dépenses dans le calcul du revenu tiré d'un bien (et d'une entreprise). Il est libellé comme suit :

9(1) Sous réserve des autres dispositions de la présente partie, le revenu qu'un contribuable tire d'une entreprise ou d'un bien pour une année d'imposition est le bénéfice qu'il en tire pour cette année.

Ce paragraphe définit le revenu du contribuable, qu'il provienne d'une entreprise ou d'un bien, en fonction du bénéfice. Il est bien établi que le concept du bénéfice que l'on trouve au paragraphe 9(1) permet la déduction des frais professionnels, le bénéfice étant de façon inhérente un concept de bénéfice net, et de telles déductions sont admises en vertu du paragraphe 9(1) dans la mesure où elles sont conformes aux “ principes bien reconnus de la pratique courante des affaires (ou comptable) ” ou aux “ principes bien reconnus des affaires commerciales ”[9]. De plus, les frais en litige peuvent de toute façon être prohibés par l'article 18 de la Loi, qui établit un certain nombre de restrictions à la déduction des dépenses, et deux de ces restrictions sont particulièrement pertinentes. L'alinéa 18(1)a) établit une interdiction générale de toute déduction, sauf si le montant a été payé ou engagé en vue de produire un revenu, alors que l'alinéa 18(1)h) limite la déductibilité des frais personnels et de subsistance, qui sont définis comme suit au paragraphe 248(1) :

“frais personnels ou de subsistance” Sont compris parmi les frais personnels ou de subsistance :

a) les dépenses inhérentes aux biens entretenus par toute personne pour l'usage ou l'avantage du contribuable ou de toute personne unie à ce dernier par les liens du sang, du mariage ou de l'adoption, et non entretenus dans le but ou avec l'espoir raisonnable de tirer un profit de l'exploitation d'une entreprise;

[Je souligne.]

b) [...]

[10] Même si l'on présumait que les ordonnances de la Cour de l'Ontario rendues dans le cadre des procédures matrimoniales de l'appelant lui donnaient le droit de récupérer en partie certains versements d'aliments faits à son ex-conjointe, et que ce droit constituait un “ bien ” aux fins de la Loi, les sommes récupérées, s'il on est, ne peuvent logiquement être considérées comme un revenu, c'est-à-dire comme un bénéfice tiré de ce “ bien ”. Dans la décision Ivey v. M.N.R.[10] la Commission de révision de l'impôt a fait l'observation suivante :

[TRADUCTION]

... L'alinéa 18(1)a) de la Loi vise le processus du calcul, aux fins du paragraphe 9(1), du “ bénéfice ” tiré d'une entreprise ou d'un bien. Il s'applique, comme l'indiquent clairement ses premiers mots, seulement lors du calcul d'un tel bénéfice. Lorsqu'une personne fait l'objet d'une demande de paiement d'aliments, rien dans les mesures prises par cette personne à l'égard de cette demande ne se rapporte au processus consistant à tirer un bénéfice d'une entreprise ou d'un bien.

On peut également faire remarquer que dans le cas d'une demande en recouvrement du paiement en trop d'aliments, rien dans les mesures ainsi prises par le demandeur ne se rapporte au processus qui consiste à tirer un bénéfice d'un bien. Le revenu tiré d'un bien est généralement considéré comme le rendement du capital investi et il comprend normalement, entre autres choses, des dividendes, des intérêts, des loyers et des redevances. En d'autres termes, le revenu tiré d'un bien est normalement un revenu de placements. Dans le cas de l'appelant, ses dépenses sont purement personnelles puisqu'elles ont trait aux affaires de l'appelant, en sa qualité de particulier, durant son mariage et après la fin de son mariage et qu'elles n'ont pas été engagées en vue de tirer un revenu d'un bien.

[11] J'en arrive maintenant à l'argument subsidiaire de l'appelant, selon lequel les frais judiciaires engagés n'étaient pas des frais personnels ou de subsistance mais des frais engagés de fait “ en vue de tirer un revenu de l'entreprise ”. Dès le départ, je dois dire que j'aurai grande difficulté à conclure que les frais judiciaires engagés dans le cadre de procédures matrimoniales sont autre chose que des frais personnels. Les dépenses du genre de celles que l'appelant a faites conformément aux ordonnances alimentaires sont essentiellement des dépenses de nature personnelle, payées à même le capital ou le revenu après qu'il a été gagné.

