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Date: 19991110

Dossier: 98-2103-IT-I

ENTRE :

DAVID M. SHERMAN,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Hamlyn, C.C.I.

[1] Le présent appel porte sur l'année d'imposition 1995.

[2] Dans sa déclaration de revenus relative à l'année d'imposition 1995, l'appelant faisait état d'un revenu imposable de 59 180 $. Dans le calcul de l'impôt ordinairement payable, l'appelant a déduit des crédits d'impôt non remboursables totalisant 3 766,50 $. Aux fins du calcul de l'impôt minimum payable, le total des crédits d'impôt non remboursables réclamés par l'appelant au titre du crédit d'impôt minimum de base s'élevait à 13 615,16 $.

[3] Par avis de cotisation daté du 26 mars 1999, le ministre du Revenu national (le “ ministre ”) a établi à l'égard de l'appelant une cotisation dans laquelle il fixait le montant du revenu imposable, accordait des crédits d'impôt non remboursables totalisant 3 766 $ et fixait l'impôt minimum payable à 11 010,91 $.

EXPOSÉ CONJOINT PARTIEL DES FAITS

[4] L'appelant et l'intimée ont convenu des faits ci-après exposés. Les parties se sont réservé le droit de produire des éléments de preuve compatibles avec ces faits.

[TRADUCTION]

Les renvois législatifs ci-après sont des renvois à la Loi de l'impôt sur le revenu (Canada) (la “ Loi ”). Les mentions de “ IMR ” valent mentions de l'impôt minimum de remplacement. Les mentions de “ ministre ” valent mentions du ministre du Revenu national.

1. L'appelant a produit sa déclaration relative à l'année d'imposition 1995 le 4 juin 1996.

[...]

2. L'appelant a dans sa déclaration fait état d'un revenu net de 254 304,06 $ et d'un revenu imposable de 59 180 $.

3.                     À la page 3 de sa déclaration (ligne 350), l'appelant a indiqué comme total des crédits non remboursables un montant de 3 766,50 $. Ces crédits non remboursables représentaient le montant personnel de base, les cotisations au RPC et un montant de 8 289 $ au titre des dons de bienfaisance.

[...]

4. L'appelant a fait des dons de bienfaisance totalisant 41 515 $ et a payé des frais médicaux s'élevant en tout à 2 868 $ pour l'année d'imposition 1995, le tout étant appuyé par les reçus nécessaires.

5. L'appelant n'a, à la page 3 de sa déclaration (ligne 350), déduit ni les dons de bienfaisance en sus de 8 289 $ ni les frais médicaux.

6. L'appelant a produit une page 3 distincte de sa déclaration, où figurait la mention “ POUR IMPÔT MINIMUM (T691) SEULEMENT ” et où étaient indiqués des crédits totalisant 13 615,16 $, lesquels représentaient le montant personnel de base, les cotisations au RPC et des montants de 41 515 $ et 2 868 $ au titre des dons de bienfaisance et des frais médicaux respectivement.

[...]

7. Sur le formulaire T691 qu'il a produit avec sa déclaration, l'appelant faisait état d'un montant de 13 615,16 $, plutôt que de 3 766,50 $, au titre du “ total des crédits d'impôt non remboursables ”; ce chiffre était suivi des mots “ VOIR LETTRE (NOTE ) CI-JOINTE ”.

[...]

8. L'appelant a joint à sa déclaration une note indiquant que le montant plus élevé qui figurait à la page 3 distincte devait être utilisé aux fins du calcul de son IMR.

[...]

9. En établissant la cotisation de l'appelant pour l'année d'imposition 1995, le ministre a calculé l'IMR payable par l'appelant et accordé à ce dernier un crédit d'impôt minimum de base s'élevant à 3 766 $.

[...]

10. L'appelant a produit un avis d'opposition le 9 août 1996. Le ministre a ratifié la cotisation le 16 juillet 1998. L'appelant a interjeté appel à la présente cour le 13 août 1998.

11. Le ministre a établi une nouvelle cotisation à l'égard de l'appelant pour l'année d'imposition 1995, et a envoyé un avis de nouvelle cotisation daté du 26 mars 1999. La nouvelle cotisation était fondée sur de tout autres motifs et n'a aucune incidence sur le présent appel.

[...]

QUESTION À TRANCHER

[5] La seule question à trancher est celle de savoir si l'appelant a le droit d'inclure, comme crédit d'impôt minimum de base aux fins du calcul de l'impôt minimum de remplacement (IMR), en vertu de l'article 127.531, des montants de dons de bienfaisance et de frais médicaux qui n'avaient pas été déduits en vertu des articles 118.1 et 118.2 dans le calcul de l'impôt ordinaire.

ARGUMENT DE L'APPELANT

[6] L'article 127.531 de la Loi se lit comme suit :

Le crédit d'impôt minimum de base d'un particulier pour une année d'imposition est le total des montants déductibles, en application des paragraphes 118(1) et (2), des articles 118.1 et 118.2, du paragraphe 118.3(1) et des articles 118.5 à 118.7, dans le calcul de son impôt payable pour l'année en vertu de la présente partie.

