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Date: 19980618

Dossier: 95-652-IT-G

ENTRE :

GAZ MÉTROPOLITAIN INC.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Pierre Archambault, C.C.I.

[1] Gaz Métropolitain Inc. (GMi) conteste des cotisations établies par le ministre du Revenu national (ministre) pour les années d’imposition 1987 et 1988. Le ministre a inclus dans son revenu pour l’année 1987, en vertu de l’alinéa 12(1)x) de la Loi de l’impôt sur le revenu (Loi), une somme de 2 803 650 $ reçue à titre de contribution gouvernementale pour l'acquisition de servitudes. Les parties ont produit un consentement à jugement relativement à cet appel. Quant à l’année 1988, le ministre a refusé dans le calcul du revenu imposable de GMi la déduction de 2 836 655 $ au titre de pertes autres que des pertes en capital provenant d’une filiale, GNC Québec Ltée (GNC). Ces pertes avaient été subies avant que le contrôle de GNC ne soit acquis par GMi.

[2] Le ministre s’est fondé sur l’alinéa 88(1.1)e) de la Loi pour refuser cette déduction. Il prétend que GMi n’exploitait pas la même entreprise que GNC. Selon le ministre, l’activité principale de GMi était la vente de gaz naturel alors que celle de GNC était la conversion de véhicules au gaz naturel.

[3] Pour sa part, GMi soutient que l’activité principale de GNC était la vente de gaz naturel comme carburant pour les véhicules et que les services de conversion de véhicules au gaz naturel ne constituaient qu’une activité secondaire de son entreprise de vente de gaz naturel. Cette activité s’insérait dans la mise en place de l’infrastructure nécessaire à la vente du gaz naturel comme carburant.

Faits

[4] GMi exploite une entreprise de vente de gaz naturel à des clients « résidentiels » , commerciaux et industriels. La distribution se fait principalement par canalisation, ce qui explique que cette entreprise soit réglementée par la Régie du gaz naturel du Québec (Régie). GMi compte environ 1 500 employés.

[5] Pour favoriser une plus grande consommation du gaz naturel au Québec, GMi adopte différentes stratégies. Elle négocie avec la Régie l’autorisation d’offrir à d’éventuels clients des subventions pour les aider à faire la conversion au gaz naturel. Pour faciliter l’acquisition de l’équipement nécessaire à cette conversion, GMi offre à ses clients soit du financement ou la possibilité de prendre cet équipement en location. Pour effectuer les travaux de conversion, GMi peut offrir ses propres services ou bien mettre ses clients éventuels en contact avec des techniciens indépendants. Finalement, GMi s’implique dans certains travaux de recherche scientifique et de développement expérimental en vue du développement de nouvelles technologies favorisant l’adoption du gaz naturel comme source d’énergie.

[6] Monsieur Robert Normand, qui a été vice-président aux finances de GMi de 1976 à 1997, a estimé que de 90 à 95 % des recettes brutes de GMi proviennent de la vente du gaz naturel et que pour le reste elles proviennent des activités accessoires, par exemple, des services d’installation et de conversion.

[7] Au début des années 1980, les politiques gouvernementales canadiennes favorisent une plus grande sécurité de l’approvisionnement et une plus grande diversification des sources d’énergie pour le Canada. Certains programmes encouragent les Canadiens à changer leur appareil de chauffage au mazout pour un appareil au gaz naturel.

[8] Les difficultés d’approvisionnement en pétrole et la hausse marquée du prix du pétrole combinées avec l’évaluation de plus en plus élevée des réserves gazières mondiales incitent plusieurs pays à mettre de l’avant des politiques favorisant l’utilisation du gaz naturel comme carburant pour les véhicules. L’Italie et la Nouvelle-Zélande jouent un rôle important dans ce mouvement. À l’époque en question, l’Italie compte un demi-million de véhicules mus au gaz naturel. Pour être utilisé comme carburant pour les véhicules, le gaz naturel doit être comprimé et être stocké dans une ou deux bouteilles à gaz.

