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Date: 19990729

Dossier: 98-429-IT-I

ENTRE :

PRASAD S. APTE,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

(Rendus oralement à l'audience à St. Catharines (Ontario), le 10 juin 1999.)

Le juge Mogan, C.C.I.

[1] Les appels visent les années d'imposition 1994 et 1995, et la question est de savoir si l'appelant peut, dans le calcul de son revenu, déduire des pertes qu'il a subies à titre de propriétaire d'un bien locatif à Kingston (Ontario).

[2] L'appelant, titulaire d'un doctorat en sciences, est chercheur scientifique. En 1985, il a quitté Ottawa pour s'établir à Kingston, où il a accepté un poste chez Alcan, l'un des plus importants employeurs de la ville de Kingston. L'appelant et son épouse ont alors acheté une unité d'habitation au 24, chemin Seaforth, qu'ils ont payée 112 000 $, et dans laquelle ils ont emménagé. Cette demeure a été leur résidence familiale jusqu'à l'été de 1991. À l'automne 1990, Sherritt Corporation, une entreprise d'Edmonton, a communiqué avec l'appelant pour lui offrir un poste cadrant avec son bagage scientifique. L'emploi était à Edmonton. Les négociations ont duré tout l'hiver 1991.

[3] Au mois de mars 1991, Sherritt Corporation a envoyé à l'appelant une lettre énonçant les modalités de son emploi à Edmonton. Les jugeant acceptables, l'appelant a accepté l'emploi à la mi-mars 1991 et a convenu de commencer à travailler en juillet ou en août de la même année. Il disposait donc d'environ trois mois pour régler ses affaires à Kingston. À cette époque-là, son épouse et lui auraient pu vendre leur maison et en acheter une à Edmonton. Ils ont toutefois assisté à une séance d'information sur la planification financière au cours de laquelle on conseillait notamment aux participants d'inclure la possession d'un bien immobilier dans leur portefeuille de placements. Étant déjà propriétaires de l'unité d'habitation du chemin Seaforth, l'appelant et son épouse ont pris la décision d'affaires de la conserver à titre de placement.

[4] L'appelant et son épouse ont cependant mis la maison en vente pour voir combien ils pourraient en obtenir, et ils ont reçu une offre de 167 000 $, soit quelque 50 000 $ de plus que ce qu'ils avaient initialement payé — 112 000 $. Toutefois, ils avaient mis la maison en vente à 199 000 $ et ils étaient convaincus qu'elle valait davantage que les 167 000 $ offerts. Étant donné la hausse importante de la valeur de la maison au cours des cinq ou six années précédentes, ils ont décidé de la garder comme placement, de la louer pour en tirer un revenu de location et d'en conserver la propriété même s'ils déménageaient à Edmonton. Leur décision de demeurer propriétaires du bien est confirmée par le fait que, dans les modalités de l'emploi de l'appelant chez Sherritt Corporation à Edmonton, la compagnie a convenu d'assumer les coûts de quatre déplacements (deux par l'appelant et deux par son épouse) à Kingston au cours des deux années suivantes afin de permettre à l'appelant et à son épouse de superviser ou de contrôler l'administration de leur bien de placement.

[5] En avril 1991, l'appelant et son épouse ont trouvé un locataire, membre des Forces canadiennes, qui a convenu de louer la propriété 850 $ par mois. Cependant, en mai 1991, il a annulé l'entente car il pouvait obtenir un logement à meilleur marché à la base des Forces armées de Kingston. L'appelant et son épouse ont fait savoir que le bien était à louer, et ils ont trouvé un locataire qui travaillait chez Alcan. L'appelant et lui se connaissaient, mais ils n'étaient pas des amis intimes; l'appelant a déclaré qu'il pouvait l'avoir vu de temps en temps à l'usine d'Alcan et qu'il l'avait peut-être salué une fois par semaine, mais il affirme qu'il ne lui avait pas loué le bien par amitié ou parce qu'ils étaient étroitement liés. Le locataire avait simplement appris que le bien était à louer et constaté que celui-ci était particulièrement intéressant pour les employés d'Alcan parce qu'il se trouvait à 10 minutes de marche de l'usine. Quoi qu'il en soit, une entente a été conclue et le bien a été loué à cette personne à compter de la fin de l'été 1991.