[12] En outre, je suis convaincu que l'appelant n'a pas engagé ses frais judiciaires en vue de tirer un revenu de sa pratique du droit. Il ressort clairement de la preuve que l'objectif principal des procédures judiciaires qu'il a introduites et qu'il a énergiquement conduites était de recouvrer des sommes considérables qui représentent, selon lui, des paiements en trop qu'il a faits à Richelle au titre de la pension alimentaire[11]. Selon son témoignage et les documents produits, qui comprenaient, entre autres choses, plusieurs affidavits circonstanciés de l'appelant, la seule conclusion possible est celle selon laquelle l'appelant aurait engagé ces frais judiciaires particuliers même en l'absence de ses activités professionnelles.

[13] Dans l'arrêt Symes c. Canada[12], le juge Iacobucci, lorsqu'il analysait les dispositions de l'alinéa 18(1)a) de la Loi, a fait remarquer ce qui suit :

Puisque j'ai fait quelques commentaires sur la notion sous-jacente de “besoins de l'entreprise”, il peut être utile aussi de parler des facteurs qui entrent en jeu dans la classification des dépenses en fonction des besoins. Plus précisément, il peut être utile de recourir au critère du “à défaut de” pour l'appliquer non pas à la dépense mais aux besoins que la dépense satisfait. Indépendamment de l'entreprise, le besoin existerait-il? Si un besoin existe même en l'absence de l'activité d'entreprise, et indépendamment de ce que le besoin a été ou aurait été satisfait par des sommes versées à un tiers ou par le coût d'option du labeur personnel, la dépense faite pour répondre au besoin est considérée traditionnellement comme une dépense personnelle. Des dépenses qui peuvent être identifiées ainsi sont des dépenses engagées par le contribuable pour se dégager d'obligations personnelles et être disponible pour des activités d'entreprise. Traditionnellement, des dépenses permettant simplement au contribuable de se libérer pour affaires ne sont pas considérées comme des dépenses d'entreprise parce qu'on attend du contribuable qu'il soit disponible pour exercer des activités d'affaires en contrepartie du revenu reçu. Cela se traduit dans la distinction fondamentale souvent mentionnée entre la production ou la source du revenu, d'une part, et la réception ou l'utilisation du revenu d'autre part.

[Je souligne.]

[14] L'alinéa 18(1)a) de la Loi traite du calcul du bénéfice tiré d'une entreprise aux fins du paragraphe 9(1). Il est pertinent de se demander si une déduction particulière est ordinairement considérée comme une dépense d'entreprise par les comptables. À ma connaissance, ce n'est pas le cas, et aucune preuve n'a été produite montrant que la déduction des frais judiciaires à titre de dépense d'entreprise dans des circonstances comme celles qui existent en l'espèce serait conforme aux principes bien reconnus de la pratique courante des affaires.

[15] Pour les motifs exposés ci-dessus, je suis convaincu que la déduction des dépenses en litige est prohibée par les dispositions restrictives des alinéas 18(1)a) et 18(1)h) de la Loi.

[16] L'appelant a fait valoir aussi qu'une partie de ses frais judiciaires ont été engagés pour protéger sa capacité de gagner un revenu en préservant sa réputation et son intégrité professionnelles. Même si cela était le cas, la déduction de ces frais est prohibée par l'alinéa 18(1)b) de la Loi, libellé comme suit :

18(1) Dans le calcul du revenu du contribuable tiré d'une entreprise ou d'un bien, les éléments suivants ne sont pas déductibles :

a) [...]

b) une dépense en capital, une perte en capital ou un remplacement de capital, un paiement à titre de capital ou une provision pour amortissement, désuétude ou épuisement, sauf ce qui est expressément permis par la présente partie.

L'intimée ne conteste pas que certains des frais judiciaires (bien que leur montant soit incertain) puissent avoir été engagés en vue de protéger la réputation de l'appelant. Toutefois, l'intimée soutient que la réputation d'un professionnel est un actif sur lequel se fondent ses honoraires et que des frais engagés pour préserver et protéger cet actif visent à préserver un bien immobilisé. Par conséquent, la déduction des frais judiciaires est interdite par l'alinéa 18(1)b) de la Loi[13]. À mon sens, la position de l'intimée est juridiquement correcte.

