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Date: 19990226

Dossier: 97-1416-UI

ENTRE :

MAYNE NICKLESS TRANSPORT INC.,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

Motifs du jugement

Le juge suppléant Porter, C.C.I.

[1] Cet appel a été entendu à Montréal (Québec) le 6 août 1998.

[2] L'appelante interjette appel contre le règlement d’une question par le ministre du Revenu national (le « ministre » ) en date du 30 avril 1997 selon lequel Johannes Van Der Woerd (le « travailleur » ) a, du 1er novembre 1994 au 31 décembre 1995, exercé chez l'appelante, faisant des affaires sous le nom de Loomis Courier Service, un emploi assurable aux fins de la Loi sur l'assurance-chômage (ci-après appelée la « Loi » ). Le motif indiqué du règlement de la question était que :

[TRADUCTION]

[...] Johannes Van Der Woerd exerçait un emploi en vertu d'un contrat de louage de services et était donc un employé.

[3] Les faits établis révèlent qu’à l'époque pertinente l'appelante se livrait notamment à l'exploitation d'un service de messageries à Calgary (Alberta) et que le travailleur travaillait comme messager pour elle dans cette ville. Les fonctions du travailleur consistaient à ramasser et à livrer du courrier et des colis dans la ville. L'appelante soutient que le travailleur et d'autres messagers comme lui travaillaient ainsi comme des entrepreneurs indépendants en vertu de contrats d'entreprise plutôt que comme des employés et qu'il n'y a donc pas de cotisations d'assurance-chômage à payer. Le ministre a conclu qu’au contraire les arrangements en cause équivalaient à des contrats de louage de services et que l'appelante doit donc payer des cotisations d'assurance-chômage. On a présenté ce litige comme étant en quelque sorte une cause type à trancher selon les faits qui lui sont propres, tout en étant conscient du fait qu'il y a plusieurs causes semblables qui sont actuellement en instance.

Le droit

[4] La façon dont la Cour doit s’y prendre pour déterminer si un arrangement de travail particulier représente un contrat de louage de services et entraîne donc une relation employeur-employé, ou bien un contrat d'entreprise qui entraîne donc une relation d'entrepreneur indépendant, a été clairement énoncée par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Wiebe Door Services Ltd. v. M.N.R., 87 DTC 5025. Le critère à appliquer a été davantage expliqué par ladite cour dans l'arrêt Moose Jaw Kinsmen Flying Fins Inc. v. M.N.R., 88 DTC 6099. Il y a eu après ces arrêts de nombreuses décisions de notre cour, dont certaines ont été citées par les avocats en l'espèce, qui révèlent comment ces lignes directrices de la Cour d'appel fédérale ont été appliquées. Dans l'arrêt Moose Jaw Kinsmen Flying Fins Inc., précité, la Cour d'appel fédérale a dit ceci :

[Analyse]

La cause décisive concernant cette question dans le contexte de la loi est la décision de la Cour dans l'affaire Wiebe Door Services Ltd. c. Le ministre du Revenu national, 87 D.T.C. 5025. Parlant au nom de la Cour, le juge MacGuigan a analysé des causes canadiennes, britanniques et américaines et, en particulier, il a mentionné les quatre critères pour rendre une telle décision qui sont énoncés par lord Wright dans l'affaire La ville de Montréal c.Montreal Locomotive Works Ltd., [1974] 1 D.L.R. 161, aux pages 169 et 170. Il a conclu à la page 5028 que :

Dans ce contexte, les quatre critères [contrôle, propriété des instruments de travail, chances de bénéfice et risques de perte] établis par lord Wright constituent une règle générale, et même universelle, qui nous oblige à [TRADUCTION] "examiner l'ensemble des divers éléments qui composent la relation entre les parties". Quand il s'est servi de cette règle pour déterminer la nature du lien existant dans l'affaire Montreal Locomotive Works, lord Wright a combiné et intégré les quatre critères afin d'interpréter l'ensemble de la transaction.

À la page 5029, il déclare :

Je considère le critère de lord Wright non pas comme une règle comprenant quatre critères, comme beaucoup l'ont interprété, mais comme un seul critère qui est composé de quatre parties intégrantes et qu'il faut appliquer en insistant toujours sur ce que lord Wright a appelé [TRADUCTION] "l'ensemble des éléments qui entraient dans le cadre des opérations" et ce même si je reconnais l'utilité des quatre critères subordonnés.

[C'est moi qui souligne.]

À la page 5030, il poursuit :

Il est toujours important de déterminer quelle relation globale les parties entretiennent entre elles.

Il fait également observer : "Quand il doit régler un tel problème, le juge de première instance ne peut se soustraire à l'obligation de peser avec soin tous les facteurs pertinents".

[...] comme le juge MacGuigan, nous considérons les critères comme des subordonnés utiles pour peser tous les faits relatifs à l'entreprise de la requérante. C'est maintenant l'approche appropriée et préférable pour la très bonne raison que dans une cause donnée, et celle-ci peut très bien en être une, un ou plusieurs des critères peuvent être peu ou pas applicables. Pour rendre une décision, il faut donc considérer l'ensemble de la preuve en tenant compte des critères qui peuvent être appliqués et donner à toute la preuve le poids que les circonstances peuvent exiger.

