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Date: 19980213

Dossier: 96-1621-GST-G

ENTRE :

JOHN VAN DYKE,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Hamlyn, C.C.I.

[1] Un exposé conjoint partiel des faits a été déposé. Il se lit comme suit :

[TRADUCTION]

Voici une liste des faits dont l'appelant et l'intimée ont convenu et qui font partie de la preuve dans l'appel susmentionné :

Description

1. La constitution en personne morale de la Harring Manufacturing Incorporated (“ Harring ”) a pris effet le 10 avril 1989.

2. La Harring fabriquait ou produisait sur commande des portes en bois et autres ouvrages de menuiserie destinés à des applications haut de gamme comme la finition de bureaux de professionnels ou de cadres.

3. Les premiers administrateurs de la Harring ont été John Van Dyke, soit l'appelant, et Dave Butler.

4. Le procès-verbal d'une assemblée générale extraordinaire des actionnaires de la Harring, en date du 10 avril 1989, confirme que, sur une motion dûment présentée, puis appuyée et unanimement adoptée, il a été résolu que l'appelant et David Butler agiraient comme administrateurs de la Harring. La résolution a été signée par l'appelant, en sa qualité de président du conseil d'administration, et par David Butler, en sa qualité de secrétaire.

5. David Butler a démissionné de ses fonctions de dirigeant et d'administrateur de la Harring; cette démission prenait effet le 1er février 1991 et elle a été acceptée par les actionnaires de la Harring, comme en fait foi une résolution des actionnaires de la Harring en date du 1er mars 1991.

6. Durant toute la période pertinente aux fins du présent appel, l'appelant dirigeait la Harring, dont il était le seul administrateur et le seul actionnaire.

7. Mme Petra Becker a été embauchée par la Harring pour faire du travail du bureau, y compris pour la tenue quotidienne de la comptabilité.

8. La Harring s'est inscrite aux fins de la partie IX de la Loi sur la taxe d'accise (TPS) au moyen d'une formule d'inscription en date du 31 octobre 1990 et elle est ensuite demeurée un inscrit. Cette inscription s'appliquait aux fins de la TPS, taxe qui est entrée en vigueur le 1er janvier 1991.

9. Durant toute la période, la Harring était un inscrit devant produire des déclarations trimestrielles aux fins de la TPS.

10. La Harring n'a produit aucune déclaration aux fins de la TPS et n'a versé aucune somme au titre de la TPS payable à Revenu Canada après 1991.

11. La Harring a conclu un “ CONTRAT DE GARANTIE GÉNÉRALE ”, en date du 23 décembre 1992, en faveur de l'appelant. D'après les termes du contrat, celui-ci constituait une sûreté accessoire générale et continue garantissant l'acquittement de toutes les dettes et autres obligations actuelles et futures de la Harring envers l'appelant. Cette garantie s'appliquait aux biens “ corporels ou autres qui sont actuellement possédés ou qui seront ultérieurement acquis ”. L'annexe de ce contrat de garantie indique que la juste valeur marchande des machines qui est attribuée à la division “ portes ” de la Harring est de 116 000 $ et que la juste valeur marchande des machines qui est attribuée à la division “ ouvrages de menuiserie ” de la Harring est de 154 350 $.

12. En août 1993, aux fins de la TPS, Revenu Canada a entrepris une vérification relative à la Harring pour la période de déclaration commençant le 1er janvier 1991 et pour toutes les périodes de déclaration suivantes.

13. Le 9 août 1993, le locateur, soit la Haselden Investments Limited, a effectué une saisie-gagerie dans les locaux de la Harring.

14. Le 12 août 1993, la Harring a fait une cession des biens en vertu de la Loi sur la faillite.

15. L'avis de “ première réunion des créanciers ”, en date du 17 août 1993, a été délivré par le syndic, DAVIS, MARTINDALE & CO. INC.

16. Par l'entremise de Revenu Canada, Douanes, Accise et Impôt, l'intimée a déposé une preuve de réclamation en vertu de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité en date du 1er septembre 1993, soit une preuve de réclamation d'un montant de 80 199,28 $. Ce montant comprenait 73 262,78 $ de taxe nette, 3 547,69 $ d'intérêt et 3 388,81 $ de pénalité.

