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Date: 19981113

Dossiers: 94-1081-IT-G; 94-1084-IT-G

ENTRE :

AMÉDÉE DUGUAY,

DIANE L. DUGUAY,

appelants,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Garon, C.C.I.

[1] Il s'agit d'appels de cotisation d'impôt sur le revenu pour les années d'imposition 1988, 1989 et 1990 dans le cas de l'appelant Amédée Duguay. Dans le cas de l'appelante Diane L. Duguay, elle conteste les cotisations pour les années d'imposition 1988 et 1989. Par ses cotisations à l'égard des appelants pour les années en cause, le ministre du Revenu national a réduit à zéro la déduction pour dons de bienfaisance à l'égard de certaines oeuvres d'art réclamée par les deux appelants dans chacune des trois années en cause. Les appelants contestent aussi les pénalités établies par ces cotisations pour les mêmes années d'imposition.

[2] Ces appels ont été entendus sur preuve commune. En outre, il y a eu audition commune d'une partie de la preuve et des plaidoiries dans les présents appels et dans les appels de cotisations d'impôt sur le revenu de monsieur Alain Côté (92-2773(IT)G) et de madame Louise Marcoux (93-3160(IT)G) et de monsieur François Langlois (dossiers 92-1124(IT)G et 94-3007(IT)G). À ce point-ci, il y a lieu de noter que les appelants dans les présentes affaires aussi bien que les trois personnes susmentionnées dans le présent paragraphe, font partie d'un groupe d'environ 200 personnes qui ont acheté divers objets d'art et d'autres biens dans le but de les donner à des organismes de bienfaisance enregistrés.

[3] Dans un premier temps, pour les fins de ces appels, il me paraît important de fournir un récit assez détaillé des témoignages des deux appelants. Ce récit sera suivi d'un exposé circonstancié de la déposition de monsieur Marc Levert, un acteur clef dans le déroulement des événements qui sont au coeur de ce litige. La version d'un dirigeant d'un organisme bénéficiaire de dons, monsieur Julien Carignan, sera étudiée assez longuement. Finalement, le témoignage de monsieur Jacques Demers, agent des appels à Revenu Canada, vu son rôle important dans l'émission des cotisations dont appel, sera l'objet d'un rapport exhaustif. L'enquête menée par ce dernier fut complétée à l'égard d'un sujet seulement par monsieur Réjean Juneau.

[4] Je me réfère à la déposition de l'appelant Amédée Duguay. Ce dernier a été membre de la Sûreté du Québec pendant 32 ans. Il a travaillé au secteur des enquêtes criminelles et, en particulier, pendant 12 ans il était affecté au secteur des crimes économiques. Au moment de l'audition, il était à la retraite. L'appelant Amédée Duguay n'est pas un collectionneur de bijoux ni de tableaux.

[5] L'appelant Amédée Duguay témoigne également qu'il a fait des dons en 1986 et en 1987. Lors d'une rencontre avec madame Aline Tremblay, préposée au crédit auprès de la Banque Royale du Canada, elle informe l'appelant Amédée Duguay qu'il est possible de faire des dons à des organismes de bienfaisance en échange de reçus pour fins fiscales. D'ailleurs, l'appelant Amédée Duguay témoigne qu'il connaissait madame Aline Tremblay puisqu'elle était venue faire un colloque sur le crime économique en 1985 et 1986. Cette dernière a affirmé connaître un dénommé Marc Levert qui vendait des oeuvres d'art qu'il obtenait dans des encans et qu'il les revendait à bon marché, à environ 25 pour cent de leur valeur. L'appelant Amédée Duguay déclare qu'il était au courant de l'existence de dons d'oeuvres d'art dans les musées, mais pas de la vente de tableaux. Il a appris de madame Aline Tremblay qu'on achetait des lots d'oeuvres d'art dans les encans (e.g. lors de faillites) à bon prix et ainsi on pouvait les revendre à un bas prix. Elle lui a appris qu'on faisait un don à un organisme de bienfaisance et le montant du don correspondait à l'évaluation de l'oeuvre d'art. À ce stade, l'appelant Amédée Duguay n'est pas sûr s'il veut se lancer dans cette affaire, avant de s'assurer qu'il s'agit d'une activité tout à fait licite étant donné son emploi au sein de la section des crimes économiques de la Sûreté du Québec.

[6] Lors d'une rencontre subséquente, madame Aline Tremblay a présenté l'appelant Amédée Duguay à monsieur Marc Levert à un moment donné en octobre ou du début de novembre 1986. C'est à ce stade que l'appelant Amédée Duguay a décidé de participer à l'opération de dons d'oeuvres d'art. Monsieur Levert s'était présenté comme ayant une galerie d'art où il vendait des oeuvres d'art, s'occupant de l'achat et de la revente. Au moment de la rencontre, monsieur Levert n'avait pas apporté les oeuvres d'art qui feraient l'objet du don et n'a pas montré les oeuvres d'art à l'appelant Amédée Duguay. L'appelant Amédée Duguay affirme que madame Tremblay s'est occupé de tout, qu'elle lui avait transmis les reçus pour l'année 1986 et qu'il a payé Madame Tremblay qui, à son tour, remettait le paiement à monsieur Levert. Pour 1986 la valeur des oeuvres d'art était de 12 000 $ à 14 000 $ selon le rapport d'évaluation obtenu de monsieur Michel Champagne. L'appelant Amédée Duguay affirme avoir connu monsieur Champagne dans le cadre de son emploi au secteur des crimes économiques et le considérait comme un expert en tableaux. Il aurait remis 4 000 $ comptant à Madame Tremblay. Le reçu a été émis par la Fondation du Musée Louis-Hémon pour 12 000 $. Il est daté du 19 décembre 1986 et l'appelant Amédée Duguay aurait payé dans les jours qui ont suivi. Il informe les enquêteurs que c'est monsieur Levert qui a les documents pertinents.

[7] Pour l'année 1987, l'appelant Amédée Duguay affirme avoir fait des dons pour une valeur de 3 000 $ ou 4 000 $. Il aurait transigé avec monsieur Levert directement. De plus, il aurait payé comptant à peu près 25 pour cent de leur valeur. Cette fois, par contre, il aurait lui-même transporter les tableaux à la Société protectrice des animaux et les aurait payés au moment où monsieur Levert lui a remis les reçus.

[8] Par ailleurs, l'appelant Amédée Duguay affirme avoir été cotisé à nouveau pour les années d'imposition 1986 et 1987. L'appelant Amédée Duguay explique qu'il a interjeté appel de ces nouvelles cotisations, mais le montant d'impôt supplémentaire à payer était faible.

[9] L'appelant Amédée Duguay a rencontré des enquêteurs du ministère le 2 septembre 1987 puisqu'ils remettaient en question la validité du don et de la valeur des oeuvres. Lors de cette rencontre, l'appelant Amédée Duguay leur a indiqué qu'il avait payé 4 000 $ pour les tableaux en 1986. Par contre, lorsque l'appelant Amédée Duguay a été appelé à témoigner, il aurait informé Me Gagnon, l'avocat du ministre du Revenu national dans les causes pénales contre messieurs Gilles Bouchard et Marc Levert, que ce qui avait été dit aux agents de Revenu Canada n'était pas vrai et qu'il aurait fait la rectification voulue. L'appelant Amédée Duguay n'a toutefois pas voulu signer une déclaration sous serment.

[10] Pour l'année d'imposition 1988, l'appelant Amédée Duguay a encore rencontré monsieur Levert qu'il lui demande s'il voulait faire de nouveau des dons. L'appelant Amédée Duguay lui explique qu'il en fera mais il veut s'assurer auprès du ministre du Revenu national et « savoir exactement comment ça fonctionne » . L'appelant Amédée Duguay s'est rendu aux bureaux du ministère à Québec puis a demandé si dans l'hypothèse où il faisait un don d'une oeuvre d'art ayant une valeur de 4 000 $ pour laquelle il avait payé 1 000 $, s'il pourrait produire un reçu de 4 000 $. À cette question, on aurait répondu par l'affirmative. Par la suite, il s'est mis d'accord avec monsieur Levert pour acquérir une oeuvre d'art dont la valeur marchande est de 10 000 $. Monsieur Levert offre une oeuvre de Jean-Paul Lemieux. L'appelant Amédée Duguay explique que monsieur Levert s'occupe de faire évaluer l'oeuvre et de remettre le don à l'Univers du Rail Inc. L'appelant Amédée Duguay a obtenu en même temps l'évaluation et le reçu ainsi qu'une photographie du tableau. L'appelant Amédée Duguay explique également que c'est monsieur Levert qui a choisi l'organisme de bienfaisance concerné. C'est également monsieur Levert qui a choisi le tableau de Jean-Paul Lemieux. En outre, l'appelant Amédée Duguay ne l'a jamais eu chez lui et pense l'avoir vu à la galerie de monsieur Levert. Il a également témoigné qu'il n'a jamais communiqué avec les représentants de l'Univers du Rail Inc. et qu'il n'a pas vérifié si le tableau était sur place. Il ne s'est pas non plus interrogé sur la nature et les activités de l'Univers du Rail Inc. Au sujet de ce tableau, l'appelant Amédée Duguay a payé monsieur Levert au moyen de deux chèques tirés sur son compte à la Banque Royale du Canada au montant de 1 820 $ (le 2 mars 1989) et 1 800 $ (le 4 juillet 1989). Au total, l'appelant Amédée Duguay a versé 4 000 $ pour l'acquisition du tableau. La différence représente le montant qui a été payé comptant.

[11] En 1989, l'appelant Amédée Duguay aurait fait d'autres dons. Cette fois, il s'agirait d'une collection de bijoux. C'est également à ce moment que l'appelant Amédée Duguay est muté à la filature où il passe beaucoup de temps avec un monsieur Gilles Bouchard. L'appelant Amédée Duguay aurait appris que monsieur Bouchard avait également fait des dons entre 1986 et 1988. Monsieur Bouchard avait une collection d'oeuvres d'art qu'il était prêt à vendre en partie à l'appelant Amédée Duguay. Monsieur Bouchard ferait évaluer la collection puis le prix de vente serait fixé par la suite. Il a également mis monsieur Bouchard en garde qu'il voulait qu'il n'y ait aucun doute sur la légalité de la transaction. Le prix serait fixé par monsieur Bouchard à environ 25 pour cent de la valeur du don et comprendrait les frais d'évaluation. L'appelant Amédée Duguay témoigne qu'il n'a pas posé de questions quant à la raison pour laquelle le prix était fixé à 25 pour cent de la valeur. Des photographies des bijoux ont été prises. Par la suite, la transaction a eu lieu et monsieur Bouchard a remis quelques jours plus tard un reçu de la Fondation Amérindienne Técumseh en date du 13 novembre 1989. L'appelant Amédée Duguay a reçu peu de temps après une lettre en date du 15 novembre 1989 le remerciant du don qu'il avait fait. Cette lettre était accompagnée d'une fiche descriptive qui aurait peut-être été remise à Revenu Canada. Monsieur Bouchard avait également transmis une attestation selon laquelle l'appelant Amédée Duguay aurait acheté des bijoux pour la somme de 2 910 $. L'appelant Amédée Duguay aurait obtenu cette attestation pour la remettre à Revenu Canada. D'autre part, l'appelant Amédée Duguay a payé cette somme au moyen de deux chèques. La somme de 2 910 $ représentait le total dû pour l'évaluation et l'obtention d'un reçu relatif au don de bienfaisance. On doit également noter que c'est monsieur Bouchard qui a choisi l'organisme. De plus, ni l'appelant Amédée Duguay ni l'appelante Diane L. Duguay n'a communiqué avec les représentants de la Fondation ni se sont rendus sur place.

[12] En 1990, monsieur Bouchard aurait approché l'appelant Amédée Duguay à nouveau pour lui demander s'il était intéressé à acquérir des oeuvres d'art. Ce dernier a décidé d'acheter des tableaux pour 1990 et monsieur Bouchard se serait occupé de la transaction comme il l'avait fait l'année précédente. Monsieur Bouchard a fait évaluer les tableaux et il est allé chez l'appelant Amédée Duguay avec les évaluations et les tableaux. Ces tableaux auraient été photographiés devant le foyer chez l'appelant Amédée Duguay. Cette fois, les reçus ont été émis par la Société protectrice des animaux que monsieur Bouchard a remis à l'appelant Amédée Duguay. L'appelant Amédée Duguay a payé 2 440 $ pour ces tableaux. En ce qui concerne l'année 1990, l'appelant Amédée Duguay est le seul à avoir fait un don. L'appelante Diane L. Duguay n'aurait pas fait de dons en 1990, à la suite des conseils de monsieur André Dion, c.a. L'appelant Amédée Duguay ne pouvait se rappeler s'il avait informé monsieur Dion du fait que le prix d'achat était substantiellement différent de la valeur du don.

[13] L'appelant Amédée Duguay affirme en contre-interrogatoire qu'il n'aurait pas effectué ces transactions s'il n'avait pas pu obtenir des reçus d'organismes de bienfaisance lui permettant d'obtenir des avantages fiscaux.

[14] L'appelante Diane L. Duguay est enseignante depuis 28 ans. Elle a expliqué qu'elle avait fait des dons de tableaux et d'autres biens en 1986 et 1987.

[15] L'appelante Diane L. Duguay a été informée par son mari, l'appelant Amédée Duguay, de la possibilité de faire des dons d'oeuvres d'art à des organismes de bienfaisance et d'obtenir une déduction aux fins du calcul de l'impôt sur le revenu. Elle a affirmé que la lecture de certains documents qui n'ont pas été précisés l'avait amenée, elle et son mari, l'appelant Amédée Duguay, à conclure qu'il était possible de faire des dons de façon tout à fait légale. Elle a aussi témoigné qu'elle n'a jamais eu de discussions avec madame Aline Tremblay sur la question des reçus et des dons.

[16] En ce qui concerne les dons qu'elle avait faits durant les années d'imposition 1986 à 1989, elle a mentionné que les transactions étaient complétées par l'appelant Amédée Duguay. Toutefois, l'appelante Diane L. Duguay acquittait sa part, selon son témoignage, sans fournir de détails, lorsque venait le temps de payer les oeuvres d'art et les bijoux. Elle a été mise au courant au moment opportun que Revenu Canada avait modifié son attitude au sujet de ces dons. Le fait que Revenu Canada n'avait pas répondu à son « Avis d'opposition » l'inquiétait beaucoup.

[17] Elle a reconnu qu'en ce qui concerne le choix des oeuvres d'art et des bijoux et des organismes de bienfaisance, elle n'avait pas son « mot à dire » . C'est monsieur Bouchard qui s'occupait de faire ces choix.

[18] J'aborde maintenant la déposition de monsieur Levert.

[19] Monsieur Levert était sans emploi au moment où il a donné son témoignage. Il était vérificateur pour le Comité paritaire « sur les services automobiles » de la région de Québec depuis les années 1970. En 1995, il quittait cet emploi. Il a fondé la Galerie des Maîtres Anciens Inc. en 1987 ainsi que la Tourelle, Maison d’encans Inc. La Tourelle, Maison d'encans, et la Galerie des Maîtres Anciens ont été constituées en sociétés par actions en mars 1987. Depuis 1987, il s'occupait de l'administration de ces deux maisons, avec sa femme, madame Denise Boily.