[5] Les critères auxquels faisait référence la Cour d'appel fédérale peuvent être résumés comme suit :

a) le degré, ou l'absence, de contrôle exercé par le prétendu employeur;

b) la propriété des instruments de travail;

c) les chances de bénéfice et les risques de perte;

d) l'intégration des travaux effectués par les prétendus employés dans l'entreprise de l'employeur présumé.

[6] Je note également les propos suivants qu'a tenus le juge MacGuigan dans l'arrêt Wiebe, précité, en approuvant l'approche adoptée par les tribunaux anglais :

C'est probablement le juge Cooke, dans Market Investigations, Ltd. v. Minister of Social Security, [1968] 3 All E.R. 732 [...], qui, parmi ceux qui ont examiné le problème, en a fait la meilleure synthèse (aux pages 738 et 739) :

[TRADUCTION] Les remarques de LORD WRIGHT, du LORD JUGE DENNING et des juges de la Cour suprême des États-Unis laissent à entendre que le critère fondamental à appliquer est celui-ci: « La personne qui s'est engagée à accomplir ces tâches les accomplit-elle en tant que personne dans les affaires à son compte » . Si la réponse à cette question est affirmative, alors il s'agit d'un contrat d'entreprise. Si la réponse est négative, alors il s'agit d'un contrat de service personnel. Aucune liste exhaustive des éléments qui sont pertinents pour trancher cette question n'a été dressée, peut-être n'est-il pas possible de le faire; on ne peut non plus établir de règles rigides quant à l'importance relative qu'il faudrait attacher à ces divers éléments dans un cas particulier. Tout ce qu'on peut dire, c'est qu'il faudra toujours tenir compte du contrôle même s'il ne peut plus être considéré comme le seul facteur déterminant; et que des facteurs qui peuvent avoir une certaine importance sont des questions comme celles de savoir si celui qui accomplit la tâche fournit son propre outillage, s'il engage lui-même ses aides, quelle est l'étendue de ses risques financiers, jusqu'à quel point il est responsable des mises de fonds et de la gestion, et jusqu'à quel point il peut tirer profit d'une gestion saine dans l'accomplissement de sa tâche. L'utilisation du critère général peut être plus facile dans un cas où la personne qui s'engage à rendre le service le fait dans le cadre d'une affaire déjà établie; mais ce facteur n'est pas déterminant. Une personne qui s'engage à rendre des services à une autre personne peut bien être un entrepreneur indépendant même si elle n'a pas conclu de contrat dans le cadre d'une entreprise qu'elle dirige actuellement.

[7] À cela j'ajouterais les propos suivants tenus par le juge d'appel Décary dans l'arrêt Charbonneau c. Canada (M.R.N.), [1996] A.C.F. no 1337, où, parlant pour la Cour d'appel fédérale, il a dit :

Les critères énoncés par cette Cour [...] ne sont pas les recettes d'une formule magique. Ce sont des points de repère qu'il sera généralement utile de considérer, mais pas au point de mettre en péril l'objectif ultime de l'exercice qui est de rechercher la relation globale que les parties entretiennent entre elles. Ce qu'il s'agit, toujours, de déterminer, une fois acquise l'existence d'un véritable contrat, c'est s'il y a, entre les parties, un lien de subordination tel qu'il s'agisse d'un contrat de travail [...] ou s'il [...] y a [...] un degré d'autonomie tel qu'il s'agisse d'un contrat d'entreprise ou de service [...]. En d'autres termes, il ne faut pas [...] examiner les arbres de si près qu'on perde de vue la forêt. Les parties doivent s'effacer devant le tout.

Examen de la preuve

[8] Dans la réponse à l'avis d'appel, il était dit que le ministre s'était fondé sur les faits suivants :

[TRADUCTION]

a) les faits admis ci-dessus;

b) le travailleur n'est pas lié à l'appelante et n'a aucun intérêt financier dans celle-ci;

c) l'appelante exploite un service de messageries à Calgary;

d) les fonctions du travailleur consistaient à ramasser et à livrer du courrier et des colis dans la ville de Calgary;

e) le travailleur devait travailler de 8 h jusqu'à 16 h 30 à peu près, du lundi au vendredi;

f) le répartiteur de l'appelante donnait des instructions au travailleur concernant les livraisons et ramassages tout au long d'une journée de travail;

g) l'appelante fixait les prix des livraisons et fournissait au travailleur une copie de son barème;

h) l'appelante établissait les priorités et déterminait les délais pour les livraisons;

i) le travailleur ne pouvait fixer ses propres prix ni modifier les tarifs fixés par l'appelante;

j) le travailleur recevait 67 p. 100 du tarif de livraison, et l'appelante le payait par chèque à toutes les deux semaines;

k) le travailleur devait être dans une zone précise dans la ville de Calgary et, chaque matin, avant 8 h, communiquer par radio avec le répartiteur de l'appelante;

l) lorsque le travailleur voulait faire une pause, il devait s'adresser au répartiteur pour obtenir l'approbation;

m) l'appelante fournissait au travailleur un uniforme, et le travailleur était tenu de porter l'uniforme lors de la prestation de services pour l'appelante;

n) le travailleur était tenu d'afficher le logo de l'appelante sur son véhicule lorsqu'il remplissait des fonctions pour l'appelante;