[9] GMi désire se lancer dans la vente de gaz naturel comme carburant. Elle entreprend un programme de recherche et de développement. Ses recherches lui permettent de découvrir que l’Italie fabrique le meilleur équipement dans ce domaine. La première étape de la stratégie de GMi consiste à convertir sa propre flotte de camions au gaz naturel et à acquérir ainsi une certaine expérience.

[10] La deuxième étape consiste à mettre en place l’infrastructure d’un réseau de distribution afin d’atteindre les consommateurs. Cette infrastructure comprend un réseau de centres de conversion de véhicules et un réseau de postes publics de ravitaillement. Ces postes de ravitaillement doivent être munis de compresseurs pour charger les bouteilles à gaz des consommateurs. La mise en place de cette infrastructure soulève des problèmes techniques et exige des ressources importantes. Pour résoudre ces problèmes, GMi décide de s’associer avec des partenaires. Tel qu’il est indiqué dans les notes de ses états financiers de 1981 à 1986, la société GNC a été constituée le ler septembre 1981 dans le but de développer le marché du gaz naturel utilisé comme carburant, d’implanter des centres de conversion, de développer un réseau de postes de ravitaillement et même d’ouvrir une école de formation[1]. Cinquante pour cent des actions de cette société sont acquises par CNG Fuel System Ltd. (CNG Fuel), une filiale du groupe Nova, 25 % par la Société québécoise d’initiative pétrolière et le dernier 25 % par GMi. Les opérations de GNC débutent au milieu de l’année 1982 et son exercice financier se termine le 31 décembre.

[11] La stratégie globale de GMi en acquérant une participation dans GNC vise à augmenter son volume des ventes de gaz naturel d’environ 20 à 25 %. L'objectif de GNC en mettant en place des centres de conversion de véhicules est de favoriser l'accroissement des ventes du gaz naturel utilisé comme carburant. L’exploitation des centres de conversion ne constitue pas une entreprise distincte de GNC mais plutôt une activité accessoire et essentielle à la vente du gaz naturel.

[12] L’établissement des centres de conversion se fait de façon graduelle. Au début, les conversions se font dans des centres appartenant à GNC. Par la suite, des entreprises franchisées prennent une part de plus en plus grande à cette activité. En 1985, 48 % des conversions sont effectuées par des centres GNC alors que 52 % le sont par des franchisés. Au cours du premier trimestre de 1986, 77 % des conversions sont effectuées par des franchisés.

[13] Quant à la mise en place du réseau de postes de ravitaillement, GNC s’associe avec trois sociétés pétrolières dans des entreprises en participation. Ces trois sociétés sont : Ultramar, Gulf et Shell. GNC détient 50 % de ces entreprises en participation. En 1985, les recettes brutes se chiffrent à 878 145 $ et les frais à 986 154 $. L’actif s’établit à 1 865 177 $ et le passif, à 2 084 152 $. Ces chiffres représentent la quote-part de GNC. En 1986, 19 postes publics de ravitaillement sont exploités par les trois sociétés pétrolières, deux par des distributeurs indépendants et un par GNC, pour un total de 22 postes publics de ravitaillement. GNC vend aussi directement du gaz naturel à des postes privés de ravitaillement, comme ceux propres aux flottes de taxis.

[14] Au milieu de l’année 1984, GNC prépare à l’intention du gouvernement du Québec un mémoire pour le convaincre de convertir sa flotte de véhicules au gaz naturel et de favoriser des projets de conversion des flottes de véhicules de transport scolaire et urbain. On vise aussi dans ce mémoire à inciter le gouvernement à ne pas imposer le gaz naturel vendu comme carburant à un niveau qui aurait pour effet de réduire à moins de 50 % l’écart entre le prix du gaz naturel et celui de l’essence. Malheureusement pour GNC, ces démarches n’ont pas de succès quant au premier objectif.

[15] Pour encourager les consommateurs à faire la conversion au gaz naturel, GMi verse 900 $ pour chaque conversion alors que le gouvernement fédéral verse une somme supplémentaire de 500 $ jusqu’en mars 1987. M. Normand a affirmé que pour pouvoir offrir cette subvention de 900 $, GMi a dû obtenir l’autorisation de la Régie et que cette dernière ne l’aurait pas accordée s’il n’y avait pas eu un espoir raisonnable de tirer des bénéfices de la vente du gaz naturel comme carburant. La Régie n’aurait pas permis que l’ensemble des consommateurs subventionnent indirectement le marché du gaz naturel destiné à être utilisé comme carburant[2].

