Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date: 19990723

Dossier: 98-1914-GST-I

ENTRE :

KELLY ROSANNE STRACHAN,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Hamlyn, C.C.I.

[1] L’appelante, Mme Strachan, interjette appel, par voie de procédure informelle, à l’encontre d’une cotisation de taxe sur les produits et services (“ TPS ”) datée du 10 juillet 1997 et qui vise la période comprise entre le 12 mars 1993 et le 31 mars 1997.

[2] Le 15 octobre 1992, dans le cadre d’un contrat d’achat-vente, l’appelante a acquis, pour la somme de 211 000 $, un nouvel appartement condominial situé au 204-280, 66e rue est à Vancouver. En vertu de ce contrat, l’appelante était responsable du paiement de la TPS jusqu’à concurrence de 2 902,50 $. Elle a versé ce montant au vendeur. La transaction a été complétée le 28 avril 1993. Un numéro d’inscription aux fins de la TPS, applicable à partir du 12 mars 1993, a été attribué à l’appelante. Cette dernière était tenue de produire ses déclarations de TPS à tous les trois mois.

[3] L’appartement a été acquis pour servir à la fois de résidence et de lieu commercial, dans une proportion respective de 30 p. 100 et de 70 p. 100. Aucune TPS n’a été versée à l’égard de la portion de 70 p. 100 du bien destinée à être utilisée à titre d’immobilisation dans le cadre d’activités commerciales. L’appelante avait l’intention de créer une entreprise de fabrication et de vente d’oeuvres d’art à vocation utilitaire.

[4] L’appelante n’a déclaré aucune TPS au cours de la période visée par la cotisation et n’a déclaré aucun revenu d’entreprise pour les années 1993 à 1996. Le 10 juillet 1997, le ministre du Revenu national (le “ ministre ”) a établi une cotisation imposant à l’appelante le paiement de la TPS relativement à la portion de 70 p. 100 du prix d’achat, déduction faite du remboursement de TPS pour habitations neuves.

[5] Durant toute la période visée par la cotisation, l’appelante travaillait à temps partiel à la Société canadienne des postes, à titre de factrice.

[6] Au moment de l’acquisition du bien par l’appelante et son associé, celle-ci avait manifesté l’intention de restaurer les lieux, d’aménager un espace réservé à la création artistique correspondant à 70 p. 100 de la surface totale pour y fabriquer des oeuvres à vocation utilitaire et d’organiser des expositions d’art.

[7] L’appelante n’avait, au départ, ni la formation ni le matériel nécessaires pour fabriquer des oeuvres à vocation utilitaire. Elle a donc suivi une formation en soudage et a également tenté d’acquérir du matériel.

[8] Au mois de décembre 1993, la société de personnes initiale a été dissoute. L’appelante a fini par racheter totalement son associé au mois de février 1995.

[9] L’appelante s’est de nouveau associée au mois de janvier 1994. En vertu de l’entente conclue entre l’appelante et son nouvel associé (un artiste), ce dernier devait aider l’appelante à acquérir les techniques nécessaires à la création d’oeuvres à vocation utilitaire, en échange de quoi celle-ci devait mettre à la disposition de son associé, deux fois par année (une partie des mois de mai et novembre), l’espace nécessaire pour exposer ses oeuvres. Cette entente n’impliquait le versement d’aucune somme d’argent. L’appelante a profité des expositions des oeuvres de son associé pour exposer, plus modestement, ses propres oeuvres. Jusqu’à présent, l’appelante n’a vendu aucune des oeuvres à vocation utilitaire qu’elle a fabriquées.

[10] L’appelante a été victime de graves accidents en 1994 et en 1995. La nature de ses blessures était telle qu’il lui a été impossible, pendant un certain temps, de donner suite à ses projets dans le domaine de l’art à vocation utilitaire.

[11] Au mois de septembre 1996, dans le cadre d’une autre société de personnes, l’appelante, avec l’aide d’autres personnes, a mis au point, dans son appartement, un procédé de fabrication de biscuits pour chiens. Une étude de commercialisation a été effectuée au mois de janvier 1997. En 1998 (en dehors de la période visée par la cotisation), le chiffre d’affaires global était d’environ 3 000 $. Des coûts matériels s’élevant à 1 000 $ étaient les seules dépenses connues. Aucun calcul ni prévision en ce qui a trait aux coûts fixes, aux coûts de fabrication, de main-d'oeuvre ou de marketing de cette entreprise n’a été effectué ou soumis à la Cour.

[12] D’après le témoignage de l’appelante, aucun profit ni aucune perte n’ont été déclarés, entre 1993 et 1997, pour l’une ou l’autre de ces activités. En outre, aucun crédit de taxe sur les intrants (“ CTI ”) n’a été réclamé et aucune TPS n’a été déclarée à l’égard de ces activités.