17. Un avis de cotisation, soit l'avis de cotisation portant le no 08PD0100620 et daté du 7 septembre 1993, a été délivré par Revenu Canada à la Harring au titre des sommes susmentionnées, soit 73 262,78 $ de taxe nette, 3 547,69 $ d'intérêt et 3 388,81 $ de pénalité. La Harring ne s'est pas opposée à cette cotisation.

18. Un avis de cotisation — Tierce partie, soit l'avis de cotisation no 12053 qui indique comme date de mise à la poste le 19 décembre 1994, a été délivré par Revenu Canada à l'appelant, soit une cotisation de 92 339,18 $. Il était dit que ce montant comprenait 79 563,51 $ de taxe nette, 5 807,26 $ d'intérêt et 6 968,41 $ de pénalité.

19. La différence entre le montant de la taxe nette qui est indiqué dans la preuve de réclamation et le montant qui est indiqué dans l'avis ultérieur de cotisation — Tierce partie correspond à un ajustement à la baisse qui tient compte du jour où la Harring a fait la cession des biens en vertu de la Loi sur la faillite.

20. Par voie d'avis d'opposition en date du 15 février 1995 estampillé “ reçu ” par Revenu Canada le 23 février 1995, l'appelant s'est opposé à l'avis de cotisation — Tierce partie.

21. Par voie d'avis de décision no SWO S100018 en date du 15 septembre 1996, le ministre du Revenu national a ratifié l'avis de cotisation — Tierce partie qui avait été délivré à l'appelant.

22. Le 9 mai 1996, l'appelant a déposé un avis d'appel dans cette affaire auprès de la Cour canadienne de l'impôt.

23. L'appelant a déposé un avis d'appel modifié dans cette affaire auprès de la Cour canadienne de l'impôt.

24. L'intimée a déposé une réponse dans cette affaire le 24 juin 1996.

LA PREUVE PRÉSENTÉE AU PROCÈS

[2] L'appelant est propriétaire-exploitant d’entreprises depuis plusieurs années.

[3] À partir du 1er février 1991, l'appelant était le principal propriétaire et le seul administrateur de la Harring Manufacturing Incorporated (“ Harring ”). La Harring, qui a fait des affaires d'avril 1989 à août 1993, fabriquait des portes et produisait des ouvrages de menuiserie sur commande. Initialement, l'appelant avait acheté les actifs de la Harring dans l'intention qu'un autre particulier (David Butler) investisse dans l'entreprise et gère celle-ci. Cette intention ne s'est pas concrétisée, et le particulier en question (David Butler) a quitté la compagnie. En outre, un gestionnaire engagé par David Butler avait, à cause de méfaits allégués, fini par être renvoyé par l'appelant. C'est à peu près à cette époque que Petra Becker avait été embauchée pour gérer le bureau (printemps 1991), et l'arrangement ainsi conclu avait duré jusqu'à la mise sous séquestre de la compagnie (août 1993).

[4] Au printemps 1991, l'appelant était devenu plus actif dans la compagnie et avait notamment cherché à accroître les ventes et à développer les aspects promotionnels de l'entreprise.

[5] Une équipe de gestion ainsi qu'un système de comité de gestion avaient été mis sur pied. Les membres du comité se sont d'abord réunis une fois par mois; au cours des semaines précédant la chute de la compagnie, les membres du comité se réunissaient une fois par semaine.

[6] Le comité de gestion se composait des chefs des nombreuses sections de la compagnie, dont Petra Becker, qui gérait le bureau (au moment où elle avait été embauchée, Petra Becker en était au cinquième niveau d'un programme de formation de CGA, qu'elle n'a pas terminé). Outre qu'il était l'administrateur, l'appelant s'occupait de bâtir un réseau de distribution et de vendre la production. Pour ce qui est de la comptabilité et de la tenue de livres, l'appelant soutenait qu'il n'avait pas d'expertise en la matière, qu'il n'était pas très bon en chiffres et qu'il comptait sur Petra Becker pour ces questions.