[16] Dans ses déclarations de revenu pour les années 1982, 1983 et 1984, GNC décrit ainsi le genre d’entreprise qu’elle exploitait : « adaptation de véhicules » . Dans ses déclarations de 1985 et 1986, elle décrit ses activités de la façon suivante : « ventes de gaz naturel pour véhicules et adaptation de véhicules » . Pour l’année 1985, 80 % des revenus proviennent de la conversion et 20 % des ventes de gaz naturel. Pour l’année 1986, ceux provenant de la conversion baissent à 71 % et ceux tirés de la vente de gaz naturel s’élèvent à 29 %. Selon M. Normand, GNC réalise un bénéfice lors de la revente de son gaz naturel. Toutefois, il n’était pas en mesure de quantifier ce bénéfice parce qu’il n’y a qu’un seul système comptable pour les activités de vente de gaz naturel comme carburant et pour celles de conversion. Il n’est pas possible de ventiler les frais fixes entre ces deux activités.

[17] Pour les années 1982 à 1985, GNC n’a eu que des pertes. Les montants de ces pertes autres que des pertes en capital sont les suivants :

1982

286 999 $

1983

891 572 $

1984

936 550 $

1985

720 534 $

Total

2 835 655 $

[18] En 1986, GMi et ses associés font le bilan des opérations de GNC. Ils constatent qu’il faut adopter une nouvelle stratégie pour rentabiliser la distribution du gaz naturel destiné à être utilisé comme carburant. L’état des revenus pour 1985 révèle que les ventes de gaz naturel et les recettes provenant des services de conversion ont produit une marge brute de profit de 884 333 $ sur des ventes de 3 387 379 $. Toutefois, des frais fixes totalisant 1 468 044 $ et la quote-part —108 009 $ — de GNC dans les pertes des entreprises en participation entraînent une perte de 691 720 $. Selon M. Normand, il fallait s’attendre à des pertes lors des premières années d'opérations en raison des frais de démarrage de cette nouvelle activité, notamment ceux engagés pour la mise en place du réseau de distribution du gaz naturel destiné à être utilisé comme carburant.

[19] Malgré ces résultats décevants, GMi voit toujours du potentiel pour le marché du gaz naturel destiné à être utilisé comme carburant. Compte tenu de l’écart de prix en faveur du gaz naturel par rapport à l’essence ou au propane, le Québec constitue un marché attrayant pour GMi. Selon des études d’un cabinet canadien de consultants, avec 38 % du marché potentiel, le Québec constitue le plus grand marché au Canada pour le gaz naturel utilisé comme carburant. Selon ces études, il y aurait un potentiel d’environ 450 000 véhicules fonctionnant au gaz naturel au terme d’une période de cinq ans. Ceci représenterait une consommation annuelle de gaz naturel de l’ordre d’environ 26 milliards de pieds cubes. À cette époque-là, GMi en vend environ 125 milliards de pieds cubes. Au début des années 1980, l’Association canadienne du gaz prévoit l’implantation d’environ 120 postes de ravitaillement au Québec. Finalement, une enquête menée auprès des utilisateurs du gaz naturel comme carburant durant l’été 1985 révèle un taux assez élevé de satisfaction allant de 84 % pour les particuliers à 88 % pour les sociétés.

[20] Le 29 septembre 1986, les partenaires de GNC décident de transférer toutes leurs actions à GMi et lors de sa liquidation, GNC transfère son entreprise à GMi. Des 29 employés de GNC, seulement deux sont réengagés par GMi. Cette dernière a déjà tout le personnel administratif requis pour s’occuper de la vente du gaz naturel comme carburant. La stratégie de GMi sera de concentrer ses efforts sur la vente du gaz naturel à des entreprises possédant des flottes de véhicules. Finalement, les centres de conversion seront exploités pour le compte de GMi par CNG Fuel qui retiendra les services de trois des employés de GNC. CNG Fuel doit fournir ses services pour une période de 18 mois suivant la liquidation de GNC. Toutefois, un peu plus de 12 mois plus tard, soit le 21 octobre 1987, CNG Fuel décide de se retirer et GMi informe tous les postes de ravitaillement en gaz naturel qu’elle continuera à assurer le développement du marché québécois du gaz naturel destiné à être utilisé comme carburant. Elle s’engage aussi à maintenir le service d’entretien des compresseurs.