[20] Monsieur Levert affirme qu'il a commencé à s'intéresser aux oeuvres d'art comme collectionneur au début des années 1970. Il était particulièrement intéressé aux huiles sur toile et aux aquarelles. Il s’est aussi intéressé aux antiquités comme le bronze ou la porcelaine. Monsieur Levert a aussi indiqué qu’il a fait de nombreux déplacements pour fréquenter les galeries surtout au Québec pour acquérir des connaissances dans le domaine des peintures. De plus, il consultait des ouvrages sur le sujet. Par la suite, monsieur Levert a commencé à acheter des tableaux en galeries, par exemple, de la Galerie Charles Huot ou la Galerie de Michel Décardo. Grâce aux catalogues d'encans qu'il recevait des maisons Fraser ou Sotheby's, il a commencé à fréquenter des maisons d’encans à Montréal comme les maisons Pinney's, Fraser et Empire. De plus, il se rendait aux encans à Toronto et recevait des catalogues d'oeuvres d'art de New York.

[21] Monsieur Levert affirme que depuis qu'il est dans le domaine de l'art, il évalue des tableaux surtout aux fins d'assurances et de dons. Durant les années 1983 et suivantes, il a commencé à évaluer des tableaux lorsqu'il était un agent à Québec de la Maison Pinney's de Montréal.

[22] Monsieur Levert affirme qu'il était particulièrement intéressé aux périodes comprenant le 17e siècle, le 18e, le 19e et le début du 20e siècle, jusque vers 1930. Il a dû s'adapter au marché car les personnes de la région étaient plus familières avec les artistes de la période contemporaine qui va de 1920 à aujourd’hui. On le consulte toujours aujourd'hui en ce qui a trait à la période ancienne pour savoir notamment si la période mentionnée est bien la période en cause, si le tableau peut être restauré ou si le marché pour les oeuvres d’un artiste donné est bon. Il était consulté fréquemment par les antiquaires.

[23] Monsieur Levert a constaté, d’après son expérience, qu'il y avait deux marchés : le marché en galerie et le marché à l'encan; deux marchés complètement distincts. Dans le marché en galerie, on va y retrouver beaucoup plus les tableaux de l'artiste contemporain qui est actif actuellement ou qui est décédé au cours d'une période relativement récente. Par exemple, Jean-Paul Lemieux est un artiste contemporain même s'il est décédé. Fielding Downes est aussi un artiste contemporain mais « à la limite » .

[24] Le marché à l'encan de tableaux peut être celui de maisons internationales comme Sotheby's à Toronto qui a des bureaux à Londres et à New York; ces maisons ont un système très sophistiqué. Dans ces encans, on utilise des catalogues de photographies en couleur où est estimé le prix du tableau à l'encan et non la valeur marchande. La deuxième catégorie d'encans est constituée de maisons locales comme à Montréal ou à Toronto qui n'ont pas le calibre des grosses maisons et leurs catalogues ne sont pas en couleur mais on publie plutôt une liste de ventes à l'encan. La troisième catégorie est constituée de petites maisons qui font des ventes à l'encan à l'occasion.

[25] La différence entre ces maisons c'est que plus la maison est importante, plus la publicité est forte, plus le nombre de clients qui est rejoint est élevé et plus le prix va se rapprocher du prix en galerie pour certains artistes. Aux encans importants, on ne vend pas des tableaux d’artistes locaux.

[26] Monsieur Levert a indiqué qu’en ce qui concerne les années 1988, 1989 et 1990, ses deux commerces, c'est-à-dire la Galerie des Maîtres Anciens et la Tourelle, Maison d'encans, étaient exploités dans la même bâtisse. La Galerie des Maîtres Anciens après la vente de cette bâtisse a emménagé dans un autre endroit. Sur le plan des affaires, l'objectif de monsieur Levert était l'exploitation d'une maison d'encans où il s'occupait de communiquer avec différentes personnes pour leur demander de lui apporter les tableaux qu'elles désiraient revendre. De plus, la Galerie des Maîtres Anciens achetait des tableaux à l'occasion et ces tableaux étaient confiés à La Tourelle, Maison d'encans, pour être revendus dans une vente aux enchères publiques. La Galerie des Maîtres Anciens faisait aussi des ventes privées.

[27] Monsieur Levert a expliqué ainsi ce qui l'a amené à vendre des tableaux pour fins de dons en substance comme suit :

1. il avait fait des dons et des ventes directement aux gouvernements et à différents organismes avant 1986;

2. lorsque son employeur, le Comité paritaire, a cessé ses opérations temporairement, ses amis lui ont demandé de faire de la vente de tableaux pour fins de dons.

Par la suite, en 1986, monsieur Levert et son épouse sont allés au bureau d'un fonctionnaire de Revenu Canada à Ottawa pour s'informer sur la légalité de cette opération. Un dénommé Boutet (apparemment un avocat du Gouvernement fédéral) leur a dit que « c'est tout à fait légal » . C'est à partir de ce moment que monsieur Levert a commencé à vendre des tableaux ouvertement à des gens dans son entourage avant d'ouvrir son commerce.

[28] Donc, avant que monsieur Levert ouvre sa galerie, il avait déjà traité durant les années 1986 et 1987 avec les deux appelants sur les instances de madame Tremblay.

[29] En 1987, monsieur Levert a ouvert la Tourelle, Maison d'encans, et la Galerie des Maîtres Anciens. Les ventes pour fins de dons qu'il effectuait à ce moment-là n'étaient pas l'élément principal de ses activités. Il était convaincu que l'achat de tableaux dans le but de faire des dons était tout à fait légitime. Il a mentionné que durant les années 1987 à 1991, la partie de son chiffre d'affaires reliée à des dons de bienfaisance ne représentait pas plus de dix pour cent. En outre, monsieur Levert a témoigné n’avoir jamais fait de la publicité concernant les dons mais il existe un document avec le logo de la Galerie des Maîtres Anciens où une telle publicité a été faite. D'après lui, ce sont ses associés qui se sont chargés de cette publicité.

[30] En général, la façon de procéder de monsieur Levert avec les clients auxquels il vendait des tableaux pour fins de donation était la suivante : les clients étaient dirigés vers lui, il contactait alors un organisme de bienfaisance ou un musée et demandait au responsable de l'organisme ou du musée s'il était intéressé à une telle catégorie de tableaux. Ensuite, lorsqu'il trouvait un tableau qui était acceptable à un musée ou à un organisme de charité, il informait le donateur de la possibilité d'acquisition de quelques tableaux que monsieur Levert pourrait revendre. Le montant était habituellement déterminé d'avance à 25 pour cent de la valeur normale du tableau en galerie. Monsieur Levert incluait dans le total des factures montrant le prix de vente qui avait été négocié les frais professionnels qui étaient chargés aux clients.

[31] Monsieur Levert expliquait aussi aux donateurs la façon de procéder et il les encourageait à vérifier auprès de Revenu Canada la légitimité de l'opération. Il a aussi mentionné que plusieurs personnes lui ont posé des questions par rapport à la légitimité de l'opération relativement à la différence entre le montant de l'évaluation d'une oeuvre d'art et son prix de vente. Les évaluations de monsieur Levert, selon son témoignage, s'appuyaient sur les principaux volumes de référence, surtout le Guide Vallée. De plus, lorsque monsieur Levert avait un doute sur la valeur d'un tableau selon un guide donné, il téléphonait à la galerie qui représentait l'artiste ou il consultait d'autres galeries, par exemple, à Montréal. Par contre, il a reconnu qu’il y a des variations importantes dans les guides, comme le Guide Vallée, en ce qui concerne les prix de peintures. Il a aussi mentionné que le Guide Vallée est simplement un « guide » qui suggère des prix.

[32] Monsieur Levert a reconnu qu'en règle générale il remettait le reçu, l'évaluation et la facture à ses clients. Il a ajouté qu'il n'y avait pas de raison particulière pour laquelle lui-même plutôt que l'organisme concerné acheminait au donateur le reçu de cet organisme. Il a mentionné que dans la majorité des cas c'était lui qui remettait le reçu au donateur.

[33] Monsieur Levert n'a pas contesté le fait que les mêmes tableaux se retrouvaient plusieurs fois dans les différents organismes de bienfaisance car ces organismes revendaient les peintures à l'encan ou même privément. Ces tableaux pouvaient être « redonnés » à d'autres organismes de bienfaisance.

[34] Monsieur Levert affirme que la principale activité de son commerce était d'acheter des tableaux en très grande quantité à bas prix et de les vendre en gros plutôt que de vendre au détail à plein prix par l'entremise de la Galerie des Maîtres Anciens. La vente aux encans constituait la principale activité de son commerce. De plus, il a ajouté qu'il vendait aussi à des marchands, à des galeries et à des collectionneurs qui à leur tour revendaient les peintures de 20 à 40 fois leur prix d'acquisition. Il explique qu'il vendait à un quart de la valeur en galerie ou de la valeur mentionnée dans le Guide Vallée parce qu'il s'était fixé un barème de 25 pour cent à cet égard pour le prix de vente de tableaux pour fins de dons. Il a ajouté qu'il a dirigé des clients vers une quinzaine d'organismes de bienfaisance différents au cours des années.

[35] Monsieur Levert déclare qu'il fit connaissance il y a plusieurs années de madame Tremblay, la responsable du département des prêts à la Banque Royale du Canada qui lui a dirigé des clients pour des achats de tableaux pour fins de donations. Il a ajouté que madame Tremblay lui a acheminé des clients à titre personnel et non en tant qu'agente de la Banque Royale.

[36] En analysant les déclarations de revenu de monsieur Levert au début des années 1980, madame Tremblay a noté les dons effectués par monsieur Levert. Elle lui a demandé si elle et ses amis pouvaient bénéficier de cette opération. De plus, dans certains cas, monsieur Levert remettait les reçus, évaluations et factures à madame Tremblay et cette dernière les transmettait aux clients concernés. Il arrivait aussi que madame Tremblay lui remettait les chèques faits par les clients pour l'achat de tableaux.

[37] En décembre 1988, monsieur Levert a fait parvenir une lettre à tous ceux qui avaient acheté de lui des tableaux pour fins de donation en vue de la formation d'un groupement. C'était alors l'époque où Revenu Canada avait commencé à émettre des cotisations à l'égard de ceux qui réclamaient le crédit d'impôt pour dons de tableaux. Le 5 juin 1989, monsieur Levert a expédié une autre lettre à ceux qui, dans le passé, avaient fait des dons pour leur dire qu'il n'y avait pas eu de modifications à la Loi de l'impôt sur le revenu et de les assurer qu'il ne les abandonnerait pas comme clients. Cependant, certains clients lui ont demandé de les rembourser étant donné les problèmes qu'ils avaient avec les autorités fiscales. Monsieur Levert a convenu avec ces personnes soit de les rembourser soit de leur donner des tableaux pour les indemniser.

[38] Monsieur Levert affirme qu'en 1989, monsieur Gaston Lamy de l'Univers du Rail Inc. l'a approché pour lui demander s'il était intéressé à organiser une collecte de fonds et à faire une vente à l'encan pour le bénéfice de l'Univers du Rail Inc. Monsieur Lamy était collectionneur de tableaux et l'Univers du Rail Inc. avait déjà commencé à ramasser des tableaux. Monsieur Lamy a demandé à monsieur Levert s'il voulait s'occuper de faire les évaluations et d'essayer de trouver des personnes qui feraient des dons à l'Univers du Rail Inc. Monsieur Levert a conclu par la suite une entente verbale selon laquelle monsieur Levert acceptait de s'occuper des ventes à l'encan pour l'Univers du Rail Inc., comme il l'avait fait dans le cas de la Société protectrice des animaux. Monsieur Levert avait garanti à l'Univers du Rail Inc. un prix minimum de dix pour cent lors des ventes aux encans. Monsieur Levert affirme que cette condition que l'Univers du Rail Inc. devait maintenir un prix minimum de dix pour cent pour les peintures lors d'un encan n'a pas toujours été remplie. À un certain moment, l'Univers du Rail Inc. a demandé à monsieur Lamy d'entreposer les tableaux qui avaient été donnés à cet organisme dans le sous-sol d'un établissement dont monsieur Levert était propriétaire.

[39] Monsieur Levert a décrit la procédure relative aux dons faits à l'Univers du Rail Inc. de la façon suivante : il appelait le président de cet organisme de bienfaisance et lui expliquait qu'il avait une personne désireuse de faire un don de tel tableau et le don serait de tel montant. Par la suite, le président de l'organisme émettait le reçu à la personne concernée qui le recevait de monsieur Levert. Ce dernier ajoute que c'était lui qui procédait à l'évaluation pour l'Univers du Rail Inc. Il y avait une copie de l'évaluation qui était remise à cet organisme avec une liste indiquant que telle personne avait donné tel tableau pour tel prix. De plus, monsieur Carignan de l'Univers du Rail Inc. est allé dans certains cas seulement voir les tableaux. Monsieur Levert a été l'objet d'une demande de production de documents. Il a reconnu qu'il a détruit les listes dont il vient d'être question, listes qu'il avait conservées pendant un certain temps et qu'il fournissait à l'Univers du Rail Inc.

[40] En ce qui concerne la Fondation Amérindienne Tecumseh, monsieur Levert a été approché par monsieur Jacques St-Laurent qui lui a demandé s'il pouvait lui envoyer des clients. Il s'agit d'une opération de même nature que celle qui concerne l'Univers du Rail Inc. Cependant, monsieur Levert a ajouté que dans les jours ou semaines qui suivaient le don, soit un représentant de la Fondation Amérindienne Tecumseh venait chercher les tableaux ou encore monsieur Levert allait leur livrer. Les tableaux n'étaient pas entreposés. De plus, monsieur St-Laurent, président de cette fondation, avait son propre évaluateur mais monsieur Levert reconnaît qu'il a sûrement fait des évaluations pour cette dernière.

[41] Monsieur Levert affirme que le marché d'une maison d'encans se fait à un moment précis dans le temps. Les personnes intéressées ont un ou deux jours pour visiter et voir les tableaux et par la suite, la vente a lieu. La garantie est limitée à 15 ou 30 jours pour confirmer la valeur du tableau. En ce qui concerne le marché en galerie, il y a une exposition et le client peut visiter la galerie à loisir. De plus, le client n'est pas tenu de payer la peinture au complet lors de l'achat; il peut conclure des arrangements au sujet des modalités de paiement. La garantie est aussi supérieure à celle offerte par une maison d'encans. L'encan est un marché où on achète dans le but de revendre.

[42] Le prix à l'encan peut être jusqu'à 25 fois moins élevé que le prix habituel en galerie, autant pour des artistes réputés que pour les autres. Plus le tableau est de valeur inférieure, plus la marge entre le prix à l'encan et le prix en galerie est élevé. Au sujet du prix en galerie, c'est soit l'artiste qui le suggère ou soit la galerie. Les clients d'une galerie ne sont pas nécessairement les mêmes que ceux qui se rendent aux ventes à l'encan.