[7] La compagnie a toujours eu de sérieux problèmes financiers, c'est-à-dire qu'elle était à court de liquidités et que sa ligne de crédit était restreinte. De l'avis de l'appelant, cela tenait à un manque d'investisseurs, à un piètre climat économique et commercial, à la faillite de certains clients et aux méfaits d'un ancien gestionnaire.

[8] Outre qu'il exerçait des activités en matière de commercialisation, l'appelant participait aux réunions du comité de gestion. L'appelant a indiqué que, au cours de ces réunions, on examinait les états des résultats, les feuilles de paye, les créances, les ventes, la production, les livraisons ainsi que les questions générales concernant la compagnie.

[9] Au cours des réunions, chacun des membres du comité de gestion traitait de sujets d'intérêt pour la compagnie qui relevaient de sa compétence.

[10] Petra Becker était expressément chargée de la comptabilité (feuilles de paye, comptes fournisseurs et comptes clients, etc.). Elle a indiqué que, aux réunions du comité, elle traitait de ces questions.

[11] L'appelant et trois autres membres du comité de gestion (Brian Gray, Jeff Bruinsma et Martin Timmermans) ont témoigné que, aux réunions du comité de gestion, Petra Becker n'avait jamais soulevé la question des versements de TPS et de l'omission de faire de tels versements.

[12] Dans son témoignage, Petra Becker a déclaré qu'elle soulevait continuellement la question de l'obligation en matière de TPS et que, à chaque réunion, elle déposait des documents (bilans) faisant état de l'obligation en matière de TPS. Elle a dit en outre que, au cours de cette période, l'appelant lui avait demandé à quel moment la question de la TPS attirerait l'attention de Revenu Canada et qu'elle avait répondu qu'une vérification de Revenu Canada concernant la société finirait par montrer qu'il y avait eu omission en matière de versement.

[13] L'appelant a bel et bien confirmé qu'il y avait eu un problème en matière de versement relativement aux retenues à la source et qu'un programme de paiement avait été élaboré avec Revenu Canada pour qu'il soit satisfait à cette obligation, mais il a dit qu'il croyait que toute TPS impayée était incluse dans cet arrangement.

[14] Dans son témoignage, l'appelant a aussi soutenu que c'est au printemps 1993 qu'il avait pour la première fois eu une indication qu’il y avait un important problème en matière de versement de TPS.

[15] L'appelant et son épouse (elle exploitait une entreprise de restauration) ont allégué que, au printemps 1993, Petra Becker les avait trompés en affaires. (En plus d’exercer des fonctions à la Harring, Petra Becker aidait à la tenue des registres comptables du restaurant.)

[16] Petra Becker a nié les avoir trompés en quoi que ce soit et a affirmé que, tout au long de la période pendant laquelle elle avait exercé ses fonctions, elle avait avisé l'appelant, ainsi que le comité, des problèmes de versement de TPS. Elle a dit en outre que l'appelant et un autre membre du comité (Brian Gray) lui avaient donné pour instructions de régler les comptes créditeurs selon un ordre “ hiérarchique ” déterminé. Les fournisseurs de matières premières arrivaient en tête de liste, tandis que la TPS était au bas de la liste.

[17] Contrairement au témoignage de l'appelant, Petra Becker a dit qu'elle n'avait pas caché l'obligation en matière de TPS dans les registres comptables de la Harring. De plus, le vérificateur de Revenu Canada qui avait vérifié les livres de la société au printemps 1993 a témoigné que son examen des registres financiers de la société n'avait rien révélé d'incorrect dans les écritures et documents comptables.

[18] Il est à noter que, tout au long de la période considérée, Petra Becker ne faisait pas partie des signataires autorisés de la société. Tous les chèques devaient être signés par l'appelant ou par un membre désigné du comité de gestion (Brian Gray) ou encore par un comptable général licencié qui travaillait à son compte et à qui la société faisait appel (Carl Kingston).

[19] Un examen des pièces qui ont été produites indique que l'obligation en matière de TPS figurait dans un bilan pour 1991 et que l'obligation en matière de TPS figurait dans un bilan pour le printemps 1993. Aucun autre bilan n'a été présenté à la Cour. L'appelant a déclaré que les bilans étaient inexistants, alors que Petra Becker a indiqué qu'ils existaient bel et bien et qu'elle les déposait à chaque réunion de gestion.