[6] L'avocate de l'intimée a soutenu au cours des plaidoiries et du contre-interrogatoire qu'il s'agissait d'une entente de location avec option d'achat, mais l'appelant a catégoriquement rejeté cette assertion. J'estime que son témoignage, effectué sous serment, est crédible, et l'intimée n'a produit aucune preuve contredisant la dénégation de l'appelant sur ce point. Les fonctionnaires de Revenu Canada songeaient peut-être à une location avec option d'achat lorsqu'ils ont établi la cotisation, mais aucun élément de preuve ne corrobore cette idée.

[7] L'appelant a déménagé à Edmonton au cours de l'été 1991 pour que ses enfants puissent entreprendre la nouvelle année scolaire à Edmonton. Depuis que la décision avait été prise de conserver la propriété de Kingston, l'appelant savait que sa famille déménagerait à Edmonton, puisqu'il avait accepté l'emploi chez Sherritt en mars 1991, et il savait que sa famille et lui auraient besoin d'un logement à Edmonton. À ce moment-là, l'appelant et son épouse ont augmenté l'emprunt hypothécaire qu'ils avaient contracté sur la propriété de Kingston. Aucun document n'a été produit relativement à cette hypothèque, mais l'appelant a dit croire que l'emprunt hypothécaire avait été augmenté de 60 000 $ ou 70 000 $. À l'été 1991, l'hypothèque avait un terme de cinq ans et un taux d'intérêt de 11 p. 100 par année, et elle était renouvelable à l'été 1996. L'augmentation de l'emprunt hypothécaire est, à mon avis, un événement réellement important pour les motifs énoncés ci-après.

[8] L'appelant a déclaré qu'il avait effectué une analyse de l'encaisse et qu'il avait prévu perdre de l'argent dans les premières années, se disant qu'il est bien connu que, en affaires, une personne peut s'attendre à subir ce que l'on appelle des « pertes de démarrage » jusqu'à ce que l'entreprise fonctionne sans problème et que les revenus soient supérieurs aux dépenses. Des pertes ont de fait été subies, et ces pertes sont le fondement même de l'appel.

[9] L'intimée a produit en preuve des copies des déclarations de revenus de l'appelant pour les années 1992, 1993, 1994, 1995 et 1996. J'entends me reporter à certains des éléments d'information qui figurent dans ces déclarations. À mon avis, la déclaration de l'année 1996 n'est pas pertinente car l'appelant et son épouse ont décidé, en 1996, de vendre la propriété en cause. Ils ont négocié avec London Life le refinancement du prêt hypothécaire et ils ont été informés qu'ils pouvaient en obtenir un nouveau au taux d'intérêt annuel de 5,5 p. 100, ce qui est exactement la moitié du taux d'intérêt hypothécaire qu'ils avaient obtenu à l'été 1991. S'ils avaient refinancé le prêt à ce taux d'intérêt beaucoup plus faible, ils auraient selon l'appelant réalisé un profit de 90 $ à 120 $ par mois environ à partir de janvier 1997. On aurait donc pu prévoir un profit de 1 200 $ pour 1997.

[10] Cependant, l'appelant et son épouse ont pris d'autres facteurs en considération. L'un d'eux est le fait qu'il y avait eu une baisse plutôt qu'une hausse du marché immobilier à Kingston. La propriété, dont la valeur était de 190 000 $ à 200 000 $ environ en 1991, a été évaluée de nouveau au printemps 1996, et l'appelant et son épouse ont décidé de la mettre en vente. Je crois qu'ils l'ont vendue 152 000 $.

[11] Par conséquent, dans un sens, on peut dire que, historiquement, l'appelant a réalisé un gain de 40 000 $ approximativement, soit la différence entre le prix d'achat de la maison en 1985 et le produit de la vente en 1996. Cependant, compte tenu du changement d'usage, c'est-à-dire que la maison était une résidence familiale à l'été 1991 — et elle avait alors une valeur de 190 000 $ — et qu'elle a été convertie en un bien locatif, ce qu'elle a été pendant les cinq années qui ont suivi, on peut dire que l'appelant a subi une perte parce que, de 1991 à 1996, la valeur de la propriété a chuté d'environ 40 000 $ (soit 190 000 $ environ moins 152 000 $).