[43] Au sujet de l'appelant Amédée Duguay, monsieur Levert affirme qu'il a eu des problèmes avec Revenu Canada en 1987. L'appelant Amédée Duguay a quand même transigé avec monsieur Levert en 1988 mais il a exigé de monsieur Levert qu'il se rende au bureau de Revenu Canada à Québec pour s'assurer de la légalité des dons. L'appelant Amédée Duguay a demander à un fonctionnaire si c'était légal d'acheter une oeuvre d'art dans le but de la donner à un organisme de bienfaisance et de payer cette oeuvre d'art à une fraction du prix. Le fonctionnaire a répondu que c'était parfaitement légal. C'est ainsi que l'appelant Amédée Duguay a décidé d'acheter un autre tableau pour fins de donation en 1988.

[44] Monsieur Levert a acheté une peinture de l’artiste Jean-Paul Lemieux pour environ 5 000 $ de monsieur Guy Gagnon. Ce tableau a été revendu à l'appelant Amédée Duguay. Au cours de l'année 1988, le tableau de Jean-Paul Lemieux acheté par ce dernier fut donné à l'Univers du Rail Inc. Monsieur Levert a placé le tableau au nom de la Galerie des Maîtres Anciens au lieu de celui de l'Univers du Rail Inc. Monsieur Levert indique qu'il l'a fait pour fins de revente. Monsieur Levert ajoute qu'il était mandaté par l'Univers du Rail Inc. pour vendre les tableaux soit privément ou soit par encan.

[45] Monsieur Levert a relaté qu'au printemps 1988, il y a eu une perquisition à sa résidence, sur les lieux de ses commerces, chez son comptable et chez d'autres personnes à Québec, notamment des évaluateurs et marchands. Cette perquisition s'est faite dans le cadre d'une enquête portant, selon Revenu Canada, sur un stratagème fiscal. Monsieur Levert a alors écrit à madame Boucher de Revenu Canada à Ottawa le 14 novembre 1988. Monsieur Levert avait auparavant communiqué avec madame Boucher par téléphone avant de lui écrire étant donné que la Division des Organismes de charité l'avait dirigé vers cette dernière. De plus, il affirme avoir fait une autre démarche par la suite auprès de monsieur Carl Juneau de Revenu Canada, ayant été dirigé vers ce dernier par la Division des Organismes de charité. Enfin, il a été aussi en contact avec monsieur Laval Mailhot du bureau de Revenu Canada à Québec pour lui demander ce qui constituait, selon lui, la juste valeur marchande d'un bien et monsieur Mailhot de lui répondre que, selon la loi, la juste valeur marchande d'un bien est le prix le plus élevé qui est négocié entre une personne intéressée à vendre et non obligée et un acheteur intéressé à acheter mais non obligé. Il affirme qu'il a continué à vendre des tableaux pour fins de donation malgré l'enquête du Ministère parce qu'il était persuadé que tout était conforme à la loi et même encouragé par la loi. Il a aussi refusé l'accès aux enquêteurs de Revenu Canada à plusieurs reprises car il leur demandait d’indiquer par écrit ce qu'ils voulaient obtenir et Revenu Canada ne se conformait pas à ces demandes. Il était harcelé par Revenu Canada, selon son témoignage.

[46] Avant de clore le résumé du témoignage de monsieur Levert, il importe de noter que quatre accusations distinctes ont été portées contre monsieur Levert. À la suite de certaines dispositions prises avec les procureurs du Gouvernement, il a été convenu qu’il n’y aurait qu'un seul procès sur la base suivante : si monsieur Levert était acquitté, cela mettrait fin aux poursuites, dans le cas contraire, il plaiderait coupable à l'égard des autres accusations. La Cour du Québec, chambre criminelle, a conclu à la culpabilité de monsieur Levert sur la base qu'il n'avait pas déclaré tous ses revenus pour l'année 1986. Le 7 avril 1997, monsieur Levert s’est vu infligé une peine d'emprisonnement de dix mois et une période de probation de deux ans. Il ne devait pas agir directement ou indirectement à titre d'évaluateur, promoteur, agent ou consultant relativement à des donations d'oeuvres d'art auprès d'organismes sans but lucratif, notamment les organismes de bienfaisance, en particulier, les musées et les fabriques. Cependant, l'ordonnance de probation n'était exécutoire qu'à compter de la date d'expiration de la peine d'emprisonnement de monsieur Levert, peine qui n'a pas encore entièrement été purgée. À ce sujet, monsieur Levert a ajouté que son plaidoyer de culpabilité visait plutôt le « back-dating » , pour utiliser son expression, que la question d'évaluations de tableaux.

[47] Le témoignage de monsieur Julien Carignan est intéressant parce qu'il nous fait connaître la version des faits provenant d'un dirigeant d'un organisme qui a bénéficié du système de dons dont il est question dans ces appels.

[48] Monsieur Carignan est devenu membre de l'Univers du Rail Inc. en 1986 et est devenu membre du conseil d'administration de cette société en 1987. L'Univers du Rail Inc. possédait un genre de musée ferroviaire qui avait été établi à Charny en 1978. Cet organisme était composé de membres qui étaient des anciens employés des sociétés ferroviaires ou des « mordus » du chemin de fer. Entre 1978 et 1986, la source principale de financement provenait de la vente de pièces de monnaie, vente qui rapportait environ 4 000 $ ou 5 000 $ par année. En 1987, l'Univers du Rail Inc. acquérait deux wagons grâce à des fonds fournis par cinq membres.

[49] L'Univers du Rail Inc. est devenu un organisme de bienfaisance enregistré en 1987 lorsque monsieur Jacques Lamy, un administrateur et un ancien ingénieur du Canadien Pacifique Ltée, fut mis au courant de la possibilité que cet organisme puisse recevoir des dons et émettre des reçus pour fins fiscales. L'Univers du Rail Inc. pourrait ainsi avoir une plus grande envergure. D'après monsieur Carignan, bien qu'il fût administrateur à l'époque pertinente, c'est monsieur Alain St-Amand, le président de l'Univers du Rail Inc., qui s'est occupé de la demande d'enregistrement auprès des autorités fiscales.

[50] Monsieur Carignan a rencontré monsieur Levert en 1988 lors d'une visite de ce dernier à la résidence de monsieur St-Amand. C'est monsieur Levert qui les a informés que lui-même pouvait obtenir des dons pour l'Univers du Rail Inc. Monsieur Carignan a affirmé qu'une entente verbale fut conclue selon laquelle monsieur Levert solliciterait des dons pour l'Univers du Rail Inc. et que cet organisme recevrait dix pour cent de la valeur des tableaux. C'est monsieur Jacques Lamy qui a pris l'initiative de communiquer avec monsieur Levert. Monsieur Levert vendait des tableaux à des donateurs et non à l'Univers du Rail Inc. C'est monsieur Levert qui procédait à l'évaluation des tableaux.

[51] Monsieur Carignan a témoigné qu'il faisait entièrement confiance à monsieur Levert et se fiait à la brochure de Revenu Canada qui traitait de la légalité de faire des dons de bienfaisance. Personne à l'Univers du Rail Inc. n'avait des raisons de croire qu'il était illégal ou frauduleux de faire des dons jusqu'au moment où Revenu Canada informe la direction de l'Univers du Rail Inc. que cet organisme devrait normalement recevoir 90 pour cent du produit de la vente des tableaux. Monsieur Carignan a informé Revenu Canada que l'Univers du Rail Inc. ne recevait que dix pour cent de ce produit. Comme personne à l'Univers du Rail Inc. ne connaissait le domaine de l'art, les dirigeants de cet organisme avaient confié à monsieur Levert le côté financement des opérations relatives à l'acquisition d'oeuvres d'art. Monsieur Levert leur avait expliqué que le Guide Vallée était un répertoire de la juste valeur marchande des tableaux. Monsieur Carignan a affirmé qu'il croyait que les montants indiqués sur les reçus représentaient la juste valeur marchande des tableaux.

[52] Monsieur Carignan témoigne que les dirigeants de l'Univers du Rail Inc. auraient pu voir les tableaux qui étaient donnés à cet organisme s'ils l'avaient voulu. Monsieur Carignan s'est rendu à plusieurs reprises à la Galerie des Maîtres Anciens et n'aurait pas cependant pu identifier les tableaux qui ont été donnés à cet organisme. Les peintures données à cet organisme étaient entreposées à la Galerie des Maîtres Anciens parce que l'Univers du Rail Inc. n'avait pas de locaux adéquats pour les remiser. Il a ajouté que la Galerie des Maîtres Anciens faisait des ventes à l'encan à l'automne et une partie du produit de ces ventes à l'encan était acheminée à l'Univers du Rail Inc. Le nombre des dons de tableaux à cet organisme s'élevait à cinq ou six en 1987 pour augmenter à une trentaine quelques années plus tard.

[53] En janvier 1992, Revenu Canada a reproché aux dirigeants de l'Univers du Rail Inc. de ne pas avoir de contrôle sur leurs dons. Ces dirigeants ont alors décidé de louer un entrepôt chauffé où ils devaient entreposer toutes les peintures avant de les retourner à monsieur Levert à l'automne pour qu'elles soient vendues à l'encan. Ce plan de l'Univers du Rail Inc. ne s'est jamais concrétisé parce que Revenu Canada est venu prendre possession des peintures en février 1992 et les a remisées à la Gare maritime Champlain. Monsieur Carignan n'était plus alors président de l'Univers du Rail Inc. Les peintures ont été finalement retournées à l'Univers du Rail Inc. et ont été vendues au marché aux puces pour un prix dérisoire.

[54] Monsieur Carignan a relaté que pendant les années où il était l'un des dirigeants de l'Univers du Rail Inc., un policier a communiqué avec lui pour s'enquérir au sujet de la légalité des dons. Monsieur Carignan lui a alors indiqué que, d'après lui, tout était conforme à la loi. L'Univers du Rail Inc. n'a jamais émis de reçus frauduleux. Monsieur Carignan a admis avoir fait de la publicité à la télévision en novembre 1991 pour l'Univers du Rail Inc. et ainsi avoir sollicité avec succès des dons d'oeuvres d'art pour cet organisme. La révocation par Revenu Canada de l'enregistrement de l'Univers du Rail Inc. s'est faite en 1992.

[55] Monsieur Carignan déclare aussi que monsieur Levert lui indiquait ce qui devait être inscrit sur les reçus, à qui les reçus devaient être faits et à l'égard de quelles oeuvres d'art ces reçus se rapportaient. Durant une certaine période, les évaluations furent remises à l'Univers du Rail Inc. en même temps que certains autres documents relatifs à ces transactions. Plus tard, l'Univers du Rail Inc. devait demander qu'on lui remette les évaluations.

[56] Monsieur Carignan indique que l'Univers du Rail Inc. faisait entièrement confiance à monsieur Levert. Pendant deux ou trois ans, l'Univers du Rail Inc. a obtenu dix pour cent du produit de la vente des tableaux, comme il avait été convenu. Par la suite, la situation s'est détériorée.

[57] En s'appuyant sur les états financiers de l'Univers du Rail Inc., pour les années indiquées ci-après, le total des montants figurant sur les reçus, selon monsieur Carignan, s'établissait ainsi :

Années d'imposition      Reçus

1988      100 000 $

1989      250 000 $

1990      500 000 $

1991     1 000 000 $

Monsieur Carignan a aussi informé le tribunal que la vente des tableaux que l'Univers du Rail Inc. avait reçus en dons a rapporté les sommes suivantes pour les années ci-après mentionnées :

Années d'imposition    Sommes

1989    10 020 $

1989     5 000 $

1990    23 500 $

1991    15 400 $

Les reçus émis par l'Univers du Rail Inc. étaient habituellement remis à monsieur Levert. Monsieur Carignan a aussi déclaré qu'il ne connaissait pas les deux appelants.

[58] Monsieur Carignan a aussi expliqué que les premiers reçus émis par l'Univers du Rail Inc. n'indiquaient pas la mention de l'organisme de bienfaisance. Le nom de l'évaluateur, qui était monsieur Levert, ne figurait pas non plus sur les reçus. La formule des reçus fut modifiée après que monsieur Demers eut informé les dirigeants de l'Univers du Rail Inc. qu'elle n'était pas conforme.

[59] La déposition de monsieur Jacques Demers jette un éclairage sur la nature de l'enquête conduite par Revenu Canada et sur les éléments d'ordre factuel et juridique qui sous-tendent les cotisations émises à l'égard des appelants pour les années en cause.

[60] Monsieur Demers est agent des appels à Revenu Canada depuis avril 1994. Son poste précédent était celui d'enquêteur à la Section des enquêtes spéciales au même Ministère. Monsieur Demers s'est familiarisé avec les dossiers des appelants pour les années d'imposition 1986, 1987, 1988, 1989 et 1990.

[61] L'enquête qui fut menée par monsieur Demers a comporté trois phases. La phase I visait les années d'imposition 1986 et 1987, la phase II touchait les années d'imposition 1988, 1989 et 1990 et la phase III, les années d'imposition 1991 et 1992.

[62] Dans le cadre de la phase I, l'enquête visait les organismes de bienfaisance comme la Société protectrice des animaux, le Musée Louis-Hémon de Péribonka et le Musée Pierre-Boucher de Trois-Rivières. Le Ministère procéda à une enquête après qu'il se fut rendu compte qu'un stratagème fiscal avait été mis en place par des promoteurs, stratagème qui consistait à vendre des oeuvres d'art dont la valeur était gonflée à des musées aux fins de donations à des organismes de bienfaisance. Selon Revenu Canada, ce stratagème comportait spécifiquement la vente de reçus à 20 ou 25 pour cent des montants qui figuraient sur ces reçus. Les experts retenus par Revenu Canada ont établi que les évaluations des oeuvres d'art étaient démesurées.

[63] En ce qui concerne les cotisations pour les années d'imposition 1986 et 1987 à l'égard des contribuables qui avaient fait des dons pour ces deux années et qui avaient participé à la sorte d'arrangements décrits au paragraphe précédent, Revenu Canada a réduit la valeur des dons tout en reconnaissant qu'il y avait eu de véritables dons.

[64] Quant aux cotisations pour les années d'imposition 1988, 1989 et 1990, Revenu Canada a adopté la position qu'il y avait absence d'intention libérale au moment des dons en s'appuyant sur les décisions de cette Cour dans les affaires Guy Dutil c. R., et Réjean Gagnon c. R., toutes deux datées du 25 juillet 1991.

[65] Selon monsieur Demers, monsieur Levert était l'un des promoteurs qui étaient visés dans l'enquête. D'après lui, monsieur Levert vendait des oeuvres d'art à des prix qui représentaient généralement 20 pour cent des montants inscrits sur les reçus. Monsieur Demers croyait que les organismes de bienfaisance en question n'agissaient pas en pleine connaissance de cause et se faisaient manipuler par monsieur Levert. Le fait que monsieur Levert soit à la fois le vendeur des oeuvres d'art et l'évaluateur de ces mêmes oeuvres a fortement influencé monsieur Demers.