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

[20] Les dispositions pertinentes de la Loi sur la taxe d'accise (la “ Loi ”) sont les suivantes :

228(1) Calcul de la taxe nette — La personne tenue de produire une déclaration en application de la présente section doit y calculer sa taxe nette pour la période de déclaration qui y est visée.

(2) Versement — La personne doit verser au receveur général, au plus tard le jour où la déclaration doit être produite, le montant positif de sa taxe nette pour la période de déclaration qui y est visée.

[...]

323(1) Responsabilité des administrateurs — Les administrateurs de la personne morale au moment où elle était tenue de verser une taxe nette comme l'exige le paragraphe 228(2), sont, en cas de défaut par la personne morale, solidairement tenus, avec cette dernière, de payer cette taxe ainsi que les intérêts et pénalités y afférents.

(2) Restrictions — L'administrateur n'encourt de responsabilité selon le paragraphe (1) que si :

a) un certificat précisant la somme pour laquelle la personne morale est responsable a été enregistré à la Cour fédérale en application de l'article 316 et il y a eu défaut d'exécution totale ou partielle à l'égard de cette somme;

b) la personne morale a entrepris des procédures de liquidation ou de dissolution, ou elle a fait l'objet d'une dissolution, et une réclamation de la somme pour laquelle elle est responsable a été établie dans les six mois suivant le premier en date du début des procédures et de la dissolution;

c) la personne morale a fait une cession, ou une ordonnance de séquestre a été rendue contre elle en application de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité, et une réclamation de la somme pour laquelle elle est responsable a été établie dans les six mois suivant la cession ou l'ordonnance.

(3) Diligence — L'administrateur n'encourt pas de responsabilité s'il a agi avec autant de soin, de diligence et de compétence pour prévenir le manquement visé au paragraphe (1) que ne l'aurait fait une personne raisonnablement prudente dans les mêmes circonstances.

ANALYSE

[21] Aux termes du paragraphe 323(1), lorsqu'une personne morale omet de verser une taxe nette exigée en vertu du paragraphe 228(2), les administrateurs de la personne morale sont solidairement tenus, avec cette dernière, de payer cette taxe ainsi que les intérêts et pénalités qui s'y rapportent. Le paragraphe 323(3) permet à un administrateur d’invoquer une défense de diligence raisonnable par rapport à la responsabilité concernant la TPS non versée par la personne morale et les intérêts et pénalités qui s'y rapportent.

[22] Donc, la Cour n'a qu'à déterminer si l'appelant a agi comme une personne raisonnablement prudente l'aurait fait dans les mêmes circonstances pour éviter que la société omette de verser la TPS requise. La Cour répondra à cette question de fait en se fondant sur la preuve que l'appelant lui a présentée.

[23] Dans l'affaire A. Ted Ewachniuk v. Her Majesty the Queen, [1997] G.S.T.C. 29 (C.C.I.), le juge Sobier concluait que l'administrateur appelant n'avait pas fait preuve du degré de soin requis pour ne pas encourir de responsabilité au titre de versements de TPS non effectués par la personne morale. Il concluait que la défense de diligence raisonnable exige que l'on ait pris des mesures concrètes pour prévenir le manquement à l'obligation de verser la taxe. Il ne suffit pas de démontrer simplement que des mesures ont été prises après que l'on eut découvert le manquement.

[24] Dans l'affaire Ewachniuk, précitée, le juge Sobier concluait que les allégations de vol et de détournement de fonds n'avaient rien à voir avec la question à trancher dans l'appel, qui était de savoir si la cotisation établie par le ministre en vertu du paragraphe 323(1) de la Loi était fondée. Le juge Sobier disait que l'issue de l'appel dépendait de l'interprétation du dispositif du paragraphe 323(3), c'est-à-dire de l'interprétation des termes “ [...] autant de soin, de diligence et de compétence pour prévenir le manquement ”. Il citait ensuite une décision du juge Rip, de la C.C.I., dans laquelle on avait tenté de définir le mot “ prévenir ” et le mot anglais “ prevent ” :

Comme le juge Rip de notre cour l'a dit dans l'affaire Cosmas V. Ho v. M.N.R., [[1990] 2 C.T.C. 2623], 91 DTC 76, à la page 80 :

Le mot "prevent" (prévenir en français) est défini dans The Shorter Oxford Dictionary On Historical Principals comme suit :

"1. To act in anticipation of or in preparation for (a future event, or a point in time); to act as if the event or time had already come... b. To meet beforehand... 3. To stop, keep or hinder from doing something... 4. To provide beforehand against the occurrence of (something); to preclude, stop, hinder... 6. To frustrate, defeat, bring to naught... 7. To use preventative measures..."