[21] GMi intègre dans ses activités de vente de gaz naturel les activités de vente de gaz naturel comme carburant de GNC. Il n’y a aucun poste distinct dans les états financiers de GMi qui permet de déterminer dans quelle mesure cette activité de vente de gaz naturel comme carburant produit des bénéfices ou entraîne des pertes. Il n’y a non plus aucune ventilation des frais fixes — comme les frais administratifs — entre les activités de vente de gaz naturel et celles de vente de gaz naturel comme carburant.

[22] L’entente avec les sociétés pétrolières se poursuit jusqu’en 1993. À partir de cette date, GMi continue seule la vente du gaz naturel comme carburant. Ses neuf plus gros clients représentent une flotte d’environ 500 véhicules. Même s’il ne peut corroborer ses dires à l’aide d’une analyse comptable, M. Normand est persuadé que la vente de gaz naturel comme carburant constitue après la liquidation de GNC une activité profitable pour GMi à cause de la diminution considérable des frais fixes, à cause du recentrage des efforts de GMi sur les entreprises possédant d’importantes flottes de véhicules et à cause de l’augmentation du volume des ventes à long terme.

[23] GMi continue à rechercher de nouveaux marchés pour son gaz naturel destiné à être utilisé comme carburant, notamment le marché des chariots élévateurs de même que celui du transport scolaire et municipal. GMi espère aussi que le gaz naturel comme carburant présentera un attrait plus grand pour les consommateurs lorsque le prix de l’essence augmentera à nouveau.

[24] Le vérificateur du ministre a témoigné pour expliquer sa cotisation. Il a produit son rapport T20 et je cite le paragraphe pertinent expliquant sa position (pièce I-9 à la page 15) :

Nous sommes d’opinion

- que GMI n’a pas opéré la même entreprise que la filiale puisqu’une partie des opérations ont été cédées à une autre entreprise; il y a donc eu un changement dans la nature de l'entreprise

- que l'entreprise principale de GMI est de vendre du gaz naturel et non la conversion des autos au gaz

- que cette activité est une entreprise distincte

- que l'intention du contribuable n'était pas de rentabiliser cette activité qui était la principale source des pertes de GNC Québec

- qu’à titre d'exemple, une entreprise de fabrication d'automobiles (GM) est une entreprise distincte d'une entreprise de vente de gazoline (ESSO)

Notre position est supportée par un article du Conference Report 1989 14:22 dans lequel il est clairement indiqué qu'il faut examiner chaque activité comme une entreprise distincte

CONCLUSION

GMI n’a pas exploité la même entreprise et les pertes ne peuvent être réclamées en 1988.

[25] Dans sa Réponse à l’avis d’appel, le procureur du ministre affirmait que le ministre, pour établir sa cotisation, avait tenu pour acquis certains faits dont notamment le fait que la conversion de véhicules au gaz naturel constituait une entreprise distincte de celle de la vente de gaz naturel comprimé pour ces véhicules. Toutefois, le rapport du vérificateur indique au contraire que ce dernier a considéré que GNC n’exploitait qu’une seule entreprise mais qu’il y avait deux activités. Il s’est exprimé ainsi à la page 14 de son rapport :

l’entreprise provenant de la filiale se divise en deux activités soit la conversion des véhicules au gaz naturel - 70 %, la distribution de gaz naturel au véhicule - 30 % selon la déclaration T-2 de 1985.