[66] Dans le cas de la phase II de l'enquête, Revenu Canada a ciblé les organismes de bienfaisance et a monté des dossiers sur des contribuables pour constituer une banque de données où devaient être consignés les reçus de charité, les preuves d'achat, les factures, les preuves de paiement et les chèques. Cette cueillette de données avait comme but de déterminer ceux qui faisaient partie du stratagème de vente de reçus pour fins fiscales et ceux qui étaient de véritables donateurs, c'est-à-dire ceux qui possédaient les oeuvres d'art depuis un certain nombre d'années. Dans le cas des véritables donateurs, Revenu Canada ne contesterait que la valeur des oeuvres d'art tandis que dans le cas des autres contribuables, Revenu Canada ne reconnaîtrait pas qu'il avait eu de véritables dons.

[67] D'après monsieur Demers, en s'appuyant sur les décisions Dutil et Gagnon, précitées, une distinction devait être faite entre les contribuables qui possédaient les oeuvres pendant un certain temps et en étaient donc les véritables propriétaires et les contribuables qui achetaient ces oeuvres pour fins de dons. Monsieur Demers a fait valoir le point de vue que pour faire une donation, il faut être propriétaire du bien, le détenir et avoir une intention libérale. Les cotisations dont appel s'appuient sur deux éléments, l'absence d'intention libérale et le fait que l'organisme ne devenait pas propriétaire des tableaux aux fins d'en disposer à sa guise. Revenu Canada mettait en doute l'opération selon laquelle monsieur Levert vendait les tableaux, qu'il était mandataire pour la consignation des tableaux aux fins de la revente et que les donateurs ne choisissaient pas les organismes de bienfaisance. Monsieur Demers a souligné qu'au cours de son enquête à partir de 1987 il n'est jamais arrivé qu'un donateur ait payé une oeuvre le montant qui était inscrit sur le reçu obtenu pour fins fiscales.

[68] Monsieur Demers a mentionné qu'il y a eu enquête dans le cas des dons faits à de la Fondation Amérindienne Tecumseh, la Société protectrice des animaux et l'Univers du Rail Inc.

[69] L'enquête impliquant la Fondation Amérindienne Tecumseh a pris fin à la suite du décès de monsieur Alain St-Laurent, son président. Quant à l'enquête portant sur l'Univers du Rail Inc., elle s'est terminée par révocation de son enregistrement comme organisme de bienfaisance. Aucune poursuite pénale ne fut prise contre l'un ou l'autre de ces trois organismes. Aucun organisme de bienfaisance ne fut cotisé en vertu de la Partie V de la Loi qui établit un impôt dans certaines circonstances à l'égard d'un organisme de bienfaisance dont l'enregistrement est révoqué.

[70] Monsieur Demers témoigne qu'à la suite de son enquête relative à la Fondation Amérindienne Tecumseh, il était venu à la conclusion que les prix des oeuvres d'art étaient basés sur des reçus non officiels, numérotés (qu'on avait pu obtenir dans une papeterie), où étaient indiqués « le numéro du dossier, le genre de système qui avait été vendu et le prix de vente » . Les évaluations sur la base desquelles les reçus étaient émis pour fins fiscales avaient été obtenues à la suite d'une rencontre ultérieure de monsieur Demers avec monsieur St-Laurent.

[71] Monsieur Demers relate qu'à la suite de sa demande, monsieur St-Laurent de la Fondation Amérindienne de Tecumseh, lui avait fourni 50 reçus, le livre de procès-verbaux de cet organisme, les dossiers des donateurs qui ne contenaient pas cependant les évaluations. Les oeuvres d'art n'étaient plus disponibles chez la Fondation lors de sa vérification. En août 1991, monsieur Demers a examiné les livres comptables de la Fondation et a noté qu'en 1988, 50 reçus avaient été émis pour une valeur globale de 373 984 $, qu'en 1989, 108 reçus avaient été remis pour une valeur de 731 158 $ et qu'en 1990 des reçus avaient été fournis pour une valeur totale de 1 728 593,57 $.

[72] Monsieur Demers a obtenu des renseignements de monsieur Guy Drolet, de la section des Enquêtes spéciales de Revenu Canada, qui avait été mandaté par son Ministère pour mener une enquête qui a porté sur la Galerie des Maîtres Anciens, six mois après la vérification qui avait été faite à l'Univers du Rail Inc. Ces renseignements lui ont permis de constater qu'il avait un lien entre la Galerie des Maîtres Anciens et la Fondation Amérindienne Tecumseh. Monsieur Demers a en effet associé certaines factures de ventes de la Galerie des Maîtres Anciens à des reçus de la Fondation Amérindienne Tecumseh. Les factures de ventes de la Galerie des Maîtres Anciens pour l'année 1988 visaient des oeuvres d'art qui avaient fait l'objet de dons à la Fondation Amérindienne Tecumseh et avaient été vendues à des prix représentant 25 pour cent des montants indiqués sur les reçus. Monsieur Demers n'a pu obtenir les factures de la Galerie des Maîtres Anciens pour les années 1989 et 1990. Monsieur Demers ajoute à ce sujet que les démarches pour obtenir de la documentation concernant la vente d'oeuvres d'art de la Galerie des Maîtres Anciens, n'ont pas porté fruit. Des demandes péremptoires de production de documents ont été faites par Revenu Canada mais elles n'ont pas eu de succès. Des accusations ont été portées par la suite contre les entités propriétaires de la Galerie des Maîtres Anciens et de la Tourelle, Maison d'encans, et monsieur Levert en sa qualité d'administrateur de ces entités. Des condamnations pour destruction de documents ont été prononcées par le tribunal.

[73] Quant à l'enquête relative à l'Univers du Rail Inc., elle a débuté à l'automne 1989. Dans le cadre de cette enquête, monsieur Demers a rencontré messieurs Alain St-Amand et Julien Carignan respectivement président et gérant de cet organisme. L'état des résultats de cet organisme pour l'année se terminant le 31 décembre 1988 montre un revenu de 10 000 $ au poste de ventes à l'encan. Monsieur St-Amand informe monsieur Demers qu'il existait une entente verbale selon laquelle les oeuvres d'art données à l'Univers du Rail Inc. devaient être vendues à des prix qui ne devaient pas être inférieurs à dix pour cent des valeurs indiquées sur les reçus. Cet arrangement constituait une source de financement pour l'Univers du Rail Inc. C'est monsieur Levert qui recrutait les donateurs d'oeuvres d'art pour l'Univers du Rail Inc. et les dirigeants de cette dernière société ne les rencontraient pas. Monsieur Levert fournissait les reçus et les évaluations au nom de la Galerie des Maîtres Anciens.

[74] Monsieur Demers a aussi fait état du fait qu'une demande péremptoire et certaines autres démarches furent faites auprès de l'Univers du Rail Inc. Malgré ces initiatives, il a obtenu peu de renseignements de cet organisme. En particulier, monsieur Demers n'a pu voir aucun des tableaux qui furent donnés à l'Univers du Rail Inc. lorsqu'il a fait une visite des lieux.

[75] Monsieur Demers a aussi établi un lien entre les factures de la Galerie des Maîtres Anciens et l'Univers du Rail Inc. Ce dernier organisme a émis 14 reçus le même jour, soit le 7 décembre 1988. Les évaluations étaient toutes datées du 7 décembre 1988. Les montants sur toutes les factures de biens acquis par les appelants, y compris celles concernant plusieurs autres contribuables, représentaient le même pourcentage de 25 pour cent des montants figurant sur les reçus.

[76] Durant le mois d'août 1991, monsieur Demers a rencontré de nouveau monsieur Julien Carignan et ce dernier lui a remis les états financiers des années 1989, 1990 et 1991 de l'Univers du Rail Inc. Monsieur Demers a fait le bilan au niveau des reçus émis par cet organisme en 1988. Il a conclu qu'en 1988, 34 reçus ont été émis pour une valeur globale de 207 200 $ et que la contrepartie figurant aux états financiers de cet organisme à l'époque était de 10 000 $, montant qui représente quatre pour cent des montants reçus. Quant à l'année 1989, monsieur Demers a constaté que 39 reçus avaient été émis pour une valeur globale de 215 895 $ et que la contrepartie figurant aux états financiers était de 10 020 $, soit quatre pour cent de la valeur des montants figurant sur les reçus. Finalement, pour l'année 1990, monsieur Demers a noté que 59 reçus avaient été fournis pour une valeur totale de 621 394 $ et que la contrepartie reçue par l'organisme en question était de 23 500 $, ce qui représente trois pour cent des montants figurant sur les reçus.

[77] Les appelants Amédée Duguay et Diane L. Duguay avaient réclamé pour les années d'imposition 1986 et 1987 un crédit d'impôt pour dons. Les évaluations des biens donnés par les appelants aux fins du crédit d'impôt avaient été préparées par monsieur Michel Champagne.

[78] Après une perquisition effectuée aux musées Louis-Hémon et Pierre-Boucher, Revenu Canada a procédé à une réévaluation et a révisé à la baisse les évaluations fournies par monsieur Champagne. Cette enquête de Revenu Canada a mené à des accusations de conspiration qui ont été portées contre messieurs Michel Champagne et Marc Levert.

[79] Monsieur Demers affirme que du point de vue de Revenu Canada il devait y avoir réévaluation des dons puisque le prix de disposition des oeuvres d'art dans les ventes à l'encan représentait davantage la juste valeur marchande. Il ajoute que dans le cas de la vente à l'encan de la Société protectrice des animaux, il y avait eu une campagne publicitaire et cette vente était connue du public. Il mentionne toutefois que pour l'année 1986, il y a eu des évaluations par des experts dont on a tenu compte.

[80] Monsieur Demers a souligné que la position de Revenu Canada a été modifiée à la suite des jugements dans les affaires Dutil et Gagnon, précitées. Monsieur Demers a retracé à l'Univers du Rail Inc. une évaluation en date du 7 décembre 1988 faite par la Galerie des Maîtres Anciens pour les dons faits par les appelants pour l'année d'imposition 1988. Cette évaluation ne portait pas un nota bene certifiant que tous les renseignements sont véridiques et représentent la juste valeur marchande et raisonnable du bien en question.

[81] Ainsi, pour 1988, le Ministère avait des documents qui démontraient que toutes les opérations se sont faites simultanément, à savoir la facture de vente à 25 pour cent de l'évaluation, l'évaluation elle-même et l'émission du reçu. Le ministère a constaté que les appelants traitaient avec une tierce partie sans lien de dépendance et qu'une telle transaction était illogique, ce qui l'a amené à croire qu'il y avait une entente au préalable. Même après la lettre indiquant l'intention du ministère de réviser à la baisse les montants représentant la valeur des dons, les deux appelants ont tout de même procédé à une deuxième transaction laquelle ne comportait qu'une différence à savoir que l'évaluation et le promoteur était la même personne, soit monsieur Levert.

[82] Pour ce qui en est de l'année d'imposition 1989, les deux appelants avaient joint à leurs déclarations de revenu un reçu de la Fondation Amérindienne Tecumseh, numéro 80 en date du 13 novembre 1989. Aucun gain en capital n'a été déclaré au niveau des bijoux, ni au niveau des biens à usage personnel ni au niveau des biens personnels désignés.

[83] Pour l'année d'imposition 1990, furent produits deux reçus de la Société protectrice des animaux portant le numéro 9423, en date du 15 octobre 1990 pour 6 750 $ ainsi que celui portant le numéro 9424 du 15 octobre 1990 pour 3 000 $. Les deux reçus portent la mention « oeuvre d'art évaluée » . Aucun gain ne fut déclaré.

[84] À la suite d'une demande de renseignements, l'appelant Amédée Duguay a fait parvenir le 2 mars 1992 la facture de la Galerie des Maîtres Anciens du 7 décembre 1988 concernant l'achat d'une aquarelle de Jean-Paul Lemieux et l'évaluation de la Galerie des Maîtres Anciens de la même date. Aucun nota bene ne figure sur la facture. On retrouve également un reçu du 24 février 1992 qui certifie une vente d'oeuvres d'art à l'automne 1990 d'une valeur de 9 750 $ pour la somme de 2 437,50 $. Un autre reçu daté du 24 février 1992, signé par monsieur Gilles Bouchard indique qu'il a vendu un lot de bijoux d'une valeur de 11 640 $ pour la somme de 2 910 $ à l'appelant Amédée Duguay durant l'année 1989. Aucune preuve de paiement n'accompagnait cette lettre. On retrouvait également une liste évaluant 65 articles en date du 8 novembre 1989. Aucune pièce justificative n'a été fournie. Monsieur Demers a expliqué le fait que monsieur Bouchard était tenu de vendre à cause des difficultés financières relatives à son divorce l'amenait à conclure qu'il ne s'agissait pas d'un marché libre. De plus, il a mentionné que, selon lui, lorsque des personnes qui transigent entre elles n'ont pas un lien de dépendance, le prix fixé devrait être normalement représentatif de la valeur marchande. Il a ajouté toutefois ce qui suit :

... Mais si la transaction est tellement simultanée qu'on ne peut conclure autrement que la facture c'est un prétexte; le tableau c'est prétexte à l'émission de charité. Puis on ne peut conclure autre chose qu'une entente au préalable pour que la transaction soit payante fiscalement.

[85] En ce qui concerne les dons pour l'année d'imposition 1990 à la Société protectrice des animaux, monsieur Demers s'est rendu compte que dans le cas des transactions avec monsieur Bouchard les paiements faits par les appelants représentaient toujours 25 pour cent des montants indiqués sur les reçus.

[86] Le document de l'onglet 44 de la pièce I-1 indique que l'appelant Amédée Duguay aurait fait, compte tenu de l'avantage fiscal et du prix d'achat des biens en question, pour les années d'imposition en litige ci-après mentionnées, les gains suivants :

2 130 $    1988

1 583 $    1989

2 700 $ 1990

Les gains calculés sur la même base pour l'appelante Diane L. Duguay pour les années d'imposition ci-après indiquées auraient été les suivants :

1 839 $ 1988

1 541 $    1989

[87] Le témoignage de monsieur Gilles Bouchard contient certains éléments d'information qui sont pertinents.

[88] Monsieur Gilles Bouchard a été policier à la Sûreté du Québec pendant 31 ans. Il connaissait les appelants puisqu'ils ont acheté de lui des objets d'art et des bijoux. Monsieur Bouchard et l'appelant Amédée Duguay se sont connus dans le cadre de leur travail puisqu'ils étaient collègues à la Sûreté du Québec et ont travaillé ensemble durant les années 1988 à 1989 à l'escouade de surveillance physique.

[89] Monsieur Bouchard explique que lui et son épouse avaient collectionné des bijoux pendant plusieurs années. Ils se procuraient des bijoux dans les marchés aux puces, dans les bijouteries et de particuliers. Quant aux objets anciens, ils les obtenaient chez des particuliers, collectionneurs ou antiquaires. En fait, lorsque monsieur Bouchard et sa conjointe ont divorcé en 1989, monsieur Bouchard avait vendu toute sa collection à monsieur Levert pour ensuite la racheter au complet.