(Le soulignement est de moi.)

[7] Selon l'article 11 de la Loi d'interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-21, “ l'octroi de pouvoirs, de droits, d'autorisations ou de facultés s'exprime essentiellement par le verbe "pouvoir" et, à l'occasion, par des expressions comportant ces notions ”.

[8] Par conséquent, le mot “ déductibles ” figurant à l'article 127.531 de la Loi signifie “ peuvent être déduits ”. Ils ne veulent pas dire “ ont été déduits ”.

[9] L'article 127.531 n'exige pas que le montant du crédit d'impôt minimum de base calculé conformément à cet article soit le même que le total des crédits qui sont calculés lorsqu'il s'agit de déterminer l'impôt ordinairement payable.

POSITION DU MINISTRE

[10] Le ministre prétend que, pour l'année d'imposition 1995, l'appelant n'avait pas le droit d'inclure, comme crédit d'impôt minimum de base aux fins du calcul de l'impôt minimum payable, en vertu de l'article 127.531 de la Loi, des montants de dons de bienfaisance et de frais médicaux qui n'avaient pas été déduits en vertu des articles 118.1 et 118.2 de la Loi dans le calcul de l'impôt ordinaire, et que, par conséquent, il a valablement fixé l'impôt minimum payable par l'appelant pour cette année conformément à l'article 127.5 de la Loi.

[11] Le ministre soutient que la façon dont l'appelant interprète l'article 127.531 est incompatible avec le sens ordinaire des mots figurant aux articles 118.1, 118.2 et 127.531 de la Loi et que l'interprétation de l'appelant vide de tout son sens la comparaison que le législateur a voulu établir entre l'assujettissement à l'impôt minimum de remplacement et l'assujettissement à l'impôt ordinaire.

[12] Le ministre prétend en outre ce qui suit :

1) L'appelant tente d'utiliser ses dons de bienfaisance et ses frais médicaux uniquement aux fins du calcul de l'impôt minimum de remplacement tout en se gardant la possibilité de se servir des dons afin de réduire son impôt à payer dans des années futures.

2) Les mots “ impôt payable pour l'année en vertu de la présente partie ” qui figurent à l'article 127.531 signifient que le contribuable peut déduire un seul montant au titre des dons de bienfaisance et des frais médicaux dans le calcul de l'impôt payable pour une année donnée. Si le législateur avait voulu autoriser la déduction de crédits d'impôt différents pour l'application des sections E et E.1, l'article 127.531 aurait parlé de “ la section E ” plutôt que de “ la présente partie ”.

3) Dans l'expression “ un particulier peut déduire [...] un montant ” qui figure au paragraphe 118.1(3), les mots “ peut déduire ” renvoient au montant effectivement déduit dans le calcul de l'impôt ordinairement payable.

4) L'adjonction de l'article 127.531 à la Loi en 1988 n'a pas eu pour effet de modifier le sens ordinaire du régime de l'impôt minimum de remplacement qui a été adopté en 1985 et qui indiquait clairement que seuls les montants déduits à titre de dons de bienfaisance dans le calcul de l'impôt ordinairement payable pouvaient être déduits à ce titre dans le calcul de l'impôt minimum de remplacement payable.

ANALYSE

[13] Dans le calcul de son impôt payable en 1995 en application de la section E (impôt ordinairement payable), M. Sherman a déduit des crédits d'impôt de 8 289 $ au titre des dons de bienfaisance. Aux fins du calcul des crédits d'impôt, l'appelant pouvait se prévaloir de dons de bienfaisance s'élevant à 41 515 $ et de frais médicaux de 2 868 $. L'impôt minimum de remplacement était applicable dans l'année d'imposition 1995 de l'appelant, et celui-ci a réclamé, aux fins du calcul de l'impôt minimum payable en application de la section E.1, des crédits d'impôt à l'égard de l'ensemble des dons de bienfaisance et des frais médicaux dont il pouvait se prévaloir. M. Sherman ne partage pas l'avis du ministre que le contribuable doit, dans le calcul de l'impôt minimum payable, déduire uniquement les mêmes crédits d'impôt que ceux qu'il a déduits en calculant l'impôt ordinairement payable.

[14] Le mot “ déductibles ” employé par le législateur est clair et précis; il exprime l'octroi de facultés et non la création d'une obligation. Ce mot ne peut être interprété comme signifiant “ peuvent être déduits et ont été déduits ”.

[15] Le mot “ déductibles ” renvoit à des catégories de déductions admissibles au titre des crédits d'impôt mais non uniquement à des catégories de déductions dont le contribuable s'est effectivement prévalu aux fins des crédits d'impôt dans le calcul de l'impôt ordinairement payable.