o) le travailleur ne pouvait travailler pour une autre société de messageries pendant qu'il travaillait pour l'appelante;

p) le travailleur ne pouvait embaucher ou envoyer un remplaçant pour conduire son véhicule;

q) s'il ne pouvait travailler une journée donnée, le travailleur était tenu d'en aviser le répartiteur;

r) le travailleur devait demander et obtenir l'approbation de l'appelante pour prendre des vacances;

s) le travailleur était tenu d'utiliser les relevés d'appels quotidiens ou les manifestes de l'appelante;

t) à la fin de chaque journée de travail, le travailleur devait remettre à l'appelante les manifestes ou les relevés d'appels quotidiens;

u) les relevés d'appels quotidiens ou les manifestes contenaient des renseignements sur chacun des ramassages et chacune des livraisons effectués par le travailleur au cours d'une journée donnée;

v) l'appelante fournissait une radio au travailleur, et des frais de 13,75 $ pour l'utilisation de la radio étaient retenus à toutes les deux semaines;

w) le travailleur n'était pas libre de déterminer les livraisons dont il s'occuperait et ne pouvait refuser une livraison qui lui était attribuée;

x) le travailleur a dû participer à une séance de formation donnée par l'appelante et a reçu 14 $ l'heure pour la durée de cette séance de formation;

y) le travailleur faisait partie d'un syndicat, et des cotisations syndicales étaient retenues sur sa paye à toutes les deux semaines.

[9] Les faits admis par le ministre sont les suivants :

[TRADUCTION]

1. Express Airborne était une division de Mayne Nickless Transport Inc.;

2. Express Airborne s'occupait de façon générale du ramassage et de la livraison, le même jour, d'enveloppes et de colis dans la ville de Calgary;

3. Le ramassage et la livraison de ces articles étaient faits par des chauffeurs appelés messagers propriétaires-exploitants;

7. Le véhicule de M. Van Der Woerd n'était pas peint des couleurs de Express Airborne;

9. M. Van Der Woerd recevait pour ses services un pourcentage du revenu qu'il générait;

11. Il générait ce revenu en fournissant à divers clients un service de ramassage et de livraison, selon ce qui lui était assigné quotidiennement à partir de la table de répartition; le revenu que M. Van Der Woerd générait dépendait de la disponibilité de celui-ci à n'importe quel moment donné;

13. M. Van Der Woerd pouvait être absent de temps à autre et prenait quelques jours de congé occasionnellement;

16. Le ministère du Développement des ressources humaines du Canada a demandé une décision quant à l'assurabilité de l'emploi exercé par Johannes Van Der Woerd au cours de la période allant du 1er novembre 1994 au 31 décembre 1995;

17. Le 12 novembre 1996, le bureau des services fiscaux de Revenu Canada a déterminé que M. Van Der Woerd exerçait un emploi assurable au sens de l'alinéa 3(1)a) de la Loi sur l'assurance-chômage puisqu'il était un employé fournissant des services en vertu d'un contrat de louage de services; une copie de la décision figure en annexe aux présentes;

18. Le 6 février 1997, l'appelante a fait tenir au ministre du Revenu national une lettre faisant appel de la décision; une copie de la lettre figure en annexe aux présentes;

19. Le 30 avril 1997, le ministre du Revenu national a réglé la question en décidant que Johannes Van Der Woerd exerçait un emploi en vertu d'un contrat de louage de services et était donc un employé; une copie du règlement de la question figure en annexe aux présentes.

[10] Le ministre a également admis les paragraphes 4, 5 et 6 de l'avis d'appel modifié, sauf qu'il niait que le travailleur ait été un propriétaire-exploitant. Ces paragraphes se lisent comme suit :

[TRADUCTION]

4. M. Van Der Woerd a fourni des services de messager (propriétaire-exploitant) à Express Airborne du 1er novembre 1994 au 31 décembre 1995;

5. M. Van Der Woerd, comme messager propriétaire-exploitant, devait utiliser son propre véhicule et prenait en charge tous les frais liés au fonctionnement de son véhicule quand il a accepté de fournir ses services à Express Airborne;

6. De plus, si le véhicule de M. Van Der Woerd était tombé en panne et que M. Van Der Woerd n'avait pu fournir un véhicule de remplacement, Express Airborne aurait fait appel à un autre messager propriétaire-exploitant et n'aurait pas payé M. Van Der Woerd.

[11] Le ministre a admis le paragraphe 8 de l'avis d'appel modifié, sauf qu'il a dit que le prix fixe demandé pour la location de la radio était de 13,75 $ pour deux semaines et non pour une semaine. Le paragraphe 8 se lit comme suit :

[TRADUCTION]

8. M. Van Der Woerd devait louer une radio à Express Airborne, et la compagnie lui faisait payer un prix fixe de 13,75 $ par semaine en déduisant ce montant des chèques de M. Van Der Woerd.