[12] L'appelant a déclaré qu'il avait communiqué avec Revenu Canada et obtenu une petite publication sur la location, où l'on décrit la méthode de calcul du revenu de location. L'appelant prétend que, avant qu'une nouvelle cotisation refusant la déduction des pertes soit établie à son égard pour 1994 et 1995, il n'avait jamais entendu parler d' « attente raisonnable de profit » . Il prétend que Revenu Canada ne prévient aucunement le propriétaire éventuel d'un bien locatif, qui détient le bien en question à titre de placement, de la possibilité que la déduction des pertes soit refusée sur ce fondement. Cela est peut-être une critique valable. Je n'ai pas vu la publication en question et elle induit peut-être le lecteur en erreur, mais je ne suis pas en mesure de le dire.

[13] Dans les 20 dernières années, soit depuis la décision de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Moldowan v. The Queen, 77 DTC 5213, le concept d' « attente raisonnable de profit » a revêtu de l'importance pour ce qui est du calcul du revenu d'entreprise. Le contribuable ordinaire ne connaît peut-être pas ce concept mais, depuis 1977, Revenu Canada et tous les conseillers fiscaux compétents au Canada le connaissent pour leur part certainement bien.

[14] J'en viens maintenant aux montants en cause. L'appelant avait loué sa propriété 850 $ par mois. Il a déclaré ceci dans son avis d'appel : [TRADUCTION] : « On a tenté d'obtenir le loyer le plus élevé possible pour la propriété » . L'intimée a admis cette déclaration dans la réponse à l'avis d'appel, et l'appelant l'a réitérée dans son témoignage oral. J'ai conclu que l'appelant était parfaitement crédible. Je n'ai aucune hésitation à le croire lorsqu'il dit que le loyer en question était le plus élevé qu'il pût obtenir. Il n'y a pas eu d'entente mutuellement avantageuse conclue avec un collègue de travail chez Alcan, et le loyer de 850 $ par mois correspondait à ce qui était demandé entre personnes sans lien de dépendance pour une propriété comme la maison de l'appelant. C'est donc le loyer que ce dernier a obtenu pendant les années en cause. Le montant de 850 $ par mois donnait un loyer annuel de 10 200 $.

[15] Pendant les deux premières années, ou au moins au cours de la première année, l'appelant a dû verser un pourcentage du revenu de location à l'agent immobilier qui avait trouvé le locataire. Par conséquent, dans les premiers temps, le loyer véritablement touché au cours de chaque année était inférieur à 9 000 $ en raison de la portion considérée comme une commission (laquelle se situait autour de 10 p. 100).

[16] J'examinerai, pour chacune des quatre années (les deux années précédant les années visées par l'appel, soit 1992 et 1993, et les deux années visées par l'appel, soit 1994 et 1995), le loyer qui a été déclaré dans les déclarations de revenus de l'appelant, selon les pièces R-1 à R-4. Les déclarations font état d'un loyer brut, et j'ai dégagé les deux dépenses les plus importantes et regroupé les autres.

[17] En 1992, le loyer était de 9 800 $ et les dépenses déduites, c'est-à-dire l'intérêt hypothécaire de 12 297 $, les taxes foncières de 3 067 $ et les autres dépenses, totalisaient 16 514 $. Si l'on soustrait ces dépenses du loyer brut, on obtient une perte de 7 214 $. En 1993, le loyer était de 9 720 $ et les dépenses, soit l'intérêt hypothécaire de 12 185 $, les taxes foncières de 2 917 $ et les autres dépenses, totalisaient 16 368 $. Si l'on soustrait ces dépenses du loyer brut de 9 720 $, on obtient une perte de 6 648 $.

[18] En 1994, le loyer était de 9 720 $. Les dépenses, soit l'intérêt hypothécaire de 12 061 $, les taxes foncières de 2 756 $ et les autres dépenses, totalisaient 15 646 $. Si l'on soustrait les dépenses du loyer de 9 720 $, on obtient une perte de 5 926 $. En 1995, le loyer brut était de 10 140 $, ce qui constitue un écart de 60 $ par rapport au plein loyer de 850 $ par mois pendant 12 mois. Les dépenses, soit l'intérêt hypothécaire de 11 923 $, les taxes foncières de 2 922 $ et les autres dépenses, dont une réparation importante du toit qui a coûté environ 3 200 $, totalisaient 18 864 $. Si l'on déduit ces dépenses du loyer de 10 140 $, on arrive à une perte de 8 724 $.