[26] De plus, le procureur du ministre affirmait que le ministre avait tenu pour acquis qu’au cours de 1988 GMi n’avait pas exploité à profit ou avec une attente raisonnable de profit tout au long de l’année l’entreprise cédée par GNC. Dans son rapport, le vérificateur affirme plutôt qu’il avait été impossible de déterminer s’il y avait une attente raisonnable de profit parce que « l’entreprise [déficitaire de GNC] a été fusionner [sic] dans les opérations de la cie mère » (p. 14 du rapport).

Analyse

[27] L’article 111 de la Loi permet à un contribuable de déduire dans le calcul de son revenu imposable ses pertes autres que des pertes en capital subies au cours des sept années d’imposition précédentes et des trois années d’imposition qui suivent l’année. L’alinéa 111(8)b) de la Loi définit une perte autre qu’une perte en capital comme essentiellement une perte subie par un contribuable relativement à une entreprise ou à un bien. La Loi permet aussi à une société mère de déduire, en plus des pertes qu’elle a subies elle-même, celles d’une filiale qui a été liquidée et fondue dans cette société mère. En effet, aux termes de l’alinéa 88(1.1)c) les pertes autres que les pertes en capital de la filiale sont réputées être celles de la société mère dans la mesure où certaines conditions sont réunies, dont notamment celle selon laquelle cette perte ne doit pas avoir été déduite par la filiale.

[28] Toutefois, lorsque ces pertes sont attribuables à une année d’imposition se terminant avant le moment où il y a eu acquisition de contrôle par la société mère, les sous-alinéas 88(1.1)e)(i) et (ii) de la Loi prévoient qu’elles ne peuvent être déduites par la société mère que si d’autres conditions sont réunies, c’est-à-dire : 1) si les pertes proviennent de l’exploitation d’une entreprise de la filiale et que cette entreprise est exploitée par la société mère à profit ou dans une attente raisonnable de profit tout au long d’une année donnée et 2) seulement jusqu’à concurrence du total du revenu de la société mère provenant de cette entreprise pour l’année donnée et de toute autre entreprise dont la presque totalité du revenu est dérivée de la vente, de la location ou de l’aménagement de biens semblables ou de la prestation de services semblables.

[29] Ici, le premier problème qu'il faut aborder est celui de déterminer si GMi a exploité, tout au long de l'année 1988, l'entreprise exploitée auparavant par GNC. Pour résoudre cette question, il faut d'abord être fixé sur l'entreprise qu'exploitait GNC. Le vérificateur a conclu que GNC exploitait principalement une entreprise de conversion de véhicules au gaz naturel, puisque 70 % de ses revenus provenaient de cette activité. Puisque le 29 septembre 1986, elle a donné en sous-traitance à CNG Fuel, cette activité de conversion de véhicules, GMi, selon le vérificateur, a cessé d'exploiter l'entreprise de conversion de véhicules de GNC et, de ce fait, la première condition ne peut avoir été remplie.

[30] Je ne crois pas que cette analyse du vérificateur soit bien fondée. Tout d’abord, je ne suis pas convaincu que GMi ait cessé d'exploiter les centres de conversion. En effet, même si GMi a donné en sous-traitance à CNG Fuel l'exploitation des centres de conversion, cette dernière les exploitait pour le compte de GMi. Il est clair en droit qu'une personne peut exploiter une entreprise par l'intermédiaire d'un mandataire. Voir E.S.G. Holdings Limited v. The Queen, 76 DTC 6158 (C.A.F.).

[31] De toute façon, même si CNG Fuel n’avait pas exploité ces centres pour le compte de GMi, l’entreprise principale de GNC n’était pas la conversion de véhicules au gaz naturel. La preuve a plutôt révélé que GNC avait comme objectif principal de vendre du gaz naturel et, accessoirement, de fournir des services de conversion de véhicules au gaz naturel. Il est vrai qu'au début, les recettes provenaient principalement de cette activité. Toutefois, à plus long terme, la conversion devait devenir une activité beaucoup moins importante. Au début, les ventes de gaz naturel ne représentaient qu'un faible pourcentage des revenus de GNC. Ce pourcentage a grimpé à 20 % en 1985 pour atteindre presque 30 % au moment de la liquidation.