[13] Hormis le bien faisant l’objet des présentes, l’appelante disposait de capitaux engagés limités.

POSITION DE L’APPELANTE

[14] L’appelante soutient qu’entre 1993 et 1997, elle établissait les bases de ses activités commerciales de fabrication d’oeuvres à vocation utilitaire et, plus tard, de vente d’aliments pour animaux domestiques.

POSITION DE L’INTIMÉE

[15] L’intimée reconnaît qu’il est possible que l’appelante ait eu l’intention, au moment de l’achat du bien, d’utiliser celui-ci dans le cadre d’activités commerciales. Elle allègue néanmoins qu’au cours de la période comprise entre les années 1993 et 1997, le bien n’a, en réalité, jamais été utilisé dans le cadre de pareilles activités. L’intimée soutient qu’aucune activité commerciale n’a été établie.

ANALYSE

[16] C’est à l’appelante qu’incombe la charge de la preuve dans le cadre de sa contestation de l’avis de cotisation de TPS établie à son endroit.

[17] Lorsqu’une taxe est payée à la suite de l’achat d’un bien utilisé, ou que l’on prévoit utiliser, à l’occasion d’activités commerciales, un inscrit a droit à un crédit remboursable complet, appelé CTI. La question qui doit être tranchée par la Cour est celle de savoir si l’achat du bien par l’appelante a été effectué à l’occasion d’activités commerciales. À cet égard, la disposition de la Loi sur la taxe d’accise (la “ Loi ”) qui doit être considérée en premier lieu est l’alinéa 141.1 (3) a). Celui-ci prévoit ce qui suit :

141.1 (3) Pour l'application de la présente partie :

a) dans la mesure où elle accomplit un acte, sauf la réalisation d'une fourniture, à l'occasion de l'acquisition, de l'établissement, de l'aliénation ou de la cessation d'une de ses activités commerciales, une personne est réputée avoir accompli l'acte dans le cadre de ses activités commerciales;

[18] Le paragraphe 123 (1) de la Loi se lit comme suit :

“ activité commerciale ”Constituent des activités commerciales exercées par une personne :

a) l’exploitation d’une entreprise (à l’exception d’une entreprise exploitée sans attente raisonnable de profit par un particulier ou une société de personnes dont l’ensemble des associés sont des particuliers), sauf dans la mesure où l’entreprise comporte la réalisation par la personne de fournitures exonérées;

[19] Le mot “ entreprise ” est défini de la manière suivante par le paragraphe 123 (1) de la Loi :

“entreprise” Sont compris parmi les entreprises les commerces, les industries, les professions et toutes affaires quelconques avec ou sans but lucratif, ainsi que les activités exercées de façon régulière ou continue qui comportent la fourniture de biens par bail, licence ou accord semblable. En sont exclus les charges et les emplois.

[20] Sont exclues de la définition d’ “ activité commerciale ”, les activités exercées par des particuliers, sans attente raisonnable de profit. Une activité peut être considérée comme une “ entreprise ”, peu importe si elle est exploitée ou non à des fins lucratives. Par contre, pour qu’une activité exercée par un particulier soit considérée comme étant une “ activité commerciale ”, elle doit susciter une attente raisonnable de profit. Par conséquent, les particuliers qui s’adonnent à un passe-temps ou qui exploitent une entreprise sans attente raisonnable de profit, ne sont pas réputés exercer une activité commerciale au sens de la Loi.

CE QUI CONSTITUE UNE ATTENTE RAISONNABLE DE PROFIT

[21] Le critère objectif comprend l’évaluation des profits et des pertes encourus au cours des années précédentes, de même que l’analyse du plan opérationnel et du contexte entourant la mise en oeuvre de celui-ci, incluant le plan d’action. Doivent également être considérés dans le cadre de ce critère, le temps consacré à l’activité, ainsi que les antécédents, les études et l’expérience du contribuable.

[22] À moins qu’un élément personnel ne soit en jeu, le critère devrait être utilisé avec modération et en accordant une certaine latitude favorisant le contribuable[1]. Un examen plus rigoureux est requis en présence d’un élément personnel. Plus particulièrement, l’on ne devrait pas recourir au critère afin de faire des conjectures sur l'appréciation commerciale de bonne foi quoique mal fondée des contribuables.

[23] S’il n’est pas nécessaire que l’entreprise génère un profit immédiat, certaines choses doivent néanmoins se produire au cours de la période de démarrage. Bien que chaque entreprise bénéficie d’un délai de grâce à l’égard des frais de démarrage, ceci ne dispense pas pour autant de l’obligation de démontrer que l’entreprise est : “ structurée, organisée, équipée, financée et planifiée de manière à pouvoir, à l'époque, être considérée comme raisonnablement susceptible d'être un jour rentable. ”[2] Lorsque ces critères sont présents, le délai nécessaire pour que l’entreprise devienne rentable dépend directement de l’activité en question.