[90] Monsieur Bouchard était connu par ses collègues comme étant un collectionneur d'objets rares et de bijoux. Étant donné que ce dernier et l'appelant Amédée Duguay passaient beaucoup de temps ensemble à faire de la surveillance, il est arrivé à quelques reprises qu'ils discutaient d'oeuvres d'art ou de bijoux. C'est à partir de ces discussions qu'ils abordent la question de dons à des organismes de bienfaisance. D'ailleurs, les deux avaient fait des dons durant les années 1986 et 1987. Monsieur Bouchard avait rencontré monsieur Levert en 1986 qui lui avait expliqué comment il pouvait effectuer des dons à partir de ses propres biens. Monsieur Bouchard raconte qu'il avait des objets d'une valeur suffisante pour faire des dons au cours des deux prochaines années, les années 1987 et 1988 et qu'il pourrait vendre quelques objets à l'appelant Amédée Duguay pour qu'il puisse faire des dons à des organismes de bienfaisance.

[91] En ce qui concerne les bijoux, monsieur Bouchard raconte qu'il a rencontré monsieur Daniel Rood de la Fondation Amérindienne Tecumseh et le directeur du Musée Coaticook. C'est monsieur Bouchard qui a fait la démarche auprès de la Fondation puisqu'il désirait donner certains objets. Dans le cas des bijoux, il a fait le nécessaire pour que le prix de vente à l'appelant Amédée Duguay représente le quart du montant de l'évaluation. Après la conclusion des arrangements avec l'appelant Amédée Duguay au sujet de cette vente, monsieur Bouchard a communiqué avec la bijouterie Fortuna pour que l'évaluation soit faite au nom de l'appelant Amédée Duguay. Monsieur Bouchard témoigne qu'il est allé lui-même porter les bijoux à la bijouterie; d'autre part, c'est monsieur Bouchard qui aurait acquitté les frais d'évaluation.

[92] Monsieur Bouchard explique qu'il a vendu les bijoux et certains autres objets à 25 pour cent du montant de leur évaluation puisqu'il avait besoin de liquidités à cette époque-là, car il devait payer les honoraires d'avocats relatifs à son divorce. S'il avait vendu les bijoux à la pièce, il témoigne qu'il aurait pu recevoir la pleine valeur. Monsieur Bouchard affirme qu'il n'était pas intéressé à se déplacer dans une autre région pour faire ces dons et que la Fondation Amérindienne Tecumseh se trouvait dans la région de la ville de Québec. D'ailleurs, elle acceptait ce genre de dons. C'est même monsieur Bouchard qui est allé porter les objets à la Fondation puisque les appelants lui auraient indiqué qu'ils ne voulaient pas s'occuper de livraison.

[93] À la demande d'agents de Revenu Canada, monsieur Bouchard a certifié avoir vendu les bijoux à l'appelant Amédée Duguay et il leur a communiqué le prix de vente et la valeur des bijoux. Le paiement du prix a été réglé par chèque.

[94] En ce qui concerne les tableaux, monsieur Bouchard explique qu'ils les a obtenus de monsieur Marc Levert. Comme ce dernier les achetait en grande quantité il pouvait avoir de meilleurs prix. Par la suite, il pouvait revendre à un profit plus élevé. Il aurait vendu ces tableaux pour des fins de dons en 1989.

[95] En ce qui concerne l'année 1990, monsieur Bouchard offre de vendre des tableaux à l'appelant Amédée Duguay qui désirait par la suite les donner. Monsieur Bouchard lui suggère la Société protectrice des animaux. Monsieur Bouchard fixe le prix de vente à 25 pour cent du montant de l'évaluation. Monsieur Bouchard a fait faire l'évaluation. Le choix de la Société protectrice des animaux était un choix parmi plusieurs autres organismes de bienfaisance. C'est également monsieur Bouchard qui s'est occupé de la livraison des tableaux à la Société protectrice des animaux. Dans ce cas, l'évaluation fut faite par monsieur Levert.

[96] Monsieur Bouchard a participé à l'encan de la Société protectrice des animaux où il a acheté plusieurs tableaux, entre autres, un Bernard à 100 $, un Gisèle Leclerc à 350 $ qui avait été évalué à 2 008 $, puis un autre à 145 $ qui était évalué à 1 200 $. D'autre part, on apprend que l'encanteur fut nul autre que monsieur Levert qui faisait également les évaluations. On apprend également que monsieur Bouchard a acheté des tableaux qu'il avait vendus l'année précédente à un dénommé Bergeron et à l'appelant Amédée Duguay. Il explique qu'il se présentait aux encans et voulait acheter des lots. Donc, il se pouvait que les mêmes tableaux qui avaient été l'objet de dons à un organisme de bienfaisance puissent se retrouver dans les lots de tableaux qu'il achetait.

[97] Le témoignage de monsieur Yvon Millard, conservateur au développement du Musée de Québec, apporte des éclaircissements sur l'onglet II de la pièce I-1 datée du 7 décembre 1988 et signée par monsieur Levert.

[98] Ce document a trait à une aquarelle de Jean-Paul Lemieux qui aurait été examinée et certifiée par monsieur Moreau de la galerie ainsi que par le Musée du Québec. Monsieur Millard témoigne qu'il n'a pas pu retracer une proposition de don de cette oeuvre au Musée dans les procès-verbaux, ses notes personnelles ou dans un dossier quelconque du Musée. Il a précisé qu'aucune proposition formelle n'a été adressée au Musée par un vendeur ou donateur quelconque. Il a également témoigné que monsieur Michel Champagne était employé par le Musée du Québec comme conservateur jusqu'en 1989 et était habilité à faire des évaluations. De façon plus précise, monsieur Champagne était conservateur de l'art moderne dont la période s'étend de 1880 à 1940. En ce qui concerne l'artiste Jean-Paul Lemieux, il chevauche entre la période moderne et la période contemporaine. Monsieur Millard témoigne que monsieur Champagne aurait été compétent pour identifier une peinture de Jean-Paul Lemieux. Toutefois, on apprend que monsieur Champagne était responsable du volet peintures et sculptures de l'art moderne, alors que son collègue, monsieur Denis Martin, était celui qui était responsable des oeuvres sur papier. En l'espèce, il s'agissait d'un tableau de Jean-Paul Lemieux sur papier.

[99] La déposition de monsieur Jean Nadeau, le directeur des opérations à la Société protectrice des animaux, comporte certains aspects intéressants.

[100] Monsieur Nadeau occupe ce poste depuis l'automne 1985. Monsieur Nadeau a reconnu certains documents relatifs à un encan dans le cadre d'une campagne de financement pour le compte de la Société protectrice des animaux. C'est monsieur Levert qui a procédé aux évaluations des objets qui furent mis en vente. Il fut également l'encanteur.

[101] Monsieur Nadeau témoigne que les tableaux portant les numéros 133 et 134 se sont vendus à 400 $ et 425 $ respectivement. Il mentionne aussi qu'un tableau de Hilpert s'est vendu à 190 $ alors qu'il était évalué à 1 200 $. Un autre tableau de Hilpert évalué à 1 500 $ s'est vendu à 180 $.

[102] Monsieur Nadeau explique aussi que la principale source de revenu de la Société protectrice des animaux au cours des années en litige provenait plutôt des dons du public, appelés « dons refuges » et des ententes avec les municipalités, la Société faisant office de fourrières municipales. Les dons du public pouvaient s'élever à 50 pour cent des recettes totales d'environ 800 000 $ par année.

[103] Le tribunal a appris qu'aux enchères annuelles d'octobre 1990, 159 toiles ont été vendues. Le prix minimum était de l'ordre de dix à 30 pour cent de la valeur des tableaux; il avait été établi en conformité de l'entente entre la Société protectrice des animaux et monsieur Levert. À cet encan d'octobre 1990, les recettes se sont établies à 42 770 $.

[104] La Cour a aussi eu l'avantage d'entendre la déposition de monsieur David Kelsey, un encanteur chez Pinney's. Monsieur Kelsey a indiqué que cette maison fait deux ventes par catalogue par année. La liste de prix qui est utilisée fait état des prix des ventes aux encans. Pour ces objets, il s'agit d'un marché de revente alors que le prix dans une galerie d'art est un prix de détail. Il est possible que les prix dans les galeries soient plus élevés que les prix aux encans. La pratique courante dans cette industrie est d'établir le prix minimum à 15 pour cent ou 20 pour cent plus bas que le prix auquel on estime pouvoir vendre le tableau en question. Monsieur Kelsey a ajouté que le prix minimum n'est pas toujours connu et que certains objets d'art n'ont même pas un prix minimum.

[105] Monsieur Kelsey a reconnu une peinture de Jean-Paul Lemieux qui figurait dans le catalogue de juin 1989. Le consignateur était la Galerie des Maîtres Anciens. Le prix minimum établi par le vendeur était de 2 800 $. Elle ne s'est pas vendue à une importante vente à l'encan où le nombre de personnes présentes à cet encan était estimé à 400 et où le pourcentage des peintures vendues était de l'ordre de 65 à 70 pour cent. La meilleure enchère n'avait pas atteint le prix minimum.

[106] Finalement, madame Claire Lizotte, une gemmologue professionnelle, a donné sa déposition comme témoin expert. Elle est propriétaire de la bijouterie Fortuna depuis 1983. Elle détient un diplôme reconnu internationalement en gemmologie de la F.C.G.M.A.

[107] Elle a fait une évaluation de bijoux à la demande de monsieur Jacques St-Laurent. Ce dernier était un client régulier de la bijouterie Fortuna où il faisait réparer des bijoux. Elle a fait une évaluation de bijoux pour fins de dons à un organisme de bienfaisance comme il est indiqué dans l'en-tête de son évaluation. L'évaluation a été faite en suivant la procédure habituelle (poids, identification du métal, qualité du produit). Madame Lizotte a déterminé que, dans certains cas, les bijoux étaient anciens et dans d'autres cas ils ne l'étaient pas. Dans le cas de bijoux anciens qui ne sont pas faits à la chaine, on doit leur attribuer une plus grande valeur.

[108] Madame Lizotte explique qu'elle en est arrivée à une évaluation de 500 $ pour la boîte à bijoux. Elle a tenu compte de l'apparence et du poids. La boîte était en argent massif. Le poids était de 249 grammes et le prix coûtant de l'argent régulier est de 1,50 $ à 2,00 $ le gramme.

[109] Le deuxième objet portait sur une bague en argent. Cette bague contenait du quartz fumé, une pierre naturelle. Dans ce cas, elle avait une forme navette et un poids de 6.74 grammes. La valeur du quartz est à peu près 10,00 $ du gramme. Donc, elle en arrive à 75,00 $ pour la bague en tenant compte de l'argent de la bague et de la pierre. Madame Lizotte a également expliqué que les bijoux étaient usagés, mais pas abîmés. L'argent était terni mais pas autrement endommagé.

[110] Madame Lizotte et monsieur St-Laurent se sont entendus sur un prix de 100 $ pour les services relatifs à cette évaluation. Madame Lizotte a fait la facture relative à ses services au sujet de l'évaluation au nom de l'appelant Amédée Duguay à la demande de monsieur St-Laurent.

[111] Monsieur Whetstone, un antiquaire depuis 1970 et un évaluateur professionnel a témoigné à titre d'expert. Après ses études à l'université, monsieur Whetstone est devenu joaillier. Il a aussi étudié la gemmologie (pierres de couleur et diamants) au Gemmological Institute of America. Il est aussi membre accrédité de l'International Society of Appraisers.

[112] Monsieur Whetstone a accumulé dans ces différents domaines une expérience professionnelle considérable. Depuis 1980, il a fait au moins 400 évaluations.

[113] Comme la montre, la boîte en argent et les bijoux n'étaient pas disponibles pour examen, monsieur Whetstone s'est appuyé notamment sur le rapport de madame Claire Lizotte du 13 juin 1997 et sur le témoignage de cette dernière à l'audience.

[114] Monsieur Whetstone a exprimé l'avis que les marchés les plus pertinents eu égard aux biens en cause étaient les marchés aux puces et les magasins d'antiquités. Le critère, d'après lui, pour établir le marché le plus approprié de bijoux d'occasion est celui où les ventes de bijoux semblables à ceux qui nous concernent actuellement sont les plus nombreuses.

[115] Dans son rapport d'expert, monsieur Whetstone a donné une définition élaborée de la juste valeur marchande. Monsieur Whetstone a déterminé que les bijoux d'occasion en cause étaient des bijoux bas de gamme.

[116] Monsieur Whetstone était aussi d'avis que le rapport de madame Lizotte, qui est une gemmologiste, n'était pas complet et ne contenait pas suffisamment de détails pour permettre une évaluation valable.

[117] Monsieur Whetstone a estimé que le temps requis pour faire l'évaluation de tout le lot de bijoux en cause serait de deux à trois jours à raison de six heures par jour.

[118] Monsieur Whetstone a évalué la boîte en argent à un montant se situant entre 250 $ et 300 $ sur le marché de la revente. Il a évalué la montre à un maximum de 50 $. Quant à l'évaluation de l'ensemble du lot de bijoux, il l'a établie à 3 500 $. Il a ajouté toutefois qu'un négociant vendrait probablement tout le lot au complet pour 2 000 $.

Prétentions des appelants

[119] Dans leurs actes de procédures, les appelants allèguent qu'ils ont effectué des donations d'oeuvres d'art et de bijoux durant les années d'imposition en question. Ils prétendent notamment qu'un reçu pour fins d'impôt pour chacun des dons a été émis par des organismes de bienfaisance en leur faveur. Ces organismes de bienfaisance étaient détenteurs d'un numéro d'enregistrement officiel et étaient habilités à émettre des reçus pour les fins de la Loi de l'impôt sur le revenu.

[120] Dans les mêmes actes de procédure, on a fait valoir que des experts qualifiés en la matière ont estimé la valeur des oeuvres d'art et des bijoux ayant fait l'objet de dons pour les années en cause aux montants figurant aux certificats d'évaluation et que ces montants mentionnés dans les certificats d'évaluation correspondent à la juste valeur marchande des oeuvres d'art et des bijoux.

[121] Les appelants s’opposent, notamment dans leurs actes de procédure, à ce que leur soient imposées des pénalités en vertu du paragraphe 163(2) de la Loi de l’impôt sur le revenu puisqu’ils n’ont, en aucune façon ni aucune circonstance, fait sciemment ou dans des circonstances qui justifient l'imputation d'une faute lourde, un faux énoncé ou une omission dans leurs déclarations de revenu et dans tout autre écrit qui est mentionné.

[122] Dans la plaidoirie de l'un des avocats des appelants, il a été souligné au sujet du marché des oeuvres d’art qu'il est différent parce qu’on peut s’approvisionner de différentes manières, à différents endroits et à différents prix. On a soutenu que les appelants ont profité d’un avantage fiscal parce qu’ils ont transigé avec des vendeurs de peintures qui étaient prêts à renoncer à une partie substantielle de leur profit pour créer un volume de transactions qui leur permettrait de trouver leur compte. Les commerçants de tableaux, comme monsieur Levert, ont tout simplement passé leur escompte de professionnels à leurs clients. Donc, quand les clients donnaient des peintures à des organismes de bienfaisance, ils faisaient alors un profit. On a ajouté, pour le compte des appelants, qu’ils achetaient des biens de consommation au prix du gros, presque au prix coûtant et quand ils faisaient des dons ils utilisaient le prix du marché.