[12] Le ministre a admis le paragraphe 10 de l'avis d'appel modifié, sauf qu'il a dit que le pourcentage payé était de 67 p. 100 et non de 63 p. 100. Le paragraphe 10 se lit comme suit :

[TRADUCTION]

10. M. Van Der Woerd recevait une commission représentant 63 p. 100 du revenu brut qu'il générait quotidiennement.

[13] Le paragraphe 15 de l'avis d'appel modifié se lit comme suit :

[TRADUCTION]

15. M. Van Der Woerd aurait pu choisir d'être assuré par une compagnie d'assurance indépendante, mais il avait opté pour la protection offerte par le cautionnement général de Express Airborne couvrant les biens transportés et on lui faisait payer 10 $ par mois pour cette protection, lequel montant était déduit de ses chèques. »

Le ministre a dit concernant ce paragraphe :

[TRADUCTION]

7. En réponse aux allégations de fait énoncées au paragraphe 15 de l'avis d'appel, il admet que le travailleur était protégé par le cautionnement de Express Airborne couvrant les biens transportés et qu'on lui faisait payer 10 $ par mois pour cette protection, lequel montant était déduit de ses chèques; par ailleurs, il ne connaît rien concernant les allégations qui y sont faites et n'admet pas ces allégations.

[14] Le ministre a nié toutes les autres allégations de l'avis d'appel modifié.

[15] S'ils ne sont pas réfutés, selon la prépondérance des probabilités, par la preuve, les faits énoncés dans la réponse à l'avis d'appel, y compris les faits admis par le ministre qui sont exposés dans l'avis d'appel modifié – sauf les exceptions indiquées par le ministre - , doivent être acceptés par la Cour.

[16] De son côté, l'appelante a admis les faits suivants sur lesquels il était dit que le ministre s'était fondé dans la réponse à l'avis d'appel, c'est-à-dire les alinéas b), c) (que l'appelante disait être incomplet), d) (incomplet), i), m), n), q), s), u) et y). Pour ce qui est des autres faits, l'appelante les a niés ou encore a dit qu'ils ne pouvaient être admis.

[17] Deux personnes ont témoigné pour l'appelante, soit Rob Ashe, qui était son directeur de succursale à Calgary à l'époque en cause, et Ross Wace, qui est devenu le directeur des ressources humaines de la compagnie en janvier 1996, c'est-à-dire après la période pertinente. J'ai trouvé que Rob Ashe était un témoin fiable et honnête qui connaissait personnellement la situation. Il ne travaillait plus pour l'appelante, ayant pris un emploi dans un tout autre domaine, au sein d'une compagnie qui n'était aucunement liée à l'appelante. Il est venu de Calgary à Montréal pour témoigner, et j'ai été impressionné par sa franchise. De même, Ross Wace m'est apparu comme un témoin honnête et fiable, mais j'ai été conscient du fait qu'il n'avait aucune connaissance directe des événements qui s'étaient passés à Calgary.

[18] Comme contexte général, j'ai pu dégager de la preuve les éléments suivants. Les chauffeurs étaient propriétaires des véhicules qu'ils utilisaient dans leur travail. Ils assuraient tout l'entretien de leurs véhicules. Ils payaient l'assurance, l'essence ainsi que toutes les réparations. Ils ne recevaient de l'appelante aucun remboursement de ces frais, qu'ils déduisaient d'ailleurs de leur revenu dans leurs déclarations de revenu personnelles. L'appelante ne leur disait pas quels véhicules ils pouvaient ou ne pouvaient pas utiliser, et les chauffeurs se servaient d'une grande variété de véhicules, depuis les petites voitures compactes jusqu'aux camions, en passant par les mini-fourgonnettes. L'appelante ne tenait compte du type de véhicule utilisé que dans le pourcentage de commission négocié avec les chauffeurs. Ceux qui avaient de plus gros véhicules, dont le coût de fonctionnement était plus élevé, réussissaient à négocier un taux légèrement supérieur. À part cela, les chauffeurs étaient laissés à eux-mêmes quant au type de véhicule qu'ils utilisaient et quant aux frais de fonctionnement qu'ils engageaient. Ils n'avaient pas à demander la permission pour changer de véhicule. En outre, des logos magnétiques, décalques et vitrophanies portant le nom de l'appelante étaient disponibles, mais, d'après Rob Ashe, ils n'étaient pas permanents et les chauffeurs n'étaient pas obligés de les apposer sur leurs véhicules.

[19] Suivant le contrat entre les chauffeurs et l'appelante, les chauffeurs étaient des entrepreneurs indépendants. La clause 2.03 du contrat se lit comme suit :

[TRADUCTION]

2.03 Relation

Express Airborne (le maître de l'ouvrage) et le propriétaire-exploitant reconnaissent et conviennent que la présente convention est un contrat d'entreprise et que le propriétaire-exploitant sera aux fins de la présente convention réputé être un entrepreneur indépendant. La présente convention ne doit nullement être interprétée comme créant entre Express Airborne et le propriétaire-exploitant une relation juridique d'associés, d'employeur-employé, de commettant-préposé ou de mandant-mandataire.

[20] Le simple fait que le contrat stipule qu'il s'agit d'une relation d'entrepreneurs indépendants ne signifie pas nécessairement qu'il en est ainsi. De toute évidence, la Cour n'est pas liée par la simple manière dont les parties qualifient la situation. Le fond du contrat doit être examiné, et c'est le fond et non la forme qui sera le facteur décisif. Toutefois, en l'absence d'une preuve claire du contraire, la Cour doit dûment prendre en compte l'intention déclarée des parties.

