Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date: 19990226

Dossier: 97-1090-UI

ENTRE :

RICARDO TAVARES,

appelant,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

Motifs du jugement

Le juge suppléant Porter, C.C.I.

[1] Le présent appel a été entendu à Montréal (Québec) le 4 août 1998.

[2] L'appelant porte en appel la détermination du ministre du Revenu national (le « ministre » ) datée du 9 mai 1997, selon laquelle l'emploi qu'il a occupé auprès de la Magil-Cementcal du 26 mars 1996 au 15 janvier 1997 n'était pas un emploi assurable au sens de la Loi sur l'assurance-chômage et de la Loi sur l'assurance-emploi (collectivement appelées la « Loi » ci-après), au motif que :

« l'emploi était exercé auprès d'une entreprise non résidante. »

[3] La décision du ministre était fondée sur les articles 5 et 11 respectivement des règlements pris en application de la Loi.

[4] Selon les faits établis, l'appelant a, tout au long de la période pertinente, travaillé en Israël comme menuisier et contremaître dans le cadre d'un projet de construction appelé le « Shalom Center Project » . Il a conclu un contrat de travail avec une organisation appelée Magil-Cementcal, laquelle est d'après l'intimé une société enregistrée dans l'État d'Israël, constituée de Magil Construction Canada Ltd., une entreprise de construction établie à Montréal, et de Cementcal, une société israélienne. Le ministre a ainsi déterminé que l'emploi était exercé à l'étranger et auprès d'un employeur non résidant et que, par conséquent, il ne s'agissait pas d'un emploi assurable. L'appelant soutient qu'il travaillait pour la Magil Construction Canada Ltd. et que, puisque celle-ci était une société canadienne résidant au Canada et y faisant affaire, son emploi était assurable. Le litige porte donc sur deux questions : il s'agit de savoir d'une part si Magil-Cementcal était l'employeur et d'autre part, le cas échéant, si cette société était de fait une personne juridique qui ne résidait pas au Canada et n'y avait pas d'établissement.

Le droit

[5] Sous le régime de la Loi, le législateur a prévu que certains types d'emploi étaient assurables, de sorte que l'employé licencié avait le droit de recevoir des prestations, et que d'autres types d'emploi ne l'étaient pas et n'ouvraient donc pas droit à de telles prestations. Règle générale, un emploi doit avoir été exercé au Canada pour qu'il soit considéré comme un emploi assurable aux termes de l'article 5 de la Loi. Toutefois, le paragraphe 5(4) de la Loi habilite la Commission de l'assurance-emploi du Canada à prendre des règlements en vue d'inclure dans les emplois assurables l'emploi exercé à l'étranger et qui serait un emploi assurable s'il était exercé au Canada. Les règlements en question ont de fait été pris, et l'article 5 se lit comme suit :

5. L'emploi exercé à l'étranger, autre que celui exercé à bord d'un navire conformément à l'article 4, est inclus dans les emplois assurables s'il satisfait aux exigences suivantes :

a)       il est exercé par une personne qui réside habituellement au Canada;

b)       il est exercé entièrement ou partiellement à l'étranger au service d'un employeur qui réside ou a un établissement au Canada;

c)        il serait un emploi assurable s'il était exercé au Canada;

d)       il n'est pas un emploi assurable selon les lois du pays où il est exercé.

[6] Il faut qu'il ait été satisfait à chacune des conditions susmentionnées pour que l'emploi puisse être considéré comme étant assurable. On peut dire sans risque de se tromper que les parties s'entendent sur le fait que l'appelant résidait habituellement au Canada, que l'emploi était exercé à l'étranger et qu'il aurait été assurable s'il avait été exercé au Canada, et qu'il n'était pas un emploi assurable selon la loi israélienne. La question qui reste à trancher est celle de savoir qui était l'employeur et si celui-ci résidait au Canada ou y avait un établissement. Le fardeau de la preuve incombe à cet égard à l'appelant, selon la prépondérance des probabilités.

Les faits

[7] Selon la preuve, l'appelant a conclu en janvier 1996 un contrat rudimentaire aux termes duquel il s'engageait à travailler sur le projet en cause en Israël. Dans les années antérieures, il avait travaillé au Canada pour la société Magil, et c'était un des représentants de celle-ci qui l'avait recruté. Le contrat, qui faisait état de diverses modalités, avait été signé par M. Joseph Gutstadt, président de Magil et associé directeur général de Magil-Cementcal, pour le compte de cette dernière.