Dans la version française, le mot "prévenir" figure au paragraphe 227.1(3). Le Petit Robert I définit le mot "prévenir" comme suit :

"1. Devancer (qqn) dans l'accomplissement d'une chose, agir avant (un autre)... 2. Aller au-devant de (qqch.) pour hâter l'accomplissement... 3. Aller au-devant pour faire obstacle; empêcher par ses précautions..."

Les mots "prevent" et "prévenir" veulent dire la même chose : empêcher l'accomplissement d'une chose. Lorsque l'omission a eu lieu, il n'est plus possible de la prévenir. Après le mois de novembre 1986, il était trop tard pour que M. Ho, Mme Lawlor ou le procureur de M. Ho puissent prévenir les omissions qui avaient déjà eu lieu.

[25] Le juge Sobier concluait que l'appelant n'avait pas pris de mesures concrètes pour prévenir le manquement de la personne morale en matière de versement de TPS, car l'appelant n'avait jamais demandé de voir des états financiers ou rapports de la personne morale si ce n'est certains chiffres relatifs aux ventes. L'appelant n'avait jamais fait d'effort non plus pour veiller au versement de la TPS due par la personne morale pendant que celle-ci exploitait l'entreprise de restauration. Les mesures que l'appelant avaient prises après avoir constaté que la TPS n'était pas versée comme l'exige la Loi n'étaient pas suffisantes aux fins d'une défense de diligence raisonnable. Ainsi, la Cour concluait que l'appelant et la personne morale étaient solidairement tenus de payer la TPS due par la personne morale.

[26] Dans l'arrêt de la Cour d'appel fédérale Soper v. The Queen, 97 DTC 5407, le juge Robertson a analysé les exigences de la défense de diligence raisonnable concernant des administrateurs qui veulent éviter d'être tenus responsables de retenues à la source non versées en vertu du paragraphe 323(3) de la Loi.

[27] Le juge Robertson a qualifié la norme de norme “ objective subjective ”. Il déclarait à la page 5417 :

[...] il est difficile de nier que les administrateurs internes, c'est-à-dire ceux qui s'occupent de la gestion quotidienne de la société et qui peuvent influencer la conduite de ses affaires, sont ceux qui auront le plus de mal à invoquer la défense de diligence raisonnable. Pour ces personnes, ce sera une opération ardue de soutenir avec conviction que, malgré leur participation quotidienne à la gestion de l'entreprise, elles n'avaient aucun sens des affaires, au point que ce facteur devrait l'emporter sur la présomption qu'elles étaient au courant des exigences de versement et d'un problème à cet égard, ou auraient dû l'être. Bref, les administrateurs internes auront un obstacle important à vaincre quand ils soutiendront que l'élément subjectif de la norme de prudence devrait primer l'aspect objectif de la norme.

[28] En classant les administrateurs dans deux catégories, soit la catégorie des administrateurs internes et celle des administrateurs externes, le juge Robertson a sérieusement limité la partie subjective de la norme de diligence raisonnable pour ce qui est des contribuables qui s'occupent de l'exploitation quotidienne d'une compagnie.

[29] Relativement à un administrateur externe, le juge Robertson disait en outre, à la page 5418 :

[...] l'obligation expresse d'agir prend naissance lorsqu'un administrateur obtient des renseignements ou prend conscience de faits qui pourraient l'amener à conclure que les versements posent, ou pourraient vraisemblablement poser, un problème potentiel. En d'autres termes, il incombe vraiment à l'administrateur externe de prendre des mesures s'il sait, ou aurait dû savoir, que la société pourrait avoir un problème avec les versements. La situation typique dans laquelle un administrateur est, ou aurait dû être, au courant de cette éventualité est celle de la société qui a des difficultés financières.