[123] Pour les appelants, on a aussi fait valoir qu'en ce qui concerne les tableaux, ils ont d'abord été identifiés par monsieur Levert qui les a vendus aux appelants. Il y a alors eu transfert du droit de propriété d'un bien pour un prix en argent. Par la suite, est intervenu un contrat de donation. Dans le cas des appelants, il y eu contrat entre deux personnes, le donateur, c’est-à-dire chaque appelant et le donataire, c’est-à-dire l’organisme de bienfaisance en question. Entre ces parties, il y a eu transfert du droit de propriété d’un bien et il n’y a eu aucune contrepartie versée par l’organisme qui a reçu le bien.

[124] L’un des avocats des appelants s’est référé à ce sujet à la décision de The Queen v. Lagueux & Frères Inc.,74 DTC 6569. Cette décision enseigne que pour déterminer les conséquences fiscales qui s’appliquent à une transaction, il faut déterminer sa nature, sous l’angle du droit civil. Le fait que les donateurs aient pu retirer de ces transactions un avantage pécuniaire accessoirement est sans conséquence parce que les donataires n’ont pas versé de contrepartie.

[125] On s'est référé aussi aux décisions de cette Cour dans l’affaire The Queen v. Construction Bérou, 96 DTC 6177 et R. Francoeur c. Canada, [1993] 2 C.T.C. 2440. Pour le compte des appelants, on s'est appuyé particilièrement sur le passage suivant de la décision de la Cour d’appel fédérale dans l’espèce The Queen v. Friedberg, 92 DTC 6031, à la page 6033:

It is clear that it is possible to make a "profitable" gift in the case of certain cultural property. Where the actual cost of acquiring the gift is low, and the fair market value is high, it is possible that the tax benefits of the gift will be reater than the cost of acquisition. A substantial incentive for giving property of cultural and national importance is thus created through these benefits. But not every gift will be found to benefit from these provisions.

[126] La Cour d’appel fédérale, souligne l’un des avocats des appelants, mentionne que le système de donations de biens culturels « est conçu pour produire un avantage fiscal plus grand que celui qui existe pour la simple donation » mais ce sont les circonstances qui produisent l’avantage.

[127] Il a été indiqué qu’en vertu de l’article 69 de la Loi, il y a disposition à la juste valeur marchande des biens qui sont donnés. Ainsi les appelants auraient réalisé un gain en capital provenant de leurs dons, lequel gain pourrait être exonéré.

[128] Il a été également souligné qu’en ce qui concerne le marché de l’art, contrairement à d’autres marchés, il a une source d’approvisionnement assez stable d’oeuvres d’art pour des prix inférieurs à leur juste valeur marchande et les appelants ont bénéficié de cette circonstance.

[129] Dans le cas des appelants, Monsieur Levert connaissait bien le marché et savait comment s’approvisionner en oeuvres d’art. Il les achetait à bon marché et les vendait rapidement à un bas prix et les acheteurs effectuaient des dons. Monsieur Levert y trouvait son compte même s’il vendait à un prix qui comportait une marge bénéficiaire inférieure.

[130] Le présent cas, selon les avocats des appelants, ressemble à celui de l’arrêt Friedberg, précité, en ce que les donateurs pouvaient réaliser un avantage pécuniaire provenant de leurs dons à des organismes de bienfaisance.

[131] Selon les appelants, il y a une intention mixte dans ces donations mais en ce qui concerne chaque donateur et donataire, l’intention est pure et elle respecte les dispositions de l’article 1806 du Code civil du Québec.

[132] En ce qui a trait au caractère factuel des transactions, on a porté à l’attention de la Cour que les appelants comprenaient ce qu’ils faisaient. Les appelants savaient qu’ils achetaient en particulier des peintures pour un prix moins élevé que leur juste valeur marchande car monsieur Levert en particulier leur avait fourni des explications à ce sujet. Les appelants avaient vérifié les prix dans le Guide Vallée. Ils connaissaient la provenance de leurs peintures et des bijoux. Ils se rendaient compte qu’ils profitaient d’une aubaine. Les appelants ne pouvaient croire qu’il était illégal de participer aux transactions dont il est ici question.

[133] L'un des avocats des appelants a fait état de la décision du juge Mogan de cette Cour dans l’affaire Whent v. R., [1996] 3 C.T.C. 2542 où il s'agissait d'avocats qui avaient acheté un inventaire assez considérable de peintures.

[134] Au sujet de la juste valeur marchande des tableaux, les appelants ont pris la précaution de s’assurer que les reçus qu’on leur émettait n’étaient pas émis pour un montant supérieur à la juste valeur marchande des oeuvres d’art en question. Ils ont obtenu des évaluations des peintures qui confirmaient le principe des transactions dans lesquelles ils s’étaient engagés. De plus, la question d’évaluation indépendante est tout simplement une affaire d’appréciation. On a argué qu’il n’est écrit nulle part dans la loi qu’il faut que l’évaluateur n’ait aucun intérêt d’aucune manière dans l’évaluation d’un bien.

[135] Concernant la juste valeur marchande des oeuvres d’art, les appelants soutiennent que l’intimée a offert peu de preuve sur la question. Certains témoins de l’intimée ont retenu, comme une indication de la juste valeur marchande, les ventes aux encans. À ce sujet, les parties ont des divergences fondamentales. Les appelants prétendent que le marché dans les galeries est celui qui est le plus habituel et c’est celui qui doit être retenu comme marché représentant la juste valeur marchande d'une oeuvre d'art. Le marché le plus important est celui des galeries. On ajoute que très peu de personnes « possèdent l’assurance, le temps ou l’intérêt de suivre » les encans. C’est un marché très marginal. Tous les témoins sont unanimes sur ce point. Le Guide Vallée est un répertoire de prix en galeries avant tout. C’est le marché en galeries qui représente le plus fidèlement la définition de la juste valeur marchande.

[136] Les appelants ont soutenu que le ministre du Revenu national par son comportement a donné toutes les raisons de croire aux appelants qu’ils étaient justifiés de faire des dons dans la mesure où ils s’assuraient que la valeur des biens était exacte pour les fins du reçu. Tout le litige, selon eux, est une question d’évaluation.

[137] À l’égard de la question des pénalités, les appelants font valoir que le ministre du Revenu national a eu un comportement inacceptable. On fait état de la correspondance de monsieur Levert et cela a créé un lien indirect entre les clients de monsieur Levert et le ministre du Revenu national. La situation n’est pas différente de celle d’un autre promoteur d'abris fiscaux qui aurait obtenu une décision anticipée avant de mettre en exécution ses transactions. Les appelants n’acceptent pas la position de l’intimée qui a vu un stratagème dans ces transactions à savoir l’achat de reçus. Cette prétention du ministre du Revenu national implique que les appelants n’ont pas acheté des peintures ou des bijoux. Selon les appelants, il a été démontré hors de tout doute qu’il y avait eu achat des biens donnés et qu’il y avait eu donation de ces mêmes biens. Personne n’a acheté des reçus pour fins fiscales et les appelants n’ont pas obtenu de contrepartie ou quoi que ce soit des organismes accrédités.

[138] Il importe de noter que pour les années d'imposition 1988 et 1989, les biens avaient été achetés conjointement par les deux appelants. De plus, l'appelant Amédée Duguay n’a pas effectué les transactions avec monsieur Levert mais plutôt avec un collègue de travail, monsieur Gilles Bouchard, quant à l'acquisition d'une collection de bijoux que ce dernier était prêt à vendre lorsque cette collection aura été évaluée. Par la suite, madame Lizotte a évalué les bijoux selon les règles de l’art. Une entente est conclue entre l'appelant Amédée Duguay et monsieur Bouchard selon laquelle monsieur Bouchard a accepté de vendre les bijoux aux appelants pour 25 pour cent du montant de leur évaluation. C’était la première fois que madame Lizotte faisait une évaluation pour fins de don. Après avoir été payé par les appelants, monsieur Bouchard a remis les bijoux à la Fondation Amérindienne Tecumseh et cette dernière a émis un reçu qui correspondait à la juste valeur marchande des bijoux selon l’évaluation de madame Lizotte.

[139] En conclusion, sur la question des pénalités, le comportement des appelants n'est pas celui de gens qui ont grossièrement été négligents. La conduite des appelants n'est pas différente de celle de milliers de contribuables qui utilisent toutes sortes d'abris fiscaux. L'un des avocats des appelants s'est référé à un passage des notes sténographiques du 20 mai 1997, du témoignage de l'appelant Amédée Duguay, à la page 102, où ce dernier s'exprime ainsi :

Même si le ministère faisait des vérifications pour mes dons en 86, 87 j’ai donné en 88 et les années suivantes parce que j’ai vérifié au ministère la légalité de la transaction et ma seule préoccupation était l’évaluation, était la valeur.

Prétentions de l'intimée

[140] Pour le compte de l’intimée, on a tout d’abord soutenu qu’il n’y a pas eu de la part des appelants de véritables dons au cours des trois années d'imposition en litige.

[141] Après s’être référée aux éléments essentiels à l’existence d’un don, l’une des avocates de l’intimée a plaidé, comme il appert des notes soumises au tribunal, à l'appui de sa plaidoirie, que le premier élément essentiel à la donation, l’intention libérale de la part du donateur n’existait pas au motif que les appelants dans le cas actuel n’ont acquis les biens et n'ont accepté de payer pour ces biens que conditionnellement à ce que ces biens soient immédiatement ou quasi-simultanément l’objet d’une donation à un organisme de bienfaisance pour un montant quatre fois supérieur au prix payé, dans l’unique but d’obtenir un avantage fiscal. Sur ce point, l’intimée s’est appuyée sur les décisions du juge Dussault de cette Cour dans les affaires Guy Dutil c. R., et Réjean Gagnon c. R., C.C.I., toutes deux datées du 25 juillet 1991 et de la décision de la Cour d’appel fédérale dans l’affaire The Queen v. Friedberg, 92 DTC 6031. La décision du juge Mogan de cette Cour dans la cause Whent v. The Queen, [1996] 3 C.T.C. 2542 et la décision du juge Archambault également de cette Cour dans l’espèce Paradis c. R., [1997] 2 C.T.C. 2557 ont été aussi mentionnées.

[142] De l’examen de la preuve relative à l’absence d’intention libérale, les faits démontrent, selon l’intimée, que la seule intention des appelants était de réduire leurs impôts grâce à des reçus pour dons de bienfaisance et qu’ils n’avaient aucune intention de nature philanthropique liée à cette intention de réduire leurs impôts. Selon l’intimée, le supposé don est assujetti à l’obtention d’un avantage fiscal. Pour le compte de l’intimée, on a mis l’accent sur les éléments suivants qui sont déduits de la preuve :

1. les tableaux en cause n’étaient pas choisis par les appelants mais par monsieur Levert en ce qui concerne l'année d'imposition 1988;

2. les appelants n’ont pas choisi les organismes présumés donataires et n’ont fait aucune démarche auprès de ces organismes;

3. les prix convenus pour les biens en question représentaient 25 pour cent des montants figurant sur les reçus pour les années d'imposition 1988, 1989 et 1990.

[143] L’intimée a aussi soutenu que la délivrance de choses mobilières, qui constitue un autre élément essentiel au don manuel, lorsque la donation n’est pas constatée par acte notarié, n’a pas eu lieu parce qu’il n’y a pas eu ici remise physique du bien au donataire, lequel donataire doit être mis en possession de façon non équivoque.

[144] Au sujet de la délivrance et de la possession des tableaux et des bijoux, l'intimée s'appuie notamment sur les éléments suivants de la preuve :

1. en ce qui a trait à l'année 1988, les appelants ne sont pas allés livrer les tableaux à l’Univers du Rail Inc. et l’Univers du Rail Inc. n’a jamais eu physiquement les tableaux. Le représentant de l’Univers du Rail Inc., monsieur Carignan, n’a jamais vu les tableaux. Cette possession est d'autant plus équivoque en l'espèce, que vis-à-vis de monsieur Guy Gagnon, monsieur Levert s'est déclaré propriétaire du tableau en janvier 1989, et que vis-à-vis des Encans Pinney's, la Galerie des Maîtres Anciens s'est déclarée propriétaire en avril 1989;

2. pour ce qui concerne l'année 1989, monsieur Demers a témoigné que, lors des vérifications faites en 1989 et 1991 des opérations de la Fondation Amérindienne Tecumseh, les biens donnés par les appelants n'étaient plus sur les lieux. Selon le président de cet organisme, monsieur St-Laurent, ils auraient été revendus;

3. concernant l'année 1990, les tableaux en cause de l'artiste Fielding Downes ne figurent pas sur le catalogue de la vente aux enchères de la Société protectrice des animaux du 28 octobre 1990. D'après monsieur Jean Nadeau, le directeur des opérations de la Société protectrice des animaux, il est possible que les tableaux aient été ajoutés par la suite au moment de la vente. De fait, les tableaux en cause de Fielding Downes ont été vendus le 28 octobre 1990. Par contre, ajoute l'intimée, bien que les tableaux de Joseph Hilpert doivent faire partie de la vente aux enchères du 28 octobre 1990 de la Société protectrice des animaux, on n'en trouve pas trace ni lors de cette vente ni par la suite, comme l'a indiqué monsieur Nadeau.

[145] Quant aux biens qui ont été prétendument donnés à la Fondation Amérindienne Tecumseh, la preuve démontre, selon l’intimée, que lorsque monsieur Jacques Demers est allé vérifier sur place en mars 1989, il n’a trouvé qu’un local vide. Les reçus étaient gardés chez le comptable et il n’y avait aucune évaluation disponible lorsque monsieur Demers est allé voir le comptable en mars 1989. Monsieur Saint-Laurent n’a fourni ensuite que des dossiers ne contenant aucun élément d'information et a prétendu que tous les biens avaient été revendus. « Les seules ventes identifiées ne correspondaient alors qu’à 11 pour cent du montant des reçus » . Les acheteurs n’étaient pas non plus identifiés. Dans ses notes, à l'appui de sa plaidoirie pour l'intimée, on a ajouté ce qui suit :

Monsieur Demers a fait une nouvelle vérification en août 1991. Très peu d’évaluations étaient disponibles et, selon monsieur Saint-Laurent, tous les biens avaient été revendus. Le total des ventes indiquées aux états financiers, ne représentait que deux à trois pour cent du montant indiqué sur les reçus.

[146] De ces éléments, l’intimée a conclu qu’il n’y eu aucune délivrance des biens en cause aux organismes de bienfaisance en question. En particulier, la possession des biens que monsieur Levert aurait pu avoir pour le compte de l’Univers du Rail Inc. était une possession équivoque dans les circonstances.

[147] Pour l’intimée, on a attiré l’attention de la Cour sur le paragraphe 118.1(2) de la Loi qui prévoit qu’aucun don ne peut être réclamé s’il n’est pas attesté par un reçu contenant les renseignements prescrits, présenté au ministre du Revenu national. Les renseignements prescrits sont énoncés au paragraphe 3501(1) du Règlement de l’impôt sur le revenu et le paragraphe 3501(6) du même Règlement ajoute que tout reçu dans lequel la date de réception du don, l’année du don ou le montant du don est inexact doit être considéré comme gâché. L’intimée a fait valoir que l’existence d’un reçu ne confère pas un droit au crédit d’impôt pour dons, si le contenu du reçu est inexact ou incomplet. À cet égard, l’avocate de l’intimée a formulé les remarques suivantes, que je reproduis, sans les notes infrapaginales :

1. Le reçu de l'Univers du Rail Inc. du 7 décembre 1988 n'indique pas l'adresse de l'Univers du Rail Inc. Il n'y a pas l'adresse des appelants. Il n'y a ni le nom, ni l'adresse de l'évaluateur, alors même qu'il y en avait un : Monsieur Levert. Il n'indique pas quand le don a été reçu.