[8] À la mi-mars 1996, l'appelant se rendait en Israël et commençait à travailler. Le 6 mai 1996, Magil Construction Canada Ltd. versait la première paye de l'appelant directement dans le compte bancaire qu'il détenait à Montréal, soit 2 875 $. Par la suite, toutes ses payes étaient versées directement dans un compte bancaire en dollars américains, en Israël. Si Magil-Cementcal agissait ainsi, c'était en quelque sorte pour se conformer aux lois fiscales israéliennes. Les dépôts auraient censément été effectués par une société d'administration de la paye pour le compte de Magil-Cementcal. M. Mark Vlakancic, vice-président de la société Magil, a expliqué que la seule raison pour laquelle le premier chèque de paye avait été émis au Canada par sa société était que les deux associés payaient divers éléments avec leurs propres fonds en attendant que la société obtienne en Israël son propre financement. La société a par la suite obtenu les divers crédits dont elle avait besoin.

[9] L'appelant avait déduit de sa paye un montant forfaitaire au titre de l'impôt sur le revenu payable à l'État d'Israël. Il a payé 11 047,31 $ en tout. Aucune déduction n'a été effectuée au titre de régimes canadiens dont l'impôt. Dans ses déclarations d'impôt fédérale et provinciale (Québec), l'appelant a demandé sa déduction d'impôt de non-résident et semble avoir payé peu d'impôt, sinon aucun, sur ce revenu.

[10] En 1997, la société Magil a fourni un relevé 17 du Québec et un formulaire T-4 de Revenu Canada indiquant qu'elle était l'employeur. M. Mark Vlakancic a déclaré, au cours de son témoignage, que les comptables de la société l'avaient informé qu'ils procédaient ainsi pour permettre à l'appelant de demander légitimement la déduction d'impôts pour non-résidents. Le témoin a toutefois soutenu que tous les paiements provenaient de la société en Israël et non de sa compagnie.

[11] L'avocate du ministre a produit en preuve le contrat de société portant création de la Magil-Cementcal aux fins de la construction conjointe d'un immense complexe en Israël. Le contrat serait censément régi par les lois d'Israël. On n'a présenté à la Cour aucun élément de preuve permettant d'établir que la loi israélienne était de quelque manière différente de la loi québécoise pour ce qui est des sociétés. Au Québec, tout comme dans le reste du Canada, une société n'est pas une personne juridique. Ainsi, tout contrat conclu par une société est un contrat conclu par chacun des associés individuellement et collectivement. Dans l'arrêt Sidhu v. M.N.R., [1997] 2 C.T.C. 85, la Cour d'appel fédérale déclarait ce qui suit à la page 87 :

En common law et aux termes du Partnership Act, une société en nom collectif n'est pas une entité juridique. L'acte commis par un associé dans le cadre des activités ordinaires de la société engage tous les associés qui, pris dans leur ensemble, constituent la société en nom collectif.

Si, comme c'est le cas en l'espèce, la requérante est engagée pas un associé qui n'est pas son beau-fils, son contrat de travail liera néanmoins l'ensemble des associés. Il en va ainsi de sa situation vis-à-vis l'un des associés, situation qui va marquer l'ensemble du contrat. Par conséquent, la requérante a été engagée par son beau-fils et travaillait, effectivement, pour lui.

[12] Sous l'ancien Code civil du Bas-Canada, les tribunaux québécois semblaient pour la plupart estimer qu'une société n'était pas une personne juridique :

Sous l'ancien Code civil du Bas-Canada, les tribunaux québécois ainsi que la doctrine opinent majoritairement que la société a une personnalité morale : voir Somec Inc. c. Procureur général du Québec, J.E. 87-667 (C.A.); Menuiserie Denla Inc. c Condo Jonquière Inc., J.E. 96-225 (C.A.) et Lalumière c. Moquin, [1995] R.D.J. 440 (C.A.) et M. Wilhelmson, « The Nature of the Quebec Partnership : Moral Person, Organized Indivision or Autonomous Patrimony? » , (1992) 31 McGill I.J. 995.