[19] L'appelant a souligné que ses pertes diminuaient chaque année, ce qui est exact. En 1992, les pertes s'élevaient à 7 214 $, en 1993, à 6 648 $, en 1994, à 5 926 $ et, en 1995, à 8 724 $. N'eussent été les réparations du toit, qui ont coûté 3 200 $, la perte se serait élevée à 5 524 $ en 1995, et cela aurait reflété une diminution constante des pertes. La situation des profits et des pertes pour 1996 n'a pas d'importance, bien qu'elle soit indiquée dans la déclaration de l'appelant de 1996 (pièce R-5); elle ne reflète pas la réalité parce que la propriété a été vendue en 1996. L'appelant a fait état d'une perte finale de 38 000 $ environ, attribuable au fait que la valeur de la propriété a diminué après qu'il eut converti celle-ci en un bien locatif. Cette perte n'a pas été contestée par Revenu Canada, mais, en 1996, l'activité de location ne s'est pas échelonnée sur les 12 mois; par conséquent, il ne convient pas de comparer 1996 avec les quatre années précédentes.

[20] Je tire deux conclusions importantes des pertes énumérées précédemment. Premièrement, les deux dépenses annuelles fixes se rapportant à la propriété sont l'intérêt hypothécaire et les taxes foncières. Deuxièmement, chaque année, le total de ces deux dépenses fixes est beaucoup plus élevé que le loyer brut. En 1992, l'intérêt et les taxes foncières s'élevaient au total à plus de 15 300 $ alors que le loyer était de 9 300 $. Autrement dit, les deux dépenses étaient supérieures de 6 000 $ au loyer, et cet écart équivalait approximativement aux deux tiers du loyer.

[21] En 1993, la tendance s'est maintenue. L'intérêt hypothécaire et les taxes foncières totalisaient approximativement 15 100 $ alors que le loyer était de 9 720 $. Encore une fois, ces deux dépenses seules excédaient de plus de 5 300 $ le loyer brut, et cet écart représentait bien plus que 50 p. 100 du loyer brut. Ce que je veux faire ressortir, c'est que, dans les deux années qui ont précédé les années visées par l'appel, il eût fallu que le loyer brut, pour être égal aux frais d'intérêt et aux taxes foncières, sans tenir compte des autres dépenses accessoires comme l'assurance et l'entretien, fût augmenté non pas d'un faible montant seulement, mais de 50 p. 100. Pour ces années (1992 et 1993), l'appelant a été autorisé à déduire les pertes locatives déclarées de son revenu d'emploi. Ce n'est qu'en 1994 et 1995, lorsque Revenu Canada a examiné la tendance sur une période de quatre ans, que la déduction des pertes a été refusée.

[22] J'examinerai maintenant la situation pour les années 1994 et 1995. En 1994, le loyer était de 9 720 $, tandis que l'intérêt et les taxes foncières totalisaient 14 800 $. Encore une fois, les dépenses étaient supérieures de 5 000 $ au loyer. Et encore une fois, la tendance s'est maintenue, c'est-à-dire que l'écart entre ces deux dépenses et le loyer équivalait à plus de 50 p. 100 du loyer. En 1995, les montants favorisaient un peu plus l'appelant puisque le loyer était plus élevé et que les dépenses étaient un peu moins élevées. Le loyer s'élevait à 10 140 $ et les dépenses au titre des intérêts et des taxes foncières totalisaient 14 840 $, ce qui représente 4 700 $ de plus que le loyer. Par conséquent, pour la première fois, l'écart entre ces deux dépenses et le loyer équivalait à un peu moins de 50 p. 100 du loyer. Cependant, il y a eu d'autres dépenses en 1995, notamment la réparation du toit, qui ont porté les dépenses totales à 18 864 $. J'aurais pensé que, puisqu'il s'agissait d'une dépense extraordinaire, la réparation du toit, aurait été capitalisée. Si je fais abstraction de la réparation du toit, qui a coûté 3 200 $, les dépenses sont ramenées à 15 664 $, ce qui est encore 5 500 $ de plus que le loyer brut. Alors, même en capitalisant la réparation du toit, les autres dépenses, y compris l'intérêt et les taxes foncières, excèdent le revenu de location de 5 500 $, ce qui, encore une fois, équivaut à plus de 50 p. 100 du revenu de location.