[30] En l'espèce, l'appelant affirme qu'il y a plusieurs raisons au problème de trésorerie avec lequel la société était aux prises, y compris un gestionnaire qui détournait des fonds de la compagnie, le déclin du marché économique, la faillite de clients et le fait que le locateur avait fini par chasser l'entreprise des locaux qu'elle occupait, ce qui avait au bout du compte conduit à la cessation des activités de la société. J'estime que ces faits ne semblent avoir aucun rapport avec le point en litige et n'influent pas sur la question de savoir si l'appelant a fait preuve de la diligence raisonnable que requiert le paragraphe 323(3) de la Loi.

[31] Il est clair que la preuve présentée à la Cour était pleine de contradictions au sujet de la question essentielle de savoir si l'appelant était au courant du problème en matière de versement de TPS. Les dépositions des divers témoins de l'appelant contredisaient les dépositions des témoins de l'intimée, notamment la déposition de Petra Becker. Malgré les contradictions de la preuve, certaines vérités et certaines conclusions émergent.

[32] Le comité de gestion était un groupe relativement jeune de personnes se consacrant au succès de la Harring. Relativement à chacun de leurs domaines de responsabilité respectifs, ils faisaient connaître leurs besoins du point de vue de la société et présentaient leurs rapports à chaque réunion de gestion. Cela inclut le rapport financier de la personne qui gérait le bureau. Cependant, il y a des réalités fondamentales dont tous les membres du comité étaient au courant, notamment le fait que les fonds d'exploitation étaient limités et que les besoins des fournisseurs de matières premières qui devaient être satisfaits pour que ces fournisseurs continuent à approvisionner l'entreprise dépendaient des acomptes, et ce, dans une mesure qui n'était pas négligeable.

[33] L'appelant était un homme d'affaires qui avait de nombreuses années d'expérience, et son épouse avait également de l'expérience en affaires. Les deux entreprises (celle de la Harring et l'entreprise de restauration) devaient payer la TPS. Le fait qu’une personne exploite une entreprise et conclut que la question de la TPS a été réglée lors de négociations relatives aux retenues à la source — sans revenir sur cette question régulièrement et opportunément — a pour effet de mettre à rude épreuve sa crédibilité, notamment lorsque cette personne est le seul administrateur et actionnaire.

[34] Pour plaider la défense de diligence raisonnable, l'appelant doit faire plus que témoigner qu'il avait quelqu'un pour s'occuper du compte de TPS et qu'il n'était pas au courant du problème de versement. En définitive, je conclus, sur la foi de la preuve, que la question des versements de TPS non effectués n'était pas abordée à toutes les réunions du comité de gestion, mais je conclus que l'appelant était au courant de l'obligation en matière de TPS et qu'il doit avoir décidé, en consultation avec la personne chargée de gérer le bureau, de ne pas faire les versements de TPS, parce que l'argent était nécessaire pour maintenir l'entreprise en exploitation. Au mieux, les efforts faits par Petra Becker dans ses tentatives pour apaiser les banquiers et les créanciers et pour aider à assurer la poursuite des activités de la compagnie ne répondaient pas aux responsabilités en matière de versement que l'appelant avait en vertu de la loi. En outre, le fait que l'appelant avait conservé le pouvoir de signature relativement aux fonds de la compagnie et que Petra Becker cherchait activement et ouvertement à ne pas être signataire autorisée, montre que la responsabilité finale quant aux dépenses de la société incombait à l'appelant et non à Petra Becker.

[35] En choisissant cette orientation, l'appelant n'a pas pris de mesures concrètes pour prévenir le manquement à l'obligation de verser la taxe.

CONCLUSION

[36] Je conclus que l'appelant n'a pas, pour prévenir le manquement, agi avec autant de soin, de diligence et de compétence que l'aurait fait une personne raisonnablement prudente dans les mêmes circonstances.

DÉCISION

[37] L'appel est rejeté.

[38] L'intimée a droit à des frais.

Signé à Ottawa, Canada, ce 13e jour de février 1998.

« D. Hamlyn »

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 17e jour de juillet 1998.

Isabelle Chénard, réviseure

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