[21] Il serait peut-être utile maintenant de traiter de la preuve concernant les faits en litige, sur lesquels il était dit dans la réponse à l'avis d'appel que le ministre s'était fondé. Tout d'abord, pour ce qui est des alinéas c) et d), il ressort de la preuve que l'entreprise de l'appelante comportait beaucoup plus qu'un service de messageries à Calgary. De façon générale, cependant, ces deux alinéas sembleraient être exacts.

[22] L'alinéa e) était contesté en ce sens que les heures indiquées, bien qu'étant les heures générales durant lesquelles on s'attendait que les chauffeurs soient disponibles, n'étaient pas des heures de travail obligatoires. Il appartenait à chaque chauffeur de décider s'il allait travailler une journée donnée. On demandait aux chauffeurs qui n'avaient pas l'intention de travailler de prévenir le répartiteur d'avance. Ils n'avaient pas à demander la permission pour prendre congé. Toutefois, s'ils décidaient d'aller travailler une journée donnée, ils devaient en aviser le répartiteur avant 8 h, pour que la compagnie puisse organiser ses affaires pour la journée. On s'attendait alors qu'ils restent disponibles jusqu'à 18 h, mais le répartiteur pouvait les libérer plus tôt si c'était tranquille. Par ailleurs, s'ils voulaient avoir du temps pour manger à midi, pour prendre des vacances ou pour quoi que ce soit d'autre, la décision leur appartenait. Tout ce qu'on leur demandait de faire, c'était d'en aviser le répartiteur. Certes, s'ils voulaient s'absenter pendant une période de grande activité, on essayait de les en décourager, mais le fait est qu'ils pouvaient prendre la décision eux-mêmes. Donc, lorsqu'on a informé le ministre qu'un chauffeur « devait » travailler ces heures-là, ce n'était pas tout à fait exact. Il aurait peut-être été plus exact de dire qu'on « s'y attendait » ou qu'on le « demandait » .

[23] En ce qui a trait à l'alinéa f), une fois que le chauffeur avait avisé le répartiteur qu'il était disponible, son travail provenait de cette source. Ce n'est pas tant qu'il recevait des instructions, c'est plutôt qu'il était disponible et que du travail lui était alors assigné. Le répartiteur recevait simplement l'appel du client et attribuait ensuite le ramassage et la livraison à un chauffeur qui était dans le secteur et qui était disponible pour s'en occuper. Ce que j'ai compris de la preuve, c'est que le service de répartition fonctionnait davantage comme un bureau central qui mettait les clients en contact avec les chauffeurs. C'était ensuite au chauffeur de déterminer comment accomplir la tâche, en décidant, par exemple, quel chemin emprunter et à quelle vitesse conduire. D'après la preuve, au lieu de parler d' « instructions » , il serait plus exact de parler d' « attribution de tâches » .

[24] Je conclus sur la foi de la preuve que, de façon générale, l'appelante fixait effectivement les prix comme l'indique l'alinéa g). Toutefois, il y avait souvent des éléments supplémentaires — par exemple, le moment de livraison et le temps d'attente —, que les chauffeurs pouvaient souvent négocier directement avec les clients. J'estime que ce point ne porte pas vraiment à conséquence.

[25] Pour ce qui est de l'alinéa h), je ne pense pas qu'il s'agit de beaucoup plus que la fixation de prix pour les livraisons accélérées. Si un service accéléré ou une livraison urgente était demandé, service pour lequel le client devait payer plus cher, cela avait priorité sur les autres livraisons.

[26] En ce qui concerne l'alinéa j), chaque chauffeur recevait un pourcentage du prix de livraison demandé aux clients. Ce pourcentage allait de 63 à 67 p. 100. Tout dépendait de ce qui était négocié avec la compagnie, et on tenait compte d'éléments comme l'expérience du chauffeur et la taille du véhicule. Rob Ashe a affirmé catégoriquement que le chauffeur en cause dans cet appel recevait un pourcentage de 63 p. 100. J'accepte son témoignage sur ce point, mais, encore là, je pense que la différence ne porte pas vraiment à conséquence. Ce qu'il importe de comprendre, c'est que tous ces chauffeurs touchaient des commissions, qu'ils travaillaient aux pièces. S'ils faisaient des livraisons, ils étaient payés. S'ils n'en faisaient pas, ils n'étaient pas payés. Néanmoins, la Loi indique clairement qu'un emploi est assurable même s'il s'agit d'un travail aux pièces.

[27] Il ne semble pas avoir été question, dans la preuve, des zones mentionnées à l'alinéa k) et ce fait, pour ce qu'il vaut, demeure donc tel qu'il est énoncé dans la réponse à l'avis d'appel.

[28] En ce qui a trait à l'alinéa l), il ressort clairement de la preuve que, pour faire une pause, il n'était pas nécessaire d'avoir la permission du répartiteur. Le fait qu'un chauffeur appelle le répartiteur pour l'aviser de son intention de faire une pause était simplement une question de bon sens. Une certaine collaboration s'imposait sans doute à cet égard. Il ne faut toutefois pas confondre collaboration et permission.