2. Le reçu numéro 80 de la Fondation Amérindienne Tecumseh du 13 novembre 1989 ne mentionne ni le nom, ni l'adresse de l'évaluateur, bien qu'il soit fait mention de l'existence d'une évaluation. Il n'indique pas quand le don a été reçu.

3. les reçus numéro 9423 et numéro 9424 du 15 octobre 1990 de la Société protectrice des animaux mentionnent la réception de sommes de 3 000 $ et 6 750 $ respectivement, alors qu'aucune somme n'a été versée. La mention au bas du reçu « oeuvre d'art évaluée » n'est complétée ni par une description, même sommaire, de l'oeuvre d'art en question, ni par une indication du nom et de l'adresse de l'évaluateur. La date de réception des « oeuvres d'art » n'est pas indiquée. L'adresse de l'organisme n'est pas indiquée non plus.

[148] De ce qui précède, l’intimée a tiré la conclusion que comme les reçus ne contiennent pas tous les renseignements prescrits, à supposer qu’il s’agisse de véritables dons, ceux-ci ne peuvent pas être inclus dans le total des dons en application du paragraphe 118.1(2) de la Loi.

[149] Comme l'un des moyens principaux, l’intimée a prétendu aussi que les montants inscrits sur les reçus ne reflétaient pas les valeurs des biens en cause.

[150] L’intimée s’est référée à la décision de la Cour fédérale du Canada dans l’affaire Henderson Estate c. M.R.N., 73 DTC 5471, quant à la définition de la juste valeur marchande. À la lumière de cette décision, on s'est particulièrement appuyé sur la méthode de la parité. Aux fins de la détermination de la valeur d'un bien, on a aussi commenté sur le prix d’achat payé par le propriétaire du bien.

[151] Au sujet du Guide Vallée, l’intimée, dans ses notes soumises en même temps que la plaidoirie, s’est exprimée ainsi :

174. Les prix affichés dans des guides comme le Guide Vallée, ne constituent pas nécessairement des prix de ventes réels.

175. Le Guide Vallée est un instrument de publicité, dans lequel n’importe qui peut acheter une pleine page couleur, contre une somme de 300 $ (selon M. Guy Gagnon) à 400-500 $ (selon M. Jules Harvey).

176. Ce guide ne tient pas compte de la période à laquelle les oeuvres ont été exécutées, ni du sujet traité par l’artiste, ni de la qualité intrinsèque des oeuvres, ni de leur état de conservation. Les prix sont basés sur un calcul au pouce carré, qui ne fait pas les distinctions qui s’imposent (témoignage de M. Rinfret).

177. De plus, ce genre de guide n’est pas fiable, car les renseignements qui y sont contenus ne sont pas contrôlés. Il arrive que des artistes, ou des agents d’artistes, surévaluent le prix affiché des oeuvres, avec l’espoir que le marché suivra. Le cas de Lionel Fielding Downes en est la meilleure illustration. Les faits prouvés relatifs à cet artiste montrent combien les prix réels de vente ne correspondent pas aux prix indiqués dans le Guide Vallée. Il faut donc vérifier, dans chaque cas, si l’information est ou non exacte, comme l’a indiqué à plusieurs reprises M. Rinfret.

[152] La plaidoirie pour le compte de l'intimée a aussi touché à l’importance à accorder pour fins d’évaluation aux ventes en galerie et aux ventes aux enchères.

[153] Au sujet des ventes en galerie, l’intimée a mis de l’avant ce qui suit : « si le marché identifié par l’expert est celui en galerie pour un artiste donné, encore faut-il que l’expert identifie clairement les galeries en question, les tableaux comparables dans ces galeries, et que l’expert ait vérifié si ces galeries ont vendu réellement aux prix qu’elles affichaient ces tableaux comparables. Il est possible que les tableaux récents ou nouveaux d’un artiste vivant se vendent plus chers en galerie, si l’artiste est représenté par cette galerie » .

[154] Concernant les ventes aux enchères, on lit notamment ce qui suit dans les notes soumises par l’intimée :

179. Si le marché identifié par l’expert est celui des enchères pour un artiste donné (marché de revente), les index qui répertorient les ventes (tels le Canadian Art Sales Index ou l’Annuaire des Cotes International Bordas) ainsi que les factures de vente des salles de vente constituent une preuve objective de ces ventes.

180. À supposer qu’il y ait, dans ces index, des ventes aux enchères fictives pour mousser les ventes d’un artiste, comme l’a laissé entendre M. Levert, encore faut-il prouver que ce soit le cas pour les artistes en cause. Il semble en fait douteux que ce le soit, car les prix des enchères seraient alors beaucoup plus élevés (témoignage de M. Rinfret). M. Kelsey a indiqué, lors de son témoignage le 22 mai 1997, que les Encans Pinney’s ne permettaient pas aux vendeurs d’enchérir sur leurs propres tableaux, c’était contraire à la loi.

[155] L’intimée a tenu pour acquis lors de l'émission des cotisations que la valeur des oeuvres d’art et des bijoux déclarée par les appelants ne reflétaient pas leur juste valeur marchande. L’intimée a aussi retenu lors des cotisations dont appel que monsieur Levert, dans la mesure où il avait évalué les tableaux en cause, n’était pas un expert indépendant. Cette conclusion, selon l’intimée, se fonde sur la façon d’agir de monsieur Levert durant les années 1985, 1986 et 1987 « où un barème systématique de 20 ou 25 pour cent entre le montant payé par les contribuables et le montant des évaluations à la base des reçus de dons pour fins fiscales avait été constaté » . Une surévaluation systématique des biens décrits dans les reçus utilisés pour fins fiscales avait été notée par des experts indépendants retenus par Revenu Canada.

[156] Au sujet de monsieur Levert, il a été fait mention que monsieur Levert a plaidé coupable après un long procès à des accusations d’avoir volontairement éludé le paiement de l’impôt sur le revenu pour les années 1986 et 1987 en permettant à un certain nombre de contribuables, dont les appelants, de déduire de leurs déclarations de revenu des dons de tableaux surévalués. Monsieur Levert a été aussi reconnu coupable de ne pas avoir déclaré les revenus provenant de ses transactions avec des « donateurs » pour les années 1985, 1986 et 1987. L’intimée a aussi souligné que monsieur Levert manquait d’objectivité. « Selon monsieur Levert, le montant à payer par ses clients était déterminé à l’avance : 25 pour cent de la valeur du Guide Vallée ou de la valeur du bien en galerie » . Monsieur Levert oppose le marché en galerie au marché aux enchères. Il tient pour acquis que les tableaux de n'importe lequel artiste pourrait se vendre en galerie. Il retient aussi que les prix suggérés par le Guide Vallée constituent, sans autre vérification, des prix de vente réels en galerie. Selon l'intimée, « ce faisant, il propose des valeurs complètement artificielles qui n’ont rien à voir avec le marché réel » . L'intimée fait sien le commentaire de monsieur Rinfret, un témoin expert pour le compte de l'intimée, qui indique qu'il s’agit plutôt de situer le marché pour un artiste donné et pour une oeuvre donnée : est-ce en galerie, ou est-ce aux enchères, aux marchés aux puces, ou ailleurs? À l’intérieur de ce marché-là, il faut voir s’il y a des ventes réelles comparables, ce que monsieur Levert n’a pas fait. On a aussi fait mention pour le compte de l'intimée que monsieur Levert et la Galerie des Maîtres Anciens Inc. « ont été reconnus coupables de destruction volontaire de documents pour les années d'imposition de la galerie se terminant le 31 mars 1989, le 31 mars 1990, le 31 mars 1991 et le 31 mars 1992 » .

[157] L'intimée a prétendu que monsieur Levert n'était pas un expert indépendant eu égard à son intérêt personnel dans certaines transactions auxquelles les appelants ont été parties.

[158] Au sujet de l'affirmation de monsieur Levert, selon laquelle le prix de vente à l’encan ne se rapprocherait de la juste valeur marchande, ou ne la dépasserait, qu’occasionnellement, l'intimée a fait le commentaire suivant : « cette affirmation est fondée sur une prémisse fausse, voulant que le prix de vente aux enchères n'est jamais la juste valeur marchande. C’est ignorer complètement le marché de la revente, dans un but qui n’est que trop évident : justifier des surévaluations systématiques » .

[159] L'appelant Amédée Duguay a continué de traiter avec monsieur Levert pour l'obtention d'un reçu pour 1988. Il s'est rendu au comptoir de Revenu Canada avec monsieur Levert en 1988. Il n'a toutefois pas expliqué au fonctionnaire de Revenu Canada, dont il ne se souvient pas du nom, que monsieur Levert était non seulement son vendeur, mais aussi l'évaluateur et la personne s'occupant de lui fournir un reçu. Il n'a pas expliqué toutes les circonstances de l'affaire. Il aurait obtenu la brochure de 1986 « Dons en nature » du Ministère du Revenu national, lors de cette rencontre, mais admet ne pas l'avoir vraiment étudiée. L'appelante Diane L. Duguay n'a pas non plus lu la brochure de façon attentive.

[160] Selon l'intimée, dans ses notes de plaidoirie, l'appelant Amédée Duguay « a fait preuve de faute lourde, voire d'aveuglement volontaire, en continuant annnée après année, durant cinq ans, à conclure le même type de transaction simultanée; paiement de 25 pour cent contre un reçu fiscal, peu importe l'organisme et les biens, et en ne voulant pas voir, dans le cas de monsieur Levert, que l'évaluateur n'était pas indépendant. Le tout, sans faire de vérifications plus sérieuses quant à la valeur des biens, alors que son métier de policier à la section des crimes économiques aurait dû les lui dicter » .

[161] D'après l'intimée, l'appelante Diane L. Duguay, enseignante, a également fait preuve de faute lourde, en cherchant à obtenir pendant quatre années de suite des reçus fiscaux dans les mêmes circonstances. Son mari la tenait au courant de ses démarches ainsi que des montants des reçus et des montants à payer. Elle payait sa part de ces montants.

Analyse

[162] Des prétentions des appelants et de l’intimée, il est manifeste qu’il y a trois questions principales en litige :

1. est-ce que les appelants ont fait ou non des donations des biens en cause ou encore s’il s’agit d’un trompe-l’oeil?

2. à supposer qu’il s’agisse de véritables dons, est-ce que la valeur attribuée par les appelants dans leurs déclarations de revenu à chacun des biens qui furent donnés représente leur juste valeur marchande?

3. est-ce que le ministre du Revenu national a, en application du paragraphe 163(2) de la Loi, validement imposé les pénalités aux appelants pour les années d’imposition 1988, 1989 et 1990?

[163] Il faut d’abord considérer la première question, à savoir si les appelants dans les circonstances ont fait don des biens en question à l'Univers du Rail Inc., à la Fondation Amérindienne Tecumseh et la Société protectrice des animaux.

[164] Comme il a été nettement établi dans la décision Lagueux & Frères, il faut en premier lieu déterminer, à la lumière du Code civil du Bas-Canada, la nature des opérations intervenues entre les appelants et les organismes qui ont été avantagés. Il faut se référer alors aux articles 755 et 776 de l’ancien Code civil qui se lisent ainsi :

Art. 755. La donation entre vifs est un acte par lequel le donateur se dépouille à titre gratuit de la propriété d'une chose, en faveur du donataire dont l'acceptation est requise et rend le contrat parfait. Cette acceptation la rend irrévocable, sauf les cas prévus par la loi, ou une condition résolutoire valable.

[...]

Art. 776. Les actes portant donations entre vifs doivent être notariés et porter minute, à peine de nullité. L'acceptation doit avoir lieu en la même forme.

Cependant la donation de choses mobilières, accompagnées de délivrance, peut être faite et acceptée par acte sous seing privé, ou par convention verbale.

Sont exemptées de la forme notariée les donations validement faites hors du Québec.

Comme cette Cour l’a indiqué dans l’affaire Paradis c. R., précitée, trois conditions essentielles sont requises pour l’existence d’une donation, à savoir l’intention libérale, la remise du bien et l’acceptation par le donateur.

[165] Quant à la première condition, je partage entièrement le point de vue du juge Archambault dans l’affaire Paradis selon lequel cette question doit se décider strictement dans le cadre de la relation juridique établie entre chacun des appelants et l’organisme qui devait bénéficier des dons en question. La preuve est claire ici que chacun des appelants n’a pas reçu de contrepartie sous quelque forme que ce soit de l’organisme à qui les biens étaient donnés. Il n’importe pas, à mon point de vue, que la motivation principale de chacun des appelants ait été l’obtention d’un avantage fiscal. Cette approche a été confirmée dans une certaine mesure, au moins, par la décision de la Cour d’appel fédérale dans l’affaire The Queen v. Friedberg, 92 DTC 6031. Le passage suivant de ce jugement à la page 6032 est particulièrement intéressant :

Thus, a gift is a voluntary transfer of property owned by a donor to a donee, in return for which no benefit or consideration flows to the donor (see Heald, J. in The Queen v. Zandstra [74 DTC 6416] [1974] 2 F.C. 254, at p. 261.) The tax advantage which is received from gifts is not normally considered a "benefit" within this definition, for to do so would render the charitable donations deductions unavailable to many donors.

L’obtention du reçu de la part de l’organisme bénéficiaire ne peut être considérée comme une contrepartie bien que la production du reçu soit nécessaire pour avoir droit au crédit d’impôt pour les dons. Le reçu est simplement, dans les circonstances, l'attestation d'un fait matériel, la réception du bien qui est désigné par l'organisme en question. Je suis donc d’avis que les appelants possédaient l’intention libérale requise à l’égard des oeuvres d’art et des bijoux destinés aux organismes concernés. En effet, les appelants étaient propriétaires des oeuvres d'art et des bijoux avant de les donner. Cette question n’a pas été contestée. Le poids de la preuve établit que les appelants ont laissé, dans certains cas, à monsieur Levert et, dans d'autres cas, à monsieur Bouchard, la faculté de choisir l’organisme de bienfaisance qui bénéficierait des dons en question.

[166] Après un examen soigneux de la preuve, j'ai conclu que les tableaux et les bijoux dont il est question dans ces appels ont été suffisamment déterminés et qu'ils sont devenus la propriété des organismes concernés. Quand aux biens donnés en 1988 leur possession par l'organisme concerné s'est faite par l'intermédiaire de monsieur Levert. Le poids de la preuve établit que monsieur Levert détenait un double mandat. Pour l'année d'imposition 1988, il agissait à la fois pour les appelants qui, comme donateurs, acceptaient de transférer le tableau en cause à l'organisme de bienfaisance choisi par monsieur Levert et pour le donataire qui confiait à monsieur Levert la possession du bien en question. Le témoignage de monsieur Carignan, un témoin tout à fait crédible, m'a persuadé que le tableau en question a été donné à l'Univers du Rail Inc.