[17] Pour les motifs qui précèdent, j'ai conclu que l'appelant n'a pas le droit de déduire les frais judiciaires en litige.

[18] Un autre commentaire s'impose. L'appelant a produit et passé en revue un certain nombre de factures relatives aux frais qu'il a engagés[14]. Il est rapidement devenu évident que les dépenses ne pouvaient pas toutes être directement rattachées au fait, pour l'appelant, de faire respecter ses [TRADUCTION] “ droits sur un bien ”. À titre d'exemple, plusieurs comptes se rapportant à ce que l'on pourrait de façon générique qualifier de questions fiscales ont été produits. Cependant, le fait est que même si les ordonnances exigeaient que l'appelant paie certains impôts pour le compte de son ex-conjointe, lui et elle n'ont jamais pu convenir de la bonne façon de calculer ces impôts. Cela a donné lieu à des comparutions devant le juge Walsh et à la nomination d'un arbitre. Il est clair qu'une bonne partie des frais y relatifs ne peuvent être rattachés directement aux efforts de l'appelant en vue de [TRADUCTION] “ faire respecter ses droits” à l'égard du [TRADUCTION] “ paiement en trop d'impôts ”. D'autres comptes se rapportent à l'action hypothécaire qui, on le constate à la lecture des motifs du juge Boland, semble mettre en cause d'autres questions que celle du recouvrement de sommes dépensées en raison du prétendu défaut de Richelle de payer l'hypothèque; d'autres encore se rapportent aux frais judiciaires que l'appelant a engagés, d'une part, pour se défendre dans un procès intenté contre lui et son ex-conjointe par VISA, et, d'autre part, pour répondre à une plainte que l'ex-conjointe de l'appelant a déposée auprès du Barreau contre l'avocat de l'appelant. Il n'était pas évident en quoi ces derniers frais se rapportaient à un “ droit ”. Malheureusement, cet aspect de la question n'a pas été pleinement traité par l'appelant ni par l'avocat de l'intimée, et si j'avais conclu de façon différente à l'égard de la déductibilité des frais, d'autres observations se seraient imposées.

[19] Les appels sont rejetés, avec dépens.

Signé à Ottawa, Canada, ce 1er jour de mai 2000.

“ A.A. Sarchuk ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 2e jour de novembre 2000.

Erich Klein, réviseur



[1]               Pièce A-1, onglet 1.

[2]               Pièce A-1, onglet 3; motifs du jugement - pièce A-1, onglet 2.

[3]               Pièce A-1, onglet 1, paragraphe 3, et onglet 3, paragraphe 17.

[4]               Pièce A-2, onglet 14 - motifs du jugement du juge Boland, en date du 20 février 1996; motifs supplémentaires du juge Boland en date du 1er décembre 1997 et du 5 mars 1999.

[5]               Pièce A-4, onglets 14 et 15.

[6]         248(1) Les définitions qui suivent s'appliquent à la présente loi.

“biens” Biens de toute nature, meubles ou immeubles, corporels ou incorporels, y compris, sans préjudice de la portée générale de ce qui précède :

(a)         les droits de quelque nature qu'ils soient, les actions ou parts;

                                [...]

                               

[7]               65302 British Columbia c. Canada, [1999] 3 R.C.S. 804 (99 DTC                 5799) (C.S.C.).

[8]               Upenieks c. La Reine et al, C.C.I., no 92-1310(IT)I, 14 juillet1993 ([1993] 2 C.T.C. 2386), confirmé par 94 DTC 6656 (C.A.F.).

[9]               Symes c. Canada, [1993] 4 R.C.S. 695, aux pages. 722 et 723.

[10]             82 DTC 1082, à la p. 1083.

[11]             J'entends par là tous les paiements de pension alimentaire, tels les impôts, l'hypothèque, les frais des enfants, etc.

[12]             [1993] 4 R.C.S. 695, aux pages 738 et 739 (94 DTC 6001, à la page 6015).

[13]             Voir Upenieks c. La Reine, et al, précité.

[14]             Pièce A-3, onglet A.

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