[29] L'alinéa o) est plutôt trompeur tel qu'il est formulé. Le témoin a expliqué que, pour des raisons évidentes, lorsqu'un chauffeur faisait savoir au répartiteur de l'appelante qu'il était disponible, il ne pouvait en même temps travailler pour une compagnie rivale. Cela n'aurait tout simplement pas fonctionné. Cependant, lorsqu'un chauffeur avisait le répartiteur qu'il n'était plus disponible, il était libre de faire du travail pour n'importe quelle autre compagnie qu'il pouvait choisir, et certains le faisaient effectivement.

[30] De même, pour ce qui est de l'alinéa p), le témoin Ashe a expliqué la difficulté que cela présentait si un chauffeur s'arrangeait pour se faire remplacer. Les chauffeurs devaient être cautionnés. En outre, ils devaient avoir un casier judiciaire vierge. Il était impossible à l'appelante d'effectuer les vérifications nécessaires à bref délai. Donc, bien qu'en principe l'appelante ne s'opposât pas à ce genre d'arrangements, leur côté si peu pratique les rendait impossibles.

[31] En ce qui concerne l'alinéa r), j'en ai essentiellement déjà traité. Aucune approbation n'était requise. Ce qui était requis, c'était de la coopération et une notification.

[32] En ce qui a trait à l'alinéa t), il ressort clairement de la preuve que l'on demandait aux chauffeurs de remplir des manifestes pour chaque article livré et de les faire signer par les destinataires. C'était sans doute pour la protection des chauffeurs. Cependant, c'était aussi la méthode utilisée par la compagnie pour déterminer combien le chauffeur devait être payé. Par exemple, tous les montants supplémentaires facturés étaient indiqués sur le manifeste. Il y avait une boîte de dépôt dans laquelle les chauffeurs pouvaient mettre leurs manifestes, ce qu'ils faisaient lorsque cela leur convenait, sachant que, s'ils ne remettaient pas les manifestes, ils ne seraient pas payés. Ce système servait aussi à contrôler les paiements en espèces des clients. Les chauffeurs étaient autorisés à conserver ces paiements, qui étaient déduits de ce que l'appelante leur devait. Donc, la question des manifestes étaient une question de comptabilité et non pas de supervision.

[33] Le fait que l'appelante fournissait un appareil émetteur–récepteur aux chauffeurs moyennant paiement de 13,75 $ à toutes les deux semaines ne semble pas avoir été contesté dans la preuve.

[34] La preuve révèle qu'un chauffeur était libre de refuser une tâche s'il choisissait de faire une pause. Toutefois, s'il s'était déclaré disponible, on s'attendait qu'il accepte et mène à bien les tâches qui lui étaient attribuées. L'alinéa w), tel qu'il est libellé, n'est donc pas tout à fait exact.

[35] L'alinéa x) concernant la formation a été passé sous silence dans la preuve et doit donc être accepté tel quel.

[36] Telle a été la preuve concernant les divers faits allégués et admis par les parties dans l'avis d'appel et la réponse à l'avis d'appel. Je passe maintenant à l'examen de la preuve présentée par les témoins relativement aux aspects restants des modalités de travail.

[37] Rob Ashe a décrit pour la Cour les différences qu'il y avait, de son point de vue, entre un employé de bureau à temps plein et les chauffeurs. Il a dit qu'il avait dix ou onze employés à temps plein qui travaillaient au bureau et que, pour une journée donnée, il avait dix chauffeurs. Il n'a pas dit à combien de chauffeurs en tout il pouvait faire appel, mais je suppose que ce n'était pas nécessairement les dix mêmes chauffeurs qui travaillaient pour l'appelante chaque jour. Au siège social, il y avait deux répartiteurs, trois personnes s'occupant de la comptabilité et deux personnes travaillant dans les ventes; les autres travaillaient dans le domaine de l'administration générale, comme lui. Ces employés avaient tous les avantages sociaux habituels, y compris l'assurance maladie de l'Alberta, le régime de soins dentaires, le régime de pensions et l'assurance invalidité de longue durée. Ils payaient des cotisations à ces régimes : ils étaient obligés de le faire, mais la compagnie payait aussi une part. Ils étaient visés par le Code canadien du travail et avaient droit, entre autres choses, à des jours fériés payés.

[38] Pour leur part, les chauffeurs n'avaient pas ces avantages. On leur offrait un régime d'avantages facultatif, mais, s'ils y adhéraient, ils devaient payer 100 p. 100 des cotisations. Ils étaient entièrement libres d'y adhérer ou non, et l'appelante n'y versait rien pour eux. Un peu plus de la moitié des chauffeurs y ont adhéré; les autres, non. Ils n'avaient pas droit à des congés payés ni à d'autres avantages en vertu du Code canadien du travail. Ils étaient couverts par le régime d'indemnisation des accidents du travail de l'Alberta et payaient les cotisations à ce régime, car ils devaient obligatoirement être couverts, même s'ils étaient des entrepreneurs indépendants.

[39] Les chauffeurs étaient membres d'un syndicat, le STC. Dans ce syndicat, il y avait une catégorie particulière de membres composée des propriétaires-exploitants, et les chauffeurs avaient leur propre convention collective avec la compagnie, laquelle convention était bien différente de celle des employés ordinaires et de portée beaucoup moins vaste. La convention des chauffeurs semblait assurer à ces derniers une protection minimale en ce qui concerne les modalités de leur travail pour l'appelante.