[23] La question est de savoir si, lorsqu'il a entrepris l'activité de location, l'appelant avait une attente raisonnable de profit. J'en doute, et j'arrive à cette conclusion en suivant deux cheminements différents. Premièrement, l'hypothèque grevant la propriété du chemin Seaforth a été haussée de 60 000 $ ou 70 000 $ à l'été 1991, au moment où l'appelant avait déjà décidé de quitter sa résidence principale et de la convertir en un bien de location à des fins de placement. À cette époque, le taux d'intérêt hypothécaire était de 11 p. 100. Ayant décidé de faire de l'ancienne maison de Kingston un bien productif de revenu, l'appelant a grevé la propriété d'une autre hypothèque de 60 000 $ ou 70 000 $, au taux de 11 p. 100. Je vais lui donner le bénéfice du doute et tenir pour acquis que l'hypothèque a été haussée de 60 000 $ seulement. À un taux d'intérêt de 11 p. 100, la dépense supplémentaire de 6 600 $ est presque égale à la perte déclarée au cours de chacune des trois années.

[24] En d'autres termes, n'eût été l'augmentation de l'hypothèque au cours de l'été 1991, au moment où la résidence principale était convertie en un placement commercial, non seulement l'appelant aurait eu une attente raisonnable de profit à l'égard de la propriété, mais encore il aurait probablement réalisé un profit grâce aux frais d'intérêt moindres. La nouvelle hypothèque grevant la propriété en 1991 s'élevait approximativement à 115 000 $, ce qui signifie que, avant l'augmentation de 60 000 $, l'hypothèque n'était que de 55 000 $ environ. C'est possible car le montant de l'hypothèque équivaudrait alors à environ la moitié du coût d'achat de la propriété (112 000 $) en 1985. L'appelant et son épouse avaient de toute évidence remboursé une partie de l'emprunt hypothécaire au cours des cinq ou six années ayant suivi l'achat en 1985. Mais, comme je l'ai dit précédemment, la décision de grever la propriété d'une hypothèque supplémentaire de 60 000 $ est à mon avis un facteur important pour ce qui est de déterminer s'il existait une attente raisonnable de profit. La possibilité de réaliser un profit a alors été anéantie presque totalement, sinon totalement, parce que l'appelant et son épouse savaient à ce moment-là que la propriété ne pouvait être louée que 850 $ par mois (soit 10 200 $ par année); ils ont malgré tout grevé la propriété d'une charge supplémentaire de 6 600 $ au titre des frais d'intérêt. Si l'on ajoute à ce montant les taxes foncières d'environ 3 000 $, on arrive à une dépense immédiate, pour la propriété, de 9 600 $, sans compter l'intérêt sur le solde de l'hypothèque (excédant 60 000 $) et les autres dépenses.

[25] Je suivrai maintenant un cheminement différent pour déterminer si, compte tenu des circonstances, on peut dire que l'appelant avait une attente raisonnable de profit. L'avocate de l'intimée m'a reporté à l'arrêt Mohammad v. The Queen, 97 DTC 5503. Le juge Robertson, qui a rendu la décision unanime de la Cour d'appel fédérale, déclarait ceci à la page 5506 :

L'analyse précitée a pour but de démontrer qu'il ne peut y avoir d'expectative raisonnable de profit tant et aussi longtemps que des paiements importants ne sont pas faits sur le principal de la dette. Cela mène inévitablement à la question de savoir si une perte locative peut être réclamée même si aucun paiement de ce genre n'a été fait au cours des années d'imposition en question. Je répondrais par l'affirmative, mais en ajoutant cependant quelques réserves. Le contribuable doit établir à la satisfaction de la Cour de l'impôt qu'il ou elle avait un plan réaliste en vue de réduire le principal de l'emprunt. Comme tout propriétaire l'apprend tôt ou tard, presque toutes les mensualités hypothécaires sont imputées au paiement des intérêts pendant les cinq premières années d'un prêt hypothécaire amorti sur vingt à vingt-cinq ans. Il est tout simplement irréaliste de s'attendre à ce que le système fiscal canadien subventionne l'acquisition d'un immeuble de rapport pour des périodes indéfinies. Les contribuables qui ont l'intention de financer l'acquisition d'un immeuble à usage locatif de façon qu'aucun bénéfice ne soit déclaré, malgré qu'ils aient touché la totalité des revenus locatifs prévus, ne doivent pas s'attendre à bénéficier d'un traitement fiscal favorable en l'absence d'une preuve objective et convaincante de leur intention et de leur capacité financière de rembourser une part importante de l'emprunt ayant servi à l'achat dans les quelques années qui suivent l'acquisition du bien. Si, en raison du niveau de financement, l'immeuble ne peut générer suffisamment de bénéfices pouvant servir à réduire l'emprunt en cours, alors le contribuable doit trouver d'autres sources de revenu pour parvenir à ce résultat. Si les autres sources de revenu d'un contribuable, par exemple, le revenu tiré d'un emploi, sont insuffisantes pour lui permettre de réduire le montant de l'emprunt qui a servi à l'acquisition, alors il se peut que le contribuable ait à supporter le plein coût de la perte locative.