[13] Depuis l'entrée en vigueur du Code civil du Québec toutefois, une opinion majoritaire nouvelle semble s'être fait jour dans les tribunaux de cette province, rejoignant ainsi davantage la position adoptée par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Sidhu (précité) ainsi que par le reste du Canada. Les tribunaux ont statué qu'une société n'était pas une personne juridique au sens du Code. Dans la décision Ville de Québec c. La Compagnie d'immeubles Allard Ltée, [1996] R.J.Q. 1566, la Cour d'appel du Québec a examiné la nature d'un contrat de société. Le juge Brossard, s'exprimant au nom de la Cour, a déclaré ceci :

Historiquement, les sociétés n'étaient pas considérées comme des personnes morales et ne pouvaient détenir directement des biens. Cette vision n'a changé qu'au XIXe siècle en France alors que d'autres pays de droit civil maintenaient la vision qui avait prévalu jusque là. La position française fut adoptée suite à l'application de la théorie de la fiction. Une partie de la doctrine et de la jurisprudence québécoises y adhérèrent sans tenir compte des différences entre certains articles correspondant du C.C.F. et du C.c.B.-C. Suite à l'examen du Code civil du Bas-Canada, je me dois, pour ma part et avec égards pour l'opinion contraire, d'indiquer mon désaccord. Je ne crois pas que le Code québécois accorde implicitement la personnalité aux sociétés. Au contraire, tel qu'explicité plus haut, il me semble que ses dispositions confirment plutôt l'absence de personnalité de la société et son incapacité à détenir des biens.

[14] La Cour supérieure du Québec a appliqué le même raisonnement dans les causes suivantes : Lévesque c. Mutuelle-vie des fonctionnaires du Québec, [1996] R.J.Q. 1701; Caisse populaire Laurier c. 2959-6673 Québec Inc., [1996] A.Q. no 4658.

[15] L'appelant a été en l'espèce engagé par Magil Construction Canada Ltd., censément pour le compte de la société Magil-Cementcal. Je dis censément parce que le chèque de paye initial a été émis par Magil Construction Canada Ltd. et que les formulaires d'impôt sur le revenu ont également été établis par cette dernière. Néanmoins, on pourrait tout au plus dire en ce qui concerne l'emploi de l'appelant que ce dernier a été embauché par les deux compagnies, une résidant en Israël, l'autre au Canada. Il est clair que s'il avait uniquement été engagé par Magil Construction Canada Ltd. pour travailler dans le cadre d'un projet en Israël, l'appelant serait visé par les règlements, c'est-à-dire que l'on pourrait affirmer que la compagnie résidait et avait un établissement au Canada. Le fait qu'il y ait un associé de plus ne me semble pas changer la situation. La seule chose qui change, si l'on tient compte de la société, c'est que l'appelant devient aussi l'employé de l'autre associé, bien qu'il s'agisse d'un associé ne résidant pas au Canada. Cela n'a toutefois pas pour effet de modifier la situation initiale. L'appelant demeure à l'emploi de la compagnie canadienne, laquelle réside et a un établissement au Canada, même si le projet de construction est réalisé ailleurs. Si la société était devenue une personne juridique, par exemple si les deux personnes morales étaient devenues actionnaires à parts égales d'une nouvelle personne morale, la situation serait alors différente. Toutefois, sous le régime de la législation canadienne actuelle régissant la situation qui nous intéresse, la société n'est pas une personne juridique et équivaut à l'ensemble de ses parties et à rien d'autre. Pour paraphraser la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Sidhu (précité), le contrat de travail lie tous les membres de la société, notamment en ce qui concerne la relation existant entre l'appelant et Magil Construction Canada Ltd., laquelle relation imprégnait l'ensemble du contrat.

[16] À mon avis, le ministre a émis une hypothèse de fait erronée en droit en déterminant que l'employeur était la société, en tant que personne juridique. Dans la réponse à l'avis d'appel, l'avocate du ministre renvoie aux faits sur lesquels le ministre se serait censément fié, portant que l'employeur serait une personne unique. Avec égards, je conclus que cela était une erreur, puisque l'appelant n'était pas employé par une personne unique, la société, mais plutôt par chacun des deux associés, dont l'un, manifestement, résidait et avait un établissement au Canada. La position de l'appelant ne peut à mon avis qu'être renforcée par le fait que les arrangements initiaux avaient été faits au nom de la compagnie canadienne et que celle-ci lui avait remis les formulaires relatifs à l'impôt sur le revenu.

Conclusion

[17] En conclusion, je statue que l'appelant était au service d'un employeur qui résidait et avait un établissement au Canada, soit Magil Construction Canada Ltd. Les autres conditions prévues par le règlement n'étaient pas en cause en l'espèce. L'emploi était donc un emploi assurable. Par conséquent, l'appel est accueilli et la décision du ministre, annulée.

Signé à Calgary (Alberta) ce 26e jour de février 1999.

« Michael H. Porter »

J.S.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 15e jour de décembre 1999.

Mario Lagacé, réviseur

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.