[40] Les revenus bruts et les revenus nets des chauffeurs variaient considérablement, étant fonction de l'efficacité avec laquelle ils pouvaient se déplacer dans la ville, de leur connaissance des secteurs où ils travaillaient, de leur habileté en tant que conducteurs et de la mesure dans laquelle ils entretenaient bien leurs véhicules. De plus, ils faisaient eux–mêmes de la promotion, offrant des cadeaux aux réceptionnistes de clients et emmenant des clients au restaurant, et ils payaient le tout de leur poche.

[41] Les employés ordinaires étaient assujettis à un processus d'embauchage différent de celui pour les chauffeurs. Pour les employés ordinaires, on exigeait des références, qui étaient vérifiées avant que la personne soit embauchée. Tel n'était pas le cas pour les chauffeurs. Par contre, les chauffeurs devaient être cautionnés au moyen d'un cautionnement couvrant les biens transportés, et leur dossier de conduite devait être sans tache. Ils pouvaient payer ce cautionnement par l'intermédiaire de la compagnie ou l'acheter ailleurs. Donc, à cet égard également, ils avaient une certaine indépendance.

[42] Un autre aspect important des modalités de travail des chauffeurs, à mon avis, était la question de la responsabilité. Les chauffeurs étaient responsables de toute perte et de tout dommage non seulement pour ce qui est de leurs propres véhicules, mais aussi pour ce qui est des biens transportés.

[43] L'avocat du ministre a fait grand cas de la question des créances irrécouvrables. Une fois que le manifeste était remis à l'appelante par le chauffeur, la compagnie se faisait payer par le client. La compagnie versait au chauffeur le pourcentage convenu. Qu'elle soit payée ou non par le client, elle versait ce montant au chauffeur. L'avocat du ministre y voyait un exemple démontrant qu'il ne s'agissait pas de l'entreprise du chauffeur. Ross Wace a expliqué cette politique. Il a dit que cela s'apparentait à la situation où, parfois, lorsqu'il n'y avait aucun chauffeur de disponible, la compagnie faisait appel à un concurrent ou à un taxi pour assurer la livraison. La compagnie avait deux contrats : l'un avec le client, qui devait payer la compagnie, l'autre avec le transporteur — qu'il s'agisse d'un des chauffeurs habituels ou d'un chauffeur de taxi —, qui assurait le transport et que la compagnie était tenue de payer peu importe qu'elle ait été elle-même payée ou non par son client. Je reviendrai à cela dans un instant, car j'estime que c'est au coeur de ce qui se passait dans le cadre de l'arrangement de travail avec les chauffeurs.

[44] Voilà donc les faits importants que j'ai dégagés de la preuve. J'examinerai maintenant comment le droit s'applique à ces faits. Comme je l'ai dit, je n'ai aucune hésitation à conclure que ces faits sont conformes à la preuve présentée par les deux témoins.

Application du droit aux faits

[45] Quand je considère l'élément « contrôle » des critères énoncés précédemment, je ne trouve pas qu'un très grand contrôle était exercé par l'appelante sur les chauffeurs. En fait, il me semble que les chauffeurs avaient beaucoup d'indépendance pour décider s'ils travailleraient et quand ils travailleraient et pour déterminer, s'ils s'étaient déclarés disponibles pour travailler, comment ils s'acquitteraient de leur travail. Évidemment, une fois qu'ils avaient avisé le répartiteur qu'ils étaient disponibles, il fallait que certaines règles soient suivies, sinon ç'aurait été le chaos. Il me semble que ce n'est pas différent du cas d'un sous-traitant indépendant qui se présente sur un chantier de construction où il doit entretenir des rapports et collaborer avec les autres intervenants sur le chantier. En soi, il n'en est pas moins pour autant un entrepreneur indépendant. Dans la présente espèce, le chauffeur pouvait dire qu'il n'était plus disponible quand il le voulait; il pouvait prendre des vacances quand il le voulait, mais il n'était pas payé pendant ce temps; une fois qu'une tâche particulière lui avait été assignée, il pouvait s'y prendre comme bon lui semblait, déterminant lui-même son chemin et utilisant le mode de transport de son choix. J'y vois donc beaucoup d'indépendance et très peu de supervision. La seule exigence semblait être que, si un chauffeur voulait travailler pour la journée, il devait le faire savoir avant 8 h, pour que le répartiteur puisse déterminer quels chauffeurs étaient disponibles. De même, si des chauffeurs voulaient s'absenter durant la journée ou pour une journée ou plus, on s'attendait qu'ils en avisent le répartiteur. Cependant, ils n'étaient pas tenus d'en obtenir la permission. L'élément « contrôle » tend donc à indiquer un statut d'entrepreneur indépendant.