[32] Le vérificateur semble s'être laissé trop influencer par les renseignements fournis d'une façon succincte dans les déclarations de revenu de GNC. Je suis persuadé que ces renseignements visaient davantage à faire état du pourcentage que pouvait représenter la vente de différents produits ou services qu’à décrire quelle était la nature véritable de son entreprise. Si le vérificateur avait poussé plus à fond sa vérification, il aurait certainement réalisé que le but principal de GNC était la vente du gaz naturel. Comme GNC en était au tout début de son entreprise et qu'il fallait, pour établir un marché pour son produit, convertir les véhicules[3], il n'est pas surprenant que les recettes soient d'abord venues de la conversion de véhicules au gaz naturel et que ces recettes aient été plus élevées que celles provenant de la vente du gaz naturel. Toutefois, à long terme, ces proportions se seraient inversées.

[33] Le fait que l'on ait encouragé l'établissement de centres de conversion exploités par des tiers est dans le droit fil de la stratégie consistant à miser davantage sur la vente du gaz naturel comme source de revenus que sur ces activités de conversion. J'en viens donc à la conclusion que GNC exploitait une entreprise de vente de gaz naturel comme carburant et que les opérations de conversion ne constituaient qu'une activité accessoire à cette entreprise de vente.

[34] Même si on présumait que GMi avait cessé de fournir ces services de conversion, ce qui est contraire à mon interprétation des faits ici, cette cessation aurait-elle eu comme conséquence de changer substantiellement l’entreprise exploitée par GNC? Je ne crois pas. Lorsqu’une société abandonne une activité accessoire à son entreprise principale, elle continue à exploiter la même entreprise principale.

[35] Ayant défini ainsi l'entreprise de GNC, il reste à déterminer si GMi a exploité cette entreprise tout au long de l’année 1988 et si elle l'a fait à profit ou dans une attente raisonnable de profit. Il n'y a pas vraiment de doute que GMi a continué la commercialisation du gaz naturel comme carburant en 1988, mais l’a-t-elle fait à profit ou dans une attente raisonnable de profit?

[36] Les études de marché révélaient un potentiel à long terme pour la vente de gaz naturel comme carburant. Les ajustements apportés par GMi dans la poursuite de cette activité après l'acquisition de l'entreprise de GNC ont entraîné l’élimination de nombreux frais fixes et il en est résulté des économies d’échelle. De plus, GMi a concentré ses efforts sur la vente du gaz naturel comme carburant à des entreprises possédant d’importantes flottes de véhicules. Finalement, beaucoup des dépenses de démarrage pour la commercialisation de ce nouveau produit avaient déjà été engagées.

[37] Quoique nous ne soyons pas en mesure de le constater puisque ces activités ont été fondues dans les autres activités de commercialisation de GMi, il est même possible de croire que la commercialisation du gaz naturel comme carburant se faisait à profit durant 1988. Il est donc raisonnable de conclure que les pertes déduites par GMi provenaient de GNC et que l’entreprise de celle-ci a été exploitée par GMi tout au long de l’année 1988 avec, au moins, une attente raisonnable de profit.

[38] Reste à aborder la deuxième question, soit celle de savoir si la deuxième condition prévue au sous-alinéa 88 (1.1)e)(ii) de la Loi a été remplie. Comme l’entreprise de GNC a été fondue dans celle de GMi, il n’est pas possible de déterminer quels étaient les revenus provenant de l’entreprise transférée par GNC à GMi. Il faut donc déterminer si GMi gagnait un revenu provenant d’une entreprise dont la presque totalité du revenu était dérivée de la vente, de la location ou de l’aménagement de biens semblables à ceux vendus, loués ou aménagés par GNC ou de la prestation de services semblables à ceux rendus par GNC.

[39] Pour résoudre cette question, il faut d’abord déterminer quels produits étaient vendus par GNC avant l’acquisition de contrôle et ensuite lesquels l’étaient par GMi durant l’année 1988. On l'a vu plus haut, GNC faisait principalement la commercialisation du gaz naturel comme carburant et fournissait des services de conversion. Quant à GMi, 90 % ou 95 % de ses revenus provenaient de la vente de gaz naturel, le reste étant tiré d’activités accessoires. Comme la preuve a révélé que GMi fournissait des services de conversion à ses clients, il est raisonnable de conclure que la presque totalité de ses revenus provenait de la vente de gaz naturel et de services de conversion.