Il ressort à mon avis de ce passage que le contribuable ne peut déduire une perte locative que s'il fait la preuve du remboursement continu de l'emprunt hypothécaire de façon à réduire le fardeau que représentent les frais d'intérêt élevés.

[26] L'appelant a déclaré que son épouse et lui avaient effectivement accumulé un capital, mais qu'ils n'avaient pas remboursé l'hypothèque au motif que, lorsqu'ils ont négocié avec le prêteur hypothécaire, qui, si je comprends bien, était la London Life, celui-ci a convenu : [TRADUCTION] « Oui, ils pouvaient imputer les économies accumulées au remboursement du principal de l'hypothèque, mais cela n'aurait pas diminué les paiements mensuels à effectuer sur l'hypothèque conformément aux modalités négociées initialement en 1991 » . Pour cette raison, l'appelant et son épouse ont décidé de ne pas rembourser l'emprunt hypothécaire. Cette décision d'affaires, ils l'ont prise parce que le remboursement d'une partie supplémentaire du principal n'aurait pas diminué les paiements mensuels et, par conséquent, n'aurait été d'aucune utilité aux fins de l'encaisse de la famille.

[27] Si les économies accumulées avaient été imputées au remboursement du principal de l'emprunt hypothécaire, les paiements mensuels seraient peut-être demeurés relativement élevés, mais une portion bien moindre de ces paiements mensuels aurait été imputée à l'intérêt, et une portion beaucoup plus élevée, au principal. Le montant de l'intérêt étant réduit, l'appelant aurait peut-être été davantage en mesure de démontrer qu'il avait une attente raisonnable de profit.

[28] Dans les circonstances, sans rien faire pour tenter de rembourser le principal de l'emprunt hypothécaire, l'appelant s'est à l'été 1991 lancé dans l'activité de location sachant parfaitement que, avec un fardeau de 12 000 $ en intérêt pour cinq ans au moins, en sus de taxes foncières d'environ 3 000 $, il n'avait alors aucune attente raisonnable de profit. Pour cette raison, je rejette les appels pour les années d'imposition 1994 et 1995.

[29] J'ajouterai que l'appelant a indiqué que Revenu Canada n'avait établi aucune nouvelle cotisation pour l'année d'imposition 1996 et avait admis les pertes déclarées et que, par conséquent, on ne reviendrait maintenant plus sur l'année 1996. Je suppose que ce n'est pas le cas pour ce qui est de l'établissement d'une nouvelle cotisation, parce que la déclaration de l'appelant de 1996 aura été produite au printemps 1997 et qu'une cotisation aura été établie à son égard quelque temps après. Or, le délai pour établir une nouvelle cotisation à l'égard de l'appelant est de trois ans. J'ajoute simplement que, dans la mesure où l'appelant a subi, en 1994 et 1995, des pertes véritables qui n'étaient pas déductibles dans le calcul de son revenu pour les motifs indiqués dans le présent jugement, je crois que le montant de ces pertes pourrait être capitalisé et ajouté au coût de la propriété, ce qui accroîtrait peut-être la perte finale pour 1996. Je ne rends aucune décision en ce sens parce que l'année 1996 n'est pas visée par l'appel, mais, selon moi, lorsqu'une perte n'est pas déductible dans des circonstances comme celles décrites en l'espèce, elle peut être capitalisée et ajoutée au coût de la propriété. Je fais cette remarque au cas où l'appelant estimerait qu'il vaut la peine de s'opposer à Revenu Canada pour 1996. Les appels pour les années 1994 et 1995 sont rejetés.

Signé à Ottawa, Canada, ce 29e jour de juillet 1999.

« M. A. Mogan »

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 8e jour de juin 2000.

Philippe Ducharme, réviseur

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