[167] En ce qui concerne le don de bijoux fait par les appelants à la Fondation Amérindienne Tecumseh j'ai déduit, après un examen attentif des témoignages des appelants, de madame Lizotte et de monsieur Demers, qu'il est probable que ces bijoux ont été donnés par les appelants à la Fondation Amérindienne Tecumseh. Monsieur Bouchard a agi comme mandataire des appelants et de la Fondation. Il a joué un rôle semblable pour l'année d'imposition 1990 dans le cas des tableaux qui ont été donnés à la Société protectrice des animaux. Monsieur Levert est celui qui avait procédé à l'évaluation des tableaux en question.

[168] Même si je suis d'avis, comme je l'expliquerai plus loin dans ces motifs, que les appelants ont fait preuve d'une négligence marquée à l'égard de leurs obligations fiscales, je ne crois pas que la doctrine du trompe-l'oeil s'applique ici. Les appelants avaient réellement l'intention de faire des dons à des organismes de bienfaisance et ils ont réellement fait des dons même si, en ce faisant, ils ont pu faire preuve de négligence en utilisant des reçus portant sur des évaluations démesurées aux fins d'obtenir le crédit d'impôt pour dons de bienfaisance.

[169] J’aborde maintenant la deuxième question relative à la juste valeur marchande des biens donnés aux organismes, l'Univers du Rail Inc., la Fondation Amérindienne Tecumseh et la Société protectrice des animaux.

[170] Cette notion de la juste valeur marchande a été considérée par les tribunaux, notamment dans l’arrêt Henderson Estate and Bank of New York v. M.N.R., 73 DTC 5471. Le passage qui suit à la page 3476 me paraît bien pertinent :

[Traduction] La Loi ne donne aucune définition de l'expression « juste valeur marchande » . Je ne pense pas qu'il faille chercher à définir exactement l'expression employée dans la Loi. Dans son sens courant, me semble-t-il, cette expression désigne le prix le plus élevé que le propriétaire d'un bien peut raisonnablement s'attendre à en tirer s'il le vend de façon normale et dans le cours ordinaire des affaires, le marché n'étant pas soumis à des pressions inhabituelles et étant constitué d'acheteurs disposés à acheter et de vendeurs disposés à vendre, qui n'ont pas entre eux aucun lien de dépendance et qui ne sont en aucune façon obligés d'acheter ou de vendre. J'ajouterais que cette interprétation, exprimée de façon générale, comprend ce que j'estime être l'élément essentiel, soit un marché libre de toutes restrictions où le prix est établi par le jeu de la loi de l'offre et de la demande entre des acheteurs et des vendeurs avertis et désireux d'acheter et de vendre.

   [Je souligne.]

[171] Tout d’abord, j’attache peu de poids aux évaluations de monsieur Levert. En ce qui concerne le don des appelants fait durant l'année 1988, il est partie à toutes les opérations. En ce qui concerne les tableaux donnés par les appelants à la Société protectrice des animaux, c'est monsieur Levert qui vend les tableaux à monsieur Bouchard et les évalue pour ce dernier. Les reçus fournis aux appelants sont basés sur ces évaluations. Monsieur Levert avait un intérêt à ce que ces ventes soient conclues.

[172] Dans sa déclaration de revenu pour l'année d'imposition 1988, l'appelant Amédée Duguay, aux fins du crédit d'impôt pour dons de bienfaisance, a fixé à 8 000 $ la valeur de sa part du tableau de Jean-Paul Lemieux acheté conjointement avec l'appelante Diane L. Duguay. Cette dernière a établi à 7 000 $ à la valeur de sa part de ce tableau. Les appelants ont donc estimé à 15 000 $ la valeur de ce tableau au moment de son acquisition. L'ensemble de la preuve relative à la valeur de ce tableau, après avoir considéré notamment les témoignages de monsieur Levert et de monsieur Guy Gagnon m'amène à conclure que sa valeur ne devait pas dépasser 3 000 $. La valeur de la part de ce tableau pour l'appelant Amédée Duguay est donc de 8/15 de 3 000 $. La valeur de la part de ce tableau pour l'appelante Diane L. Duguay est de 7/15 de 3 000 $.

[173] Quant à l'année d'imposition 1989, les appelants dans leurs déclarations de revenu, pour les fins du crédit d'impôt sur les dons, ont chacun estimé à 5 820 $ la valeur de leur part de bijoux donnés à la Fondation Amérindienne Tecumseh. Quant à la valeur de ces bijoux, qui comprennent à part les bijoux proprement dits, une montre et une boîte en argent, je ne retiens pas l'opinion exprimée par madame Lizotte qui est une experte en gemmologie, c'est-à-dire en identification de pierres. Je suis d'accord avec l'intimée que madame Lizotte n'est pas une experte en matière d'évaluation de bijoux usagés. Elle n'avait ni l'expérience, ni la formation voulue. Elle a semblé attribuer à ces bijoux une valeur de remplacement. Quant à l'expert de l'intimée, il a travaillé comme antiquaire, évaluateur et joaillier. De façon générale, j'accepte son approche. Tout compte fait, je détermine que ces bijoux, y compris la montre et la boîte en argent, avaient une valeur d'environ 3 000 $ à l'époque pertinente. La valeur de la part de chacun des deux appelants est ainsi établie à 1 500 $.

[174] Pour ce qui est des dons faits par l'appelant Amédée Duguay pour l'année d'imposition 1990 à la Société protectrice des animaux, ce dernier leur a attribué, dans sa déclaration de revenu, une valeur de 9 750 $. Il s'agit de deux huiles 16 po x 20 po de Fielding Downes. Monsieur Levert a évalué chacun de ces tableaux à 3 000 $ pour des fins d'assurance, à la demande de monsieur Bouchard. D'après monsieur Rinfret, témoin expert de l'intimée, on retrouve peu de tableaux de cet artiste en galerie. Le marché des enchères est celui où l'on retrouve la majorité des tableaux de cet artiste. Tout compte fait, je fixe à 400 $ la valeur de chacun de ces tableaux à l'époque pertinente.

[175] L'intimée, dans ses notes à l'appui de sa plaidoirie dans le cadre de la deuxième question telle que libellée par elle, a aussi soulevé la question de la non-conformité des reçus avec la Loi de l'impôt sur le revenu et le Règlement de l'impôt sur le revenu. Ce moyen n'a toutefois pas été soulevé dans la Partie B décrivant les questions en litige des Réponses modifiées aux avis d'appel dans les deux dossiers en litige.

[176] Je ne ferai que quelques observations.

[177] Tout d'abord, le paragraphe 118.1(2) de la Loi édicte la non-inclusion de dons qui ne sont pas attestés par un reçu (présenté au ministre) qui contient les renseignements prescrits. C'est le paragraphe 3501(1) du Règlement de l'impôt sur le revenu qui précise les renseignements qui doivent figurer sur le reçu. Ce paragraphe mentionne notamment que tout reçu officiel doit indiquer des renseignements sous dix rubriques distinctes. D'autre part, le paragraphe 3501(4) du même Règlement prévoit le cas où un reçu officiel est délivré pour remplacer un reçu officiel délivré antérieurement. Finalement, le paragraphe 3501(6) de ce décret dispose qu'une formule de reçu officiel qui contient des mentions inexactes ou illisibles à l'égard de trois types de renseignements seulement doit être considérée comme gâchée.

[178] Il semble que les dispositions précitées du Règlement de l'impôt sur le revenu permettent, du moins dans certains cas, de remplacer un reçu qui est inexact, illisible ou peut-être même incomplet.

[179] À tout événement, je ne me crois pas tenu de me prononcer sur cette question.

[180] Il me reste à considérer la question des pénalités imposées par le ministre du Revenu national aux deux appelants par les cotisations pour les années d’imposition 1988 et 1989 et également pour l'année d'imposition 1990 dans le cas de l'appelant Amédée Duguay.

[181] Pour le compte des appelants, on a notamment souligné les faits suivants :

a) les appelants ont été informés qu’ils pouvaient réduire leur impôt en faisant des dons d’objets d’art à des organismes de bienfaisance enregistrés par l’intermédiaire d’une conseillère financière de leur banque, madame Aline Tremblay, en qui ils avaient confiance. Madame Tremblay a mis les appelants en contact avec monsieur Levert. Il a été expliqué aux appelants que monsieur Levert pouvait acheter des peintures lors de ventes à l’encan dans des lots de faillite ou de ventes privées à des prix très avantageux. Madame Tremblay a aussi expliqué aux appelants que les évaluations sur lesquelles les reçus étaient fondés avaient été préparées par des personnes compétentes, selon des critères professionnels et en se référant à des livres spécialisés;

b) les appelants, nonobstant cette révision à la baisse des dons effectués par les appelants en 1986 et 1987 par les cotisations du ministre du Revenu national, ont fait des dons en 1989 et 1990. Ils ont été rassurés par monsieur Levert que toutes les évaluations étaient bien fondées. Les représentants de Revenu Canada avaient indiqué que seule la valeur des dons était contestée.

[182] Du côté de l'intimée on a fait valoir notamment les éléments suivants de la preuve :

a) dans le cadre de leur enquête sur le Musée Louis-Hémon et sur le Musée Pierre-Boucher, deux enquêteurs de Revenu Canada ont rencontré l'appelant Amédée Duguay à son bureau le 2 septembre 1987. Selon le mémoire d'entrevue, l'appelant Amédée Duguay ne voulait pas dire combien il avait payé. Après discussion, il a indiqué avoir payé 4 000 $ pour lui et pour son épouse, entre avril et septembre 1986. Il s'agissait d'un retrait bancaire, selon lui, mais l'appelant Amédée Duguay a refusé de montrer ses comptes en banque. Il a refusé de faire une déclaration sous serment : « Des déclarations j'en prends, je n'en signe pas » . L'appelant Amédée Duguay prétend avoir rencontré les enquêteurs pas longtemps après la perquisition qui a été menée par Revenu Canada au Musée Louis-Hémon de Péribonka. Or, la saisie a eu lieu en 1988, selon monsieur Demers;

b) nonobstant les cotisations du 16 décembre 1988 dans le cas de l'appelante Diane L. Duguay et du 13 janvier 1989 dans le cas de l'appelant Amédée Duguay, l'appelant Amédée Duguay continue de faire affaires avec monsieur Levert pour l'obtention d'un reçu pour 1988. L'appelant Amédée Duguay serait allé au comptoir de Revenu Canada avec monsieur Levert en 1988. L'appelant Amédée Duguay n'a pas expliqué toutefois au préposé, dont il ne se souvient pas le nom, que monsieur Levert était non seulement son vendeur, mais aussi l'évaluateur et la personne s'occupant du reçu. Il n'a pas expliqué toutes les circonstances de l'affaire;

c) pour 1989 et 1990, l'appelant Amédée Duguay fait affaires non plus avec monsieur Levert mais avec un collègue de travail, monsieur Gilles Bouchard, policier à la filature. Aucune vérification n'a été faite par l'appelant Amédée Duguay. Monsieur Bouchard s'occupait de tout : de choisir les organismes, de lui fournir des reçus et des évaluations, contre un paiement de 25 pour cent du montant indiqué sur le reçu. Aucune facture n'est faite par monsieur Bouchard à l'égard des biens acquis par l'appelant Amédée Duguay, quoique l'ait prétendu l'appelant Amédée Duguay. Aucun gain en capital n'est déclaré ni pour 1989, ni pour 1990. C'étaient les reçus qui intéressaient les appelants Amédée Duguay et Diane L. Duguay, et rien d'autre;

d) les appelants Amédée Duguay et Diane L. Duguay ne recherchaient pas une aubaine, à savoir acheter des biens à bon compte même s'ils semblaient croire que la valeur de ces biens était supérieure à leur coût. Ils cherchaient uniquement l'avantage fiscal, sans avoir la moindre idée des biens en question, sans faire un minimum de recherche à ce sujet.

[183] De l'ensemble de la preuve, le comportement des appelants m’a persuadé qu’ils ont fait preuve d’une insouciance marquée ou tout au moins d’une négligence grave à l’égard de leurs obligations fiscales. Il me semble qu’en particulier après la rencontre de l’appelant Amédée Duguay avec les enquêteurs de Revenu Canada les appelants auraient dû réexaminer leur position à l’égard des autorités fiscales. Ils auraient dû s'interroger sur la véritable nature des arrangements en vertu desquels ils obtenaient des reçus pour fins fiscales pour des montants quatre fois supérieurs aux prix des oeuvres d’art en question qu’ils venaient tout juste d’acquérir. Cet élément, à lui seul, de l’écart si considérable entre les prix des tableaux payés par les appelants et les montants figurant sur les reçus émis pour fins fiscales, prétendument représentant la juste valeur marchande au même moment de ces tableaux, me porte à croire que les appelants savaient ou auraient dû savoir s’ils avaient été attentifs à leurs obligations fiscales, que les montants inscrits sur les reçus étaient gonflés ou démesurés de façon significative et ne représentaient pas la juste valeur marchande des tableaux en question. Le rôle de monsieur Levert, dans le cas particulièrement du don fait pas les appelants en 1988, à toutes les étapes de cette transaction et le rôle de monsieur Bouchard à l'égard des dons faits en 1989 et 1990 auraient dû créer des soupçons sérieux chez les appelants. Le choix des organismes de bienfaisance a été fait à toutes fins pratiques par monsieur Levert et monsieur Bouchard et l’absence totale d’intérêt de la part des appelants comme donateurs aux organismes bénéficiaires de leurs dons constituent d'autres éléments étranges et inusités reliés aux transactions dont il s'agit. De façon générale, le manque de collaboration avec les autorités fiscales lorsqu’on leur a demandé de fournir des preuves d’achat et de paiements relatifs aux oeuvres d’art en question me persuade aussi que les appelants pouvaient croire que leur conduite n’était pas sans reproche.

[184] Je conclus donc que l’imposition de pénalités par le ministre du Revenu national était bien fondée. Les montants de ces pénalités doivent être rajustés pour tenir compte de la valeur des dons établie dans ces motifs de jugement.

[185] Pour ces motifs, les appels des cotisations pour les années d’imposition 1988, 1989 et 1990 dans le cas de l'appelant Amédée Duguay et pour les années d'imposition 1988 et 1989 quant à l'appelante Diane L. Duguay sont admis et les cotisations sont déférées au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelles cotisations sur la base que les appelants ont droit à la déduction prévue par l’article 118.1 de la Loi de l’impôt sur le revenu au titre de dons en tenant compte de la valeur des dons établie dans ces motifs.

[186] Les dépens seront adjugés plus tard à la suite d’une audition commune aux présents appels et aux appels dans les dossiers Alain Côté (92-2773(IT)G), Louise Marcoux (93-3160(IT)G) et François Langlois (92-1124(IT)G et 94-3007(IT)G). Le mode et la date d’audition commune portant sur la question des dépens seront déterminés en consultation avec les avocats des parties.

Signé à Ottawa, Canada, ce 13e jour de novembre 1998.

« Alban Garon »

J.C.C.I.

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