[40] Est-ce que le gaz naturel vendu par GMi et les services de conversion fournis par elle sont des biens ou des services semblables aux biens vendus ou aux services fournis par GNC? Je ne crois pas que l’on puisse avoir ici le moindre doute qu’il s’agissait non seulement de biens ou de services semblables mais aussi de biens essentiellement identiques. À mon avis, il n’existe aucune différence importante entre du gaz naturel vendu comme source d’énergie pour des appareils de chauffage, des chauffe-eau ou des cuisinières ou comme carburant pour véhicules. Quant aux services de conversion de véhicules au gaz naturel, s'ils ne sont pas identiques, ils sont à tout le moins semblables.

[41] Le fait que les activités de GNC ont été intégrées dans celles de GMi sans qu’il n’ait été nécessaire d’établir une division distincte pour exercer ces activités constitue certainement un excellent indice que non seulement GNC exploitait une entreprise semblable à celle de GMi mais les produits qu’elle vendait ou les services qu’elle fournissait étaient identiques ou au moins similaires.

[42] Je ne peux m’empêcher de constater qu’en appliquant l’article 88 de la Loi en l’espèce, le vérificateur du ministre semble avoir perdu de vue la raison d’être des dispositions anti-évitement que renferme l’alinéa 88(1.1)e) de la Loi. Elles visent à empêcher que des contribuables fassent l’acquisition du contrôle de sociétés plus pour les pertes fiscales de ces sociétés que pour l’entreprise qu’elles exploitent. Il me paraît évident que l’article 88 de la Loi vise à empêcher qu’une société dont l’activité principale serait, par exemple, la vente du gaz naturel, achète une société dont l’activité principale est la fabrication de téléviseurs, à moins que cette dernière entreprise ne soit exploitée à profit ou dans une attente raisonnable de profit, la déduction des pertes ne pouvant être faite que dans la mesure des revenus provenant de l’entreprise de fabrication de téléviseurs. Toutefois, est-il meilleur exemple d’une entreprise qui ne devrait pas être visée par la règle anti-évitement qu’une entreprise comme GMi qui acquiert l’entreprise exploitée par une société qu’elle avait elle-même constituée, quoiqu’à titre minoritaire, pour favoriser davantage la vente de son produit, soit le gaz naturel?

[43] Les conditions énoncées à l’alinéa 88(1.1)e) de la Loi sont toutes réunies. GMi a droit à la déduction des pertes subies par GNC avant l’acquisition de contrôle, lesquelles pertes s’élèvent à 2 835 655 $.

[44] Pour ces motifs, les appels de GMi contre les cotisations pour les années d’imposition 1987 et 1988 sont admis, sans frais, et les cotisations sont déférées au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelles cotisations suivant les termes du consentement à jugement relativement à l’année d’imposition 1987 et en tenant pour acquis que les pertes autres que les pertes en capital de GMi comprennent les pertes autres que les pertes en capital de 2 835 655 $ provenant de GNC et en tenant également pour acquis que GMi a le droit de déduire ces dernières pertes dans le calcul de son revenu imposable pour l’année d’imposition 1988.

[45] Compte tenu des circonstances de ces appels, il aurait été tout à fait approprié d’adjuger les dépens à GMi. Toutefois, cette dernière y a renoncé.

Signé à Ottawa, Canada, ce 22e jour de juin 1998.

« Pierre Archambault »

J.C.C.I.



[1]           La copie des états financiers de 1982 produite à l’audience ne comprend pas les notes.

[2]           Monsieur Normand a reconnu que le prix du gaz naturel destiné à être utilisé comme carburant livré aux consommateurs n’était pas réglementé par la Régie. Celle-ci réglementait toutefois le prix auquel GMi vendait le gaz naturel à GNC.

[3]           Comment peut-on vendre du gaz naturel comme carburant si les véhicules n’ont pas d’abord été adaptés à ce type de carburant?

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