[16] Comme le soulignait si habilement l'appelant, les mots “ déductibles [...] dans le calcul de son impôt payable pour l'année en vertu de la présente partie ” qui figurent à l'article 127.531 n'étayent pas l'argument avancé par l'intimée selon lequel un seul montant peut être déduit au titre à la fois de l'impôt ordinaire et de l'impôt minimum de remplacement. Cet argument omet, en renvoyant aux mots “ impôt payable pour l'année en vertu de la présente partie ”, de tenir compte du fait que la Loi établit dans bien des cas une distinction entre les montants qui peuvent être déduits et ceux qui ont été déduits. Dans ses observations écrites, l'appelant a cité 17 exemples dans la Loi de montants qui peuvent être déduits ou qui sont déductibles aux fins du calcul de l'impôt payable “ en vertu de la présente partie ”, et 27 exemples de montants qui “ étaient déductibles ” ou qui ont été déduits dans le calcul de l'impôt payable “ en vertu de la présente partie ”.

CONCLUSION

[17] À mon avis, les termes de l'article 127.531 sont clairs et non équivoques et devraient simplement être appliqués. Cela est conforme aux principes récemment appliqués par la juge McLachlin dans l'arrêt Shell Canada Ltd. c. Canada, C.S.C., numéro du greffe 26596, 15 octobre 1999, aux paragraphes 40 et 45 :

40 Deuxièmement, la jurisprudence fiscale de notre Cour est bien établie : l'examen de la “ réalité économique ” d'une opération donnée ou de l'objet général et de l'esprit de la disposition en cause ne peut jamais soustraire le tribunal à l'obligation d'appliquer une disposition non équivoque de la Loi à une opération du contribuable. Lorsque la disposition en cause est claire et non équivoque, elle doit simplement être appliquée : Continental Bank, précité, au par. 51, le juge Bastarache; Tennant, précité, au par. 16, le juge Iacobucci; Canada c. Antosko, [1994] 2 R.C.S. 312, http://www.droit.umontreal.ca/doc/csc-scc/fr/pub/1994/vol2/html/1994rcs2_0312.htmlaux pp. 326, 327 et 330, le juge Iacobucci; Friesen c. Canada, [1995] 3 R.C.S. 103, http://www.droit.umontreal.ca/doc/csc-scc/fr/pub/1995/vol3/html/1995rcs3_0103.htmlau par. 11, le juge Major; Alberta (Treasury Branches) c. M.R.N., [1996] 1 R.C.S. 963, http://www.droit.umontreal.ca/doc/csc-scc/fr/pub/1996/vol1/html/1996rcs1_0963.htmlau par. 15, le juge Cory.

[...]

45 Cependant, il ressort des arrêts plus récents de notre Cour qu'en l'absence d'une disposition expresse contraire, il n'appartient pas aux tribunaux d'empêcher les contribuables de recourir, dans le cadre de leurs opérations, à des stratégies complexes qui respectent les dispositions pertinentes de la Loi, pour le motif que ce serait inéquitable à l'égard des contribuables qui n'ont pas opté pour cette solution. Notre Cour s'est précisément penchée sur cette question dans Duha Printers (Western) Ltd. c. Canada, [1998] 1 R.C.S. 795, http://www.droit.umontreal.ca/doc/csc-scc/fr/pub/1998/vol1/html/1998rcs1_0795.htmlau par. 88, le juge Iacobucci. Voir également Neuman c. M.R.N., [1998] 1 R.C.S. 770, http://www.droit.umontreal.ca/doc/csc-scc/fr/pub/1998/vol1/html/1998rcs1_0770.htmlau par. 63, le juge Iacobucci. Il incombe aux tribunaux d'interpréter et d'appliquer la Loi telle qu'elle a été adoptée par le Parlement. Les remarques incidentes formulées dans des arrêts antérieurs dont on peut dire qu'elles appuient un principe d'interprétation plus large et moins certain ont donc été supplantées par les arrêts que notre Cour a rendus depuis en matière fiscale. Sauf disposition contraire de la Loi, le contribuable a le droit d'être imposé en fonction de ce qu'il a fait, et non de ce qu'il aurait pu faire et encore moins de ce qu'un contribuable moins habile aurait fait.

(Le soulignement est de moi.)

[18] Le mot “ déductibles ” figurant à l'article 127.531 de la Loi admet la possibilité que le contribuable puisse, aux fins du calcul du crédit d'impôt minimum, se servir de dépenses que, pour quelque raison que ce soit, il n'a pas déduites dans le calcul des crédits d'impôt ordinaires. Si le législateur voulait que les crédits d'impôt soient les mêmes aux fins du calcul tant de l'impôt ordinairement payable que de l'impôt minimum payable, le mot en cause qu'il a employé à l'article 127.531 aurait dû être plus précis.

DÉCISION

[19] L'appel est admis et la cotisation portant sur l'année d'imposition 1995 est déférée au ministre pour nouvel examen et nouvelle cotisation en tenant compte du fait que l'appelant a le droit d'inclure comme crédit d'impôt minimum de base aux fins du calcul de l'impôt minimum payable, en application de l'article 127.531, les

dons de bienfaisance et les frais médicaux qui n'ont pas été déduits en vertu des articles 118.1 et 118.2 aux fins du calcul de l'impôt ordinaire payable.

Signé à Ottawa, Canada, ce 10e jour de novembre 1999.

“ D. Hamlyn ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 17e jour de juillet 2000.

Erich Klein, réviseur

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