[46] Il est clair que les instruments de travail utilisés par les chauffeurs leur appartenaient. Les chauffeurs devaient fournir leurs propres véhicules et prenaient en charge tous les frais de fonctionnement relatifs à ceux-ci, sans aucun remboursement de la part de l'appelante. Cela me semble représenter la plus importante distinction entre les diverses affaires qui m'ont été citées et la présente espèce. Les chauffeurs utilisaient leurs propres véhicules. En outre, ils louaient des appareils émetteurs-récepteurs à la compagnie. Ces radios ne leur étaient pas tout simplement fournies: ils devaient payer des frais de location, ce qui, en un sens, leur conférait un droit de propriété sur les radios. La compagnie ne fournissait rien si ce n'est des décalques ou des logos que les chauffeurs utilisaient s'ils le voulaient, ainsi qu'un uniforme, dont les chauffeurs assuraient eux-mêmes l'entretien et qui servait évidemment à des fins d'identification quand ils ramassaient des colis chez des clients. Cet aspect des critères tend nettement à indiquer un statut d'entrepreneur indépendant.

[47] Pour ce qui est des chances de bénéfice et des risques de perte, il me semble que ces chauffeurs en avaient amplement. La preuve indique qu'il y avait un écart considérable entre les sommes gagnées par les différents chauffeurs. De même, il y avait une différence dans les types de véhicules utilisés. Les frais d'entretien des véhicules étaient sans doute également différents, selon la débrouillardise des chauffeurs. Moins les chauffeurs engageaient de frais, plus le profit qu'ils pouvaient réaliser serait élevé. S'ils conduisaient négligemment et avaient un accident, ils pouvaient fort bien subir une perte très importante, selon la prudence dont ils avaient fait preuve en matière d'assurance. À mon avis, ils avaient toutes les chances de bénéfice et tous les risques de perte d'un entrepreneur indépendant. Je n'ai pas non plus oublié le fait que les chauffeurs étaient libres de travailler pour d'autres organisations, une fois qu'ils avaient indiqué au répartiteur de l'appelante qu'ils n'étaient plus disponibles, et certains d'entre eux l'ont effectivement fait. Tout cela cadre avec le fait qu'ils étaient dans les affaires à leur propre compte.

[48] Le quatrième aspect des critères énoncés par la Cour d'appel fédérale concerne l'intégration du travail dans l'entreprise de l'appelante. Il faut considérer cet aspect du point de vue du chauffeur plutôt que de celui de la compagnie. La question fréquemment posée dans ces situations est de savoir « à qui appartient l'entreprise » . En l'espèce, je pense qu'il importe de comprendre que l'entreprise en cause englobe deux aspects différents. L'entreprise de messageries exploitée par l'appelante comporte le fait de promouvoir auprès de ses clients son service consistant à assurer le ramassage, le transport et la livraison d'articles dans les limites de la ville. Une partie du prix représente les frais d'administration et les frais liés à l'ensemble du réseau mis sur pied par la compagnie. L'entreprise de chaque chauffeur individuel, par contre, est une entreprise de transport, me semble-t-il. Le chauffeur s'engage envers la compagnie à lui fournir un service de transport à des périodes déterminées, sensiblement de la même manière qu'un chauffeur de taxi auquel la compagnie pourrait faire appel. Il y a une différence entre l'entreprise de messageries et l'entreprise de transport. La première comporte beaucoup plus que les simples ramassages et livraisons. La seconde n'offre rien d'autre que cela. Aucun chauffeur particulier ne fait partie intégrante de l'entreprise de l'appelante. L'entreprise du chauffeur a pour clients l'appelante et d'autres personnes aussi, si le chauffeur choisit d'avoir d'autres clients, c'est-à-dire que son entreprise n'est pas nécessairement liée exclusivement à l'appelante. À mon avis, ce critère tend lui aussi à indiquer beaucoup plus l'existence d'un contrat d'entreprise que d'un contrat de travail.

[49] Quand je considère le mode de rémunération des chauffeurs, le fait qu'ils prennent eux-mêmes en charge tous leurs frais, le fait qu'ils fournissent leurs propres véhicules pour effectuer les livraisons, le fait qu'ils n'ont pas les avantages dont bénéficient les employés à temps plein, le fait qu'ils peuvent déterminer quand et comment ils travailleront, le fait qu'ils peuvent travailler pour d'autres compagnies de livraison (qu'elles soient concurrentes ou non de l'appelante), le fait qu'ils louent les radios, le fait qu'ils ont le choix quant à savoir par qui se faire cautionner, le fait qu'ils ont le choix d'utiliser ou non les logos de la compagnie sur leurs véhicules et le fait qu'ils font leurs propres efforts de commercialisation auprès des clients, à leurs propres frais, quand je considère tous ces facteurs, je ne puis que conclure que tout cela conduit à la conclusion inéluctable que ces chauffeurs, y compris Johannes Van Der Woerd, travaillaient en vertu d'un contrat d'entreprise et non d'un contrat de louage de services. Il n'y a littéralement rien, à mon avis, qui réfute l'intention clairement exprimée dans le contrat par les parties à ce contrat, à savoir que celui-ci doit être considéré comme un contrat d'entreprise et non comme un contrat de louage de services.

Conclusion

[50] Pour les motifs énoncés ci-dessus, je conclus que Johannes Van Der Woerd travaillait pour l'appelante en vertu d'un contrat d'entreprise au cours de la période en cause et qu'il n'était donc pas un employé. Il n'exerçait pas un emploi assurable. Donc, la décision du ministre est annulée, et l'appel est accueilli.

Signé à Calgary (Alberta) ce 26e jour de février 1999.

« Michael H. Porter »

J.S.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 29e jour de novembre 1999.

Erich Klein, réviseur

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