LA FABRICATION ET LA VENTE D’oeUVRES À VOCATION UTILITAIRE

[24] Il y a, en l’espèce, un élément personnel important puisque l’endroit où se déroule l’activité est également la résidence personnelle de l’appelante.

[25] Au départ, l’appelante n’avait ni formation ni expérience dans la fabrication et la vente d’oeuvres à vocation utilitaire et ne maîtrisait pas les techniques propres à cette activité. Elle a suivi une formation en soudage et, dans le cadre d’une nouvelle société de personnes, a fini par mettre au point un programme d’encadrement pour son bénéfice personnel. Elle a consacré toute cette période à son apprentissage. Le financement était restreint, aucun plan d’affaires n’a été soumis et l’on n’a offert aucune prévision quant à la viabilité commerciale de l’entreprise. En fait, l’on n’a présenté aucune preuve de fond démontrant que l’entreprise était structurée ou viable. De plus, les projets de l’appelante ont été contrecarrés par les problèmes de santé qu’elle a subis par suite d’accidents. Il est vrai que les activités artistiques requièrent, de façon générale, une vision de même que des prévisions à long terme en ce qui a trait à l’évaluation des profits éventuels et de la viabilité commerciale. En l’occurrence, cependant, l’appelante en était toujours à l’étape de la formation et de l’organisation. J’en arrive à la conclusion que l’activité ne peut être qualifiée de commerciale au sens de la Loi puisqu’elle ne répond pas aux critères prévus par celle-ci.

LE PROJET RELATIF AUX BISCUITS POUR CHIENS

[26] Cette activité s’exerçait également à la résidence personnelle de l’appelante. Le financement, encore une fois, était extrêmement limité, chacun des quatre associés ayant fourni la somme de 100 $. L’appelante a mis au point ce produit en collaboration avec d’autres personnes. Les associés qui ont investi dans le projet ont fait preuve d’une certaine inconstance. Tel que mentionné, le revenu brut en 1998 (en dehors de la période visée par la cotisation) était minime et l’évaluation, par l’appelante, du coût des produits vendus ne couvrait apparemment que les coûts matériels.

[27] Il semble bien que cette activité ait le potentiel nécessaire pour devenir une entreprise à long terme.

[28] Je conclus néanmoins que, pour la période visée par la cotisation correspondant à la fin de l’année 1996 et au début de l’année 1997, le projet relatif aux biscuits pour chiens se trouvait dans un stade de développement embryonnaire, qu’il ne suscitait pas d’attente raisonnable de profit et qu’il n’existait aucun indice de sa viabilité commerciale.

[29] Je conclus qu’aucune activité commerciale n’a été exercée sur les lieux pendant la période visée par la cotisation.

CHANGEMENT D’UTILISATION

[30] L’article 196 édicte que la personne qui acquiert un bien pour l’utiliser comme immobilisation dans une mesure déterminée, à une fin déterminée, est réputée l’avoir utilisé ainsi immédiatement après l’avoir acquis. L’appelante avait l’intention d’utiliser le bien à 70 p. 100 pour des fins commerciales et à 30 p. 100 pour des fins résidentielles. Elle ne l’a pas utilisé ainsi en réalité et, par conséquent, il y a eu changement d’utilisation.

[31] Le paragraphe 207(1) vise le cas du particulier qui est un inscrit ayant acquis une immobilisation en vue de l’utiliser dans le cadre d’une activité commerciale et non principalement pour son utilisation personnelle et qui, plus tard, commence à l’utiliser exclusivement à des fins non-commerciales ou principalement pour son utilisation personnelle. À partir de ce moment, ce particulier est réputé avoir vendu le bien (s’être cédé le bien à lui-même) en vue de l’utiliser autrement que dans le cadre de ses activités commerciales. L’inscrit est réputé avoir payé et perçu la TPS sur la portion du bien qui est vendue. Lorsqu’il y a changement d’utilisation, l’assujettissement à la TPS débute au cours de la période de déclaration durant laquelle il y a effectivement eu un tel changement.

[32] La cotisation est bien fondée et l’imposition d’intérêts et de pénalités découle de l’application de la loi.

DÉCISION

[33] L’appel est rejeté.

Signé à Ottawa, Canada, ce 23e jour de juillet 1999.

“ D. Hamlyn ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 26e jour de juin 2000.

Mario Lagacé, réviseur



1                Tonn et al. v. The Queen, 96 DTC 6001 (C.A.F.).

[2]                Watt Estate v. The Queen, 97 DTC 5459 (C.A.F.), à la page 5461.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.